Theresienstadt 1942
Theresienstadt 1942, connu également sous le titre provisoire de Ghetto Thereresienstadt, est un court-métrage « documentaire » (Kulturfilm) de propagande nazie inachevé, dont la réalisation a été entreprise en 1942 par Irena Dodalová. Le film est considéré comme perdu.
Réalisation | Irena Dodalová |
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Scénario | Irena Dodalová |
Pays de production | Allemagne |
Genre | film de propagande |
Sortie | 1942 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
Production
Genèse et signification du projet
Fin 1942, un an après la création du camp de concentration de Theresienstadt, le tournage d'un film documentaire (Kulturfilm) y a été entrepris, sur ordre de l'armée allemande. Les motifs du projet sont encore mal connus. Plusieurs hypothèses ont été avancées, l'insuffisance de documents empêchant d'en privilégier une :
- Il pourrait s'agir d'un film commandé par Heinrich Himmler pour son « usage personnel »[1], sans que l'on sache si ce film était destiné à être montré et si oui à qui[2]. Karel Margry rapproche cette hypothèse d'une note de Joseph Goebbels dans son journal en : « Himmler s'occupe actuellement de la déportation des Juifs des villes allemandes vers les ghettos de l'Est. J'ai demandé qu'elle fasse l'objet d'une large documentation, que nous pourrons utiliser par la suite pour l'éducation de notre peuple »[3].
- Selon l'historien autrichien Peter Schauer, le film aurait été commandé par Adolf Eichmann, dans le but d'être projeté en Pologne, dans le Protectorat de Bohême-Moravie et dans les territoires occupés de l'Est pour « ôter aux Juifs qui y vivent encore en liberté la crainte de la « réinstallation » en leur montrant le camp relativement inoffensif de Theresienstadt comme un exemple de camp de concentration allemand »[4].
- Selon Saul Friedman, l'éditeur du journal de Gonda Redlich, une internée de Theresienstadt, le film est un « projet personnel » du Sturmbannführer Hans Günther, destiné à montrer la « belle vie » que menaient les Juifs pendant que les Allemands sacrifiaient à l'effort de guerre[5].
- Selon Hans Hofer, un survivant de Theresienstadt ayant participé au tournage, le film avait pour objet d'être montré dans l'Europe non-nazie pour démentir les informations relatives au génocide des Juifs[6] - [7].
- Selon Benjamin Murmelstein, le dernier doyen du Conseil des anciens du ghetto de Theresienstadt, des séquences du film ont été utilisées durant la guerre à des fins de propagande antisémite dans des actualités fimées allemandes[8].
Titre
Le film est connu sous ses deux titres provisoires, Theresienstadt 1942[9] ou Ghetto Thereresienstadt[10]. Il est parfois confondu avec le second film tourné à Theresienstadt en 1944, lui-même fréquemment surnommé Der Fûhrer schenkt den Juden eine Stadt. C'est ce dernier titre que Murmelstein donne au film[8] - [11]. Selon Eva Strusková, cette hypothèse est peu vraisemblable : une photo de tournage montre le titre Film Ghetto Theresienstadt sur un clap et le titre Der Fûhrer schenkt den Juden einen Stadt n'apparaît dans aucun document de l'époque, mais seulement dans des récits de survivants après la guerre[12] ; en outre, selon Karel Margry, il eût été à l'époque idéologiquement incorrect de prêter à Hitler l'intention de donner quoi que ce soit aux Juifs[13].
Tournage
Le SS-Obersturmführer Herbert Otto est chargé de la supervision de ce qui doit être un Kulturfilm, un court documentaire ou rapport filmé[14]. Il demande à plusieurs internés de préparer des scénarios, sans que l'on sache s'il leur avait été donné pour consigne de donner une vision positive de Theresienstadt ou s'ils pouvaient choisir d'en donner une image réaliste[15]. L'un des projets conservés est, selon Karel Margry, « presque choquant par son réalisme sinistre », en donnant à voir « l'enfermement de la population, le surpeuplement, la faim et la privation de nourriture, l'insuffisance des moyens médicaux, la misère des personnes âgées et malades, le taux de mortalité impressionnant, les ordres despotiques arbitraires, l'exigence d'un travail épuisant » et en faisant même référence aux transports vers l'Est[15]. On n'en connaît pas l'auteur, mais il pourrait s'agir, selon Eva Strusková[16], d'Irena Dodalová, qui était avant son internement une productrice et réalisatrice pragoise de films d'animation, avec son mari Karel Dodal[17]. Le scénario choisi et validé par Berlin est, selon Eva Strusková[18], l’œuvre d'Irena Dodalová, une attribution confirmée par le propre témoignage de celle-ci[19]. En revanche, selon d'autres auteurs, le jeune artiste et poète Peter Kien y a apporté une importante contribution[20] - [21].
Ce scénario définitif raconte le transfert de Prague à Theresienstadt d'un couple fictif, M. et Mme Holländer. Y sont notamment représentés l'arrivée à la gare de Bohušovice, la marche à pied jusqu'à Theresienstadt, la fouille à l'arrivée au camp, l'attribution d'un logement, d'un travail, une soirée au cabaret. Parmi les plans de coupe, des enfants sales et des rues désertes. Selon un témoin qui a visionné une partie du film en 1945, il n'y a pas de tentative d'embellissement. Onze soldats du Sicherheitsdienst (service de la sécurité) sont détachés au tournage, assistés d'une douzaine d'internés, qui construisent sur place une partie du matériel[22]. La première partie du film, constituée des scènes à Prague, est d'abord tournée par les Allemands, avec l'assistance de la société tchèque d'actualités filmées Aktualita, qui collabore régulièrement aux actualités filmées allemandes[23] et interviendra également pour le second film à Theresienstadt[24]. Selon le témoignage de Hanuš Král, l'un des membres de l'équipe juive de tournage à Theresienstadt, celle-ci « essaya de changer le message du film, dont le script avait été écrit par les Nazis. Les Allemands, par exemple, cherchaient des Juifs du type "Streicher", mais le groupe de cinéastes [juifs] filma des habitants tout à fait banals. L'une des scènes étaient l'arrivée du transport à Bohušovice. Le groupe s'arrangea pour représenter dans la scène des personnes traînant leurs bagages et peinant dans la boue. Durant le tournage d'une scène dans le ghetto, ils firent figurer à l'arrière-plan un corbillard tiré à bras (les corbillards étaient utilisés à Theresienstadt pour transporter le pain, les morts, les invalides, etc.) »[25]. Par ailleurs, Dodalová fit sortir du camp, à titre de témoignage, des fragments du film à l'insu des Allemands[26]. Vers la fin de 1942, Dodalová tombe malade et les cinéastes du camp demandent un report de la date d'achèvement du film[27]. Les Allemands refusant, Dodalová et son équipe doivent terminer de monter le film en une nuit. Cette version est considérée comme perdue[27] - [28].
Sort du film
Le film est aujourd'hui considéré comme perdu[29], sans qu'on sache même si le projet a été mené à son terme[30], Lutz Becker affirmant toutefois qu'il a été achevé et qu'une projection en a été organisée à Prague[31]. H.G. Adler, l'historiographe du camp de concentration de Theresienstadt, indique qu'il ne sait pas ce qu'est devenu le film[32]. Trois bobines[33] tournées à Theresienstadt durant la production du film, ont été découvertes à Varsovie en 1994 à la cinémathèque nationale de Pologne[34], un autre fragment est conservé aux archives nationales du film à Prague[35], alors qu'Eva Strusková estime que quelque 7 500 mètres de film auraient été tournés[27].
Distribution
- Otto Neumann : marionnettiste
- Kamilla Rosenbaumova : danseuse
- Karel Švenk : artiste de cabaret
Notes et références
- Adler 2005, p. 181.
- Margry 1999, p. 309-310
- (de) Elke Fröhlich, Die Tagebûcher von Joseph Goebbels : Teil II, t. 4, Bundesarchiv, , p. 184
- (de) Peter Schauer, Filmarbeit in Theresienstadt, , p. 22
- (en) Saul S. Friedman, The Terezin Diary of Gonda Redlich, University Press of Kentucky, p. 83
- (de) Hans Hofer, « Der Film über Theresienstadt. Eine verspätete Reportage », dans Rudolf Iltis, František Ehrmann et Otto Heitlinger, Theresienstadt, 1941-1945, Židovské museum v Praze, , p. 195
- Berkley 2002, p. 184.
- (it) Benjamin Murmelstein, Terezin. 11 ghetto modello di Eichmann, Cappelli, , p. 33
« Negozi, banca, caffè, orchestra, azione spettacolare dei pompieri e una seduta del Consiglio, sono i motivi di un documentario sulla città donata agli ebrei, che è stato girato verso la fine del 1942 a Terezin, su iniziativa dell'Ufficio di Sicurezza. In seguito, nei cinema della Germania, le riprese delle sofferenze sostenute dai soldati tedeschi nel rigido inverno russo, furono intramezzate da sequenze che mostravano ebrei sorridenti intorno ai tavolini di un caffè. »
- Strusková 2009, p. 70.
- Margry 1999, p. 325.
- Claude Lanzmann Shoah Collection, Interview with Benjamin Murmelstein [vidéo] United States Holocaust Memorial Museum.« Nein, nein, das ist ein Fehler. Der Führer schenkt den Juden eine Stadt, das is ein Film aus dem Jahre 42. »
- Strusková 2011, p. 169.
- Margry 1992, p. 150
- Margry 1999, p. 310, 316.
- Margry 1999, p. 310
- Strusková 2009, p. 62.
- (en) Eva Strusková, The Dodals : Pioneers of Czech Animated Film, National Film Archive, (ISBN 978-80-7331-271-8, présentation en ligne)
- Strusková 2009, p. 62-63.
- (en) The Black book : the Nazi crime against the Jewish people, World Jewish Congress, , p. 294-297
« Several of us were told to prepare scripts. They chose my script, I was told to report for work [...] I was ordered to produce the film. Nobody else had ever worked on film productions. »
- Margry 1999, p. 316.
- (en) Toby Haggith et Joanna Newman, Holocaust and the Moving Image : Representations in Film and Television Since 1933, Wallflower Press, (lire en ligne), p. 290
- Margry 1999, p. 318-319.
- (en) Karel Margry, « Newsreels in Nazi‐occupied Czechoslovakia: Karel Pečeny and his newsreel company Aktualita », Historical Journal of Film, Radio and Television, vol. 24, no 1, (DOI 10.1080/0143968032000184506)
- (en) « Still photograph from the nazi propaganda film, Der Fuehrer Schenkt den Juden eine Stadt (The Fuehrer gives the Jews a City). View from above of a woodworking factory in the Theresienstadt ghetto. », United States Holocaust Memorial Museum
- Strusková 2009, p. 68.
- Strusková 2009, p. 75.
- Strusková 2009, p. 69
- Margry 1999, p. 322.
- Strusková 2009, p. 126.
- Strusková 2011, p. 126.
- (en) Lutz Becker, « Film documents on Theresienstadt », dans Toby Haggith, Joanna Newman, Holocaust and the Moving Image: Representations in Film and Television Since 1933, Wallflower Press, (ISBN 978-1904764519), p. 95
- Adler 2005, p. 182« Es ist mir unbekannt, was aus diesem Film geworden ist. »
- Margry 1999, p. 324.
- Dreharbeiten in Theresienstadt [vidéo] () United States Holocaust Memorial Museum.
- Strusková 2009, p. 60.
- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Theresienstadt (film) » (voir la liste des auteurs).
Bibliographie
- (de) H.G. Adler, Theresienstadt : das Antlitz einer Zwangsgemeinschaft., Gœttingue, Wallstein Verlag, , 926 p. (ISBN 978-3-89244-694-1, lire en ligne)
- (en) George E. Berkley, Hitler's Gift : The Story of Theresienstadt, Branden Books, , 308 p. (ISBN 978-0-8283-2064-1)
- (en) Karel Margry, « The First Theresienstadt Film (1942) », Historical Journal of Film, Radio and Television, vol. 19, no 3, (DOI 10.1080/014396899100190)
- (en) Karel Margry, « ‘Theresienstadt’ (1944–1945): The Nazi propaganda film depicting the concentration camp as paradise », Historical Journal of Film, Radio and Television, vol. 12, no 2, (DOI 10.1080/01439689200260091)
- (en) Eva Strusková, « Ghetto Theresienstadt 1942: The Message of the Film Fragments », Journal of Film Preservation, nos 79/80, (lire en ligne)
- (de) Eva Strusková, « Film Ghetto Theresienstadt: Die Suche nach Zusammenhängen », dans Ronny Loewy et Katharina Rauschenberger, "Der Letzte der Ungerechten": Der Judenälteste Benjamin Murmelstein in Filmen 1942-1975, Campus Verlag, (ISBN 978-3-59339-491-6)
Liens externes
- (en) Theresienstadt 1942 sur l’Internet Movie Database
- (en) Fragments subsistants du film sur le site du United States Holocaust Museum.