Opération Flavius
L' opération Flavius[1] (aussi appelée tuerie de Gibraltar) est une opération controversée du Special Air Service (SAS) britannique, qui aboutit à la mort de trois membres de l'armée républicaine irlandaise provisoire (PIRA) à Gibraltar, le .
Deux hommes et une femme, Seán Savage (en) (23 ans), Daniel McCann (en) (30 ans) et Mairéad Farrell (31 ans), sont soupçonnés de préparer une attaque à la bombe contre des soldats britanniques à Gibraltar. Au cours de l'opération visant a les arrêter, les militaires du SAS ouvrent le feu et les tuent. Il s'avère que les trois tués ne sont pas armés, et on ne trouve pas de bombe dans leur voiture. De ce fait, le gouvernement britannique est accusé d'assassinat. Toutefois, des clés trouvées sur le corps de Farrell s'avèrent être celles d'une voiture de location trouvée plus tard à Marbella (à 80 kilomètres de là ), contenant soixante-quatre kilogrammes de Semtex et des détonateurs.
Ces trois morts sont les premières d'une série d'événements violents, jusqu'au lynchage de deux militaires anglais à Belfast lors d'un convoi funéraire, le .
DĂ©roulement
Depuis la fin de l'année 1987, les autorités britanniques suspectent l'IRA provisoire de planifier de faire exploser une bombe sur le territoire britannique d'outre-mer de Gibraltar, lors de la cérémonie de relève de la garde, à l'extérieur de la résidence du gouverneur. Quand les membres de l'IRA se rendent en Espagne pour préparer l'attentat, les services de sécurité britanniques sont au courant. Estimant qu'il s'agit de certains des terroristes les plus expérimentés de l'IRA et qu'ils continueront à tuer, ils décident de les laisser entrer à Gibraltar avec leurs explosifs pour les y arrêter en flagrant délit et permettre leur condamnation à de lourdes peines. Cependant, samedi 6 mars, ils ne repèrent pas Savage lorsqu'il passe la frontière avec une Renault 5 blanche qu'il gare ensuite près du point de rassemblement de la parade. McCann et Farrell sont aperçus peu après en train de passer la frontière à pied puis rencontrer Savage près de la voiture[2].
Après qu'un démineur a rapporté que la voiture de Savage doit être considérée comme une possible voiture piégée, la police donne l'ordre aux militaires d'appréhender les trois suspects. Alors que les soldats, habillés en civil, se mettent en position pour intercepter les trois Irlandais, Savage se sépare de McCann et Farrell et se dirige vers le sud. Deux soldats le prennent en chasse tandis que deux autres suivent Farrell et McCann. Ce dernier se serait alors retourné et aurait vu les soldats. Ceux-ci, pensant être repérés, sortent leurs armes et, craignant que leurs cibles fassent détoner la voiture par radiocommande, ouvrent le feu. De son côté, Savage se serait retourné en entendant la fusillade et aurait à son tour repéré ses suiveurs qui l'ont abattu pour la même raison[3]. Il s'avère que les trois membres de l'IRA n'étaient pas armés et que la voiture de Savage ne contient aucun explosif. En revanche les clés découvertes sur le corps de Mairéad Farrell permettent aux enquêteurs de faire le lien avec une deuxième voiture trouvée en Espagne contenant des explosifs.
Controverse
Moins de deux mois après l'opération, le documentaire Death on the Rock (« Mort sur le rocher ») est diffusé par la télévision ITV, le . Il s'appuie sur des reconstitutions et des témoignages oculaires, établit que Savage a été abattu dans le dos par un agent du SAS alors qu'il s'enfuyait[4], et estime que les trois membres de l'IRA ont pu être tués illégalement. Toutefois, ce documentaire est controversé et plusieurs journaux britanniques le décrivent comme « un procès télévisuel ».
EnquĂŞte et jugement
L'enquête sur cette opération commence en . Menée par un juge de Gibraltar, elle apprend que les hommes de l'IRA ont été suivis jusqu'à l'aéroport de Malaga, après quoi ils n'ont pas été surveillés par la police espagnole. Les autorités les perdent de vue jusqu'à ce que Savage soit aperçu garant une voiture à Gibraltar. Tous les soldats témoignent qu'ils ont ouvert le feu car ils ont cru que les suspects étaient sur le point de saisir des armes ou un détonateur. Parmi les témoins oculaires, ceux qui déposent dans le documentaire Death on the Rock affirment que le commando du SAS a tiré sans sommation sur les hommes de l'IRA, qui levaient les mains en l'air ou même étaient étendus au sol. Kenneth Asquez a affirmé dans le documentaire qu'il a vu un soldat tirer sur Savage à plusieurs reprises alors qu'il était au sol. Toutefois, il se rétracte au cours de l'enquête, indiquant avoir reçu des pressions pour donner la première version. Le , le jury rend son verdict et estime que l'opération est légale.
Insatisfaites, les familles portent l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci juge en 1995 que l'opération est une violation de l'article 2 sur le droit à la vie de la Convention européenne des droits de l'homme, car les autorités n'ont pas réussi à arrêter les trois suspects à la frontière. En outre, les informations données aux soldats ont rendu presque inévitable le recours à des méthodes létales. Cette décision est considérée comme une jurisprudence importante à propos de l'usage de la force par l'État, qui doit être soumis à un principe de nécessité et de proportionnalité très strict. En l'occurrence, la juridiction a estimé qu'il aurait été possible de procéder autrement sans attenter à la vie des individus[5].
Représailles
Le , un commando de l'IRA provisoire tire sur Peter Terry, gouverneur de Gibraltar au moment de l'opération Flavius, à travers la fenêtre de sa maison de campagne en Angleterre. Terry est grièvement blessé au visage, et son épouse est blessée plus légèrement.
Notes et références
- Flavius fait référence à Flavius Theodosius Augustus (Théodose Ier), un empereur romain né en Espagne.
- (en) Christopher Andrew, The Defence of the Realm : The Authorized History of MI5, Londres, Allen Lane, , 1032 p. (ISBN 978-0-713-99885-6), p. 739-743
- (en) Tony Geraghty, Who Dares Wins : The Story of the SAS 1950-1992, Londres, Little, Brown and Company, , 594 p. (ISBN 0-316-90324-8), p. 302-312
- « Death on the Rock (1988) (3 of 4) » (consulté le )
- « Fiche thématique - Droit à la vie », Cour européenne des droits de l'homme (consulté le )
Bibliographie
- (en) Nicholas Eckert, Fatal Encounter: The Story of the Gibraltar Killings, Dublin, Poolbeg, (ISBN 9781853718373)
- (en) Maxine Williams, Murder on the Rock: How the British Government Got Away with Murder, Londres, Larkin Publications, (ISBN 0905400100).
- Roger Faligot et Rémi Kauffer, Les Maîtres espions, tome 2 : De la guerre froide à nos jours, Robert Laffont, 1994, p. 360-363 (ISBN 2-221-07572-2)