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Masafer Yatta

Masafer Yatta (Arabe: Ù…ŰłŰ§ÙŰ± ÙŠŰ·Ű§, s'Ă©pelle Ă©galement Mosfaret Yatta) est une zone semi-dĂ©sertique situĂ©e dans le sud-est du district d'HĂ©bron, en Cisjordanie. Elle abrite douze communautĂ©s palestiniennes qui vivent principalement de l'agriculture et de l'Ă©levage. Elle s’étend sur une superficie de 30000 dounams et compte une population de 2 500 habitants rĂ©partis sur douze villages ou hameaux bĂ©douins : Janba, Mafqara, Khallet al-Dabe’, Maghayer al-Ubaid, Asafat al-Fawqa, Asafat al-Tahta, Majaz, Tabban, Tuba, Fakheet, Halawa et Markaz[1].

Les habitants de Masafer Yatta vivent depuis des dĂ©cennies dans la crainte constante de perdre leurs maisons. Ils ont fait l'objet d'innombrables ordres de dĂ©molition et dĂ©placements. En mai 2022, la Haute Cour de justice israĂ©lienne a statuĂ© que huit communautĂ©s pouvaient ĂȘtre expulsĂ©es de Masafer Yatta, dĂ©clarĂ©e "zone de tir 918" en 1981[2].

Masafer Yatta

Situation

Masafar Yatta est situĂ©e dans les limites du village de Yatta Ă  24 km au sud de la ville d'HĂ©bron, dans la partie sud de la Cisjordanie. La rĂ©gion est bordĂ©e par la ligne d'armistice de 1948, la ligne verte, Ă  l'est et au sud; par Yatta et As Samu' (sĂ©parĂ©s par la route de contournement no 60) Ă  l'ouest et par les BĂ©douins de Yatta au nord[3].

Masafar Yatta est gouverné par un comité, composé de sept membres, nommé par le ministÚre palestinien des autorités locales.

Histoire

Selon des donnĂ©es recueillies dans diffĂ©rentes localitĂ©s, l'histoire de la rĂ©gion remonte Ă  la pĂ©riode cananĂ©enne, comme en tĂ©moignent Ă©galement de nombreux vestiges archĂ©ologiques. Le nom de Mosfaret, ou Masafar, dĂ©riverait du mot voyage en arabe (ŰłÙŰ±), compte tenu de son Ă©loignement de Yatta et de la nĂ©cessitĂ© de parcourir une longue distance pour l'atteindre. Une autre hypothĂšse est que Masafar vient de rien ou zĂ©ro en arabe (Ű”ÙŰ±), de par l'absence d'activitĂ©s dans la rĂ©gion[3].

C'est au début du XIXe siÚcle que des bédouins palestiniens se sont installés dans la région, sur des terres utilisées depuis longtemps comme pùturages par les habitants de Yatta. Poussées par le climat favorable de la région et l'attrait de terres moins chÚres, les familles les plus pauvres de Yatta s'y sont établies, subsistant grùce à l'agriculture, à l'élevage et aux produits laitiers. Au début, la grande majorité d'entre elles vivaient dans la région de façon saisonniÚre puis, au fil du temps, elles se sont sédentarisées[4] - [5].

Occupation israélienne

Depuis la guerre des Six Jours en 1967, Masafer Yatta est sous occupation israélienne.

Le groupe de hameaux fait partie de la zone C, division administrative de la Cisjordanie, définie par les accords d'Oslo II. La zone C représente aujourd'hui à peu prÚs 60% du territoire, et abrite environ 6% de la population. Elle se trouve entiÚrement sous contrÎle israélien, tant au plan civil que militaire[6] - [7].

Dans les annĂ©es 1980, les autoritĂ©s israĂ©liennes ont dĂ©signĂ© une partie de Masafer Yatta, comme " zone de tir 918 ", une zone militaire fermĂ©e. Depuis cette dĂ©claration, les habitants sont victimes d'expulsions forcĂ©es, de dĂ©molitions de leurs habitations, de dĂ©pendances et mĂȘme d’étables[8]. Deux villages, Khirbet Sarura et Kharoubeh n'existent plus, Ă  la suite de la destruction totale des maisons[9].

Environ 18% de la Zone C a Ă©tĂ© reconverti depuis les annĂ©es 1970 en des « zones de tir » pour l’usage des IDF. Sur ces 18 %, seuls 20 % sont en rĂ©alitĂ© utilisĂ©s pour des exercices militaires[5]. Selon les procĂšs-verbaux d’une rĂ©union ministĂ©rielle de 1981, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, qui est devenu plus tard Premier ministre, a proposĂ© de crĂ©er la "zone de tir 918" avec l’intention explicite de forcer les Palestiniens locaux Ă  quitter leurs maisons[10] - [11] - [12].

En 1999, l’armĂ©e israĂ©lienne procĂšde Ă  l’expulsion de 700 Palestiniens de la rĂ©gion prĂ©textant qu’ils " vivent illĂ©galement dans une zone de tir ". Un recours est alors introduit par les habitants avec l’aide de l’Association for Civil Rights in Israel (ACRI), et la Cour SuprĂȘme Ă©met alors un ordre provisoire permettant aux rĂ©sidents palestiniens de retourner dans leurs villages[13].

Ruines de la mosquée Khirbet Mufaqarah, démolie au motif qu'elle n'avait pas reçu de permis de construire

Bien qu'il n'y ait pas eu d'expulsions directes depuis 1999, les habitants de Masafer Yatta ont subi des pressions incessantes pour quitter la zone de leur propre chef. Depuis 2006, l'organisation de défense des droits humains B'Tselem a documenté la démolition de plus de 64 maisons et de 19 structures non résidentielles[9] - [12].

Le 4 mai 2022, la Cour suprĂȘme israĂ©lienne a approuvĂ© l’ordre d’éviction de huit villages palestiniens dans la rĂ©gion de Masafer Yatta. Quelque 1200 femmes, hommes, enfants palestiniens courent dĂ©sormais le risque d’une expulsion imminente et d’une destruction de leurs maisons[13] - [2]. Depuis cet arrĂȘt, les autoritĂ©s israĂ©liennes ont dĂ©moli des dizaines de maisons familiales et d’abris pour animaux, Ă©mis plus de 30 ordres de dĂ©molition supplĂ©mentaires et un ordre de saisie pour permettre la construction d’une route de patrouille, rĂ©activĂ© l’entraĂźnement militaire dans la zone pour la premiĂšre fois depuis des annĂ©es et entravĂ© l’acheminement de l’aide humanitaire aux familles dans le besoin[14].

L’Union europĂ©enne a condamnĂ© cette dĂ©cision: « L’expansion des colonies, les dĂ©molitions et les expulsions sont illĂ©gales au regard du droit international. L’UE condamne ces projets Ă©ventuels et demande instamment Ă  IsraĂ«l de mettre fin aux dĂ©molitions et aux expulsions, conformĂ©ment aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme. L’établissement d’une zone de tir ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une « raison militaire impĂ©rative » pour transfĂ©rer la population sous occupation »[15].

Depuis la dĂ©cision du tribunal du 4 mai 2022, les autoritĂ©s israĂ©liennes ont intensifiĂ© drastiquement l’environnement coercitif pour les Palestiniens de Masafer Yatta.

Colons israéliens

Attaque de colons contre Al-Mufakara / octobre 2021

Les habitants de Masafer Yatta sont depuis longtemps victimes de la violence des colons, Ă©tablis dans des avant-postes de colonies illĂ©gales. Certains d'entre eux, tel que Mitzpe Yair, Avigayil et Havat Ma'on sont en fait situĂ©es Ă  l'intĂ©rieur de la "zone de tir 918" [12]. Aucun des colons israĂ©liens installĂ©s dans la « zone 918 » n’a Ă©tĂ© intimĂ© de la quitter depuis son Ă©tablissement. En mai, l’éditorial du quotidien israĂ©lien Haaretz affirmait "Compte tenu de l’expulsion sĂ©lective fondĂ©e sur la nationalitĂ©, il ne sera plus possible de rĂ©futer l’argument selon lequel un rĂ©gime d’apartheid a remplacĂ© l’occupation militaire dans les territoires. L’occupation est par dĂ©finition temporaire ; l’apartheid est susceptible de perdurer Ă  jamais. La Cour SuprĂȘme l’a approuvĂ©". [16]

Les attaques des colons des avant-postes, constituĂ©s des mobile homes qui servent Ă  occuper les lieux avant l’autorisation formelle de crĂ©ation d’une colonie, vont en s’intensifiant[8]. En parallĂšle aux incidents rĂ©currents, aux attaques et actes de vandalisme qui se produisent lorsque les colons descendent sur les villages palestiniens depuis leurs avant-postes, l’annĂ©e 2021 a Ă©tĂ© marquĂ©e par des actions particuliĂšrement violente: l’équivalent d’une annĂ©e entiĂšre de fourrage pour nourrir les moutons appartenant Ă  une famille brĂ»lĂ©e; attaque par des dizaines de colons masquĂ©s d'un berger et de ses moutons, en Ă©gorgent trois, avant de dĂ©ferler sur un village armĂ©s de fusils, de matraques et de pierres[8]. L'armĂ©e israĂ©lienne prĂ©sente n'est pas intervenue et d'aucuns pensent qu'elle encourage cette violence, tout en rĂ©primant les dĂ©fenseurs des droits humains dans la rĂ©gion. À titre illustratif en mai 2022 le journaliste indĂ©pendant Basil al-Adraa a Ă©tĂ© attaquĂ© par des soldats alors qu'il couvrait l'exĂ©cution d'un ordre de dĂ©molition forcĂ©e[17].

Cadre légal

Les habitants de Masafer Yatta sont parmi les plus vulnĂ©rables du territoire palestinien occupĂ© (TPO) et dĂ©pendent de l’aide humanitaire[2] - [18], en raison d’un rĂ©gime d’urbanisme restrictif et discriminatoire. Les autoritĂ©s israĂ©liennes ont Ă©mis des ordres de dĂ©molition ou d’arrĂȘt des travaux contre la plupart des maisons, des abris pour animaux, des citernes et des infrastructures communautaires, au motif qu’ils ont Ă©tĂ© construits sans permis de construire, qu’il est presque impossible d’obtenir.

Les autoritĂ©s israĂ©liennes entravent les efforts des organisations humanitaires, en Ă©mettant des ordres de dĂ©molition ou d’arrĂȘt des travaux, en confisquant des vĂ©hicules et des Ă©quipements, et en limitant l’accĂšs physique aux terres. Les quatre Ă©coles de la zone, crĂ©Ă©es avec le soutien de donateurs internationaux, font l’objet d’ordres de dĂ©molition, tout comme les quatre cliniques desservies par des Ă©quipes sanitaires mobiles[18] - [19].

Le transfert forcĂ© de civils Ă  partir ou Ă  l’intĂ©rieur du territoire palestinien occupĂ© est absolument interdit par le droit international humanitaire. Les expulsions rĂ©sultant de dĂ©molitions constituent une violation des droits de l’Homme, notamment du droit Ă  un logement adĂ©quat, Ă  l’eau, Ă  l’assainissement, Ă  la santĂ©, Ă  l’éducation et Ă  la vie privĂ©e[4] - [9] - [15]. En ce qui concerne le transfert forcĂ©, le terme "forcĂ©" ne se limite pas Ă  la force physique, mais peut inclure la menace de la force ou la coercition, telle que celle causĂ©e par la crainte de la violence, la contrainte, la dĂ©tention, l’oppression psychologique ou l’abus de pouvoir.

L’article 49 de la QuatriĂšme Convention de GenĂšve[20] permet l’évacuation temporaire de personnes protĂ©gĂ©es pour leur propre sĂ©curitĂ© ou pour une raison militaire impĂ©rative. Cependant, les zones de tir israĂ©liennes servent principalement Ă  l’entraĂźnement militaire et, en l’absence d’hostilitĂ©s actives en Cisjordanie occupĂ©e, cela n’atteint pas le seuil des raisons militaires impĂ©rieuses ou de la nĂ©cessitĂ© absolue pour les opĂ©rations militaires pouvant justifier toute Ă©vacuation de la population ou saisie ou destruction de biens privĂ©s. En tout Ă©tat de cause, toute Ă©vacuation autorisĂ©e ne peut ĂȘtre que temporaire : Selon l’article 49, les personnes Ă©vacuĂ©es "seront transfĂ©rĂ©es dans leurs foyers dĂšs que les hostilitĂ©s auront cessĂ© dans la zone en question." Le transfert forcĂ© est Ă©galement interdit de la mĂȘme maniĂšre par le droit international coutumier[18] - [19].

Perspectives

L’arrĂȘt de la Haute Cour du 4 mai concernant Masafer Yatta semble s’inscrire dans une politique plus large d’IsraĂ«l sur le territoire qu’il occupe, consistant Ă  utiliser des zones militaires fermĂ©es, qui entraĂźnent la confiscation et la dĂ©molition de terres et de maisons palestiniennes, dans certains cas pour permettre l’établissement et l’expansion de colonies. Des cas documentĂ©s de transferts de terres des zones de tir vers les colonies exacerbent ces prĂ©occupations[21] - [22]. La violence des colons des avant-postes, exacerbĂ©e elle aussi depuis cette dĂ©cision, semble participer pleinement Ă  cette politique.

Des collectifs de militants juifs anti-occupation, des groupes israĂ©liens et internationaux sont mobilisĂ©s pour tenter d'empĂȘcher les expulsions, de sensibiliser la communautĂ© internationale sur ce qui se joue Ă  Masafer Yatta[23] - [24].

Références

  1. « Masafer Yatta : l’ancien village palestinien luttant pour sa survie face aux projets israĂ©liens », sur Middle East Eye Ă©dition française (consultĂ© le )
  2. ICRC, « La peur du dĂ©placement plane sur Masafer Yatta », PĂ©riodique,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  3. (en) The Applied Research Institute – Jerusalem ARIJ, « At Tuwani &Mosfaret Yatta Profile », Factsheet,‎
  4. (en) Breaking the Silence, « The 12 Villages of Masafer Yatta (Firing Zone 918) in the South Hebron Hills », Info-sheet,‎
  5. « Bédouins palestiniens et soldats israéliens se disputent un bout de désert », sur L'Orient-Le Jour, (consulté le )
  6. « Israël/Palestine : la guerre sémantique de la « Zone C » », sur L'Orient-Le Jour, (consulté le )
  7. Par Aaron Boxerman, « Zone C : 33 structures palestiniennes autorisées et plus de 1 100 rasées depuis 2017 », sur fr.timesofisrael.com (consulté le )
  8. « Face à Israël l'opiniùtre résistance des Bédouins de Masafer Yatta » (consulté le )
  9. (en) B'TSELEM, « Masafer Yatta communities Israel is trying to drive out »
  10. AURDIP, « Dans la zone de tir : aprÚs la décision de la Cour, les expulsions commencent dans les villages de Cisjordanie », sur AURDIP, (consulté le )
  11. Le Point magazine, « Bédouins palestiniens et soldats israéliens se disputent un bout de désert », sur Le Point, (consulté le )
  12. (en-US) +972 Magazine March 14 et 2022 | Edit, « Explainer: The threat of mass expulsion in Masafer Yatta », sur +972 Magazine, (consulté le )
  13. « La Cour suprĂȘme israĂ©lienne autorise le transfert forcĂ© des Palestiniens de Masafer Yatta », sur CNCD-11.11.11 (consultĂ© le )
  14. « Des diplomates de l'ONU et de l'UE visitent Masafer Yatta et dénoncent les expulsions et le déplacement forcé des Palestiniens », sur Association France Palestine Solidarité (consulté le )
  15. « Israel/Palestine: Statement by the Spokesperson on evictions in Masafer Yatta | EEAS Website », sur www.eeas.europa.eu (consulté le )
  16. (en) « Israel's High Court of Justice, the Occupation's Rubber Stamp », Haaretz,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  17. « ArrĂȘt des expulsions de familles palestiniennes de Masafer Yatta – CIDSE », sur www.cidse.org (consultĂ© le )
  18. « Nouvelle fiche d'information des Nations Unies : "les communautĂ©s de Masafer Yatta risquent d'ĂȘtre transfĂ©rĂ©es de force" », sur Association France Palestine SolidaritĂ© (consultĂ© le )
  19. (en) « United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs - occupied Palestinian territory | Fact sheet: Masafer Yatta communities at risk of forcible transfer | June 2022 », sur United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs - occupied Palestinian territory (consulté le )
  20. « TraitĂ©s, États parties et Commentaires - Convention de GenĂšve (IV) sur les personnes civiles, 1949 - 49 - DĂ©portations, transferts, Ă©vacuations », sur ihl-databases.icrc.org (consultĂ© le )
  21. (en-US) « CoupĂ©es du monde et oubliĂ©es : les "zones de tir" d’IsraĂ«l en Cisjordanie », sur Chronique de Palestine, (consultĂ© le )
  22. « La justice israélienne donne le feu vert pour l'expulsion d'environ 1000 Palestiniens », sur RFI, (consulté le )
  23. (en) BCohen, « Masafer Yatta: The 22-year legal battle over West Bank village evictions, explained », sur The Forward, (consulté le )
  24. (en-US) « Save Masafer Yatta », sur Save Masafer Yatta (consulté le )
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