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PĂ©riode critique

Une pĂ©riode critique ou pĂ©riode sensible est un moment pendant lequel un Ă©vĂ©nement ou une stimulation aura plus d'impact sur un organisme animal qu'Ă  un autre moment de son dĂ©veloppement. La notion d’une pĂ©riode critique est dĂ©veloppĂ©e dans les annĂ©es 1970 et concerne un comportement trĂšs spĂ©cifique ; elle a une durĂ©e bien dĂ©limitĂ©e, dont le dĂ©but et le terme sont prĂ©dictibles; elle constitue un crĂ©neau de dĂ©veloppement au-delĂ  duquel le comportement en question n’est plus acquis. La notion de pĂ©riode sensible lui est prĂ©fĂ©rĂ©e par la suite, car elle indique que les organismes sont plus sensibles, ou plus rĂ©ceptifs aux apprentissages trĂšs spĂ©cifiques pendant une pĂ©riode particuliĂšre de leur dĂ©veloppement, mais que ces apprentissages restent possibles (bien que plus difficiles) par la suite.

Les expĂ©riences, mettant en Ă©vidence la notion d’une pĂ©riode critique ou sensible, ont Ă©tĂ© effectuĂ©es sur de nombreuses espĂšces animales (oiseaux, mammifĂšres, humains) et sur des systĂšmes sensoriels diffĂ©rents (vision, ouĂŻe) ou des fonctions cognitives diffĂ©rentes (en particulier le langage).

La période critique ou sensible peut s'expliquer par la plus ou moins grande plasticité neuronale de l'organisme à un moment donné dans son développement.

Description générale

La thĂ©orie de l'Ă©volution prĂ©dit que le contrĂŽle de ce comportement est en partie innĂ©, le comportement innĂ© facilitant la survie d'une espĂšce Ă  un moment donnĂ© et dans un environnement donnĂ©. Cependant, le comportement n'est pas seulement d'origine biologique et innĂ© : la biologie permet aussi d'expliquer que le comportement est appris. Certains comportements sont ainsi modifiables et sont prĂ©disposĂ©s de telle sorte. Certains de ces comportement modifiables semblent dĂ©pendre de pĂ©riodes critiques, ou sensibles, durant lesquelles l'organisme animal est prĂȘt Ă  acquĂ©rir ce nouveau comportement. Durant cette pĂ©riode, il est particuliĂšrement sensible Ă  certains stimuli, et certains de ses comportements sont particuliĂšrement sujets aux modifications[1] - [2]. Par exemple, chez l'humain, les aspects binoculaires de la vision dĂ©pendent beaucoup des stimulations reçues les deux premiĂšres annĂ©es de la vie[2].

Le concept de période sensible est apparu tout d'abord en éthologie pour désigner une période de sensibilité à certains types d'apprentissages[2]. On le retrouve chez l'humain, de maniÚre plus ou moins prononcée, sur certains aspects de la perception et certaines habiletés cognitives trÚs spécifiques, comme sur certaines (mais pas toutes) habiletés linguistiques (détails ci-aprÚs).

Éthologie

Empreinte

L’exemple de pĂ©riode critique le plus populaire en Ă©thologie est celui des oies observĂ©es par Konrad Lorenz. Peu aprĂšs leur naissance, au bout d'un jour ou deux, des oisillons sont particuliĂšrement susceptibles d'apprendre les caractĂ©ristiques de leur mĂšre et de leur espĂšce. Durant cette pĂ©riode, l'oisillon apprend Ă  suivre un stimulus et dĂ©veloppe une prĂ©fĂ©rence pour ce stimulus, un phĂ©nomĂšne appelĂ© l'empreinte[3] - [1]. Ce comportement permet la survie de l'oisillon dans des conditions naturelles, quand le stimulus est sa mĂšre qui peut le protĂ©ger et l'orienter vers l'eau, la nourriture et les abris. Dans des conditions expĂ©rimentales, Lorenz a mis en Ă©vidence que des conditions doivent ĂȘtre remplies pour que l'empreinte se produise : certains sons ou types de mouvements semblent ĂȘtre nĂ©cessaires. Ainsi, il produit des empreintes sur de jeunes oiseaux avec des objets non naturels (lumiĂšre Ă©lectrique, train Ă©lectrique, objets animĂ©s), et avec lui-mĂȘme[1].

Ces critÚres changent d'une espÚce à une autre. Chez des chÚvres, des éthologues observent que la mÚre forme un attachement avec son nouveau-né dans les cinq minutes suivant la naissance. Si le nouveau-né est retiré juste aprÚs sa naissance durant deux heures, la mÚre l'attaque. Cependant, si le nouveau-né est resté cinq minutes prÚs d'elle aprÚs sa naissance, elle l'accepte aprÚs le délai de deux heures[4] - [1].

Vision

Une expĂ©rience de S. Carlson (1990) sur des singes nouveau-nĂ©s montre l’importance des premiĂšres expĂ©riences visuelles. L’expĂ©rience de Carlson de 1990 se porte sur des singes nouveau-nĂ©s dont les yeux ont Ă©tĂ© cousus pendant les douze premiers mois de leur vie. Ils sont ensuite testĂ©s les douze mois suivant sur un certain nombre de tĂąches visuelles. Les rĂ©sultats montrent qu’ils sont capables de rĂ©aliser des tĂąches comme suivre des yeux un gros objet, mais qu’ils prĂ©sentent des comportements anormaux lors de l’exploration de leur environnement. Par exemple, pour pallier le dĂ©ficit visuel occasionnĂ© prĂ©cĂ©demment, les singes vont fortement utiliser leurs mains pour explorer et se sĂ©curiser. Cela montre que la pĂ©riode critique dĂ©passĂ©e sans stimulation de l’environnement a eu pour consĂ©quence un fort dĂ©ficit sensoriel[5].

Humains

Comme suggéré tout d'abord par Sigmund Freud, beaucoup de psychologues du développement ont repris et exploré le concept de période sensible. Les théories en stade, développées par Jean Piaget, Erik Erickson, ou Sigmund Freud, se basent sur l'hypothÚse qu'à chaque stade, l'enfant est particuliÚrement sensible à certaines expériences. Les théories qui ne sont pas des théories de stades reprennent aussi l'idée que certaines périodes sont propices ou optimales pour que l'enfant apprenne de certaines expériences[1].

En plus des périodes sensibles, les humains sont biologiquement équipés pour apprendre une gamme trÚs large de connaissances et savoir-faire généraux et spécifiques : le cerveau humain permet de trouver des solutions à de nouveaux problÚmes, ce qui est la base de l'intelligence humaine ; les mains humaines peuvent effectuer des actions variées ; le langage humain permet une communication verbale riche et est caractérisé par sa flexibilité ; et les neurobiologie humain permet à l'humain d'apprendre par renforcement. Ces avantages biologiques ont permis de développer des cultures humaines qui transmettent utilisent toutes ces fonctions pour transmettre les savoirs, par imitation et instruction[1].

Embryologie

La notion de pĂ©riode critique ou sensible est importante en embryologie puisque des traumas, comme la consommation de certains toxiques, peuvent entraĂźner des dommages irrĂ©versibles sur le fƓtus Ă  certains stades de son dĂ©veloppement[1].

Vision

Un large ensemble de recherches indiquent que chez l'humain, les processus binoculaires de la vision dépendent de l'expérience visuelle précoce durant une période sensible qui s'étend de la naissance à l'ùge de deux ans. Pour cette raison, un strabisme opéré avant l'ùge de deux ans offre au jeune enfant de bonnes chances de récupérer sa vision stéréoscopique, ce qui n'est plus possible aprÚs deux ans[2] - [6].

Langage

L'hypothĂšse de l’existence d'une pĂ©riode critique ou sensible est explorĂ©e dans le domaine de l'acquisition du langage. Il existe diffĂ©rentes thĂ©ories Ă  ce propos.

L’un des premiers Ă  formuler une thĂ©orie sur cette pĂ©riode critique linguistique est Eric Lenneberg en 1967, qui considĂšre que cette pĂ©riode commence Ă  l’ñge de deux ans et se termine Ă  la pubertĂ©, soit en parallĂšle du dĂ©veloppement d'Ă©lĂ©ments cognitifs responsables du langage[7]. Mais depuis, d’autres thĂ©ories sur le sujet ont Ă©mergĂ©, que ce soit Ă  propos du nombre de pĂ©riodes critiques et des tranches d’ñge touchĂ©es, des Ă©lĂ©ments linguistiques influencĂ©s, ou encore des raisons pour lesquelles cette pĂ©riode critique prend fin. Aujourd’hui, il est couramment acceptĂ© qu’il existe plusieurs pĂ©riodes critiques quant Ă  l’apprentissage des langues (au niveau des niveaux de la langue), que ce soit de la langue maternelle ou d’une langue seconde[8]. De plus, on retrouve deux Ă©coles de pensĂ©e qui ont des idĂ©es diffĂ©rentes sur la question : les gĂ©nĂ©rativistes, qui considĂšrent qu’il existe une grammaire universelle qui nous guide au moment du dĂ©veloppement du langage, et les constructivistes, qui supposent que l’environnement et les exemples qui nous entourent aident au dĂ©veloppement linguistique[9].

Le langage peut ĂȘtre divisĂ© en plusieurs catĂ©gories comme la prononciation et la comprĂ©hension (regroupĂ©es sous le terme de phonologie), le vocabulaire (le lexique) ou encore la grammaire (la syntaxe), et on peut retrouver des pĂ©riodes critiques diffĂ©rentes pour ces multiples niveaux :

  • La prononciation et comprĂ©hension: selon plusieurs auteurs[8], Ă  la naissance, les nourrissons sont capables de faire la distinction entre le rythme de leur langue maternelle (et autres langues qui lui ressemblent) et des langues qui lui sont diffĂ©rentes. En ce qui concerne la distinction des phonĂšmes, jusqu’à environ dix mois, la perception des sons de la parole est encore plutĂŽt facile Ă  changer chez les enfants. À partir de dix mois, les catĂ©gories de sons commencent Ă  se figer, et il faudrait alors doubler l’exposition au stimulus pour provoquer un changement (Janet F. Werker (en) et Richard Tees, en 1984). Ainsi, la limite des dix mois marquerait le dĂ©but du dĂ©clin de l’apprentissage concernant la prononciation et la comprĂ©hension.
  • Le vocabulaire: c’est un processus qui n’a pas nĂ©cessairement de pĂ©riodes critiques, car Ă©volue toute notre vie. NĂ©anmoins, certaines recherches tendent Ă  penser que certains Ă©lĂ©ments, comme le vocabulaire, atteignent le maximum de leur capacitĂ© Ă  l’ñge adulte (entre 18 et 35 ans), puis stagnent[10]. Ce “pic” de compĂ©tence Ă  ce stade de la vie pourrait s’expliquer par le fait que l’apprentissage du vocabulaire se poursuit jusqu’à tard dans l’ñge adulte, en raison notamment de divers facteurs environnementaux, comme une exposition continue Ă  de nouveaux mots par exemple.
  • La grammaire : une Ă©tude[11] sur les capacitĂ©s d’apprentissage a permis de dĂ©finir la pĂ©riode critique pour cet Ă©lĂ©ment linguistique. Au regard de leurs rĂ©sultats, les chercheurs ont observĂ© une Ă©volution dans les rĂ©ponses des participants, et cela leur a permis de dĂ©limiter que les 10-20 premiĂšres annĂ©es de la vie constituent la pĂ©riode durant laquelle les personnes apprennent le plus et que cela continue, Ă  un niveau moins Ă©levĂ©, jusqu’au 30 ans des locuteurs, avant de stagner.

Ce survol des pĂ©riodes critiques du langage permet de mieux comprendre les risques encourus lorsqu’il n’y a pas de stimulations verbales pendant une longue pĂ©riode de l’enfance (aprĂšs 1-2 ans jusqu’à 11 ans). En effet, en l’absence de cette stimulation de la parole, les consĂ©quences pour ces personnes pourraient s’avĂ©rer dramatiques. Un exemple particuliĂšrement connu d’absence de langage chez l’enfant serait le cas de l’Enfant Sauvage de l’Aveyron (1800, Victor de l'Aveyron), puisque cet enfant semblait prĂ©senter un dĂ©ficit de langage. En , un enfant humain est trouvĂ© dans l’Aveyron. Il ne parle pas et se comporte comme un animal sauvage. Il est envoyĂ© Ă  Paris et est suivi par un mĂ©decin, Jean Itard. Le suivi dure onze annĂ©es et cet enfant sauvage, renommĂ© « Victor », intrigue toute l’Europe. Peu Ă  peu, Victor devint affectueux et pu apprendre Ă  rĂ©pondre Ă  quelques instructions verbales, mais il n’apprit jamais Ă  parler comme un enfant exposĂ© rĂ©guliĂšrement Ă  la parole l’aurait fait[5].

Intelligence artificielle

Les modĂšles connexionnistes ont rĂ©pliquĂ© un effet de pĂ©riode critique lorsque l'apprentissage du systĂšme Ă©lectronique dĂ©pend d'un feed-back essai-erreur (algorithme de rĂ©tropropagation du gradient). Bien que le processus d'apprentissage sous-jacent reste le mĂȘme, un systĂšme novice est trĂšs sensible Ă  l'apprentissage par ses erreurs, tandis qu'un systĂšme plus expert l'est moins et apprend moins. Selon les cognitivistes Johnson et Munakata, un tel phĂ©nomĂšne peut illustrer pourquoi une seconde langue est plus difficile Ă  apprendre qu'une premiĂšre : le systĂšme est moins sensible Ă  l'apprentissage par essai-erreur lors de l'apprentissage de la seconde langue qu'il ne l'est pour la premiĂšre langue qui a Ă©tĂ© apprise en premier, et non pas simultanĂ©ment[12].

Théories

Plasticité neuronale

Ce phĂ©nomĂšne est Ă©troitement liĂ© Ă  la plasticitĂ© neuronale, puisque la plasticitĂ© met en action des zones du cerveau diffĂ©rentes pour un apprentissage pendant l’enfance ou l‘adolescence. Par exemple, l’apprentissage d’une langue Ă©trangĂšre pendant l’adolescence utilise des zones diffĂ©rentes de celles utilisĂ©s lors de l’enfance pour l’apprentissage de la langue maternelle (Rutter, 2002)[13].

Notes et références

  1. Miller 2002, p. 289-293.
  2. Harris 2002, p. 85.
  3. Lorenz, K. (1935/1970). Studies in animal and human behaviour. Cambridge, Mass: Harvard University Press.
  4. (en) PH Klopfer, « Mother love: what turns it on? », American scientist, vol. 59, no 4,‎ (ISSN 0003-0996, lire en ligne, consultĂ© le )
  5. Drew Westen, Psychologie: pensée, cerveau et culture, De Boeck Supérieur, 2000
  6. (en) Richard N. Aslin, « Effects of experience on sensory and perceptual development: Implications for infant cognition », dans Jacques Mehler & R. Fox, Neonate Cognition: Beyond the Blooming Buzzing Confusion., Lawrence Erlbaum, (lire en ligne), p. 157-183
  7. (en) Singleton, D., « The critical period hypothesis: A coat of many colours. », International Review of Applied Linguistics in Language Teaching, vol. 43, no 4,‎ , p. 269-285.
  8. (en) Werker, J.F. et T.K. Hensch, « Critical periods in speech perception: New direction. », Annu. Rev. Psychol., vol. 66,‎ , p. 173-196.
  9. (en) Crain, S. et R. Thornton, « Syntax acquisition. », WIREs Cognitive Science, vol. 3, no 2,‎ , p. 185-203.
  10. (en) Hartshorne, J. K. et Germine, L. T., « When does cognitive functioning peak ? The asynchronous rise and fall of different cognitive abilities across the life span. », Psychological Science, vol. 26, no 4,‎ , p. 433-443.
  11. (en) Hartshorne, J. K., J. B. Tenenbaum et S. Pinker, « A critical period for second language acquisition: Evidence from ⅔ million English speakers. », Cognition, vol. 177,‎ , p. 263–277.
  12. Goswami 2008, p. 405.
  13. « Comprendre le cerveau : naissance d'une science de l'apprentissage », OECD 2007.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article : document utilisĂ© comme source pour la rĂ©daction de cet article.

  • (en) Usha Goswami, Cognitive Development, the Learning Brain, Hove, Psychology Press, , 457 p. (ISBN 978-1-84169-531-0). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (en) Margaret Harris et Georges Butterworth, Developmental psychology, a student handbook, Hove and New York, Psychogy Press, Taylor & Francis, , 371 p. (ISBN 978-1-84169-192-3, lire en ligne). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
  • (en) Patricia H. Miller, Theories of Developmental Psychology, Fourth Edition, New York, Worth Publishers, 2002 (1st ed. 1989), 518 p. (ISBN 978-0-7167-2846-7 et 0-7167-2846-X). Ouvrage utilisĂ© pour la rĂ©daction de l'article
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