Musique populaire américaine au tournant du XIXe siècle
Au début du XIXe siècle la musique populaire américaine sera particulièrement caractérisée par le Minstrel show, forme de théâtre qui réunit des représentations sous forme de chansons, danses et de récits ayant un point de vue typiquement raciste et dérogatoire sur la vie et la culture des Afro-Américains. Malgré le fait qu’en 1808 l’état fédéral américain supprime officiellement la traite des Noirs, reflet des tendances d’abolition de l’esclavagisme dans les états du Nord de 1777 à 1804, les états du Sud continueront à vivement défendre cette entreprise jusqu’en 1861 ce qui, pendant cette période, empêchera la percé de la musique afro-américaine à même les courants de la musique populaire américaine (en). Ce n’est qu’après la guerre de Sécession et la victoire des états du Nord, égalitariste, sur celles du Sud, esclavagistes, qui se terminera en 1865, ayant fait plus de 970 000 victimes[1], que nous commencerons à voir de la musique populaire véritablement inspirée de la musique afro-américaine et comptant ceux-ci à même leur production. La libération des Afro-Américains changera les spectacles de minstrels, ce qui sera transmis dans le vaudeville par la suite, créera le ragtime, et aura un profond impact sur toute la musique populaire américaine qui sera issue du Tin Pan Alley. Il y a possiblement que la musique country américaine, qui naquit dans les années 1920, qui n’aura pas été profondément influencé par les musiques afro-américaines.
Spectacle de Minstrel : (1820 - 1890)
Connu en anglais comme étant un minstrel show, ou aussi minstrelsy, les spectacles de minstrel sont des formes de théâtre qui réunissent des représentations sous forme de chansons, danses et récits typiquement ostoires de la vie des Afro-Américains. Cette tradition a débuté vers la fin des années 1820, a atteint son pic entre les années 1840 et 1870, aussi perçu telle l’ère du minstrel classique, et a été majoritairement remplacée par les Vaudevilles dans les années 1890. Les spectacles de minstrel furent fondés sur la promulgation de stéréotypes raciaux. Bien que cette forme de théâtre disparut largement des communautés professionnelles et devint par la suite un véhicule d’expression plutôt réservé aux amateurs, son influence perdura à même le vaudeville, la radio, la télévision ainsi que dans l’industrie de l’animation et de la musique du monde du XXe et XXIe siècles.
Les spectacles de minstrel eurent comme point de départ les productions théâtrales du Britannique Charles Mathews. La musique noire ainsi que leur vernaculaire avaient particulièrement attiré Mathews lors de ses visites aux États-Unis en 1822. Il en incorpora d’ailleurs bien des éléments dans ses sketchs, plus classiquement appelé saynètes, ses chansons et ses monologues comiques appelés « stump speeches ». Antérieurement à Charles Mathews, Charles Dibdin avait utilisé du matériel du folklore afro-américain dans ses créations burlesques qualifiées « d’extravaganza » qui contiennent aussi des éléments de pantomime, de parodie et de cirque. Celles-ci avaient commencé dans les années 1768 et demeuraient populaires dans la première décennie du XIXe siècle. Les Anglais s’inspirèrent notamment des musiques provenant des plantations méridionales et des frontières en plus des pièces au banjo et de leurs techniques de jeu pour construire les pièces et opéras mettant en vedette des personnages noirs. Ces « extravaganza » furent d’ailleurs les sources et modèles sur lesquels se construisirent les premiers spectacles de minstrel.
À leur début, soit vers la fin des années 1820, les spectacles de minstrel étaient typiquement joués par des acteurs males, blancs et en Blackface, c’est-à-dire ayant le visage peint en noir. Ceux-ci caricaturaient typiquement le chant et la danse des esclaves des plantations. Les académiciens tendent à distinguer cette pratique en tant que « blackface minstresly ».
Le patriarche de cette tradition fut Thomas Dartmouth Rice, plus généralement connu sous l’alias de « Jim Crow». Il fut un des premiers imitateurs dont les performances créèrent une vogue pour le genre, nous soulignerons, entre autres, la chanson Jump Jim Crow. La compagnie pionnière du mouvement, le Viginia Minstrels (en), un quatuor mené par Daniel Decatur Emmett (en), a débuté avec sa première performance en 1843. D’autres compagnies notables de l’époque furent le Bryant’s (en), le Campbell’s et le Haverly’s (en), mais la plus importante de ces entreprises demeure le Christy Minstrels (en), qui joua sur Broadway durant presque dix ans et pour laquelle Stephen Foster écrivit de nombreuses chansons.
Une nouvelle ère du spectacle de minstrel fut l’avènement de troupes afro-américaines. Amenant à la désuétude les visages noircies au liège brûlé, des compagnies d’artistes noires prirent leur véritable importance culturelle à la suite de la guerre civile. Sous la direction de Caucasiens, mais aussi occasionnellement de directeurs noirs, ces troupes cherchèrent à présenter une exhibition de talents du folklore Afro-Américain. Les troupes d’artistes afro-américaines se concentrèrent sur les scènes référant aux plantations et y intégrèrent de la musique religieuse qui prend forme aujourd’hui tel le gospel dans les églises chrétiennes afro-américaines et qui fait usage d’éléments de la musique soul. Vers les années 1890, les artistes afro-américains étaient fermement établis dans l'industrie du spectacle américain. Vers le tournant du XIXe siècle, la plupart des troupes professionnelles avaient délaissé le minstrel classique pour le burlesque, la comédie musicale et des productions faiblement associées au minstrel. Cependant, à même les artistes et producteurs amateurs, le minstrel est toutefois demeuré une forme de divertissement américaine populaire jusqu’au début des années 1950.
Vaudeville : (1890-1930)
Le vaudeville américain peut se résumer comme étant la farce de la musique. Prenant la place du minstrel dans le divertissement américain, le terme réfère à un amalgame de 10 à 15 actes non reliés entre eux lors d’une même représentation lors duquel on retrouve magiciens, acrobates, comédiens, animaux, jongleurs, chanteurs et danseurs. Il s’agit de l’homologue américain du « music-hall » et variété en Angleterre.
Le terme vaudeville adopté aux États-Unis par emprunt au théâtre de boulevard parisien est possiblement une corruption du vaux-de-vire, soit des chansons satiriques et des couplets chantés aux airs populaires du XVe siècle à Vau-de-Vire en Normandie, France. L’expression vaudeville passa en usage théâtral au début du XVIIIe siècle pour décrire la méthode employée par les acteurs professionnels pour circonvenir au monopole dramatique maintenu par la Comédie-Française. Sous l’interdiction de présenter un drame légitime, les compagnies non affiliées à la Comédie-Française présentèrent leurs pièces en pantomime, interprétant les actions avec des paroles et des chorus adaptés à des airs populaires. Éventuellement, cela devint une forme de drame musical léger, constitué d’un dialogue intercepté de chansons qui crût en popularité à travers l’Europe.
Aux États-Unis, le développement d’une variété de divertissement fut encouragé aux établissements frontaliers ainsi qu’à travers une large étendue de centre urbain. Dans les années 1850 et 1860, la variété hétérosexuelle gagna les faveurs du grand public. Tenu dans des bars, pubs et tavernes, la nature obscène et dure des spectacles ciblait un public mâle. Tony Pastor, chanteur de minstrel et de ballades, est crédité pour avoir donné la première performance amenée à être appelé du vaudeville par la fin du 19e et pour l’avoir rendu respectable. En 1881, il établit un théâtre dans la ville de New York dédié à une variété «franche et propre». Son succès inespéré a encouragé d’autres gestionnaires à suivre son exemple. Ce n'est qu'en 1890, que le vaudeville devint un divertissement propre à la famille et démontra de hauts standards de performance.
Avec l'arrivée de la fin du XIXe siècle s’installa une ère de chaînes de vaudeville, soit un groupe de maisons contrôlées par un unique gestionnaire fermement établi. Les plus importantes chaînes de production de vaudeville furent le « United Booking Office », ayant pour antécédent le « Vaudeville Managers Association (en) », avec un impressionnant 400 théâtres dans l’Est et au Midwest ainsi que l’« Orpheum Circuit (en) » de Martin Beck (en) qui contrôlait des maisons de Chicago à la Californie. Beck construisit également le Palace Theatre à New York, qui, des années 1913 à 1932, se distingua comme la grande maison de vaudeville aux États-Unis. En 1896, le cinéma fut introduit à même les spectacles de vaudeville et ajouta des attractions pour les intermissions et entre différentes productions. Cela permit la production de plus en plus de spectacle jusqu’à l’avènement des films parlants vers 1927. Le programme comprenait typiquement un film de pleine durée avec quelques ajouts d’actes de vaudeville qui prirent une seconde place en importance. La Grande Dépression des années 1930 et la croissance des radios, puis éventuellement des télévisions contribuèrent au déclin rapide et à la disparition du vaudeville suivant la Seconde Guerre mondiale.
Ragtime : (1895-1920 / 1970-2000)
Le ragtime est un style populaire de musique d’origine afro-américaine qui sut s’épanouir au tournant du XIXe siècle. Le ragtime se développa durant la période où l’esclavage étant encore légalement pratiqué. Ce genre nouveau accompagnait les danses sur les plantations tel le « cake-walk ». Les rythmes de banjo furent transférés au piano lorsque ces instruments devinrent disponibles aux musiciens noirs dans les spectacles de minstrel et autres divertissements de ce genre. À ces débuts, le ragtime, composé pour le piano, suivait certaines formes contemporaines de marches et de valses, avec une introduction et d’autres régions plus contrastantes, caractérisées par l’usage de la syncope (le contretemps) sur une base régulière, généralement de mesure 2/4. Ces compositions devinrent largement publiées et excessivement populaires auprès de pianistes blancs amateurs, quoiqu’il est envisagé que les créateurs noirs du ragtime l’auraient interprété avec des interprétations beaucoup plus libre que ce que la partition elle-même suggérait. Malgré le fait que le ragtime se constitue majoritairement de pièces pour piano, il existe des arrangements émis pour de petits orchestres accompagnés de cakewalk en vague dans la dernière décennie du XIXe siècle. Il existe aussi un fort courant de ragtime chanté, saveur qui persista dans les premiers types de groupes de jazz connu sous le nom de dixieland.
Le plus grand compositeur de ragtime de cette époque dite « classique » fut Scott Joplin, qui écrivit des œuvres au charme et ingéniosité considérable et qui tenta de mettre en scène (sans succès lors de sa vie) l’opéra ragtime Treemonisha. Ses rivaux les plus proches furent James Scott ainsi que le compositeur blanc Joseph Lamb, sans compter plusieurs autres qui contribuèrent à de grandes pièces isolément. Les générations qui lui succédèrent migrèrent graduellement vers des rythmes plus libres de jazz. Par les années 1930, ce qui se dénommait ragtime avait perdu une part considérable de sa grâce et de son charme d’origine et ne semblait être plus que strident et comique. Le ragtime connut cependant un intérêt renouvelé d’abord dans le livre de Rudi Blesh (en) et de Harriet Janis intitulé They All Played Ragtime (1950). D’ici aux années 1970, une forte renaissance résulta des performances persuasives et des enregistrements de Joshua Rifkin, de William Bolcom et des autres. Cet élan fut soutenu par la publication de la bibliothèque de New York d’une collection exhaustive du ragtime de Joplin en plus de son Treemonisha, aujourd’hui entendue en performances et en enregistrements. L’usage de la musique de Joplin dans le film L'Arnaque (1973) stimula l’intérêt du public et le ragtime incorpora les partitions de nombreux ballets. Il s’agit aujourd’hui d’une part permanente à la musique populaire classique, de la même manière que ne le sont les valses de Strauss ou les marches de Sousa.
Tin Pan Alley : (1903-1930)
Aujourd'hui un terme caduc à l’industrie de la musique, il s’agissait au tournant du 19e de l’entreprise qu’est l’imprimerie et la promotion de partitions à travers le grand public. La publication de partition s’était épanouie aux États-Unis depuis 1885, mais ne reçut pas cette locution courante avant 1903. Les bureaux d’éditeurs de musique étaient installés dans de vieilles maisons de grès à l’extrémité de la 28e rue à New York où, à même un labyrinthe de petites pièces, des mélodistes et des arrangeurs s’acharnaient sur des pianos droits de piètre qualité. Le bruit fut décrit par le journaliste Monroe Rosenfeld tel le cognement de casseroles d’étain ou « tin pans » et il nomma l’endroit « Tin Pan Alley » que l'on pourrait traduire comme « l’allée des casseroles d’étain ». Tin Pan Alley en tant qu’endroit n’exista que pour une durée de 16 ans. Au courant de 1919, par contre, la majorité des éditeurs avaient déménagé dans les quartiers plus chics au Brill Building sur Broadway et la 49e rue. Cependant, l’expression perdura à même l’industrie de la musique pour de multiples décennies.
Avant 1885, la vente de partition n’était pas facilement mesurée ni surveillée. La première compagnie à maintenir des archives sur le sujet, Firth, Pond and Company (en), fut d’ailleurs celle qui publia les pièces de Stephen Foster. Cependant, l’absence de droits d’auteur impliqua que n’importe qui pouvait publier librement par la suite les pièces de Foster, ainsi nous ne pourrons jamais connaître la véritable étendue de la distribution de son œuvre.
D'ici au milieu du siècle, le piano de salon était devenu le point central de l’industrie de la musique et la vente de partition la mesure la plus répandue du succès d’un compositeur. La vente des « player piano » ou des pianos mécaniques en 1900 et l’introduction des enregistrements, puis de la radio dans les décennies qui suivirent constituèrent tous des techniques efficaces pour mesurer la popularité d’une chanson. Jusqu’en 1930, Tin Pan Alley demeurait la source de musique exclusive du pays et publiait, commandait, achetait, arrangeait et distribuait les pièces aussi rapidement que le demandait le public. Les deux plus grands éditeurs de New York se nommaient Willis Woodard et T.B Harms et furent les premiers à se spécialiser dans la vente de chansons populaires plutôt que religieuses ou classiques. Tin Pan Alley ne connut jamais une absence de nouvelle marchandise et les compositeurs affluaient. D’autres pièces populaires provenant de Broadway et du Vaudeville où un chanteur introduisait un nouveau numéro étaient immédiatement prises en compte par Tin Pan Alley qui en faisait la promotion et la publication. La première chanson de Broadway à devenir un succès de Tin Pan Alley s’intitule « After the Ball (en) » par Charles K. Harris (en) et avait figuré dans la comédie musicale (en) A Trip to Chinatown en 1891. L’industrie fonctionnait également à l’envers. Les éditeurs engageaient les producteurs de Broadway et les étoiles montantes du vaudeville pour interpréter les pièces de la compagnie. La chanson d’Irving Berlin « Alexander’s Ragtime Band» fut introduite par la vedette de variété Emma Carus à Chicago en 1911 et finit par envoûter les États-Unis et l’Europe sans distinction. La même année, la vente de partition aux États-Unis dépassa les deux milliards de copies, un nombre époustouflant lorsque l’on considère que la population du pays à l’époque était de 93 millions. Il va sans dire qu’il s’agissait d’une entreprise lucrative.
Toutefois, le véritable impact de Tin Pan Alley ne peut être mesuré en termes de copies de partitions vendues ni même de l’argent qu’elle généra. Aucune autre industrie ne put rivaliser avec Tin Pan Alley qui avait le doigt sur le pouls du tempérament du grand public, prodiguant des chansons concernant les dernières inventions, les pas de danse, les vogues, les gens dans les nouvelles et même les nouvelles expressions et jargons. En 1892, la bicyclette devint la grande tendance et la chanson Daisy Bell, soit A Bicycle Built for Two fut aux lèvres de chacun. Des chansons telles Just Because She Made Dem Goo-Goo Eyes de Hughie Cannon (en), et Jeepers Creepers créèrent et popularisèrent des expressions de slang tout comme le Charleston et le Black bottom introduisirent de nouvelles danses. Plus encore, Tin Pan Alley sut refléter les sentiments de la population sur des enjeux plus graves. Lorsque la Première Guerre mondiale eut lieu en Europe, les Américains ne voulurent pas y prendre part. Des chansons telles I Didn’t Raise My Boy to Be a Soldier (en) crurent en notoriété. Tin Pan Alley était devenu le miroir du cœur et de l’âme du pays.
Le rock 'n' roll est communément attribué à la mort de la variété de chansons produites par Tin Pan Alley. Toutefois, il est à noter que l’industrie de musique d’antan avait survécu à l’invasion du ragtime, du blues, du jazz, du swing, du country western et d’autres nouveaux mouvements musicaux. Sa chute commença bien avant « Rock Around the Clock ». Par les années 1930, l’emphase de l’entreprise avait commencé à dévier de la chanson à l’artiste, concentrant ses efforts du l’apparence que sur le contenu. Autrefois, Tin Pan Alley avait comme intérêt premier la chanson, où l’artiste n’était qu’un accessoire utile à sa promotion. Lorsque la vedette devint le produit à vendre, les éditeurs de musique en souffrirent. Bientôt, ce furent les compagnies d’enregistrement qui profitèrent de la chanson et la vente de musique se retrouva à même une entreprise différente. Le piano de salon fut remplacé par le phonographe, suivi de la radio et Tin Pan Alley s’étiola avec le temps. La musique continua à être publiée à travers le Brill Building, mais cela ne constituait plus qu’une maigre portion de l’industrie. Il s’agissait maintenait des compagnies d’enregistrement, la télévision et la radio qui contrôlaient ce que l’Amérique était en droit d’écouter. En dépit de sa disparition, Tin Pan Alley aurait laissé un riche héritage derrière lui : des milliers de chaussons préservés à même des partitions et un folklore qui persiste à être chanté aujourd'hui.