Manman Dilo
Manman Dlo (en français la MĂšre des eaux) est une crĂ©atures lĂ©gendaires crĂ©oles qui appartient aux folklore guyanais. Il sâagit de lâĂ©quivalent en Guyane de la sirĂšne.
Ătymologie
Manman Dilo en crĂ©ole guyanais, qui signifie MĂšre des Eaux (ou bien mĂȘme Reine des Eaux selon certaines rĂšgles de traduction du crĂ©ole) en français viendrait de la lĂ©gende africaine de Mami Wata.
Description
Transmise au fil des siÚcles par des comptes et récits, la figure mystique de Manman Dilo, dite "MÚre des Eaux", incarne l'une des légendes urbaines des plus connues en Guyane.
LĂ©jand Lagwiyann
"Selon la lĂ©gende, Manman Dilo laisserait son peigne sur le rocher Arrouague au bord de la riviĂšre Iracoubo. Seule la personne qui trouverait le peigne peut la voir et tomberait follement amoureux dâelle. Il est mĂȘme dit que lâon peut la voir dans nos rĂȘves et quâelle promettrait rĂ©ussite, chance et fortune. Manman Dilo est la seule Ă choisir Ă qui le peigne est destinĂ©, en Ă©change, elle exigerait des rendez-vous amoureux Ă la lueur de certaines lunes. Faute de quoi, elle vous enlĂšverait, et vous entraĂźnerait dans les profondeurs de la riviĂšre."[1]
Cette divinitĂ© des eaux, semblable au Maskilili une divinitĂ© de la forĂȘt, a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme l'un des gardiens mystiques qui seraient intervenue dans certains Ă©pisodes tragiques des tentatives de colonisation, entre autres pour la commune de Mana[2]. Manman Dilo vivrait dans une grotte proche du village qu'elle peuple des personnes arrachĂ©es Ă la surface. [...] La sirĂšne demeure ce "monstre" des eaux, sĂ©duisant et aussi redoutable que les Harpies[3].
"Les deux histoires qui vous sont racontĂ©es, mâont Ă©tĂ© relatĂ©es par des anciens de Roura. Selon eux Manman Dilo nâest point une lĂ©gende, elle existe vraiment et ils lâont vu. Leurs tĂ©moignages, leurs rĂ©cits, indiquent un contexte autre que celui dâaujourdâhui. A cette Ă©poque il y avait un banc de sable pas loin du lieu dit en bas DĂ©grad Ă Roura, ainsi quâun autre banc de sable ; prĂšs de lâembouchure du Mahury, plus exactement en dessous du pont actuel qui relie le Bourg de Roura Ă Matoury. Les eaux nâĂ©taient point polluĂ©es comme aujourdâhui et lâhabitat de Manman Dilo nâĂ©tait pas envahie par les dĂ©chets rejetĂ©s par les humains ou les innombrables bruits de moteurs. Lâhomme vivait Ă lâĂ©poque en harmonie avec la nature."[4]
La rencontre entre Jean et Manman Dilo
Un soir de clair de lune Jean dĂ©cida dâaller prendre un bain nocturne en bas DĂ©grad avec son ami Joseph. La lune brillait dâun tel Ă©clat que les deux jeunes gens se dirent quâils ne pouvaient pas rater ça dâautant plus que la marĂ©e Ă©tait montante. Ils nâavaient cure des recommandations faites par leurs mĂšres respectives. Lâhistoire de Manman Dilo Ă©tait une invention des anciens pour les empĂȘcher dâaller prendre un bain de minuit.
Ils se donnĂšrent donc rendez-vous au pied de lâĂ©glise de Roura. Jean et Joseph, heureux de se rencontrer, riaient Ă gorge dĂ©ployĂ©e trop contents dâavoir rĂ©ussi Ă Ă©chapper Ă la vigilance des parents. Ils dĂ©valĂšrent la pente, mais au fur et Ă mesure quâils se rapprochaient de la riviĂšre, ils aperçurent au loin la silhouette dâune belle femme amĂ©rindienne assise sur le banc de sable. Seuls, son doux visage et son torse Ă©taient visibles. Elle avait une longue chevelure qui lui arrivait aux fesses. On ne voyait pas ses jambes, câĂ©tait comme si elles Ă©taient cachĂ©es par quelque chose. Joseph eut un mouvement de recul, cette femme lâintriguait.
Il voulut renoncer au fameux bain de minuit et rebrousser chemin, mais Jean le persuada du contraire. ĂgĂ© dâune quinzaine dâannĂ©es, Jean avait dĂ©jĂ la rĂ©putation dâun coureur de jupons et il sâen vantait allĂšgrement.
Cette jeune femme qui paraissait avoir une vingtaine dâannĂ©es, lâattirait. Il souhait se rapprocher dâelle. MalgrĂ© les supplications de Joseph, Jean avança lentement jusquâau " chenal " connu pour sa profondeur. Puis, il disparut brusquement et Joseph vit la jeune femme plonger dans lâeau. Elle avait une longue queue de poisson, câĂ©tait Manman Dilo. EffrayĂ©, il sâenfuit pour aller chercher du secours.
La suite, c'est Jean lui-mĂȘme qui la raconta. Tandis qu'il s'enfonçait dans l'eau alors qu'il savait nager, il sentit qu'une personne l'attirait vers elle et l'entraĂźnait dans une grotte apparemment situĂ©e sous l'Ă©glise. C'Ă©tait la demeure de Manman Dilo, elle semblait briller de mille feux. Contrairement aux dires des autres, c'Ă©tait une femme avenante, gentille qui Ă©tait en face de lui. Elle le fascinait par sa beautĂ©. Il ne se souvenait guĂšre des propos tenus, la seule chose qu'il retenait, c'est qu'elle lui avait demandĂ© de choisir entre de la viande et du poisson et, qu'il lui avait rĂ©torquĂ© qu'il prĂ©fĂ©rait le poulet fricassĂ© de sa maman au poisson. Elle lui avait souri. Ensuite, elle lui proposa de le ramener en bas DĂ©grad. C'est sur le chemin du retour qu'il eut conïŹrmation que la grotte se trouvait sous l'Ă©glise.
PrĂšs du dĂ©barcadĂšre, elle l'abandonna et le laissa rejoindre la rive Ă la nage. Il aperçut Joseph, sa mĂšre Ă©plorĂ©e ainsi que plusieurs personnes qui s'apprĂȘtaient Ă effectuer des recherches et Ă retrouver son corps. Depuis, ce jour Jean disait Ă qui voulait bien l'Ă©couter " mo wĂš Manman Dilo kĂ© mo dĂ© wĂšy, a pa roune lĂ©jand a vrĂš
Un soir, tandis que ThĂ©ophilia dormait dâun sommeil profond, elle ïŹt un rĂȘve Ă©trange une belle femme amĂ©rindienne lui offrait un peigne ornĂ© de belles pierres et qui semblait briller de mille feux. Elle lui dit « a pou to, mĂš panga si to bay rot moune mo peigne » « LĂŽ to kĂ© mouri mo kĂ© vini prenâl ». Dans un premier temps , Ă son rĂ©veil ThĂ©ophilia ne put sâempĂȘcher de penser quâil ne sâagissait que dâun simple rĂȘve, cela ne pouvait ĂȘtre rĂ©el. Elle sâempressa de lâoublier durant la journĂ©e. Cependant, le lendemain soir elle ïŹt encore le mĂȘme rĂȘve. En plus, Manman Dilo se prĂ©senta. Elle lui dit quâelle lâobservait depuis un certain temps. Elle savait quâelle Ă©tait pauvre, et combien sa famille luttait pour survivre. Elle connaissait aussi son bon cĆur, câĂ©tait pour cette raison quâelle lâavait choisie. Ce peigne lui porterait chance. Cependant, il disparaitra le jour de sa mort. Elle devait se rendre au lever du jour Ă lâendroit oĂč elle lavait habituellement son linge et faisait sa vaisselle. Le peigne Ă©tait cachĂ© sous une pierre.
Cette fois-ci, elle comprit quâil ne sâagissait pas dâun simple rĂȘve, câĂ©tait une vĂ©ritable invitation. Elle sâempressa de partager son rĂȘve mystĂ©rieux avec sa maman qui lui interdit dâen parler Ă dâautres personnes sous peine de reprĂ©sailles de la part de Manman Dilo. Si elle avait Ă©tĂ© choisie, câest quâil y avait une raison, « Manman Dilo pa sa roune mentĂŽ, anga to pa fĂš sa i doumandĂ© to mo piti ».
Sa mĂšre dĂ©cida de lâaccompagner le surlendemain en prenant bien soin de se cacher, aïŹn que Manman Dilo ne puisse la voir. Elle voulait surtout veiller sur sa ïŹlle, tout en ayant enïŹn la chance de voir ce personnage lĂ©gendaire Ă©voquĂ© au cours des veillĂ©es et qui inspirait la crainte.
Quand ThĂ©ophilia arriva au lieu dit, le soleil venait Ă peine de se lever. ConïŹante et sachant que sa mĂšre n'Ă©tait pas trop loin, elle observa autour d'elle, point de Manman Dilo. Elle s'approcha lentement de la pierre, se baissa et la souleva. Elle dĂ©couvrit un peigne qui brillait de mille feux . Elle s'empressa de le prendre. Au moment oĂč elle s'apprĂȘtait Ă quitter les lieux, elle entendit un bruit et se retourna. Elle vit une belle femme qui la regardait ïŹxement.
C'Ă©tait une amĂ©rindienne. Elle lui ïŹt signe comme pour la remercier. Manman Dilo plongea. ThĂ©ophilia vit sa longue queue de poisson. Sa maman eut aussi le temps de la voir. Le retour Ă la maison fut silencieux, ni l'une, ni l'autre n'osaient parler de ce qu'elles venaient de vivre. Depuis, ThĂ©ophilia se coiffait chaque jour avec son peigne qui ne la quittait plus. Elle reconnaissait que c'Ă©tait son porte-bonheur. Ses petits-enfants racontent qu'Ă la mort de ThĂ©ophilia le peigne disparut. Ils ne le retrouvĂšrent point malgrĂ© leurs diffĂ©rentes tentatives de recherche[5].
Représentation
La mÚre des eaux est représentée comme mi-femme, mi-poisson et vivrait dans les eaux. Elle fait partie du patrimoine immatériel local guyanais et est évoquée par de nombreux témoignages.
Elle constitue à ce jour une passerelle entre croyance ancestrale et rapport aux éléments naturels, incarnant la puissance féminine au-delà de la figure maternelle et protectrice que certains lui confÚre, et l'esprit de l'eau. C'est un personnage craint et admiré à la fois.
La transmission au fil des siÚcles de récits et contes autour de cette figure mystique témoigne d'une résistance des croyances ancestrales face au colonialisme[6].
Origines
Le personnage de Manman Dilo serait d'un héritage culturel qui s'expliquerait par la période coloniale et la présence d'afro descendants sur ces terres.
En effet, cette figure populaire se retrouve dans les récits des différentes communautés résidentes de Guyane, dont ceux amérindiens, créoles et bushinengues, sous le nom de "Hune Ghanarg", "Touna Agueleu" ou encore "Mãe-D'agua".
PartagĂ©es par plusieurs peuples issus de la diaspora Africaine et de nombreux pays de l'Afrique de l'ouest, les origines de Manman Dilo ne sont pas clairement identifiĂ©es. Il descendrait peut-ĂȘtre de la lĂ©gende ouest-africaine Mami Wata. Mais font parties du Tchenbwa, ou CandomblĂ©, qui est un ensemble de croyances et pratiques magico-religieuses prĂ©sente sur de nombreux territoires. Comme, au BrĂ©sil oĂč Manman Dilo existe sous le nom de Iemanja ou Lemanja, ou Manman Dlo en Martinique et Guadeloupe, Erzulie ou SirĂšn en HaĂŻti, Madre de Agua ou Yemaya dans le Palo cubain, etc.
"Mais, il s'agirait Ă l'origine d'une divinitĂ© Ă©wĂ© (actuel Togo), incorporĂ©e dans le vodou bĂ©ninois lors de l'expansion du royaume du DanhomĂš au xviiie siĂšcle. Cette divinitĂ© se serait ensuite propagĂ©e Ă la fois vers l'Afrique centrale, et vers le Nouveau Monde. [...] Manman-dlo peut Ă©galement ĂȘtre assimilĂ©e Ă l'ĂČrĂŹáčŁĂ Yemá»ja, vĂ©nĂ©rĂ©e par les Yorubas (actuel Nigeria)".
Ćuvres
"Manman Dilo" est une exposition crĂ©Ă©e par les artistes T2i et NouN, oĂč diffĂ©rents mĂ©diums artistiques se croisent et s'expriment autour de ce mystĂ©rieux personnage. Ici, les artistes crĂ©ent un imaginaire collectif avec des codes, des symboles, le tout Ă partir d'Ă©lĂ©ments esthĂ©tiques visuels et sonores inspirĂ©s de ce personnage mystique.
La premiÚre exposition voit le jour en Guyane, le 4 nov. au 2 déc. 2022 au Fort Diamant de Rémire-Montjoly (Guyane). Une prochaine exposition est à venir en 2023.
Depuis 2019, T2i et NouN ont fait Ă©merger la volontĂ© de travailler sur ce personnage mystique qui a voyagĂ© entre l'Afrique, l'AmĂ©rique du Sud, les CaraĂŻbes et l'AmĂ©rique du Nord. En 2016, le rappeur rouranais sortait un titre intitulĂ© "MĂšre des Eaux" oĂč ce dernier s'amusait Ă imaginer sa rencontre avec la mystĂ©rieuse crĂ©ature, le tout Ă coup de rythmes et poĂ©sies (rap). En 2022, c'est avec un projet d'une toute autre envergure que le rappeur fruitĂ© continuera Ă s'exprimer sur cette lĂ©gende locale en binĂŽme avec l'artiste parisienne NouN. AprĂšs une premiĂšre collaboration en 2019 pour l'exposition solo "Dans Les Yeux" de cette derniĂšre, le binĂŽme guyano-parisien continue Ă forger son univers commun avec des projets toujours plus ambitieux.
C'est en novembre 2022, qu'est sorti le titre "Manman Dilo" sur les plateforme de streaming.
Notes et références
Notes
Article Ă©crit Ă partir du travail des artistes T2i et NouN.
Références
- Anjie Say, « Manman Dilo vous charmera », sur fierdetreguyanais.com, (consulté le )
- Communication Guyane la 1Úre, « WEY AMAZONE: Les récits de La Mana: entre mythes et légendes », sur la1ere.francetvinfo.fr, (consulté le )
- Thomas FETROT, « L'envoĂ»tante manman dilo », France-Guyane,â (lire en ligne )
- Annie-Claude CLOVIS - Intervenante patrimoine culturel immatériel de Guyane Auteure
- TĂ©moignage recueilli par Annie-Claude CLOVIS et mis au jour par les artistes T2I et NouN
- T2i et NouN, « Exposition Manman Dilo », sur https://www.manmandilo.fr/, (consulté le )