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Notre besoin de consolation est impossible Ă  rassasier

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vårt behov av tröst är omättligt) est un court essai paru en 1952 dans un magazine suédois, l'un des derniers écrits de Stig Dagerman (1923-1954). Il y développe ses réflexions sur le sens de l'existence, la mort, le suicide. Son suicide, le , conclut de manière brutale ce petit ouvrage d'espoir.

Notre besoin de consolation est impossible Ă  rassasier
Auteur Stig Dagerman
Pays Suède
Genre Essai
Version originale
Langue Suédois
Titre Vårt behov av tröst
Éditeur Norstedts
Lieu de parution Stockholm
Date de parution 1952
Version française
Traducteur Philippe Bouquet
Éditeur Actes Sud
Lieu de parution Arles
Date de parution 1984
ISBN 2868693342

Écriture

L'écriture de Stig Dagerman est précise et sans ornement. Presque dépouillée, elle ne s'autorise que quelques images et comparaisons destinées à clarifier le propos aussi bien qu'à toucher le lecteur par leur simplicité. À la lecture de ces quelques pages, le lecteur s'étonne de la capacité de Stig Dagerman à mobiliser et à articuler concepts philosophiques vastes et logique discursive rudimentaire. Bien que philosophique, le propos est accessible grâce à l'implication de son auteur, lequel s'efforce d'être compris (littéralement et humainement) ; c'est pourquoi l'on peut dire que la rhétorique de ce texte est avant tout émotionnelle, bien que bâtie autour d'une réflexion rigoureuse. Le ton est maîtrisé, grave et souriant à la fois, alternativement sombre et lumineux, mais ne verse jamais dans l'excès. Cette contenance et cette humilité sont remarquables au fil de cet écrit court et jamais prétentieux. Dagerman compose un style crépusculaire teinté de stoïcisme que l'on pourrait croire artificiel par son unité, alors qu'il sonne si naturel. L'impression de bilan qui se dégage de cette écriture soignée et ramassée témoigne de l'état des réflexions de Dagerman peu avant son suicide : ses pensées se débarrassent du superflu pour se restreindre à l'équation essentielle de la vie et de la mort.

RĂ©flexion

Pessimiste, la pensĂ©e de Stig Dagerman est aussi profondĂ©ment confiante ; cette ambivalence traverse chacune de ses phrases. Tenu par nature Ă  l'Ă©cart de toute certitude, qu'il s'agisse de la foi religieuse ou du doute hyperbolique, Dagerman attribue son malheur Ă  l'absence de repère stable qui lui offrĂ®t une raison de vivre. Remarquant qu'aucune des Ĺ“uvres de la culture humaine ne peut lui fournir ce repère, il donne congĂ© Ă  la philosophie, Ă  la croyance, Ă  la libertĂ©, Ă  l'art, constatant que tous ces idĂ©aux, toutes ces « consolations Â», pour peu que l'on ait quelque bon sens, n'existent que parce que leur contraire est souverain. LibertĂ© ou dĂ©terminisme, orgie ou ascèse, dĂ©sespoir ou fausse consolation, danger ou sĂ©curitĂ©, temps ou Ă©ternitĂ©, tous ces mots nous ramènent Ă  l'omniprĂ©sence de la mort. Le talent mĂŞme de Dagerman est un flĂ©au, puisqu'il condamne l'auteur Ă  ne jamais savoir s'il contribua au progrès de la littĂ©rature. Enfin, la mort mĂŞme, que d'aucuns pourrait voir comme la consolation d'une vie manquĂ©e, ne peut guère consoler celui qui veut voir dans la vie une consolation de la mort.

Pour se libĂ©rer du tourment de la mort, Dagerman invoque la prĂ©sence d'autrui, unique repère stable susceptible de nous consoler. Mais trop souvent autrui fait dĂ©faut, et chacun doit se battre seul. En effet, si rien n'a de sens et si l'existence n'a guère de raison d'ĂŞtre, il ne reste Ă  chacun que son propre combat pour l'indĂ©pendance et la libertĂ© ; bien que cet effort trahisse la servitude indĂ©fectible de l'homme : « Le signe dĂ©finitif de ma libertĂ© est le fait que ma peur laisse la place Ă  la joie tranquille de l'indĂ©pendance. On dirait que j'ai besoin de la dĂ©pendance pour pouvoir finalement connaĂ®tre la consolation d'ĂŞtre un homme libre, et c'est certainement vrai. » Il reste que ce combat oppose le monde et chacun Ă  lui-mĂŞme. Dagerman compte parmi les ennemis de sa libertĂ© les autres, la dĂ©pression, son talent mĂŞme (l'angoisse de nuire Ă  son propre nom d'auteur), pour en arriver Ă  considĂ©rer le suicide comme « seule preuve de la libertĂ© humaine Â».

Il est nĂ©cessaire d'en arriver Ă  cette extrĂ©mitĂ© pour pouvoir poser les modalitĂ©s de sa libertĂ©. Dagerman peut alors adopter un ton plus positif en Ă©numĂ©rant ses dĂ©tachements successifs Ă  l'Ă©gard de quiconque cherche Ă  lui imposer un ordre, Ă  l'Ă©gard du système qui ne laisse guère l'individu vivre selon sa nature, au temps qui tend Ă  mesurer la vie de chacun en jours, mois, annĂ©es quand celle-ci se mesure en expĂ©riences, moments et Ă©vĂ©nements. Cette dernière libĂ©ration affranchit l'individu du monde : puisque la vie ne se mesure pas en temps mais par « tout ce qui donne Ă  [sa] vie son merveilleux contenu Â», l'Ă©ternitĂ© n'a plus d'importance, et il est absurde de vouloir suivre la marche du monde plus longtemps que ne le permet notre courte existence. Les vraies expĂ©riences de vie sont hors du temps.

Une rĂ©tractation finale empĂŞche une conclusion trop positive qui ne se ferait qu'illusion sur le vĂ©ritable Ă©tat de l'homme. Si le combat dĂ©crit dans les paragraphes prĂ©cĂ©dents est beau et se constitue comme raison de vivre, il n'en reste pas moins qu'il est minuscule et se borne aux limites que veut bien nous accorder le système. « Le monde est donc plus fort que moi. Â» On entrevoit tout ce que cette phrase porte de luciditĂ©, de conscience, de combativitĂ© et en mĂŞme temps de rĂ©signation dĂ©sespĂ©rĂ©e. C'est Achille menant une bataille perdue d'avance, ou encore un Sisyphe actuel. La plus forte tension du texte se noue ici, dans cette ambivalence totale du combat pour la libertĂ©, Ă  la fois minuscule, circonscrit et quasiment perdu d'avance, et grand, hĂ©roĂŻque, donnant une raison de vivre.

« Le monde est donc plus fort que moi. Â» Le suicide de Dagerman deux ans plus tard conclut dĂ©finitivement les derniers paragraphes laissĂ©s en suspens, et donna raison Ă  la libertĂ© nĂ©gative (par soustraction) — puisque la libertĂ© positive n'est qu'un leurre.

Publications

  • Notre besoin de consolation est impossible Ă  rassasier, Stig Dagerman, Actes Sud, MĂ©moires-Journ, trad. Philippe Bouquet, Paris, 1993, (ISBN 2868693342).

Mise en musique

En 1989, le compositeur français Denis Dufour achève la composition d'une œuvre de musique acousmatique, d'une durée de 67 min 22 s, intitulée Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Le texte de Stig Dagerman y est lu par Thomas Brando. Commencée durant l'été 1987, elle est créée à Paris le à l’auditorium 104 de la Maison de Radio France, dans le cadre du Cycle acousmatique de l’Ina-GRM. En 1991, elle est publiée sur disque compact dans les collections discographiques du GRM sous la référence INA C1010.

Le texte est lu et mis en musique par les Têtes Raides dans la dixième piste de leur album Banco, pour une durée d'approximativement vingt minutes.

Le titre a été repris par l'artiste français Guillaume Leblon en 2007 pour en faire un mur en terre cuite, présenté par la Galerie Jocelyn Wolff à la FIAC, Paris, 2007.

Liens externes

Notes et références

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