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Plan de paix en cinq points pour le Tibet

Le plan de paix en cinq points pour le Tibet est un discours prononcé par le 14e dalaï-lama devant la Commission des droits de l’homme du Congrès des États-Unis à Washington le .

Le 14e dalaĂŻ-lama, vers 1988, portrait par Erling Mandelmann

Discours devant la Commission des droits de l’homme du Congrès

Après la dĂ©claration de Deng Xiaoping en 1979 affirmant « qu'Ă  l'exception de l'indĂ©pendance, tous les problèmes pourraient trouver une solution par la nĂ©gociation Â»[1] et la tournĂ©e d'inspection de Hu Yaobang au Tibet, le dalaĂŻ-lama se tourne exclusivement vers la Chine dans l'espoir que des nĂ©gociations s'ouvrent sur la question du Tibet. Après 8 ans de tentatives infructueuses, en 1987, il fait une dĂ©claration Ă  la Commission des droits de l’homme du Congrès des États-Unis pour proposer un Plan de paix en cinq points oĂą il demande « Ă  la Chine de s’engager sĂ©rieusement dans des nĂ©gociations pour rĂ©soudre la question du futur statut du Tibet »[2] (c'est-Ă -dire l'ensemble formĂ© par la rĂ©gion autonome du Tibet et les zones tibĂ©tophones Ă  l'extĂ©rieur de celle-ci)[3].

Les cinq points du plan de paix

Le plan contenait les 5 points suivants[4] :

  1. « Transformation de l’ensemble du Tibet en une zone de paix » ;
  2. « Abandon par la Chine de sa politique de transfert de population qui met en danger l’existence des Tibétains en tant que peuple » ;
  3. « Respect des droits fondamentaux et des libertés démocratiques du peuple tibétain » ;
  4. « Restauration et protection de l’environnement naturel du Tibet, ainsi que cessation par la Chine de sa politique d’utilisation du Tibet dans la production d’armes nucléaires et pour y ensevelir des déchets nucléaires » ;
  5. « Engagement de négociations sérieuses à propos du statut futur du Tibet et des relations entre les peuples tibétain et chinois. »

RĂ©actions

Selon les auteurs chinois Xu Mingxu et Yuan Feng, si le discours fut applaudi par les membres de la Commission des droits de l’homme du Congrès, il fut toutefois critiqué par le département d'État des États-Unis en raison du programme d'indépendance qu'il dissimulait. Pour le gouvernement américain, le Tibet faisait partie intégrante de la Chine[5].

Selon Robert Barnett, Ă  la suite de ce discours, des mĂ©dias officiels chinois invectivèrent le dalaĂŻ-lama et les autoritĂ©s chinoises organisèrent un rassemblement obligatoire le au stade Triyue Trang Ă  Lhassa oĂą 14 000 personnes durent Ă©couter la sentence de mort de deux TibĂ©tains (dĂ©crits comme « criminels Â» par le gouvernement chinois mais comme « dĂ©tenus politiques Â» par les exilĂ©s tibĂ©tains)[6]. Les condamnĂ©s y furent exhibĂ©s et leur sentence fut annoncĂ©e en forme d’avertissement politique, ils furent exĂ©cutĂ©s immĂ©diatement[7], des actions qui constituent des causes directes des manifestations des moines en 1987[8].

Discours devant le Parlement européen

Selon Mary Craig, en raison des troubles qui se développent au Tibet, le dalaï-lama, conscient des dangers inhérents à la violence, accroît ses efforts à la recherche d'une solution négociée. Reprenant les éléments du plan en cinq points pour le Tibet, il prononce un discours le au Parlement européen de Strasbourg[9].

La « Proposition de Strasbourg Â»

Réitérant les propositions du Plan de paix en cinq points, le dalaï-lama se déclare prêt à abandonner sa demande d'indépendance et à céder à la Chine la défense et la politique étrangère du Tibet en échange de quoi le Tibet (englobant les trois anciennes provinces, l'Amdo, le Kham et l'U-Tsang), conserverait le contrôle de ses affaires intérieures, tout en expliquant que la décision définitive appartenait au peuple tibétain[9] - [10].

Il clarifie la nouvelle position officielle de l'Administration centrale tibĂ©taine (ACT). L'ACT demande qu'en Ă©change de la renonciation Ă  la souverainetĂ©, le Tibet comprenant ses trois anciennes provinces devienne « une entitĂ© politique dĂ©mocratique et autonome fondĂ©e sur un droit agrĂ©Ă© par le peuple, en association avec la RĂ©publique populaire de Chine Â». Son gouvernement autonome devrait ĂŞtre formĂ© pour l’exĂ©cutif, d'un dirigeant Ă©lu au suffrage universel, d'une assemblĂ©e bicamĂ©rale et d'un système judiciaire indĂ©pendant. Ce gouvernement serait responsable des institutions concernant les TibĂ©tains, y compris dans une certaine mesure la dĂ©fense, les affaires Ă©trangères resteraient sous la prĂ©rogative de la Chine, tandis que le gouvernement tibĂ©tain dĂ©velopperait des relations extĂ©rieurs par un Bureau des Affaires Ă©trangères. Ce gouvernement serait fondĂ© sur une constitution pourvoyant un gouvernement dĂ©mocratique assurant l'Ă©galitĂ© Ă©conomique, la justice sociale et la protection de l’environnement[11].

En 2001, il déclara au Parlement Européen qu'il espérait que cette proposition de négociation servirait de base pour la résolution de la question du Tibet. Il précise[12] :

« Ma proposition, qui a été ensuite connue sous le nom « d'approche de la voie médiane » ou de « proposition de Strasbourg », consiste à envisager pour le Tibet une véritable autonomie dans le cadre de la République populaire de Chine. Il ne doit pas s'agir, cependant, de l'autonomie sur papier qui nous avait été imposée il y a cinquante ans dans l'accord en 17 points, mais d'une autonomie réelle, d'un Tibet qui s'autogouverne véritablement, avec des Tibétains pleinement responsables de leurs propres affaires intérieures, y compris l'éducation de leurs enfants, les questions religieuses, les questions culturelles, la protection de leur environnement délicat et précieux et l'économie locale. Pékin continuerait à assumer la responsabilité de la conduite des affaires étrangères et de la défense. »

RĂ©actions

Cette proposition fut mal accueillie par la Chine et la communauté tibétaine en exil, mais elle permit probablement au dalaï-lama l'obtention du prix Nobel de la paix qui consacrait son opposition pacifiste durant ses 30 ans d'exil[13].

Selon Mary Craig, les Tibétains en exil sont très mécontents de cet abandon de ce qu'ils appellent l'indépendance historique du Tibet. Certains, comme les délégués du Congrès de la jeunesse tibétaine, veulent prendre les armes. Le dalaï-lama explique que la violence appellerait la violence en retour et que la cause tibétaine risquerait de voir s'éloigner la sympathie qu'elle suscite dans le monde pour sa lutte non-violente. Finalement, les jeunes Tibétains n'appellent pas à prendre les armes[9].

Le , le gouvernement chinois réagit en déclarant qu'il ne permettra pas une quelconque indépendance du Tibet. Pour lui, le dalaï-lama n'a pas renoncé à son opposition à la souveraineté chinoise ni à ses tentatives pour internationaliser la question[14]. L'anthropologue Melvyn Goldstein ne s'étonne guère du rejet des propositions du dalaï-lama : vu la situation interne de la Chine, il est difficile de voir comment Pékin aurait pu permettre aux Tibétains de jouir des libertés associées aux démocraties occidentales sans en accorder le bénéfice également au reste de la Chine, et surtout comment Pékin aurait pu permettre la création d'un grand Tibet[15].

En , le dalaï-lama obtient le prix Nobel de la paix pour sa recherche de « solutions pacifiques basées sur la tolérance et le respect mutuel dans le but de préserver l'héritage culturel et historique de son peuple ». En cette fin d'année, les autorités chinoises condamnent onze moines à des peines allant jusqu'à 19 ans de prison pour indépendantisme[9].

Abandon temporaire de la « Proposition de Strasbourg Â»

Selon le journaliste indien Narasimhan Ram, le dalaĂŻ-lama renonce, en mars 1991, Ă  son engagement personnel vis-Ă -vis de la « Proposition de Strasbourg Â» en mettant en avant le fait que la Direction chinoise a une attitude « fermĂ©e et nĂ©gative » Ă  l'Ă©gard du problème tibĂ©tain[16]. Plus prĂ©cisĂ©ment, le dalaĂŻ-lama, pour reprendre ses termes, prend acte de l'absence de rĂ©ponse du gouvernement chinois Ă  sa proposition et des critiques des mĂ©dias chinois dĂ©montrant une attitude fermĂ©e et nĂ©gative, pour dĂ©clarer que sa « Proposition de Strasbourg Â» est devenue sans effets et que, faute de nouvelles initiatives chinoises, il se considère libre de toute obligation liĂ©e Ă  sa Proposition[17]. Le , le gouvernement tibĂ©tain en exil dĂ©crète que la « Proposition de Strasbourg Â» est invalidĂ©e[18].

Selon le juriste Barry Sautman, après cet abandon, le dalaĂŻ-lama refuse de dire s'il revient Ă  sa position antĂ©rieure en faveur de l'indĂ©pendance tandis qu'en 1992, le parlement tibĂ©tain en exil avalise l'« indĂ©pendance totale Â» comme but officiel[19].

Selon Julien Cleyet-Marel, docteur en droit public Ă  l'universitĂ© Aix Marseille III, la dĂ©ception de la communautĂ© tibĂ©taine en exil et sa mobilisation amena le dalaĂŻ-lama Ă  retirer temporairement la « Proposition de Strasbourg Â» le devant le Parlement tibĂ©tain en exil, mais elle fut rĂ©introduite sous une autre forme peu après[13]. Cette nouvelle proposition, connue sous le nom de « voie mĂ©diane Â», est officiellement entĂ©rinĂ©e le par le dalaĂŻ-lama[20].

Réitération de la position américaine soutenant le dialogue sino-tibétain

Selon Xu Mingxu et Yuan Feng, le , le président américain Bill Clinton, en visite à Pékin, réitère la position de son gouvernement, à savoir que le Tibet fait partie de la Chine, qu'il est une région autonome du pays et que la reconnaissance de la souveraineté chinoise est le préalable à tout dialogue avec le dalaï-lama : « First, I agree that Tibet is a part of China, an autonomous region of China. And I can understand why the acknowledgment of that would be a precondition of dialogue with the Dalai Lama » (« Tout d'abord, je conviens du fait que le Tibet fait partie intégrante de la Chine, que c'est une région autonome de la Chine. Et je conçois que la reconnaissance de cet état de choses soit la condition préalable d'un dialogue avec le Dalai Lama. »)[21]. Dans les faits, cette citation est extraite d'un débat entre Jiang Zemin et Clinton[22] qui aborda la question du Tibet et fut retransmis par la télévision chinoise et ravit le dalaï-lama[23]

L'administration américaine a soutenu le dialogue sino-tibétain, une constance de la politique américaine depuis au moins 1991 jusqu'à nos jours[24].

Liens internes

Lien externe

Notes et références

  1. Message à l’occasion du 47e anniversaire du soulèvement de Lhassa, 10 mars 2006
  2. Une chronologie des contacts sino-tibétains depuis 1979.
  3. (en) The Tibetans, Conflict Early Warning Systems (CEWS) research project of the International Social Science Council], Center for International Studies and Department of International Relations, University of Southern California : « Bray says full internal autonomy would mean a democratically-elected executive that would cover the TAR and Tibetan-speaking areas outside the TAR. »
  4. Plan de paix en cinq points pour le Tibet
  5. (en) Xu Mingxu et Yuan Feng, The Tibet Question: a New Cold war, in Barry Sautman, June Teufel Dreyer (eds.), Contemporary Tibet: Politics, Development and Society in a Disputed Region, M. E. Sharpe, 2006, 360 p., pp. 305-318, p. 309 : « It was applauded by the Congress but criticized by the State Department for its veiled independence agenda. A Columnist noted: [...] The Administration takes the position that Tibet is an integral part of China (Sciolino 1987). »
  6. The Tibetans], op. cit..
  7. Robert Barnett in Le Tibet est-il chinois ?, p. 146
  8. Robert Barnett, op. cit., p. 387-388
  9. Mary Craig, Kundun : une biographie du dalaĂŻ-lama et de sa famille, pp. 365-368.
  10. DalaĂŻ-lama, Sofia Stril-Rever, Appel au monde (Livre numĂ©rique Google), Éditions La Martinière, 360 p. : « Reprenant les Ă©lĂ©ments du plan de paix en cinq points pour le Tibet, elle [la « proposition de Strasbourg Â»] demande ... Il [le dalaĂŻ-lama] propose que le Tibet, dans sa totalitĂ©, englobant les Trois Provinces, devienne ... »
  11. Julien Cleyet-Marel, Le développement du système politique tibétain en exil, préface Richard Ghevontian, Fondation Varenne, 2013, (ISBN 2916606726 et 9782916606729), p. 308.
  12. proposition de résolution présentée par M. Louis de Broissia, juillet 2005
  13. Julien Cleyet-Marel, op. cit., p. 309
  14. The Tibetans, op. cit..
  15. (en) Melvyn C. Golstein, The Snow Lion and the Dragon: China, Tibet, and the Dalai Lama, University of California Press, 1997, 165 p., p. 89 : « given the internal situation in China, it is difficult to see how Beijing could have permitted Tibetans to have the freedoms associated with Western democracies and not offer the rest of China the same options, let alone how it could allow the creation of a Greater Tibet. »
  16. (en) N. Ram, Tibet - A Reality Check, in Frontline, India's National Magazine from the publishers of THE HINDU, Volume 17, Issue 18, 15 février 2000 : « the withdrawal, in March 1991, of his personal commitment to the ideas expressed in the Strasbourg Proposal on the basis of the allegation that the Chinese leadership had a closed and negative attitude to the problem. »
  17. (en) Statement of His Holiness the Dalai Lama on the Thirty-Second Anniversary of the Tibetan National Uprising Day, 1991 : « My proposals have not elicited any official response from the Chinese leadership. In fact their state media has been critical. Because of this closed and negative attitude, I feel my personal commitment to these ideas has become ineffectual. I believe that the logical step is to acknowledge our failure in this endeavour to reach out to the Chinese leadership. If in the near future there are no new initiatives from the Chinese I will consider myself free of any obligation to the proposal I made in the Strasbourg address. »
  18. (en) The Dalai Lama's biography : « On 2 September 1991, the Tibetan Government-in-exile declared the Strasbourg Proposal invalid. »
  19. (en) Barry Sautman, Year of the Yak: The Tibet Question in Contemporary U.S.-China Relations, in Peter H. Koehn (ed.), The Outlook of the US-China Relations Fiollowing the 1997-1998 Summits, Chinese University Press, 1999, 403 p., pp. 181-207 : « After officially abandoning the Strasbourg Proposal in 1990, the Dalai Lama refused to say whether he was reverting to support for independence. The exile parliament, however, endorsed "complete independence" as the official goal in 1992. »
  20. Anne-Sophie Bentz, Les réfugiés tibétains en Inde : nationalisme et exil, préface de Christophe Jaffrelot, Presses universitaires de France, 2010, (ISBN 978-2-13-058580-0), p. 169.
  21. Xu Mingxu et Yuan Feng, op. cit., p. 309.}
  22. https://www.nytimes.com/1998/06/29/world/clinton-in-china-tibet-dalai-lama-is-all-smiles-over-debate.html
  23. U.S. Presidential Statements on meetings with the Dalai Lama, 1991-2014
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