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Montjoie (pierre)

On appelait autrefois « montjoie » une pierre dressée, ou un amoncellement de pierres servant à baliser un chemin de transhumance, un itinéraire de croyants (montjoie de pèlerinage sur laquelle les pèlerins déposaient des offrandes et plantaient une croix dès qu'ils apercevaient le terme de leur chemin), à marquer la limite d’un territoire, à commémorer une bataille. Les randonneurs pédestres actuels connaissent la chose sous le nom de cairn.

Les Montjoies au XVIIIe siècle.

D'abord nom propre, il désigne le monticule ayant donné son nom à un lieu-dit bordant l'ancienne route de l'Estrée entre Paris et Saint-Denis dans la plaine du Lendit. Au Xe siècle, les pèlerins et croisés français se servent, par analogie, de ce nom familier pour désigner les hauteurs voisines des lieux saints puis d'autres hauteurs le reçoivent.

Polysémie

Le terme montjoie est polysémique.

  • L'emploi du terme pour dĂ©signer un monticule servant d'observatoire près d'une ville est Ă©galement très ancien. La Montjoie de Saint-Denis Ă©tait un monticule dotĂ©e d'un perron d'oĂą les Ă©vĂŞques de Paris bĂ©nissaient les foires du Lendit.
  • Il peut dĂ©signer aussi un oratoire dĂ©diĂ© Ă  une divinitĂ© protectrice ou objet de la vĂ©nĂ©ration populaire, au croisement des routes, le long des chemins ou au point culminant des hauteurs. Il se compose gĂ©nĂ©ralement d'une pile percĂ©e d'une niche abritant une image pieuse ou une sculpture religieuse, parfois surmontĂ©e d'une croix. La niche peut ĂŞtre creusĂ©e dans les murs, au-dessus d'une porte[1]. Ces montjoies abritent souvent des statues de saints qui font office d'enseignes, lĂ©guant parfois leur nom Ă  la maison qui les abrite[2].
  • Il dĂ©signa Ă©galement les croix Ă©levĂ©es au bord de la route de Paris Ă  Saint-Denis sous le règne de Philippe III (1270 Ă  1285) Ă  proximitĂ© du tertre appelĂ© Montjoie : petits monuments gothiques, ces croix furent Ă©levĂ©es Ă  chacun des endroits oĂą le roi, portant le corps de son père saint Louis, le , arrĂŞta le convoi pour se reposer. Par la suite, tous les cortèges funèbres royaux s’arrĂŞtèrent traditionnellement aux montjoies de Saint-Denis.

Étymologie

Munjoie est attesté comme cri de guerre des Francs dans la chanson de Roland au XIIe siècle. En 1160, Saint-Denis est adjoint à ce mot et Montjoie Saint-Denis devient le cri d'armes de France. Plusieurs étymologies sont avancées.

  • Montjoie pourrait signifier Mons Jovis, « Mont de Jupiter ». Les Gaulois vĂ©nĂ©raient leurs ancĂŞtres et si celui-ci Ă©tait roi ou hĂ©ros, il devenait un demi-dieu et ses descendants lui rendaient un culte. Pour que ses pouvoirs agissent mieux, il Ă©tait utile de possĂ©der sa tombe qui Ă©tait vĂ©nĂ©rĂ©e, et oĂą les Celtes passaient la nuit pour recueillir ses oracles. Ils associèrent l’adoration d’un dieu Ă  la vĂ©nĂ©ration d’un très ancien tumulus, et c’est ce qui dut avoir lieu au Lendit. Cet ancĂŞtre divinisĂ© n'est pas connu mais on peut noter qu'il est possible que ce dieu ait Ă©tĂ© assimilĂ© Ă  Jupiter car le lieu fut appelĂ© Mons Jovis, « mont de Jupiter[3] ».
  • Montjoie pourrait dĂ©river du francique Mundgawi, « protecteur du pays ». Selon l'historienne Anne Lombard-Jourdan, les deux termes germaniques mund et gawi, soit « protection » et « territoire », renverraient Ă  un tertre sacrĂ© oĂą aurait Ă©tĂ© vĂ©nĂ©rĂ© un dieu ou un hĂ©ros, protecteur du pays et de ses habitants, situĂ© entre Saint-Denis et Paris auxquels les Francs Ă  la suite des Gaulois auraient attribuĂ© une puissance sacrĂ©e, celle du « protège-pays[4] ». La figure tutĂ©laire du « protège-pays » aurait Ă©tĂ© invoquĂ©e lors des combats par les Francs et serait devenue le cri de guerre des rois de France. Ă€ l’arrivĂ©e des Francs, l’ancĂŞtre divinisĂ© auquel une crainte respectueuse empĂŞchait de donner un nom, fut dĂ©signĂ© en leur langue par « mundgawi », puis le qualificatif appliquĂ© au hĂ©ros s’étendit au tertre funĂ©raire qui abritait son corps[4].
  • Il pourrait signifier Mons gaudii, « montagne de joie », nom donnĂ© par les pèlerins Ă  la montagne de Rama situĂ©e au nord-ouest de JĂ©rusalem[5] - [6]. Mons Gaudii a dĂ» exister prĂ©alablement dans la littĂ©rature religieuse, avec une valeur symbolique ; les substantifs "mons" et "gaudium" (parfois juxtaposĂ©s), sont utilisĂ©s dans des hyperboles en latin chrĂ©tien pour dĂ©signer le « royaume de Dieu » et la « fĂ©licitĂ© »[7]. Le nom propre s'est appliquĂ© ensuite Ă  diverses Ă©minences d'oĂą l'on pouvait voir les lieux saints, puis Ă  des points de vue quelconques : montjoie comme cri de joie des pèlerins apercevant la Ville Sainte, c'est-Ă -dire JĂ©rusalem, aurait Ă©tĂ© adoptĂ© au Moyen Ă‚ge comme cri de guerre. Cette Ă©tymologie faisant rĂ©fĂ©rence Ă  un lieu-dit oĂą une « grande joie » aurait Ă©tĂ© ressentie rend son usage difficilement comprĂ©hensible dans le contexte guerrier de situations dĂ©sespĂ©rĂ©es.

Les montjoies du Lendit

Les montjoies au XVIIe siècle.

De nombreuses croix ornaient le trajet de Paris à Saint-Denis. Il faut donc distinguer les montjoies des autres croix. Ainsi, la croix de la place Panetière, le Christ situé à l'entrée de la ville de Saint-Denis (orné de dorures, sous un petit dôme recouvert d'ardoises et reposant sur des petits piliers de bois), la croix Penchée[8] qui a donné son nom à une ancienne rue de Saint-Denis[9] et une croix située vers Aubervilliers étaient de simples croix. En revanche, trois montjoies se dressaient entre le couvent Saint-Lazare à Paris et le village de La Chapelle. Cinq autres montjoies se succédaient entre La Chapelle et la basilique de Saint-Denis: La croix Faron[10], Croix Feu Jamin, etc.

Description

Les socles du XIIIe siècle étaient de plan hexagonal et étaient décorés de statues de rois. Entre le pied et la colonne de la croix se trouvait une colonnade à jour dont le haut formait plusieurs arcades en mitres. C'est dans ces niches qu'étaient représentés le roi Philippe III le Hardi et les autres seigneurs qui l'avaient accompagné revêtus de leurs habits de cérémonie. Quatre des fûts de croix étaient ornés d'un "L" couronné, à la suite d'une restauration effectuée au XVIIe siècle.

Destruction des montjoies

Dès 1765, la montjoie du village de La Chapelle fut démantelée. En 1793, les cinq montjoies de la plaine du Lendit et de Saint-Denis furent abattues en septembre et octobre : le motif de leur destruction vient de ce qu'elles étaient ornées de fleurs de lys[11].

Notes et références

  1. Anne Lombard-Jourdan, Jean Rollin, Saint-Denis lieu de mémoire, Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l'Ile-de-France, , p. 58.
  2. Jean-Pierre Leguay, La rue au Moyen Âge, Éditions Ouest-France, , p. 101.
  3. Anne Lombard-Jourdan, Montjoie et Saint-Denis ! Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, Paris, Presses du CNRS, , 392 p. (ISBN 2-87682-029-3), p. 64.
  4. Anne Lombard-Jourdan, "Montjoie et Saint-Denis !", Le centre de la Gaule aux origines de Paris et Saint-Denis, CNRS Ă©ditions, 1989, p. 53 Ă  63.
  5. K. Löffel, Beiträge zur Geschichte von montjoie, 1934, p. 5-10 et 25-28.
  6. Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve-XVIIIe siècles, P.S.R. éditions, 2004.
  7. K. Heisig, Munjoie ds Rom. Jahrb., t. 4, 1951, p. 292-314
  8. Croix Penchée (Saint-Denis)
  9. Croix Penchée
  10. Saint-Denis lieu de mémoire, Anne Lombard-Jourdan, Jean Rollin, 2000.
  11. Le mouvement religieux à Paris pendant la révolution., Jean François Eugène Robinet, 1898.

Bibliographie

  • Anne Lombard-Jourdan, Montjoie et Saint Denis, le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint Denis, Paris, Presses du CNRS, 1989, reliĂ©, 392 p. (ISBN 2-87682-029-3)
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