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Programme de clémence

Les programmes de clémence sont un outil dont disposent les autorités de la concurrence.

Ils consistent en une immunitĂ© ou une rĂ©duction des amendes infligĂ©es aux entreprises dĂ©nonçant et apportant les preuves d'une entente entre entreprises. Le but de ces programmes est de permettre de percer la confidentialitĂ© des ententes et surtout d’obtenir des informations et des preuves de l’infraction de l’intĂ©rieur du cartel ainsi que de dissuader les ententes et cartels. Ces programmes sont prĂ©sents aux États-Unis, dans l’Union EuropĂ©enne, au Canada, en Australie, en CorĂ©e du Sud, au Japon, etc.

Cartels et programmes de clémence

Les cartels

Les cartels sont considĂ©rĂ©s comme la violation la plus grave des rĂšgles de la concurrence. Ces accords secrets sont illĂ©gaux dans la mesure oĂč ils ont gĂ©nĂ©ralement pour objet ou pour effet de fixer les prix, de restreindre la production ou de cloisonner les marchĂ©s. Quelle que soit la forme qu’ils peuvent prendre (accord explicite, association d’entreprise ou pratique concertĂ©e), ils aboutissent invariablement Ă  une hausse des prix au dĂ©triment des consommateurs et plus largement de la compĂ©titivitĂ© de l’économie dans son ensemble. Ces ententes permettent en effet Ă  leurs membres de pratiquer des prix plus Ă©levĂ©s que ceux du marchĂ© et ainsi d’évacuer la pression pesant sur eux pour amĂ©liorer les produits ou produire de maniĂšre de plus efficace.

Prohibition des cartels

Nuisant par nature au libre jeu de la concurrence, les ententes sont prohibĂ©es par les autoritĂ©s de la concurrence tant en Europe qu’aux États-Unis. Si le Sherman Antitrust Act de 1890 prohibe les ententes illicites qui restreignent les Ă©changes et le commerce aux États-Unis, c’est sur le fondement de l’article 81 du TraitĂ© instituant la CommunautĂ© europĂ©enne que la Commission EuropĂ©enne justifie son intervention en la matiĂšre. Cet article interdit les accords, associations d’entreprises et pratiques concertĂ©es entre firmes qui faussent la concurrence dans le marchĂ© intĂ©rieur. La dĂ©tection, l’interdiction et la rĂ©pression des ententes sont au premier rang des prioritĂ©s de la Commission EuropĂ©enne dans le domaine de la politique de la concurrence. Ainsi, les entreprises coupables d’une telle violation du TraitĂ© peuvent se voir infliger des amendes pouvant atteindre 10 % de leur chiffre d’affaires mondial.

Les programmes de clémence, outils de lutte contre les cartels

Parmi les outils de dĂ©tection et d’investigation dont dispose la Commission EuropĂ©enne, les programmes de clĂ©mence semblent performants pour lutter contre les cartels.

Leur essence rĂ©side dans une offre aux entreprises impliquĂ©es dans une entente, qui se dĂ©noncent et apportent des preuves de l’existence de cette entente, ce qui leur procure soit une immunitĂ© totale quant Ă  la future amende imposĂ©e, soit une rĂ©duction du montant de l’amende que la Commission EuropĂ©enne aurait sinon imposĂ©e. Cette pratique s’inspire du droit pĂ©nal qui reconnaĂźt la pratique d’une rĂ©duction de peine pour les cas de repentir. De telles politiques permettent de percer la confidentialitĂ© des ententes et surtout d’obtenir des informations et des preuves de l’infraction de l’intĂ©rieur du cartel. Ces programmes de clĂ©mence exercent d’autre part des effets trĂšs dissuasifs sur la formation des cartels et dĂ©stabilisent les actions des ententes existantes en introduisant mĂ©fiance et suspicion parmi les membres du cartel, tout en permettant de rĂ©duire les coĂ»ts d’investigation des autoritĂ©s de concurrence.

De tels programmes de clĂ©mence ont d’abord Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s aux États-Unis, puis au sein de l’Union EuropĂ©enne et de ses États membres. D’autres pays comme le Canada, l’Australie, la CorĂ©e du Sud ou le Japon ont aussi mis en place un tel systĂšme d’incitation, mais chacun selon des modalitĂ©s et des conditions diffĂ©rentes.

Le programme de clémence américain

Les programmes de clémence actuels trouvent leur origine dans la politique de clémence américaine (US Leniency Program) créée en 1978, redéfinie et étendue une premiÚre fois en 1993, puis une seconde en 2004.

Selon la politique actuelle, l’immunitĂ© accordĂ©e Ă  l'entreprise qui se dĂ©nonce est automatique lorsque les autoritĂ©s de concurrence n’ont pas dĂ©clenchĂ© d’enquĂȘte. L’immunitĂ© reste par ailleurs envisageable mĂȘme si la coopĂ©ration dĂ©bute aprĂšs l’enquĂȘte, et tous les employĂ©s, directeurs et salariĂ©s de l’entreprise en cause qui coopĂšrent avec les autoritĂ©s de concurrence sont protĂ©gĂ©s des poursuites pĂ©nales.

Le systĂšme mis en place prĂ©sente un caractĂšre trĂšs incitatif : l’immunitĂ© totale ne sera accordĂ©e qu’à la premiĂšre entreprise qui se dĂ©nonce et rĂ©unit les conditions du programme, tandis que la seconde entreprise et les suivantes feront l’objet de sĂ©vĂšres sanctions. Les États-Unis sont ainsi marquĂ©s par une approche selon laquelle le premier Ă  dĂ©noncer (le gagnant) remporte tout (winner-take-it-all-approach[1]) : le premier Ă  dĂ©noncer bĂ©nĂ©ficie d’une immunitĂ© totale, alors que les entreprises suivantes sont sĂ©vĂšrement sanctionnĂ©es. L’avantage d’un tel systĂšme rĂ©side par consĂ©quent dans l’incitation maximale Ă  ĂȘtre le premier Ă  fournir des preuves.

Le modĂšle amĂ©ricain met vĂ©ritablement l’accent sur le besoin d’une volontĂ© intĂ©rieure de coopĂ©rer, la transparence Ă©tant en la matiĂšre essentielle : si une entreprise ne peut prĂ©voir la façon dont elle sera traitĂ©e par les autoritĂ©s de concurrence, elle ne sera pas encline Ă  aller se dĂ©noncer auprĂšs des autoritĂ©s.

Le programme de clémence européen

S’inspirant de l’expĂ©rience amĂ©ricaine, le premier programme de clĂ©mence europĂ©en a Ă©tĂ© crĂ©Ă© en 1996, avant d’ĂȘtre rĂ©formĂ© en 2002.

Entre 1996 et 2002, la Commission EuropĂ©enne s’est prononcĂ©e sur 16 cartels dans lesquels les entreprises avaient coopĂ©rĂ© aux investigations. Les rĂ©ductions d’amendes octroyĂ©es grĂące au programme de clĂ©mence allaient d’une immunitĂ© totale (100 % de rĂ©duction) du fait d’une coopĂ©ration prĂ©coce et continue, Ă  de petites rĂ©ductions (10 %) pour les entreprises n’ayant pas coopĂ©rĂ© de façon active Ă  l’enquĂȘte, mais n’ayant pas contestĂ© de façon substantielle les griefs. Le succĂšs de ce premier programme a Ă©tĂ© trĂšs relatif, dans la mesure oĂč en cinq ans et demi, seuls 16 cartels ont Ă©tĂ© dĂ©faits alors que plus de 80 entreprises voulaient bĂ©nĂ©ficier de la procĂ©dure de clĂ©mence[2]. Seules 3 d'entre elles ont pu bĂ©nĂ©ficier d’une immunitĂ© totale (dont RhĂŽne Poulenc dans le cadre du cartel des vitamines en 2001). La rĂ©vision intervenue en 2002 a nĂ©anmoins changĂ© la donne.

La nouvelle politique de concurrence adoptĂ©e en 2002 incite davantage les entreprises Ă  dĂ©noncer les violations les plus graves aux rĂšgles de concurrence. ConformĂ©ment Ă  la politique actuelle, la Commission prĂ©voit la non-imposition d’amendes ou la rĂ©duction de leur montant en faveur des entreprises qui l’aident Ă  dĂ©couvrir et Ă  poursuivre les ententes secrĂštes. La rĂ©forme intervenue en 2002 avait pour objectif d’amĂ©liorer la politique de clĂ©mence sur le plan de la transparence et de la sĂ©curitĂ© juridique afin de rendre la dĂ©nonciation des ententes par les entreprises plus intĂ©ressante pour ces derniĂšres.

Parmi les principaux aspects de la rĂ©vision, l’octroi d’une immunitĂ© totale :

  • en faveur du premier membre de l’entente qui informe la Commission d’une entente non dĂ©couverte en lui fournissant des renseignements suffisants pour lui permettre d’effectuer des vĂ©rifications dans les locaux des entreprises concernĂ©es, ou ;
  • en faveur du premier membre d’une entente qui fournit Ă  la Commission des renseignements qui lui permettent d’établir une infraction, lorsqu’elle est dĂ©jĂ  en possession d’informations suffisantes pour ordonner une inspection, mais pas pour Ă©tablir l’infraction.

Ainsi, la procĂ©dure vise vĂ©ritablement Ă  rĂ©compenser les entreprises qui fournissent d’importants renseignements et des preuves de l’intĂ©rieur Ă  la Commission, soit en dĂ©voilant une entente jusqu’alors inconnue, soit en fournissant des preuves cruciales nouvelles qui permettront de poursuivre effectivement les membres de l’entente.

Les conditions pour obtenir l’immunitĂ© totale sont au nombre de quatre :

  • apporter une coopĂ©ration totale et permanente Ă  la Commission
  • fournir toutes les preuves en sa possession
  • mettre fin immĂ©diatement Ă  la violation
  • ne pas avoir contraint d’autres entreprises Ă  participer Ă  l’entente.

La diffĂ©rence avec la politique de 1996 est sensible : initialement, la Commission obligeait une entreprise Ă  fournir des Ă©lĂ©ments de preuve « dĂ©terminants » et excluait de l’immunitĂ© totale les entreprises qui avaient Ă©tĂ© le meneur de l’entente ou qui y avaient jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant. Ces deux principes laissaient une marge d’interprĂ©tation et par consĂ©quent laissaient subsister une certaine incertitude sur les notions de renseignements « dĂ©terminants », de « meneur » et de « rĂŽle dĂ©terminant ».

Autre innovation issue de la nouvelle mouture de 2002, une entreprise qui remplit les conditions de l’immunitĂ© recevra rapidement une lettre de la Commission l’informant que l’immunitĂ© lui sera accordĂ©e si les conditions figurant dans la communication sont respectĂ©es.

La nouvelle communication prĂ©voit par ailleurs, comme dans la communication de 1996, une rĂ©duction du montant des amendes en faveur des entreprises qui, sans remplir les conditions de l’immunitĂ©, fournissent des preuves ayant « une valeur ajoutĂ©e importante » par rapport Ă  celles dĂ©jĂ  en possession de la Commission et mettent fin Ă  leur participation Ă  l’entente.

La premiĂšre entreprise remplissant ces conditions obtiendra une rĂ©duction de 30 Ă  50 % de l’amende qui lui aurait Ă©tĂ© infligĂ©e sans cela ; la deuxiĂšme une rĂ©duction de 20 Ă  30 % et les suivantes une rĂ©duction allant jusqu’à 20 %. À l’intĂ©rieur de ces fourchettes, le montant dĂ©finitif de toute rĂ©duction dĂ©pend du moment auquel les Ă©lĂ©ments de preuve sont fournis et de leur qualitĂ©. Le degrĂ© de coopĂ©ration apportĂ© par l’entreprise tout au long de la procĂ©dure menĂ©e par la Commission est Ă©galement pris en considĂ©ration. Les entreprises ayant obtenu une rĂ©duction des amendes recevront Ă©galement une lettre indiquant la fourchette de rĂ©duction Ă  laquelle elles auront droit.

Entre 2002 et 2006, la commission a reçu 167 candidatures sous le rĂ©gime de la communication 2002. Parmi elles, 87 demandes d’immunitĂ©s et 80 demandes de rĂ©duction. Sur cette mĂȘme pĂ©riode, la Commission a octroyĂ© 51 dĂ©cisions pour des immunitĂ©s conditionnelles et a rejetĂ© ou dĂ©cidĂ© de ne pas aller plus loin pour 23 candidatures et Ă©tudie plus profondĂ©ment 13 candidatures plus rĂ©centes.

La Communication de la Commission sur l’immunitĂ© d’amendes et la rĂ©duction de leur montant dans les affaires portent sur des ententes 2006/C 298/11 est venue par ailleurs clarifier encore la procĂ©dure, notamment quant Ă  la transparence et aux renseignements qu’une entreprise candidate doit fournir Ă  la Commission pour bĂ©nĂ©ficier de l’immunitĂ© ou d’une rĂ©duction des amendes.

L’application du programme de clĂ©mence en Europe a Ă©tĂ© la cause de la mort d’au moins un cartel sur trois (donnĂ©es de 2007). Depuis 2002, deux tiers des cartels punis par la Commission EuropĂ©enne ont Ă©tĂ© dĂ©tectĂ©s grĂące aux programmes de clĂ©mence.

Le programme de clémence japonais

Au Japon, le programme de clémence a été introduit en 2006.

Il se distingue des programmes amĂ©ricains et europĂ©ens en se fondant surtout sur la diffĂ©rence entre une entreprise candidate au programme de clĂ©mence avant ou aprĂšs le dĂ©but d’une enquĂȘte.

Si une enquĂȘte par l’autoritĂ© de la concurrence japonaise (Fair Trade Commission of Japan) n’a pas encore Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e, la premiĂšre entreprise Ă  bĂ©nĂ©ficier du programme de clĂ©mence se voit octroyer l’immunitĂ©. Deux autres entreprises peuvent ensuite bĂ©nĂ©ficier d’une clĂ©mence partielle. Si cependant une enquĂȘte a dĂ©jĂ  dĂ©butĂ©, trois entreprises peuvent bĂ©nĂ©ficier du programme de clĂ©mence, mais il est nĂ©cessairement partiel et ne discrimine pas entre les firmes : chaque firme bĂ©nĂ©ficie d’une rĂ©duction de 30 % du montant de son amende. Ainsi, contrairement aux États-Unis et Ă  l’Union EuropĂ©enne, la clĂ©mence totale requiert non seulement de dĂ©noncer en premier, mais aussi qu’aucune enquĂȘte n’ait dĂ©butĂ©.

Tableau récapitulatif des programmes de clémence présentés

Graduation des immunités dans les principaux programmes de clémence
Premier DeuxiĂšme TroisiĂšme QuatriĂšme
États-Unis avant enquĂȘte 100 % 0 0 0
États-Unis aprĂšs enquĂȘte 100 % 0 0 0
Union EuropĂ©enne avant enquĂȘte 100 % 30 % - 50 % 20 % - 30 % <20%
Union EuropĂ©enne aprĂšs enquĂȘte 30 % - 100 % 20 % - 30 % <20 % <20 %
Japon avant enquĂȘte 100 % 50 % 30 % 0
Japon aprĂšs enquĂȘte 30 % 30 % 30 % 0

Source : F. Leveque, L’efficacitĂ© multiforme des programmes de clĂ©mence, 2006

Les États-Unis sont marquĂ©s par une « winner-take-it-all-approach » : le premier Ă  dĂ©noncer bĂ©nĂ©ficie d’une immunitĂ© totale mĂȘme si une enquĂȘte a dĂ©jĂ  dĂ©butĂ©, alors que la seconde entreprise Ă  dĂ©noncer est sĂ©vĂšrement sanctionnĂ©e. L’avantage d’un tel systĂšme rĂ©side dans l’incitation maximale Ă  ĂȘtre le premier Ă  fournir des preuves.

L’Union EuropĂ©enne porte elle plus d’attention aux faits : des rĂ©ductions d’amendes peuvent ĂȘtre accordĂ©es Ă  toutes les entreprises qui dĂ©noncent, dĂ©pendent des renseignements fournis et du fait qu’une enquĂȘte ait dĂ©jĂ  dĂ©butĂ© ou non. Cela permet de prendre en compte l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© parmi les membres du cartel d’une part, et la valeur diffĂ©rente des preuves que les entreprises apportent d’autre part.

Ces deux programmes peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des « polar cases of implemented policy design ».

Programme de clémence et théorie des jeux

Le dilemme du prisonnier dans les programmes de clémence

En 1996 apparait le premier programme de clĂ©mence europĂ©en, il faudra cependant attendre la profonde refonte de ce dernier pour observer les bienfaits de ce mĂ©canisme incitatif. À partir de 2002 plus de 80 cartels seront ainsi dĂ©faits et l’on observera une course auprĂšs des bureaux de la concurrence.

Avant l’instauration d’un programme de clĂ©mence (1996) l’équilibre de la collusion s'assimile au fameux dilemme du prisonnier : les agents impliquĂ©s dans le cartel ignorant alors la mise en place future d’un mĂ©canisme d’incitation Ă  la dĂ©lation. La rĂ©duction de peine pour dĂ©nonciation d'une des parties permet au policier (ici la Commission) d'obtenir des criminels (ici les Entreprises qui forment le Cartel) les preuves suffisantes pour condamner les collusions.

Défection Fidélité
DĂ©fection -100,100 0, - 200
Fidélité -200, 0 -20, -20

La prime Ă  la dĂ©lation est un mĂ©canisme dĂ©stabilisateur. Le programme de clĂ©mence introduit une variable inconnue au moment de la crĂ©ation du cartel. De cette incomplĂ©tude contractuelle pourra Ă©merger la dĂ©nonciation d’une des parties.

Formulation Mathématique du profit de cartel et sa soutenabilité

Profit du Cartel sans programme de clémence :
  • ∏c = q1 x P + q2 x P + ... + qn x P
  • ∏c = ∑ (qn x P)

Et dans ce cas, le cartel n'est que soutenable si :

Le cartel ne peut ĂȘtre soutenable que si le profit actualisĂ© de ce dernier (partie gauche de l'Ă©quation) est supĂ©rieur Ă  la somme des profits obtenus en cas de dĂ©fection et du montant actualisĂ© de l’amende. Finalement l’incitation Ă  la dĂ©fection va dĂ©pendre du taux d'escompte « delta » : si le taux d'escompte est trop bas pour supporter la collusion, alors 2 solutions peuvent Ă©merger :

  • une plus forte punition par la dĂ©lation Ă  travers une plus longue ou plus dure guerre de prix (ce qui diminue les profits de la punition)
  • rĂ©duire les profits de la collusion en diminuant les prix de vente au-dessous du prix monopolistique (ce qui rĂ©duit les profits du Cartel).

Les programmes de clémence vont donc avoir une action directe sur cette soutenabilité des cartels car ils vont chercher, pour l'entreprise qui dénonce, à réduire le coût de la punition et donc ainsi réduire le taux d'escompte et forcer la rupture du cartel.

Les conséquences de la dénonciation pour les autorités de la concurrence

Lorsque les autoritĂ©s de la concurrence proposent Ă  une entreprise une rĂ©duction d'amende elles peuvent obtenir de l'information suffisante pour condamner le cartel. À ce moment les consommateurs pourront se bĂ©nĂ©ficier Ă  travers une diminution des prix car la disparition du cartel met fin Ă  la collusion et donc les prix s'Ă©loignent des prix de monopole pour s'approcher aux prix de concurrences : une plus grande quantitĂ© est mise sur le marchĂ© Ă  des moindres prix. Par contre, un double effet apparaĂźt lors de la clĂ©mence : d'une part les entreprises qui dĂ©noncent vont payer moins aux autoritĂ©s de la concurrence pour leur participation mais cela devrait se compenser, d'une autre part, par une plus grande amende car la commission et l'autoritĂ© compĂ©tente aura plus d'information et plus prĂ©cise pour rĂ©ussir Ă  avoir des preuves qui vont finalement faire payer plus aux autres entreprises formant le cartel.

Par contre lorsque les autorités de la concurrence n'ont pas d'information ni de possibilité de savoir s'il existe un cartel sa situation n'est plus celle du dilemme du prisonnier. Le programme de clémence va faire apparaßtre des mécanismes qui vont faire émerger des nouveaux cartels jusqu'à présent inconnus. Dans ce cas on doit parler de la théorie des jeux dynamiques qui modélisent les deux condition de création de la collusion :

  • Contrainte de participation - le profit actualisĂ© du cartel doit ĂȘtre supĂ©rieur Ă  l'espĂ©rance de l'amende E(A)= A x probabilitĂ© condamnĂ©
  • Contrainte d'incitation - la dĂ©fection individuelle ne doit pas profiter Ă  son auteur. L’introduction d’un programme de clĂ©mence va considĂ©rablement remettre en cause cette seconde contrainte : le dĂ©nonciateur recevant une prime Ă  la dĂ©nonciation, venant s’ajouter aux gains de court terme de la dĂ©viation et venant compenser les pertes de moyens termes associĂ©es Ă  la rupture de l’équilibre collusif.

La théorie économique dans les programmes de clémence

Une conclusion s’impose Ă  nous. Non seulement la promesse d'immunitĂ© incitera Ă  le dĂ©fection, puisque tout dĂ©pend du profit actualisĂ© d'ĂȘtre en collusion, sinon qu'une prime qui rĂ©compense le dĂ©nonciateur peut ĂȘtre un moyen plus efficace de lutte contre les cartels.

Ainsi pour Spagnolo (2000), le programme de clĂ©mence optimal est conçu de maniĂšre que le dĂ©nonciateur reçoive une rĂ©compense Ă©quivalente aux amendes versĂ©es par les autres membres du cartel. D’une logique d’immunitĂ© nous passons donc Ă  une logique de rĂ©compense : le dĂ©nonciateur recevant un chĂšque financĂ© par les amendes versĂ©es par ses anciens camarades. Si l’efficacitĂ© d’un tel mĂ©canisme ne fait pas de doute, dans la pratique force est d’admettre que se mise en place poserait un certain nombre de problĂšmes. PremiĂšrement, le lĂ©gislateur tout comme l’opinion publique ne pourraient qu’opposer des doutes sur la moralitĂ© d’un tel dispositif. Bien qu’étant auto financĂ©, et ne constituant dĂšs lors pas un coĂ»t pour la collectivitĂ©, l’idĂ©e mĂȘme de signer un chĂšque Ă  un ancien criminel donnerait lieu Ă  des interrogations d’ordre morale. Secondement, un tel mĂ©canisme ferait nĂ©cessairement Ă©merger des conduites opportunistes : l’attrait de la prime conduisant Ă  une course effrĂ©nĂ©e auprĂšs du bureau de la concurrence et la possibilitĂ© de maquiller des accords inter entreprises de nature pro concurrentielle en comportements collusifs anticoncurrentiels. Nous en arrivons donc Ă  la conclusion suivante : en pratique le programme de clĂ©mence optimale est celui qui confĂšre une immunitĂ© totale au premier dĂ©nonciateur (Ă  dĂ©faut de prime) et qui punit sĂ©vĂšrement les autres membres du cartel.

Motta et Polo (2003, insistent sur le fait que les cartels formĂ©s aprĂšs l’instauration des programmes de clĂ©mence intĂ©greront les coĂ»ts et risques induits par les programmes de clĂ©mence dans leurs dĂ©cisions. Les membres du cartel qui dĂ©cideront d'y participer jugeront profitable la collusion en sachant les vertus de la dĂ©lation (qui sont dĂ©jĂ  connus car l'information des effets des programmes de clĂ©mence est parfaitement connue), ce qui Ă  terme peut conduire Ă  des cartels plus solides et stables, et donc, plus difficiles Ă  dĂ©tecter et Ă  dĂ©manteler.

Ces nouveaux cartels qui incorporent les coĂ»ts de la dĂ©lation dans leurs analyses de profit ne seront susceptibles d'ĂȘtre brisĂ© que si la Commission soupçonne ce cartel et entame des investigations au sujet de ces agissements soupçonnĂ©s. Dans ce cas (et seulement si l'investigation est mise en marche) l'un des membres peut trouver la dĂ©lation intĂ©ressante. Par contre, s'il n'y a pas de soupçon ou preuve qui montre l'existence d'un cartel, les membres n'auront aucun intĂ©rĂȘt Ă  faire dĂ©fection (comme c'Ă©tait le cas dans les cartels formĂ©s avant de l'instauration du programme de clĂ©mence qui n'incluaient pas dans leur profits le coĂ»t de dĂ©lation). Donc pour Motta et Polo, si le montant des amendes par la formation d'un cartel avec programme de clĂ©mence n'est pas supĂ©rieur au montant des amendes sans le programme, alors la mise en place d'un programme de clĂ©mence va contre l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et simplement cherche Ă  faciliter le travail des autoritĂ©s de la concurrence.

Effets des programmes de clémence

Les effets des programmes de clémence sont donc de 4 :

  1. Confondre les suspects et obtenir plus d'information par la dénonciation d'un membre du cartel.
  2. Faciliter la collusion. Les entreprises peuvent ĂȘtre davantage incitĂ©es Ă  entrer en collusion dans la mesure oĂč le programme de clĂ©mence offre la possibilitĂ© de sortir par la « grande porte ». Il faut rappeler que la collusion ne sera profitable que si le profit de la collusion est supĂ©rieur Ă  l'espĂ©rance de l'amende (E(A) = p.A).
  3. Inciter à la défection en offrant un avantage à (aux) l'entreprise(s) rompant la loi du silence.
  4. Déclencher la course au bureau de l'autorité de la concurrence car le programme de clémence favorise le passage d'un équilibre coopératif (personne n'avoue) à un équilibre non-coopératif (les entreprises avouent).

Les objectifs des programmes de clémence

L’une des particularitĂ©s des programmes de clĂ©mence en tant que mĂ©canisme incitatif visant Ă  modifier le comportement des membres d’un cartel, rĂ©side dans la complexitĂ© et la diversitĂ© de ses effets sur le comportement des membres (point 5).

De cette diversitĂ© des effets, il ressort que l’efficacitĂ© de tout programme de clĂ©mence sera fonction de sa capacitĂ© Ă  rĂ©pondre aux objectifs fixĂ©s par l’autoritĂ© de la concurrence. Nous retiendrons ici trois types d’objectifs et chercherons Ă  caractĂ©riser le design du programme de clĂ©mence en fonction de l’objectif qui lui est attribuĂ© :

  • Collecte de preuves
  • DĂ©tection des cartels
  • Dissuasion ex-ante

Collecte de preuves

L’une des difficultĂ©s majeures rencontrĂ©es par les autoritĂ©s de la concurrence rĂ©side dans la difficultĂ© de rĂ©unir les preuves nĂ©cessaires Ă  la condamnation d’un cartel, toute entente Ă©tant par essence fondĂ©e sur le respect par ses membres de la loi du silence. Dans de nombreux cas, faute de preuves suffisantes, la justice a dĂ» se rĂ©signer Ă  admettre son incapacitĂ© Ă  faire condamner des cartels dont l’existence ne faisait aucun doute. Comment briser la loi du silence qui prĂ©vaut au sein d’un cartel ?

Sous certaines conditions, l’instauration d’un programme de clĂ©mence permettre au juge de bĂ©nĂ©ficier d’un accĂšs accru Ă  l’information. En tant que mĂ©canisme incitatif il aura comme but de rĂ©duire l’asymĂ©trie d’information qui caractĂ©rise la relation juge – suspect tout au long de la phase d’investigation.

Pour rĂ©pondre Ă  un tel objectif le programme de clĂ©mence doit agir comme mĂ©canisme incitatif. Pour amener un membre du cartel Ă  rompre la loi du silence, ses effets doivent ĂȘtre Ă  mĂȘme de faire basculer le cartel d’une situation originelle d’équilibre vers un Ă©tat de dĂ©sĂ©quilibre.

Cet Ă©quilibre ne saurait ĂȘtre rompu que si la dĂ©lation devient une stratĂ©gie optimale pour au moins un membre du cartel. A contrario, si des rĂ©ductions d’amende sont offertes Ă  un nombre important d’acteurs, ces derniers n’auront aucune incitation Ă  se presser vers le bureau de la concurrence.

De la mĂȘme maniĂšre, l’immunitĂ© partielle ou totale doit Ă©galement ĂȘtre accordĂ©e aux entreprises qui optent pour la collaboration aprĂšs ouverture d’enquĂȘte par les autoritĂ©s de la concurrence. La rĂ©compense devra nĂ©anmoins ĂȘtre moindre.

L’efficacitĂ© d’une politique de collecte de preuves est conditionnĂ©e par le degrĂ© d’incitation du programme de clĂ©mence. Pour les cartels formĂ©s avant l’entrĂ©e en vigueur des programmes de clĂ©mence ce point est d’autant plus fondamental que l’équilibre de ces cartels prĂ©existe, en d’autres termes pour ĂȘtre efficace et constituer un mĂ©canisme incitatif poussant un des membres du cartel Ă  rompre la loi du silence en vigueur, il faudra que, tant le gain espĂ©rĂ© en cas de dĂ©nonciation, et le risque couru en cas de mise Ă  nu, soient importants.

Trois conditions cumulatives en vue de collecter les preuves nécessaires à la condamnation d'un cartel :

  • RĂ©duction d’amende aprĂšs ouverture d’enquĂȘte ;
  • Concentration sur un nombre restreint d’acteurs ;
  • RĂ©compense Ă  mĂȘme de faire basculer l’équilibre du cartel.

Motta et Polo ont dĂ©montrĂ© qu’un programme de clĂ©mence ne pouvait avoir d’effet dĂ©stabilisateur s'il n’offrait pas de « rĂ©compense » dans les phases ultĂ©rieures Ă  l’ouverture d’une investigation.

Il est en revanche admis que pour ĂȘtre efficace le programme devra offrir une « rĂ©compense » dont le montant est infĂ©rieur Ă  celui de la premiĂšre phase. Enfin, dans le but d’inciter les membres Ă  fournir les informations la rĂ©compense devra se concentrer sur le premier dĂ©nonciateur.

DĂ©tection des cartels

Il est unanimement reconnu que la puissance d’un cartel est fonction de l’opacitĂ© de ce dernier. DĂ©tecter les agissements coordonnĂ©s est une tĂąche pĂ©rilleuse, tant les efforts des cartels afin de dissimuler leur existence sont importants.

Le programme de clĂ©mence peut avoir comme objectif la dĂ©tection de ces derniers. Il s’agira alors d’inciter les membres du cartel Ă  dĂ©noncer les agissements collectifs. Un tel objectif permet aux autoritĂ©s de la concurrence de mener Ă  bien leur lutte contre les accords inter entreprises de nature anticoncurrentiel, et ce en dĂ©pit de leurs contraintes de ressources.

Un tel objectif ne peut ĂȘtre rempli que si le programme de clĂ©mence est conçu de maniĂšre Ă  faire basculer l’équilibre coopĂ©ratif qui prĂ©vaut au sein du cartel. On comprend dĂšs lors qu’un tel objectif ne pourra ĂȘtre rempli que si la rĂ©compense offerte au dĂ©nonciateur est importante.

Le paramĂštre clef sera alors le montant de l’indemnitĂ© offerte au dĂ©nonciateur. À ce stade amont, les autoritĂ©s de la concurrence n’ont pas de preuves formelles. Ce dĂ©ficit d’information entre les mains de la justice renforce sensiblement la soliditĂ© du cartel : la probabilitĂ© d’ouverture d’une enquĂȘte est faible et celle du recueil de preuve nĂ©cessaires Ă  leur condamnation quasi nulle.

Il sera alors nĂ©cessaire, en vue de rompre l’équilibre du cartel, de proposer une rĂ©compense significative au dĂ©nonciateur. C’est Ă  cette condition que la contrainte d’incitation pourra ĂȘtre rompue : les gains de la dĂ©fection pourront alors compenser les pertes individuelles induites par cette dĂ©cision. La non acceptabilitĂ© morale de la prime offerte au dĂ©nonciateur, ainsi que les risques d’émergence de comportements opportunistes induits par une prime positive, rendant l'offre d'une rĂ©compense directe au dĂ©nonciateur difficilement applicable, le succĂšs de cet objectif est conditionnĂ© par l'attrait de la prime (immunitĂ©) offerte au dĂ©nonciateur.

Dissuasion

MĂ©canisme incitatif, le programme de clĂ©mence joue Ă©galement une fonction dissuasive. L’instauration d’un programme de clĂ©mence compliquera la tĂąche des cartels, rendant ces derniers pĂ©rilleusement soutenables.

Afin de constituer une force dissuasive pesant sur la formation de nouveaux cartels, le programme devra ĂȘtre conçu de maniĂšre Ă  affecter deux variables fondamentales conditionnant la profitabilitĂ© de la collusion.

E (A) = p.A

  • p : une probabilitĂ© accrue de dĂ©tection de l’entente viendra renforcer la contrainte prĂ©cĂ©dente. Notons que la probabilitĂ© « p » doit ĂȘtre dĂ©composĂ©e en deux parties :
    • e : la probabilitĂ© d'ouverture d'enquĂȘte
    • r : la probabilitĂ© que l'enquĂȘte ouverte par les autoritĂ©s de la concurrence dĂ©bouche sur le recueil de preuves nĂ©cessaires

La principale limite de cette troisiĂšme fonction rĂ©side dans les ressources limitĂ©es des autoritĂ©s de la concurrence. Quelle sera la crĂ©dibilitĂ© d’autoritĂ©s aux ressources limitĂ©es face Ă  des cartels puissants usants des stratĂ©gies les plus perfectionnĂ©es en vue d’évoluer en toute opacitĂ© ?

  • A : une amende dissuasive viendra directement toucher l’opportunitĂ© de la collusion.

Notes et références

  1. Feess et Walzl (2005)
  2. Leveque (2006)

Bibliographie

  • (en) J.E. Harrington, Corporate Leniency Programs and the Role of the Antitrust Authority in Detecting Collusion, Policy Paper, 2006
  • (en) E. Feess, M. Walzl, An analysis of Corporate Leniency Programs and Lessons to learn for US and EU policies, Research Memoranda 039, Maastricht: METEOR, Maastricht Research School of Economics of Technology and Organization, 2006
  • F. Leveque, L’efficacitĂ© multiforme des programmes de clĂ©mence, Droit et Économie, Concurrence no 4, 2006, p. 31-36
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  • (en) Y. Hamaguchi, T. Kawagoe, An experimental study of leniency programs, RIETI Discussion Paper Series 05-E-003, 2005
  • (en) J.E. Harrington, Optimal corporate leniency programs, Journal of Industrial Economics, 56, 2008, p. 215-246

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