AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Prioritarisme

Le prioritarisme[1] est une vision de l'Ă©thique et de philosophie politique qui soutient que la qualitĂ© d'un rĂ©sultat est une fonction du bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral de tous les individus avec un poids supplĂ©mentaire accordĂ© aux individus les plus mal lotis. Comme l'utilitarisme, le prioritarisme est une forme de consĂ©quentialisme agrĂ©gatif; cependant, au lieu d'ĂȘtre indiffĂ©rent Ă  la rĂ©partition du bien-ĂȘtre, il donne la prioritĂ© aux individus les plus dĂ©favorisĂ©s.

Le terme a été inventé par le philosophe moral Larry Temkin dans le but d'expliquer la forme non égalitaire de la théorie. Richard Arneson, partisan de cette vision[2] propose la formulation suivante:

Le prioritarisme dĂ©fend que la valeur morale d'un acte bĂ©nĂ©fique pour un individu (ou l'Ă©vitement d'une perte) est d'autant plus Ă©levĂ©e que le bĂ©nĂ©fice, mesurĂ© sur une Ă©chelle de bien-ĂȘtre, l'est, et est d'autant plus Ă©lĂ©vĂ©e que le niveau de bien-ĂȘtre de l'individu est faible durant sa vie en dehors de la rĂ©ception de cet avantage[3].

Comme les utilitaristes, les prioritariens croient Ă  la maximisation du bien-ĂȘtre, mais Ă  condition de ne pas se limiter au bien-ĂȘtre total; ils considĂšrent que les bĂ©nĂ©fices pour les plus dĂ©favorisĂ©s importent plus que les bĂ©nĂ©fices pour les mieux nantis.

Distinction de l'utilitarisme

Pour prĂ©ciser la diffĂ©rence entre utilitarisme et prioritarisme, imaginez une sociĂ©tĂ© de deux pesonnes, Jim et Pam. Jim a un niveau de bien-ĂȘtre extrĂȘmement Ă©levĂ©, est riche et vit une existence heureuse. Pam, en revanche, a un niveau de bien-ĂȘtre extrĂȘmement faible, est trĂšs pauvre et vit une existence infernale. Imaginez maintenant que nous avons des ressources (disons 10 000 €) que nous pouvons distribuer aux membres de cette sociĂ©tĂ© comme bon nous semble. Dans des circonstances normales, en raison de l'utilitĂ© marginale dĂ©croissante de l'argent, les 10 000 € gĂ©nĂ©reront plus de bien-ĂȘtre pour Pam que pour Jim.

Ainsi, dans des circonstances normales, un utilitaire recommanderait de donner les ressources Ă  Pam. Cependant, imaginez que Jim, pour une raison quelconque, bien que dĂ©jĂ  trĂšs aisĂ©, gagnerait autant de bien-ĂȘtre que Pam en recevant les 10 000 € . DĂ©sormais, comme cela ne fait aucune diffĂ©rence en termes de bien-ĂȘtre total, les utilitaristes sont indiffĂ©rents Ă  qui obtient les 10 000 €. Les prioritariens, en revanche, diraient qu'ils bĂ©nĂ©ficieront mieux Ă  Pam, la personne la plus dĂ©favorisĂ©e.

Avantages

Le prioritarisme ne sert pas seulement à se départager (comme dans le cas ci-dessus), mais il peut aller à l'encontre de l'utilité totale. Supposons qu'une action ait deux résultats.

  • Dans le rĂ©sultat 1, le niveau de bien-ĂȘtre de Jim est de 110 (heureux); Pam a -73 (infernal); le bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral est de 37.
  • Dans le rĂ©sultat 2, le niveau de bien-ĂȘtre de Jim est de 23; celui de Pam est de 13; le bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral est de 36.

Les prioritariens trouveraient plus dĂ©sirable le rĂ©sultat 2 bien qu'il soit infĂ©rieur au rĂ©sultat 1 en termes de bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral. Élever Pam de 86 a plus de valeur morale que de rĂ©duire Jim de 87 si un poids suffisamment Ă©levĂ© est accordĂ© Ă  amĂ©liorer la condition des plus dĂ©munis (Pam). Toutefois si cette surpondĂ©ration est petite (prioritĂ© trĂšs faible), le rĂ©sultat 2 peut ne plus ĂȘtre prĂ©fĂ©rable. Si l'on pouvait passer d'une sociĂ©tĂ© dĂ©crite par le rĂ©sultat 1 Ă  une sociĂ©tĂ© dĂ©crite par le rĂ©sultat 2, sous un prioritarisme suffisamment fort, cela devrait ĂȘtre fait. Le prioritarisme est sans doute plus intuitif que l'utilitarisme quand il s'agit de ce type de cas, en particulier en raison de l'accent mis par le prioritarien sur la compassion[4].

Il est Ă©galement sans doute plus intuitif que les formes radicales de l'Ă©galitarisme qui ne valorisent que l'Ă©galitĂ©: d'aprĂšs ce point de vue, si la seule façon d'atteindre l'Ă©galitĂ© est de ramener Jim de 110 Ă  -73, cela devrait ĂȘtre fait. Le prioritarisme n'accorde aucune valeur intrinsĂšque Ă  l'Ă©galitĂ© de bien-ĂȘtre entre les individus et ne considĂ©rerait pas une Ă©volution vers une rĂ©partition plus Ă©quitable du bien-ĂȘtre comme meilleure si les plus dĂ©favorisĂ©s n'en bĂ©nĂ©ficiaient pas[1].

En plus d'avoir ces avantages potentiels par rapport Ă  l'utilitarisme et Ă  l'Ă©galitarisme pur, le prioritarisme Ă©vite Ă©galement certaines implications potentiellement embarrassantes du principe de maximin (voir Ă©galement le principe de diffĂ©rence de Rawls[5]). Le principe de maximin classe les rĂ©sultats uniquement en fonction du bien-ĂȘtre du membre le plus dĂ©favorisĂ© d'une sociĂ©tĂ©. Il peut donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une version extrĂȘme du prioritarisme. Imaginez choisir entre deux rĂ©sultats: dans le rĂ©sultat 1, le niveau de bien-ĂȘtre de Jim est 1, ceux de Pam et de Dwight sont de 100 (on pourrait ajouter un nombre indĂ©fini de personnes avec des niveaux de bien-ĂȘtre indĂ©finiment Ă©levĂ©s). Dans le rĂ©sultat 2, le niveau de bien-ĂȘtre de Jim est de 2; les niveaux de bien-ĂȘtre de Pam et de Dwight sont chacun de 3. Beaucoup renierait le principe de maximin et jugerait le rĂ©sultat 1 meilleur que le rĂ©sultat 2 malgrĂ© un membre le plus dĂ©favorisĂ© (Jim) au niveau de bien-ĂȘtre infĂ©rieur[6].

Objections

Les objections au prioritarisme comprennent gĂ©nĂ©ralement celles du consĂ©quentialisme agrĂ©gatif telle que la conclusion rĂ©pugnante[7] et ses corollaires sur l'apparente invraisemblance de certains compromis (par exemple un trĂšs grand nombre de migraines lĂ©gĂšres est Ă©valuĂ© mois dĂ©sirable que la torture prolongĂ©e et intense d'un seul innocent[8]). Il existe Ă©galement des objections Ă  la quantification, Ă  la mesure ou Ă  la comparaison interpersonnelle du bien-ĂȘtre, qui frappent la plupart sinon toutes les formes de consĂ©quentialisme agrĂ©gatif, y compris le prioritarisme.

Une autre objection concerne le poids Ă  accorder au bien-ĂȘtre des plus dĂ©munis, avec des problĂšmes d'arbitraire ou d'intuitionisme: les prioritariens sont confrontĂ©s Ă  la tĂąche dĂ©licate d'Ă©quilibrer le bien-ĂȘtre total et la pondĂ©ration envers les plus mal lotis. Toute thĂ©orie qui laisse une place au jugement dans des cas particuliers est sujette Ă  ce type d'objection. Une rĂ©ponse pourrait ĂȘtre que le poids Ă  accorder au bien-ĂȘtre des plus dĂ©munis doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© par un Ă©quilibre rĂ©flĂ©chi, ou que si les poids ne peuvent pas ĂȘtre dĂ©terminĂ©s avec prĂ©cision, une gamme reste acceptable ou justifiable.

Un utilitariste pourrait Ă©galement affirmer que sa thĂ©orie est plus parcimonieuse que le prioritarisme (qui valorise le bien-ĂȘtre et la prioritĂ©). On peut rĂ©torquer que mĂȘme un utilitarisme pur comme l'hĂ©donisme n'est pas entiĂšrement automatique (et peut-ĂȘtre mĂȘme pas vĂ©ritablement moniste) car il nĂ©cessite encore un jugement, comme lorsqu'il s'agit d'Ă©quilibrer divers plaisirs contre diverses douleurs[9].

Notes et références

  1. Parfit, « Equality and priority », Ratio, vol. 10, no 3,‎ , p. 202–221 (DOI 10.1111/1467-9329.00041)
  2. Arneson, « Luck Egalitarianism and Prioritarianism », Ethics, vol. 110, no 2,‎ , p. 339–349 (DOI 10.1086/233272)
  3. Arneson, Richard, "Egalitarianism", in Edward N. Zalta (ed.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (fall 2008 edition).
  4. Crisp, « Equality, Priority, and Compassion », Ethics, vol. 113, no 4,‎ , p. 145–63 (DOI 10.1086/373954)
  5. A Theory of Justice. Cambridge, Massachusetts: Belknap Press of Harvard University Press, 1971.
  6. Harsanyi, « Can the Maximin Principle Serve as a Basis for Morality? A Critique of John Rawls's Theory », American Political Science Review, vol. 69, no 2,‎ , p. 594–606 (JSTOR 1959090)
  7. Ryberg, Jesper, TÀnnsjö, Torbjörn, Arrhenius, Gustaf, "The Repugnant Conclusion", in Edward N. Zalta (ed.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (fall 2008 edition).
  8. Norcross, « Great Harms from Small Benefits Grow: How Death can be Outweighed by Headaches », Analysis, vol. 58, no 2,‎ , p. 152–158 (DOI 10.1093/analys/58.2.152, JSTOR 3328486)
  9. On the last point, see W.D. Ross, Foundations of Ethics, p. 89
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.