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Manifeste de Ventotene

Le Manifeste de Ventotene, Ă©crit en juin 1941 et ayant pour titre complet « Pour une Europe libre et unie. Projet de manifeste Â», est un texte prĂ©curseur de l'idĂ©e de fĂ©dĂ©ralisme europĂ©en. Ses rĂ©dacteurs sont en ordre d’importance Altiero Spinelli, Ernesto Rossi (Ă  qui l’on doit la première partie du troisième chapitre), et Eugenio Colorni (qui rĂ©digea la prĂ©face et Ă©dita le manifeste de façon anonyme).

Altiero Spinelli

Rédacteurs et rédaction

Journaliste, militant communiste et anti-fasciste avant de devenir homme politique, Altiero Spinelli fut condamnĂ© en 1927 Ă  16 ans de prison pour ses Ă©crits contestant l’arrivĂ©e au pouvoir de Benito Mussolini. L’intĂ©rĂŞt de son caractère dans la rĂ©daction de ce manifeste se comprend Ă  travers cette citation de Mario Albertini : « Spinelli, pratiquement seul, indiqua la voie europĂ©enne et choisit comme objectif prioritaire la construction de l’Europe, Ă  poursuivre non pas Ă  travers les procĂ©dĂ©s de la politique Ă©trangère mais Ă  travers une lutte dĂ©mocratique de caractère supranational et constitutionnel Â»[1].

D’Ernesto Rossi, il faut retenir le considĂ©rable travail de propagande anti-fasciste, fondant des groupes d’opposition (Le « Cercle de Culture Â», « Giustizia e LibertĂ  Â» : mouvement rĂ©publicain anti-fasciste), publiant des journaux clandestins (« Non Mollare Â» (Ne pas cĂ©der) : premier journal d’opposition clandestin anti-fasciste), et participant Ă  des organisations secrètes (« Italia Libera Â»).

C’est en rĂ©sidence surveillĂ©e, alors que ces trois militants italiens sont dĂ©portĂ©s sur l’île de Ventotene, que fut rĂ©digĂ© ce manifeste. Il s’agit donc d’un contexte d’enfermement : Ă©crit sur du papier Ă  cigarettes, cachĂ© dans une boĂ®te en fer derrière un faux fond, et surtout coupĂ© du monde. « L’éloignement de la vie politique concrète permettait de la regarder avec plus de dĂ©tachement et conseillait de revoir les positions traditionnelles » Ă©crit Eugenio Colorni dans la prĂ©face du manifeste. Une fois achevĂ©, ce texte, diffusĂ© sur le continent par Ursula Hirschmann, circula longtemps secrètement au sein de la RĂ©sistance italienne avant de devenir une rĂ©fĂ©rence.

Un manifeste à visée fédératrice

Le Manifeste se compose de trois chapitres.

Dans « La crise de la civilisation moderne Â», partant du constat que la civilisation moderne se caractĂ©rise par l’affirmation du « droit Ă©gal de toutes les nations Ă  se constituer en États indĂ©pendants Â», les auteurs imputent Ă  cette idĂ©ologie de l’indĂ©pendance nationale la naissance de l’impĂ©rialisme capitaliste et par consĂ©quent, tant les États totalitaires que les guerres mondiales.

Les rĂ©dacteurs se sont ensuite focalisĂ©s sur le projet d’union europĂ©enne en tant que tel. MalgrĂ© la fin des États totalitaires, l’absence de consensus populaire empĂŞche les dĂ©mocrates de consolider le rĂ©gime. Le manifeste prĂ©conise alors plus d’audace ; la population immature et grisĂ©e par sa libertĂ© nouvelle ne peut ĂŞtre dirigĂ©e que par des « chefs qui guident et savent oĂą ils vont Â» Ă  travers une « vĂ©ritable rĂ©volution politique et sociale Â». Cette rĂ©volution passe d’abord par une restauration de l’État national, mais surtout par une « abolition dĂ©finitive de la division de l’Europe en États nationaux souverains Â». Il est clairement expliquĂ© qu’à la garantie du droit international doit s’ajouter une force internationale. Le manifeste est ici novateur puisque cette force n’a jamais Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme nĂ©cessaire auparavant, au contraire le principe de la non-intervention Ă©tait commun Ă  tous les États, principe rejetĂ© dans le manifeste.

Enfin est mis en Ă©vidence le fait que la rĂ©volution europĂ©enne doit ĂŞtre socialiste, permettant l’émancipation de la classe ouvrière et l’accès Ă  de meilleures conditions de vie. La notion de rĂ©volution socialiste se dĂ©finit pour les auteurs par le principe fondamental du socialisme, Ă  savoir une domination qui ne doit pas s’exercer des forces Ă©conomiques vers les hommes mais au contraire des hommes vers les forces Ă©conomiques. Les moyens pour renverser ce rapport des forces sont la nationalisation des entreprises, la redistribution des richesses injustement accumulĂ©es par les anciens privilèges et les droits de succession. Le principe d’égalitĂ© des chances apparaĂ®t aussi bien que non citĂ© en tant que tel, ainsi que l’assurance d’un niveau de vie minimum assurĂ© non par la charitĂ© mais par le « potentiel de production de masse des produits de première nĂ©cessitĂ© Â». Doivent ĂŞtre assurĂ©s le libre choix des mandataires des syndicats ainsi que la garantie Ă©tatique du respect des contrats. Enfin le manifeste requiert l’abolition de toute forme de Concordat dans un but de laĂŻcisation de l’État et l’abandon des chambres corporatistes comme reprĂ©sentation politique.

Pérennité des idées du Manifeste

Ce texte est plus tard adoptĂ© comme programme au sein du Mouvement FĂ©dĂ©raliste EuropĂ©en (MFE), mouvement fondĂ© Ă  Milan par Spinelli les 27 et , devenant ainsi un texte fĂ©dĂ©rateur Ă  deux Ă©chelles : fĂ©dĂ©rant politiquement ses partisans autour d’un projet fĂ©dĂ©rateur Ă  l’échelle europĂ©enne. Le Mouvement FĂ©dĂ©raliste EuropĂ©en, simple association Ă  sa crĂ©ation, dĂ©signe actuellement la section italienne de l’Union des fĂ©dĂ©ralistes europĂ©ens (UFE), organisation supranationale unissant les groupes fĂ©dĂ©ralistes des diffĂ©rents pays europĂ©ens[2]. Le MFE ne se revendique d’aucun parti politique et a pour objectif la promotion du fĂ©dĂ©ralisme, en particulier la fĂ©dĂ©ration europĂ©enne, première Ă©tape avant un processus de fĂ©dĂ©ralisation mondiale. Spinelli est souvent considĂ©rĂ© comme l’un des Pères fondateurs de l’Union europĂ©enne, ce qui tĂ©moigne de l’importance de ce mouvement et de son manifeste dans la construction europĂ©enne. L’impact des idĂ©es contenues dans ce texte se mesure dans les fonctions futures de Spinelli : membre de la Commission europĂ©enne en 1970 et chargĂ© de la politique industrielle et de la recherche, puis membre du premier Parlement europĂ©en de 1979 Ă©lu au suffrage universel direct. En 1984 le projet de traitĂ© sur l’Union europĂ©enne dont il est en partie Ă  l’origine est adoptĂ© par le Parlement europĂ©en. Il joua donc un rĂ´le prĂ©pondĂ©rant sur le chantier europĂ©en, permettant Ă  ses idĂ©es et donc Ă  son manifeste une vĂ©ritable postĂ©ritĂ©.

Le Manifeste de Ventotene reste un enjeu profondément actuel. Les États-nations se cramponnent encore jalousement à leurs prérogatives souveraines, l’avancée de l’Union européenne est certaine mais lente. Il a fallu attendre de violentes secousses telles que la crise financière mondiale débutant en 2007, puis la question de la viabilité de la dette souveraine en zone euro afin de réfléchir à un nouveau niveau de fédéralisme dans la régulation économique européenne. Si le Manifeste a servi de fondement à l’origine du projet fédérateur, son intérêt est double puisque aujourd’hui encore, il apparaît comme non obsolète mais au contraire toujours ancré dans les enjeux actuels.

Le eut lieu la cĂ©lĂ©bration de l’anniversaire du dĂ©cès de Spinelli, au cours de laquelle Giorgio Napolitano alors prĂ©sident de la RĂ©publique italienne dĂ©clara : « Il n’y a pas d’avenir […] sinon dans le refus de toute pĂ©nible tentation de repli sur des revendications mesquines et illusoires de l’intĂ©rĂŞt national et sur des abandons stĂ©riles au scepticisme envers le projet europĂ©en Â». Ces paroles, comme le fait que cette commĂ©moration eut lieu sur l’île de Ventotene, tĂ©moignent de l’écho prĂ©sent de ce Manifeste.

« L’esprit du « Manifeste de Ventotene Â» a fait son chemin. Il a imprĂ©gnĂ© la rencontre Ă  Genève au printemps 1944 […]. Il a inspirĂ© en juin de cette annĂ©e-lĂ  la crĂ©ation du ComitĂ© français pour la coopĂ©ration europĂ©enne. Après la guerre, il a trouvĂ© son prolongement dans le Congrès de La Haye qui s’est tenu du 7 au , Ă  l’initiative du comitĂ© international de coordination des mouvements pour l’Europe unie. Il a dĂ©bouchĂ© sur la crĂ©ation du Conseil de l’Europe le en attendant le premier traitĂ© pour la mise en commun du charbon et de l’acier en 1951 Â»[3].

Editions

  • Il Manifesto di Ventotene / Le Manifeste de Ventotene, Altiero Spinelli et Ernesto Rossi, prĂ©face d'Eugenio Colorni. PrĂ©sentation d'Enrico Letta et introductions de Lucio Levi et Pier Virgilio Dastoli. Ultima spiaggia, Genoa-Ventotene, IĂ©re Ă©dition juillet 2021, collection "Grains de sable" directeur Nicola Vallinoto. En italien et en français. (ISBN 9788898607358)

Notes et références

  1. Mario Albertini, Les Cahiers de Ventotene, Le Manifeste de Ventotene, Institut d’Études Fédéralistes Altiero Spinelli, Ventotene (Italie) 1988
  2. « Institut Universitaire Européen, Archives Historiques de l’UE »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), p. 4
  3. Bernard Poignant, « Â« Rome »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?) Â», Europinion.org, 3 juillet 2007

Articles connexes

Liens externes

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