Matrice aléatoire
En théorie des probabilités et en physique mathématique, une matrice aléatoire est une matrice dont les éléments sont des variables aléatoires. La théorie des matrices aléatoires a pour objectif de comprendre certaines propriétés de ces matrices, comme leur norme d'opérateur, leurs valeurs propres ou leurs valeurs singuliÚres.
Face à la complexité croissante des spectres nucléaires observés expérimentalement dans les années 1950, Wigner a suggéré de remplacer l'opérateur hamiltonien du noyau par une matrice aléatoire.
Cette hypothĂšse fĂ©conde a conduit au dĂ©veloppement rapide d'un nouveau champ de recherche trĂšs actif en physique thĂ©orique, qui s'est propagĂ© Ă la thĂ©orie des nombres en mathĂ©matiques, avec notamment une connexion intĂ©ressante avec la fonction zĂȘta de Riemann (voir par exemple l'article prĂ©publiĂ© en par Michael Griffin, Ken Ono, Larry Rolen et Don Zagier[1] et les commentaires (en anglais) de Robert C. Smith[2] sur son blog).
En plus de ces exemples on compte parmi les applications de la théorie des matrices aléatoires :
- les systÚmes intégrables,
- le chaos quantique,
- la chromodynamique quantique sur réseau,
- la gravité quantique en deux dimensions et plus via la théorie des cordes et la Correspondance AdS/CFT,
- les théories de jauge supersymétriques.
Les matrices alĂ©atoires se retrouvent aussi dans quantitĂ© de situations du quotidien : temps d'attente de la rame du mĂ©tro, tsunamis, cours de bourse, antennes de tĂ©lĂ©phonie mobile, position des arbres dans une forĂȘt sauvage, durĂ©e d'embarquement dans un avion, etc. Elles se sont par ailleurs rĂ©vĂ©lĂ©es fĂ©condes en biologie : forme des protĂ©ines, cristaux, etc[3].
Quelques ensembles de matrices aléatoires
Matrices de Wigner
Une matrice de Wigner est une matrice aléatoire symétrique dont les entrées sont des variables aléatoires centrées indépendantes et identiquement distribuées (iid). Par exemple, si est une famille de variables aléatoires iid suivant une Loi de Rademacher, la matrice symétrique définie par :
est une matrice de Wigner.
Ensembles gaussiens
Ce sont les ensembles introduits par Wigner pour la théorie des spectres nucléaires. On distingue trois ensembles :
- l'ensemble gaussien orthogonal pour les systĂšmes invariants par renversement du temps (GOE) ;
- l'ensemble gaussien unitaire pour les systĂšmes non-invariants par renversement du temps (en anglais, gaussian unitary ensemble ou GUE) ;
- et l'ensemble gaussien symplectique pour les systĂšmes avec spin (en anglais, gaussian symplectic ensemble ou GSE).
Dans le cas de l'ensemble GOE, on considÚre des matrices symétriques réelles dont les éléments de matrices obéissent à la distribution gaussienne :
La distribution est invariante par les transformations orthogonales. De mĂȘme, dans l'ensemble unitaire, on considĂšre des matrices hermitiennes, et la distribution est invariante par les transformations unitaires. Dans l'ensemble GSE, la distribution est invariante sous l'action des transformations symplectiques.
Wigner a déduit la distribution des valeurs propres de ces matrices dans la limite . C'est la loi du demi-cercle.
Il est possible de déduire la loi de distribution jointe des valeurs propres par un changement de base. Le résultat est que :
oĂč les sont les valeurs propres de la matrice, et dans le cas GOE, dans le cas GUE, dans le cas GSE.
à partir de ces distributions, on peut obtenir la loi de distribution des écarts entre valeurs propres. On montre que si est la distance (normalisée par la densité d'états) entre deux valeurs propres, la probabilité que deux valeurs propres soient distantes de tend vers zéro si tend vers zéro. Si les valeurs propres étaient uniformément distribuées, cette probabilité serait donnée par la loi de Poisson et ne tendrait pas vers zéro pour tendant vers zéro. Cette propriété des ensembles gaussiens est appelée répulsion des niveaux.
Ensembles unitaires
Notés COE, CUE, CSE. Cette fois, les matrices sont respectivement orthogonales, unitaires ou symplectiques. Leurs valeurs propres sont des nombres complexes de module 1. Freeman Dyson a montré que l'étude de la distribution de ces valeurs propres se ramenait à l'étude de la mécanique statistique d'un gaz de particules sur un cercle avec une interaction logarithmique avec la distance.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes en français
- Nicolas Orantin, Du développement topologique des modÚles de matrices à la théorie des cordes topologiques : combinatoire de surfaces par la géométrie algébrique (thÚse de doctorat en physique théorique, Université Paris 6), , 179 p. (HAL tel-00173162)
- Bertrand Eynard, « L'universalitĂ© des matrices alĂ©atoires », Pour la science, no 487,â , p. 34-44
Liens externes
- Robert Smith, « Jensen Polynomials, the Riemann-zeta Function, and SYK », (consulté le )
- Alan Edelman et N. Raj Rao; Random Matrix Theory, Acta Numerica 14 : 233-297 (2005)
- Alan Edelman et Moe Win ; Random Matrix Theory and Its Applications, MIT Opencourseware (2004).
- Alan Edelman et Moe Win ; Infinite Random Matrix Theory, MIT Opencourseware (2004).
- B Conrey, P Diaconis, F Mezzadri, P Sarnak et NC Snaith (organisateurs) ; Random Matrix Approaches in Number Theory, colloque de l'Isaac Newton Institute for Mathematical Sciences, Cambridge University (26 Jan - 16 Jul 2004).
- Matthew R. Watkins ; Random matrices and the Riemann zeta function, Exeter University.
- N.C. Snaith, P.J. Forrester, J.J.M. Verbaarschot, Developments in Random Matrix Theory, J. Phys. A, vol 36, 2003, R 1.
- P. J. Forrester Book on random matrices
- M. Debbah "Applications de la théorie des matrices aléatoires aux télécommuncations sans fils"
- Alice Guionnet, Large deviations and stochastic calculus for large random matrices, Probability Surveys 1 : 72-172 (2004)
- Z. D. Bai, Methodologies in spectral analysis of large dimensional random matrices, a review, Statistica Sinica 9 : 611-677 (1999)
- R. Couillet, M. Debbah, "Random Matrix Theory Methods for Wireless Communications", Cambridge University Press, 2011.
Bibliographie
- (en) Michael Griffin, Ken Ono, Larry Rolen et Don Zagier, « Jensen polynomials for the Riemann zeta function and other sequences », .
- Madan Lal Mehta, « On the statistical properties of the level-spacings in nuclear spectra », Nuclear Physics 18 (1960), 395-419
- M. L. Mehta, Random matrices. Cette « bible » a fait l'objet de trois éditions de volumes croissants :
- Random Matrices and the Statistical Theory of Energy Levels, Academic Press (New York - 1967), 259 pp.
- Random Matrices (2e éd. révisée et augmentée), Academic Press (New York, San Diego - 1991), 562 pp.
- Random matrices (3e Ă©d.), Pure and Applied Mathematics Series 142, Elsevier (London - 2004), 688 pp. (ISBN 0-12-088409-7)
- M. L. Mehta, « Random matrices in nuclear physics and number theory », dans J. E. Cohen, H. Kesten et C. M. Newman (eds.), Proceedings of the AMS-IMS-SIAM Joint Summer Conference, Bowdoin College, Brunswick, Maine, USA (June 1984), Contemporary Mathematics 50 (1986), 295-309.
- Ădouard BrĂ©zin, Vladimir Kazakov, Didina Serban, Paul Wiegmann (en) et Anton Zabrodin (eds.), « Applications of Random Matrices in Physics », dans Proceedings of the NATO Advanced Study Institute / Les Houches Summer School, June 6-25 2004, Les Houches (France), NATO Science Series II, vol. 221, Springer-Verlag, (Berlin - 2006). (ISBN 1-4020-4529-8)
- Bertrand Eynard, An introduction to Random Matrices, notes d'un cours donné au Service de Physique Théorique du CEA (Saclay - September 2000). Texte complet disponible ici.
- Pierre Cartier, Bernard Julia, Pierre Moussa et Pierre Vanhove (eds.), Frontiers in Number Theory, Physics & Geometry (I) - On Random Matrices, Zeta Functions & Dynamical Systems, Les Houches Lectures Notes, Springer-Verlag, 2006 (ISBN 3-540-23189-7)
- Philippe Di Francesco, Paul Ginsparg et Jean Zinn-Justin, 2D Gravity and Random Matrices, Phys.Rept. 254 (1995) 1-133, « hep-th/9306153 », texte en accÚs libre, sur arXiv. (Une trÚs bonne introduction au sujet.)
- V. A. Malyshev et A. M. Vershik (eds.), « Asymptotic combinatorics with applications to mathematical physics », dans Proceedings of the NATO Advanced Study Institute, held in St.Petersburg, Russia, 9-22 July 2001, NATO Science Series II Vol. 77, Springer-Verlag (ISBN 1-4020-0792-2)