Vers holorimes
Des vers holorimes ou olorimes sont des vers entiÚrement homophones ; c'est-à -dire que la rime est constituée par la totalité du vers, et non pas seulement par une ou plusieurs syllabes identiques à la fin des vers comme dans la rime « classique ».
Cette figure de style est ancienne, mais le premier sonnet recensĂ© entiĂšrement constituĂ© d'holorimes est l'Ćuvre de Jean Goudezki (1866-1934). DatĂ© de 1892 et dĂ©diĂ© Ă Alphonse Allais, il s'intitule Invitation et a Ă©tĂ© Ă©crit au cĂ©lĂšbre cabaret du Chat noir Ă Paris.
Exemples
Invitation, de Jean Goudezki
Je t'attends samedi, car Alphonse Allais, car
Ă l'ombre, Ă Vaux, l'on gĂšle. Arrive. Oh ! la campagne !
Allons â bravo ! â longer la rive au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l'écart.
Laisse aussi sombrer tes dĂ©boires, et dĂ©pĂȘche !
L'attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombre, thĂ© des poires et des pĂȘches,
LĂ , trĂšs puissant, un homme l'est tĂŽt. L'art nourrit.
Et, le verre Ă la main, â t'es-tu dĂ©cidĂ© ? Roule
Elle verra, là mainte étude s'y déroule,
Ta muse Ă©tudiera les bĂȘtes ou les gens !
Comme aux dieux devisant, HĂ©bĂ© (c'est ma compagne)âŠ
Commode, yeux de vice hantĂ©s, baissĂ©s, m'accompagneâŠ
Amusé tu diras : « L'Hébé te soûle, hé ! Jean ! »
â Jean Goudezki
Autres exemples
« Et ma blĂȘme araignĂ©e, ogre illogique et las
Aimable, aime à régner, au gris logis qu'elle a. »
â (Victor Hugo)
« Par les bois du Djinn, oĂč s'entasse de l'effroi,
Parle et bois du gin !⊠ou cent tasses de lait froid. »
â (Alphonse Allais)
« Aidé, j'adhÚre au quai ; lùche et rond je m'ébats.
Et déjà , des roquets lùchés rongent mes bas. »
â (Alphonse Allais)
« Ah ! Vois au pont du Loing, de là , vogue en mer, Dante !
Hùve oiseau, pondu loin de la vogue ennuyeuse[N 1]. »
â (Alphonse Allais)
« (La reine dit à Gall : "Beau moine rose et gras,
Jusqu'oĂč peux-tu marcher, me tenant dans tes bras ?")
Gall, amant de la reine, Ă l'atour magnanime,
Galamment de l'arÚne à la tour Magne, à Nßmes. »
â (Marc Monnier[1])
« Laurent Pichat, virant (coup hardi), bat Empis ;
Lors Empis, chavirant, couard, dit : Bah ! Tant pis ! »
â (Marc Monnier)
« Ă, fragiles HĂ©breux ! Allez, Rebecca, tombe !
Offre Ă Gilles zĂšbre, Ćufs. Ă l'ĂrĂšbe hĂ©catombe ! »
â (Victor Hugo)
« Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses,
OĂč, dure, Ăve d'efforts sa langue irrite (erreur !)
Ou du rĂȘve des forts alanguis rit (terreur !)
Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses. »
â (Charles Cros, Le Coffret de santal, 1873)
« Danse, prélat ! L'abbé t'apprit l'air en plain-chant !
Dans ce prĂ©-lĂ , la bĂȘte a pris l'air en pleins champs. »
â (Luc Ătienne)
« Ah ! ce qu'on sert de faux ré
A ce concert de Fauré »
â (Lucienne Desnoues)
« Dans cet antre, lassĂ©s de gĂȘner au palais,
Dansaient, entrelacés, deux généraux pas laids. »
â (Lucien Reymond)
« Au Café de la Paix, Grand-PÚre, il se fait tard.
Oh ! Qu'a fait de la pĂšgre en pĂ©ril, ce fĂȘtard ? »
â (Lucien Reymond)
« Dans ton site sévÚre assistant sa prestance,
Danton cite ces vers, assis, stance aprÚs stance. »
â (Lucien Reymond)
« Dans ces bois automnaux, graves et romantiques,
Danse et bois aux tonneaux, graves et rhums antiques. »
â (Jacques PrĂ©vert)
« à Lesbos, à Tyr, l'évangile est appris.
Ah ! Laisse, beau satyre, l'Ăve en gilet t'a pris. »
â (David P. Massot)
« Elle sort, là -bas, des menthes,
La belle Ăve Ă l'Ăąme hantĂ©e.
Et le sort l'abat, démente...
L'abbé laid va lamenter. »
â (Louise de Vilmorin)
« L'ùme est moirée par mille émois, sans torts.
La mémoire est parmi les mois, centaure. »
â (Louise de Vilmorin)
« Ma femme
M'affame. »
â (Philippe Geluck)
« L'aubépine dort sale dÚs qu'on descend dans
l'aube, épine dorsale des condescendants. »
â (Dominique Massaut)
« 'Mes mensonges c'est vĂ©ritĂ©, sĂ©vĂ©ritĂ© mĂȘme en songe »
« Il pensait, nostalgique, au grand Kubilaï Khan,
Puis, vers le ciel tragique, il leva les yeux, quand
Il eut lu La Danse des peaux-rouges, et de lâĂźle
Il ulula, dans ce dépÎt, Rouget de Lisle⊠»
â Philippe Pratx, Karmina Vltima, Le Coudrier, 2021
« Lâengoulevent, Ă©poux vantĂ© des truies cĂ©lestes,
Vole et crie au-dessus de la langue de terreâŠ
Langue oĂč le vent Ă©pouvantĂ© dĂ©truit ces lestes
Dentelles de vieux stucs jonchant le cimetiÚre. »
â Philippe Pratx, áœÎ»ÎżÎč, Le Coudrier, 2023
« Le plaisir des culs plaßt, Le plaisir décuplé. »
â (Marc Hillman)
Comme beaucoup de ces formes fondĂ©es sur des contraintes extrĂȘmes, les poĂšmes composĂ©s d'holorimes tiennent en gĂ©nĂ©ral plus de la prouesse que de la littĂ©rature. Louise de Vilmorin pourtant, dans son recueil L'Alphabet des aveux, parvint Ă la synthĂšse du jeu et de l'Ă©motion :
« Ătonnamment monotone et lasse
Est ton ùme en mon automne, hélas ! »
Des vers holorimes sont également présents dans le rap français, notamment chez Nekfeu[2] :
« Aventurier de l'inconnu, avant tu riais de l'inconnu »
â (Nekfeu), Avant tu riais, Cyborg
« D'oĂč sors-tu? Ta douceur tue »
â (Nekfeu), Saturne, Cyborg
« Jeux vidéo et débats / Je vis des hauts et des bas. »
â (Nekfeu), Jeux vidĂ©o et dĂ©bats, Les Ătoiles vagabondes
Notes et références
Notes
- « La rime n'est pas trÚs riche, mais j'aime mieux cela que de sombrer dans la trivialité. » (Alphonse Allais).
Références
- Ce distique est souvent attribué à tort à Victor Hugo ; cf. Philippe Bouhier, Poésie ludique, « Des vers olorimes », [lire en ligne (page consultée le 2 juillet 2008)].
- (en) « Jeux vidéo et débats / Jeux vidéo et débats, jeux vidéo et débats / Jeux vidéo et débats, jeux vidéo et débats », sur Genius (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- Daniel Marmié, De la reine à la tour : Cent poÚmes holorimes, De Fallois, , 137 p. (ISBN 978-2-87706-255-8)