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Origines du blues

On sait peu de choses des origines exactes de la musique que l'on dĂ©signe aujourd'hui comme le blues. Il est difficile de dater prĂ©cisĂ©ment les origines du blues, en grande partie parce que ce style de musique a Ă©voluĂ© sur une longue pĂ©riode et existait avant mĂŞme que l'on utilise le terme « blues Â». Une rĂ©fĂ©rence importante Ă  ce qui se rapproche Ă©troitement du blues date de 1901, lorsqu'un archĂ©ologue du Mississippi a dĂ©crit les chansons des ouvriers et esclaves noirs dont les chants reposaient sur des thèmes et des Ă©lĂ©ments techniques caractĂ©ristiques du blues.

Blues et Negro Spiritual

Peinture à l'aquarelle représentant un camp meeting (réunion en plein air à vocation religieuse), 1839, New Bedford Whaling Museum.

Il y a de nombreuses origines probables du blues, dont les racines sont multiples et plongent au cĹ“ur de l'histoire du peuplement de l'AmĂ©rique du Nord (Americana, Fayard). L'influence amĂ©rindienne, longtemps occultĂ©e, est aujourd'hui de plus en plus mise en avant par de nombreux auteurs et chercheurs. Elle serait particulièrement sensible sur l'utilisation des gammes pentatoniques (venues d'Asie) et sur certains types de blues comme celui du Delta, hypnotique, lancinant, rythmique et souvent modal. Il ne faut pas non plus sous-estimer les influences celtiques (avec le fort peuplement irlandais et Ă©cossais des États du Sud avant mĂŞme la crĂ©ation des États-Unis). Les influences françaises, moins faciles Ă  retracer, sont certainement aussi prĂ©sentes tant l'importance des mĂ©tis (franco-indiens) a Ă©tĂ© grande dans le colportage des marchandises, des idĂ©es et des chansons jusqu'Ă  la deuxième partie du XIXe siècle. Une des origines importantes du blues est le negro spiritual, une forme de chants religieux prenant ses racines dans les camp meetings, les rĂ©unions religieuses en plein air qui se sont dĂ©veloppĂ©es avec les mouvements de rĂ©veil religieux au dĂ©but du XIXe siècle. Les negro spirituals Ă©taient une forme passionnĂ©e de chant donnant aux auditeurs les mĂŞmes possibilitĂ©s d'exprimer leurs sentiments de misère et d'absence de racines que le blues. Toutefois, le negro spiritual Ă©tait moins axĂ© sur l'interprĂ©tation individuelle, plus centrĂ© sur la misère collective de l'humanitĂ©, avec des paroles plus figuratives que directes. En dĂ©pit de ces diffĂ©rences-lĂ , ces deux formes de musiques sont Ă  ce point semblables qu'elles ne peuvent pas ĂŞtre facilement distinguĂ©es - beaucoup de negro-spirituals auraient probablement Ă©tĂ© classĂ©s comme du blues si ce mot avait eu alors, une signification plus large. Il faut noter que quasiment tous les artistes, musiciens, chanteurs du Sud, Blancs et Noirs, dans la Country Music comme dans le Blues, ont Ă©tĂ© nourris et Ă©levĂ©s Ă  l'aune presque unique des Negro Spirituals, avec pour nombre d'entre eux un apprentissage direct et pĂ©dagogique dans les Ă©coles itinĂ©rantes de Gospel, tenues par des MĂ©thodistes, et qui avaient pour but d'Ă©vangĂ©liser les « Ă˘mes simples Â» en utilisant les chansons populaires dont on dĂ©tournait le sens avec, Ă  la fin, une morale religieuse.

Chants de travail

Hormis les chants religieux, les chansons de travail afro-amĂ©ricaines ont Ă©tĂ© des prĂ©curseurs importants du blues moderne. Celles-ci comprenaient ainsi les chansons propres aux travailleurs comme les stevedores (dockers), les « hommes Ă  tout faire Â» et les esclaves.

Les différents styles de blues ont peu de caractéristiques communes: en effet, ce genre de musique repose essentiellement sur des performances individuelles. Cependant, certains traits spécifiques ont marqué la période précédant la création du blues moderne et se retrouvent dans la plupart des musiques afro-américaines. Dans sa forme embryonnaire, le blues était « une expression fonctionnelle, se traduisant par des dialogues musicaux (call and response) sans accompagnement ou harmonie et qui n'était pas limitée par une structure musicale particulière »[1]. Cette musique, que l'on peut qualifier de pré-blues, est née des chants des travailleurs, notamment des esclaves, qui chantaient « des chansons simples chargées de contenu émotif »[2].

Racines africaines

Fabricant de Kora en Gambie

La Kora (ou Cora) est un instrument à cordes (21 cordes) mélange de harpe et de luth utilisé par le peuple Mandingue (ou bien Mandé) en Afrique de l'Ouest.

Beaucoup d'instruments et d'éléments du blues trouvent leur origine dans la musique africaine. L'écrivaine et historienne sénégalaise Sylviane Diouf a mis en évidence plusieurs traits spécifiques, comme la pratique du mélisme et d'intonations onduleuses et nasales qui font le lien entre les musiques d'Afrique centrale et occidentale et le blues.

Le compositeur afro-américain William Christopher Handy a écrit dans son autobiographie que, dormant dans un train, il avait été réveillé par :

« ...un homme noir tout maigre, [qui] avait commencé à jouer de la guitare près de moi alors que je dormais. Ses vêtements étaient des chiffons. Son visage portait la tristesse des âges. Pendant qu'il jouait, il a appuyé un couteau sur les cordes de la guitare. … L'effet était inoubliable. [C'était] la musique la plus étrange que j'avais jamais entendue. »

— William Christopher Handy

Les racines africaines de certains éléments du blues sont décrites par des auteurs comme le chercheur Paul Oliver et l'ethnomusicologue Gerhard Kubik. Ils expliquent que l'utilisation de la technique du couteau (ancêtre du bottleneck) dont avait été témoin William Christopher Handy, se retrouve dans les cultures d'Afrique centrale et occidentale, dans des régions où l'Islam est puissant et où la kora est souvent l'instrument à cordes privilégié. Enfin, on ne saurait trop sous-estimer l'importance du théâtre populaire et du music hall du Sud des États-Unis et de ses "vaudevilles" (terme qui a en américain un sens très différent de celui qu'il a en France et désigne un style de spectacle très proche du music hall ) et "medicine shows" (spectacles commerciaux destinés à vendre remèdes et potions divers, toujours accompagnés d'intermedes musicaux ou théâtraux). Ces spectacles itinérants ont eu un succès populaire et un impact énorme dans la deuxième partie du XIXe siècle et la plupart de ceux qui deviendront des bluesmen célèbres ont émargé d'une façon ou d'une autre à ces troupes qui sillonnaient le Sud comme Ma Rainey, Bessie Smith, Charley Patton, Big Joe Williams, T-Bone Walker et des centaines d'autres.

Les premiers blues ne sont souvent que des adaptations et des simplifications de chansons populaires créées dans ces spectacles itinérants. On retrouve ainsi des versets entiers - voire des blues complets - dans les recueils de ces chansons de music hall vendus aux entractes.

On voit que pour le blues comme pour toutes les autres musiques sudistes américaines, il y a un fond commun vaste et puissant qui constitue le socle de la culture sudiste, blanche, noire ou même amérindienne. Vouloir sortir tel élément plutôt que tel autre peut se révéler réducteur et fallacieux.

Kora gambienne

Autres

Des éléments de musique afro-américaine antérieurs au blues sont encore présents dans certaines régions isolées des États-Unis, notamment dans le style Fife and drums dans les montagnes au nord du Mississippi ou dans les chansons des Sea Islands, les îles situées à l'ouest de la Géorgie.

Bibliographie

  • Eileen Southern, The Music of Black Americans, W. W. Norton & Company, 1997
  • (en) Reebee Garofalo, Rockin' Out: Popular Music in the USA, Allyn & Bacon, (ISBN 978-0205956807)
  • (en) Jean Ferris, America's Musical Landscape, Brown & Benchmark, (ISBN 978-0078025129)
  • Gunther Schuller, Early Jazz: Its Roots and Musical Development, Oxford University Press, 1968
  • David Ewen, Panorama of American Popular Music, Prentice Hall, 1957
  • Paul Oliver, Savannah syncopators : African retentions in the blues, Studio Vista, 1970
  • Gerard Herzhaft, La Grande EncyclopĂ©die du blues, Fayard, 1997-2008
  • Gerard Herzhaft, Le blues, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 1981-2009
  • GĂ©rard Herzhaft, Americana, Fayard, 2006

Notes et références

  1. Garofalo 1997, p. 44.
  2. Ferris 1993, p. 229.
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