AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Un manifeste hacker

Un manifeste hacker[1] est le titre d'un essai de philosophie politique sur le capitalisme, la propriété intellectuelle, le surplus, les classes émergentes, et l'évolution de l'économie, à l'instar de celle des techniques par l'approfondissement du processus d'abstraction de la nature. Au-delà du principe de modernité (Habermas), il se présente dans la structure dynamique d'un manifeste d'aphorismes comme La société du spectacle de Guy Debord.

Le mot 'hacker" dans le titre est une métaphore ressourcée par sa signification en ancien anglo-saxon au temps de l'Enclosure. Ici il s'applique au dispositif de l'invention et à la stratégie économique et culturelle de l'organisation sociale tout entiÚre (à ne pas confondre avec le sens courant accordé au mot dans le cadre de la sécurité informatique tel qu'en l'ouvrage Manifeste du hacker).

Il s'agit de la version francophone du livre de McKenzie Wark, paru aux Ă©ditions Criticalsecret, en 2006. Le titre original anglophone est A Hacker Manifesto, aux Ă©ditions Harvard University Press, depuis 2004. Le corps principal du texte se prĂ©sente en 389 aphorismes, rĂ©partis dans 16 chapitres, plus les Notes, traduit en huit langues publiĂ©es dans le monde par diffĂ©rents Ă©diteurs. La traduction en français est l’ouvrage du collectif Club post-1984 Mary Shelley et Cie Hacker Band. Dans l'Ă©dition française, la prĂ©sentation expĂ©rimentale d'un seul article par page est une crĂ©ation inĂ©dite de Gallien Guibert, designer du livre, avec l'accord de l'auteur. Ceci a l'effet de faire ressortir la structure du texte : les samples, les remixes et la composition "fractale" de l'ensemble.

Un manifeste hacker / A hacker manifesto

Du nom Hacker

Pour McKenzie Wark, le nom "hacker" tient autant de l'activitĂ© ancestrale du bucheron, qui dĂ©grossi les arbres abattus, que du dĂ©couvreur de codes numĂ©riques, tels les hackers des laboratoires d'informatique Ă  l'Ɠuvre du logiciel libre (Ă  l'instar des Navajos qui inventĂšrent le code talker, dits "hackers", pendant la guerre du Pacifique). Chez l'auteur, c’est un concept gĂ©nĂ©rique de tout ĂȘtre exerçant l’intellect et l’intelligence librement, aux fins de produire des idĂ©es, tant individuellement que socialement. Donc il ne s’agit pas d’une catĂ©gorie dĂ©terminĂ©e par une pratique spĂ©cialisĂ©e, encore moins du pirate informatique, mĂȘme si le concept de l'auteur contient aussi cette possibilitĂ©. Par le constat qu'il ne soit pas possible d'inventer sans libertĂ© d'agir ni d'utiliser librement les sources, l'ouvrage fait un bilan de l'exploitation de l'homme par l'homme Ă  l'Ă©gide de la rĂ©cupĂ©ration des dĂ©couvertes, qui suggĂšre une hypothĂšse du progrĂšs au-delĂ  de la dialectique, et un dispositif de libĂ©ration par le processus infini de l'abstraction, qui ne suppose pas la prise du pouvoir.

Le livre

Résumé

Dans une Ă©volution chaotique de la domination, depuis la propriĂ©tĂ© du sol jusqu'Ă  l'abstraction du capitalisme intĂ©grĂ© par les normes du vecteur, l'objet actuel de l’ouvrage pourrait ĂȘtre la libĂ©ration de l'information[2].

On lit, Ă  la fin de l’article 006 : « Le mot d’ordre de la classe Hacker n’est pas que les travailleurs du monde se lient, comme ils purent s’unir autrefois, mais que les travaux du monde se dĂ©lient. »

La classe des "vectoralistes" fusionne toutes les classes de la domination rentable. La classe "hacker" est celle des inventeurs, des producteurs d’abstraction, dont la classe vectoraliste tire les ruses du renouvellement sans limite de ses profits. À toute Ă©poque le vecteur a procurĂ© Ă  la classe dominante l’énergie de ses profits, et des hackers procuraient l'abstraction nĂ©cessaire pour marquer les limites du territoire dominĂ©, par exemple la mesure du sol. Mais il est aussi possible de concevoir que l'imprimerie soit une dĂ©couverte du "hacking". En somme, l'univers technique dans son entier a Ă©tĂ© imaginĂ© et conçu par des hackers, qui l'ont actualisĂ© dans la sociĂ©tĂ©, tandis que des classes dominantes se succĂ©dĂšrent pour exploiter ces inventions aux dĂ©pens de la sociĂ©tĂ©. Aujourd’hui, le vecteur est la forme abstraite, mais directe et majeure, de la domination elle-mĂȘme.

La classe des vectoralistes est celle qui prĂ©tend contenir et dĂ©tenir les idĂ©es, pour les rendre exĂ©cutives ou les mettre en circulation Ă  son seul profit ; aujourd'hui elle domine non seulement les peuples mais encore les capitalistes - qui en dĂ©pendent. Le processus des enveloppes pour contenir les territoires rentables est injuste pour les hommes, il installe la raretĂ©, et par consĂ©quent empĂȘche le partage des richesses. Mais de plus, le processus de la limitation est mortifĂšre, car il tend Ă  faire disparaĂźtre les conditions de l’invention elles-mĂȘmes.

Au contraire, les hackers forment une classe abstraite mais qui ne peut produire que librement ; les hackers exercent la vitalitĂ© des sociĂ©tĂ©s. Quels que soient leurs domaines d’activitĂ© et quel que soit leur statut d’inventeurs (autonome ou de service), les hackers forment une classe diffuse et diverse, dĂ©localisĂ©e, et pour produire de nouvelles idĂ©es celle-ci se donne de recourir librement aux ressources, ce qu’elle peut aider Ă  gĂ©nĂ©raliser pour les autres.

Discussion

Cependant, la notion de classe rĂ©utilisĂ©e dans l’ouvrage de McKenzie Wark a fait l’objet de critiques notamment par Simson Garfinkel, auteur de l’article de rĂ©fĂ©rence Hack license[3]. Mais Garfinkel s’en tient Ă  la dĂ©finition historique des classes Ă  laquelle le livre de McKenzie Wark Ă©chappe, car il n’est qu’un leurre de la problĂ©matique marxiste-lĂ©niniste, un remix critique. C'est encore Hack license qui est citĂ© et son point de vue principal repris par Daniel Kaplan, dans À quoi servent les hackers ?, publiĂ© par Internet Actu (FING), Ă©galement au dĂ©but de 2005 ; mais l'article français s’applique essentiellement Ă  la lecture de la version courte traduite en France, en 2002. La fin de la rĂ©daction de la version longue date de 2003 ; elle prĂ©sente des changements notoires et Ă  ce jour n’existe qu’en l’état imprimĂ©, quelle que soit la langue de l’édition... En 2007, on ne connaĂźt pas encore de lecture francophone qui recense la publication de l’ouvrage long en français - que Daniel Kaplan lui-mĂȘme n'avait pu Ă©prouver au moment oĂč il Ă©crivait son article.

On peut considĂ©rer que les critiques de classe sont inappropriĂ©es, dans la mesure oĂč il ne s’agit pas d’une classe sociale catĂ©gorielle ni mĂȘme socio-Ă©conomique au sens strict de la Critique de l'Ă©conomie politique ; on pourrait mĂȘme dire que sans rapport avec la structure syndicale des luttes, il s'agisse encore une fois d'un concept Ă©largi de la notion de classe, au-delĂ  des couches sociales. Par lĂ , l'ouvrage consiste Ă©galement en mĂ©ta-critique de la critique de l'Ă©conomie politique et de l'Ă©conomie politique du signe.

La classe hacker est une classe latente, virtuelle, qui produit les abstractions attendues par le vecteur, mais la plupart du temps les vectoralistes ne commandent pas ses inventions, il les rĂ©cupĂšrent et les enferment par des lois, pour en contrĂŽler Ă  leur seul profit des applications Ă©dulcorĂ©es. Aux hackers d’inventer leurs propres lois, celles qui libĂšrent l’information de ce qu’ils crĂ©ent... Cela peut prendre des formes concrĂštes immĂ©diatement, par exemple le dernier ouvrage typographique de McKenzie Wark, Gamer Theory (Ă©ditions Harvard University Press, UK-USA, 2007), intĂšgre une lecture interactive sur Internet du premier manuscrit de l'auteur, entre celui-ci, ses Ă©tudiants, et des lecteurs universitaires (sans exclusive d'autres lecteurs), concernĂ©s par le sujet ; par consĂ©quent, cet ouvrage publiĂ© sous licence Creative Commons – certains droits rĂ©servĂ©s—installe un prĂ©cĂ©dent du copyright dans l’édition traditionnelle contemporaine, Ă  l'Ă©gide du site laboratoire interactif The Future of the book dans le cadre duquel se dĂ©roula l'expĂ©rience interconnectĂ©e en ligne.

En fait, ‘’Un manifeste hacker’’ est Ă©galement un essai qui relĂšve un dĂ©fi aprĂšs le situationnisme ; la recherche d'un dĂ©passement de la reprĂ©sentation gĂ©nĂ©ralisĂ©e du monde, par la libre virtualitĂ© des contenus et la vitalitĂ© de leur communication, s'oppose par un Ă©change symbolique basĂ© sur le don et le contre-don. À l’instar de la premiĂšre thĂšse de La SociĂ©tĂ© du spectacle de Guy-Ernest Debord, plagiat de Marx qui ouvre Le Capital par ”une immense accumulation de marchandises”, en le mutant par ”accumulation de spectacle”, le premier aphorisme d’’’Un manifeste hacker’’ plagie le premier article du Manifeste du parti communiste, “Un spectre hante le monde, le spectre du communisme”, en le mutant par, “Un spectre hante le monde, le spectre de l’abstraction”... OĂč Debord voit disparaĂźtre la vĂ©ritĂ© de la vie dans le monde spectaculaire qui gĂ©nĂ©ralise la reprĂ©sentation et son voile d’illusions, McKenzie Wark cherche Ă  dĂ©passer le reprĂ©sentable - tout l’univers des apparences et du langage qui l’exprime - par l’irreprĂ©sentable : Ă  savoir les contenus bruts eux-mĂȘmes, y compris les crĂ©ations inutiles, en tant que flux et virtualitĂ© potentielle, en circulation cognitive (ce qui peut comprendre l'Ă©change de pair Ă  pair p2p). Reste Ă  en faire un droit pour tous.

Composition et style

Pour dĂ©stabiliser le lecteur des habitudes convenues, l’auteur invente une langue transgenre, Ă  la fois inspirĂ©e du vieil anglo-saxon du temps de l’”enclosure”, et des nomenclatures contemporaines de la communication numĂ©rique. Il s’agit d’une langue ambigĂŒe, d’une part organique (qui structure son propre contenu) et en mĂȘme temps poĂ©tique. Comme l’auteur revisite tout le dispositif de l’exploitation depuis la dialectique de la nature jusqu’à la critique de l’économie politique, depuis la propriĂ©tĂ© du sol jusqu’au mode de production industriel capitaliste et au vecteur qui lui succĂšde, on peut considĂ©rer son livre comme une Ă©popĂ©e poĂ©tique des luttes en modernitĂ©, en postmodernitĂ©, et par consĂ©quent visionnaire de l’aprĂšs.

Sur la composition du livre : sa construction en aphorismes est une suite de fragments mis en ritournelles : concepts comme micro-fragments et fragments de phrases rĂ©apparaissent Ă  diffĂ©rents niveaux d’enchaĂźnements logiques, et de sens, au fil des chapitres. Ce qui organise un dĂ©veloppement polysĂ©mique des mots - une exploration de leurs champs conceptuels ouverte pour le lecteur (qui peut en imaginer des prolongements, ou des ruptures) ; mais surtout, ce qui forme une stratĂ©gie fractale (non par fatalitĂ© mais par destin de l'arborescence) du livre, et lui attribue une actualitĂ© singuliĂšre, stylistique.

Donc, les traducteurs de l'ouvrage sont confrontés à une épreuve de création.

L'ouvrage en anglais est entiĂšrement Ă©crit au prĂ©sent (toutes Ă©poques ainsi alignĂ©es anachroniquement), ce qui abolit la dimension historique de la culture du communisme, dans les pays qui n'en ont pas fait une tradition politique parlementaire. Contradictoirement, en français, les temps du passĂ© sont requis (y compris le passĂ© du subjonctif - peu utilisĂ© de nos jours), pour Ă©viter le malentendu d'un rĂ©visionnisme idĂ©ologique, liĂ© Ă  l'histoire institutionnelle locale (anciennes collaborations nationales avec le pouvoir nazi, et tradition instituante et instituĂ©e du parti communiste français). Le choix d’intĂ©grer des mots clĂ©s en anglais, Ă  une narration qui se modĂšle Ă  tous les temps, offre un principe semblable Ă  celui du livre original par des ressources d'Ă©criture opposĂ©es. Ceci procĂšde de la diffĂ©rence des langues et des sociĂ©tĂ©s. LĂ  encore, la langue a dĂ» se rĂ©inventer en miroir asymĂ©trique de l'invention de l'auteur - avec son accord - dans le principe des "Cent fleurs".

La version française s'inspire de la premiĂšre version longue de 2003, et rĂ©intĂšgre la version anglophone Ă©ditĂ©e en 2004. Parmi quelques diffĂ©rences Ă©ditoriales entre les deux Ă©ditions, les notes forment un chapitre Ă  part entiĂšre sous le titre "Writings" dans l'Ă©dition anglophone, alors que sous le titre "Notes" Ă  la fin de l’ouvrage francophone, elles sont rassemblĂ©es Ă  l'extĂ©rieur du corps principal du texte. Il est remarquable que l’ensemble des notes puisse constituer une lecture critique par l’auteur de son propre ouvrage, et en mĂȘme temps une lecture autocritique de ses rĂ©fĂ©rences, auxquelles il se confronte a posteriori, aprĂšs qu'il les a intĂ©grĂ©es en les mĂ©tamorphosant par son Ă©criture, indistinctement, dans les aphorismes. En somme les notes forment un mĂ©ta-ouvrage du texte principal, son propre spectre, peut-ĂȘtre... Ou plutĂŽt le livre serait un spectre libertaire hantant ses rĂ©fĂ©rences acadĂ©miques. En effet, Le livre anglophone (et ses adaptations dans les autres langues) voyant la conclusion de l'ensemble des chapitres par le chapitre "Writings", vouĂ© Ă  la discussion des sources acadĂ©miques, confĂšre Ă  l'ouvrage, de façon rĂ©currente, une connotation "expert". Quant au choix Ă©ditorial de la version française, s'en tenant fidĂšlement au mode de prĂ©sentation externe des notes dans le transcrit de 2003, il s'avĂšre intĂ©ressant qu'il procure une lecture populaire du texte principal.

Annexes

Sources

Articles connexes

Liens externes

  • (fr) France Culture, Un manifeste hacker (50 min), Ă©mission radiophonique rĂ©alisĂ©e par Jean Couturier, adaptation de l'ouvrage de McKenzie Wark par Simon Guibert d'aprĂšs l'Ă©dition francophone ; diffusion le dans le cadre de "Fictions, Perspectives contemporaines, CrĂ©ation radiophonique", sous la coordination de Blandine Masson.
  • (fr) Un manifeste Hacker, syndication et podcast, prĂ©sentation de l'Ă©dition française et dĂ©bat en prĂ©sence de l'auteur au salon de la revue et Ă  la Tartine, , Paris (www.criticalsecret.com) ; contenus accessibles Ă  la copie et Ă  la diffusion collective sous licence Creative Commons, "Attribution-Noncommercial-No Derivative Works 3.0 Unported".
  • (fr) et (en) Rue Descartes no 55, Philosophies entoilĂ©es (www.ciph.org), sous la direction de Paul Mathias ; ParalipomĂšnes, chapitre consacrĂ© Ă  McKenzie Wark (la version imprimĂ©e prĂ©sente la version francophone, la version sur internet prĂ©sente la version anglophone) : Entretien et cut up de 16 extraits de Un manifeste Hacker, par Paul Mathias ; revue du CollĂšge international de philosophie, Paris, .
  • (en) La prĂ©sentation de A hacker manifesto dans le site personnel de McKenzie Wark (www.ludiccrew.org)
  • (en) La prĂ©sentation du livre, sur le site de Harvard University Press, (ISBN 0674015436), depuis 2004 (www.hup.harvard.edu)
  • (fr) 16 autres extraits de Un manifeste hacker dans sklunk.net, .
  • (fr) Le Catalogue de la XVe Biennale de Paris, inclut deux extraits de Un manifeste Hacker], Paris, 2007.
  • (fr) Medialab - Hacktivisme

Notes et références

  1. McKenzie Wark (trad. de l'anglais par Club post-1984 Mary Shelley et Cie Hacker Band), Un manifeste Hacker [« A hacker manifesto »], Paris, http://www.criticalsecret.com/ criticalsecret, , 496 p., Plié relié avec un façonnage burst-binding, couverture et livre souple. (170x250x40mm) (ISBN 2-35092-002-X et 978-2-35092-002-3, présentation en ligne)
  2. A Hacker Manifesto sur le site de Futures-lab
  3. Voir l'article publié en mars 2005 dans le magazine Technology Review du MIT.
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.