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Ludification

La ludification[1] - [2], couramment désignée par l'anglicisme gamification, est l'utilisation des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier des sites web, des situations d'apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son but est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu et le système de récompense.

Il s’agit d’une manière nouvelle de gérer une équipe, de saisir les problématiques, d’éveiller une motivation chez autrui et d’installer une ambiance de travail. Une forme novatrice de management, qui s’inscrit dans de nombreux domaines de la société, si bien que comprendre le concept de ludification est une façon d’analyser les fonctionnements des milieux de l’entreprise, de l’éducation, du sport, des relations sociales, ou encore de la santé.

Plus clairement, la ludification doit permettre de motiver une Ă©quipe Ă  atteindre ses objectifs. Ainsi, il ne s’agit pas d’une fin en soi mais des procĂ©dĂ©s Ă  utiliser pour parvenir Ă  cette situation, ce but. Plusieurs mĂ©thodes sont donc proposĂ©es au sein de la ludification et adaptĂ©es en fonction du contexte, de la demande et des besoins. Ces mĂ©thodes offriront chacune un rĂ©sultat diffĂ©rent mais permettront Ă  l’équipe de changer son regard sur l’objectif Ă  atteindre et sur la façon d’y arriver. 

Cette technique de conception permet d’obtenir des personnes des comportements actifs et impliquĂ©s sur des tâches que l’on ne voudrait pas faire car on pourrait les considĂ©rer comme sans intĂ©rĂŞt ou rĂ©barbatives : remplir un questionnaire, acheter un produit, regarder des publicitĂ©s ou assimiler des informations. Bien que le terme soit effectivement rĂ©cent dans la recherche, il est nĂ©cessaire de rappeler que des processus de ludification ont existĂ© avant l'introduction massive du jeu vidĂ©o dans le quotidien des individus. Ainsi, comme exemple de ludification, nous pouvons citer les systèmes de « bons points Â» utilisĂ©s dans les classes de petites sections et de maternelles. Ces rĂ©compenses s'obtenaient par la participation des Ă©lèves aux exercices mis en place par l'enseignant et s'Ă©changeaient, Ă  la façon d'une monnaie, contre des images ou autres lots. On peut aussi Ă©voquer les bons de rĂ©duction, qui s'apparentent pour partie Ă  ce processus du jeu, dans une activitĂ© de consommateur.

MĂ©thodes

D’une manière gĂ©nĂ©rale, la ludification peut intervenir dès lors que la « rĂ©alitĂ© Â» ne correspond plus Ă  ce qui motive le plus les acteurs. Pour permettre Ă  ces derniers de recouvrer ou de conforter une envie et une force d’agir, la mise en place d’un système « ludifiĂ© Â» apparaĂ®t comme optimale. Une idĂ©e surprenante mais qui tĂ©moigne de rĂ©sultats du fait d’une dizaine de mĂ©caniques adaptables aux diffĂ©rentes conditions. L’engagement, le plaisir, l’envie, et l’attention sont fortifiĂ©s par des principes structurants basĂ©s sur la logique des jeux. C'est d'ailleurs ce qui apparaissait dès 2010, dans des interviews aupres des nouveaux producteurs de serious games. Leurs motivations se trouvaient dans la nature numĂ©rique du serious game, leur attractivitĂ©, l'acquisition des informations et certains de leurs aspects universels[3].

Comment fonctionnent ces mécaniques ?

La dynamique de la ludification s’exprime à travers quatre grandes dynamiques que sont les émotions, les contraintes, les relations et l’idée de progrès[4].

Pour faire Ă©merger une motivation dite « extrinsèque Â»,  et rĂ©pondre Ă  des objectifs prĂ©cis, ce sont les mĂ©caniques des points, des classements et des badges[5] qui sont le plus souvent utilisĂ©es. Ainsi, la personne se voit immergĂ©e dans une logique de gain de points ou de badges, et une mise en importance de sa place par le biais de classements. Elle en ressentirait alors une motivation spontanĂ©e d’action, permettant de rĂ©pondre aux objectifs donnĂ©s, du fait mĂŞme de vouloir l’obtention de ces gains. Ces techniques dĂ©montrent notamment leur efficacitĂ© pour des faits ponctuels ou des relances de motivation mais n’exercent gĂ©nĂ©ralement pas de rĂ©elle influence sur le long terme.

Pour une efficacitĂ© plus ancrĂ©e, les adeptes de la ludification utilisent davantage les idĂ©es d'objectifs, de dĂ©fi et de progression ou d'amĂ©lioration, sollicitĂ©es par des « passages de niveau Â» qu’il est possible d’effectuer Ă  travers ses actions. C’est l’idĂ©e du progrès en gĂ©nĂ©ral et de tous les domaines qu’il touche chez l’individu : estime de soi, favorisation du lien social, maĂ®trise, sentiment d’accomplissement. L’ensemble de ces principes atteindrait davantage la motivation dite intrinsèque, qui se procure « par l’intĂ©rĂŞt et le plaisir que l’individu trouve Ă  l’action, sans attente de rĂ©compense externe Â»[6], que la motivation extrinsèque vue prĂ©cĂ©demment et qui ne serait provoquĂ©e que par une circonstance extĂ©rieure Ă  l’individu, telles, ainsi que nous l’expliquions, une pression sociale, une rĂ©compense, une obtention de l’approbation d’une personne tierce...

NĂ©anmoins, un procĂ©dĂ© peut avoir un impact diffĂ©rent en fonction de l’intĂ©rĂŞt de la personne pour cette rĂ©compense. Il est possible que l’une y porte une attention considĂ©rable tandis qu’une autre ne le voit qu’avec une indiffĂ©rence absolue en fonction de ce qu’il valorise personnellement, de ce qui a de l’intĂ©rĂŞt vĂ©ritable dans sa conception intime. La motivation, en ce sens, n’est pas stimulĂ©e avec la mĂŞme « force Â» selon les personnes.  

Pour Amy Jo Kim[7], la ludification se résume à cinq caractéristiques :

  • collectionner
  • gagner des points
  • intĂ©grer un mĂ©canisme de rĂ©troaction (ou « boucle d'engagement Â»[8])
  • encourager les Ă©changes entre joueurs
  • permettre la personnalisation du service

Il existe bien entendu d’autres caractérisations, par exemple en cinq points (intrigue, défi, récompense, statut, communauté).

Historique

La diffusion du terme de « ludification Â» ou de « gamification Â» commence Ă  la fin des annĂ©es 2000, Ă  la suite d’une intervention du professeur Jesse Schell[9] Ă  la confĂ©rence DICE (Design, Innovate, Communication, Entertainement), rassemblement annuel de concepteurs de jeux vidĂ©o[10], oĂą il partage l’idĂ©e d’un avenir dans lequel toutes les activitĂ©s du quotidien seraient soumises Ă  un système de points et de rĂ©compenses.

À partir de cette conférence, le terme de "ludification" fut associé à toutes les sphères de la vie sociale qui transposent les mécanismes du jeu dans un domaine dit non-ludique.

Intérêt

La ludification a non seulement pour but d’augmenter l’efficience de projets en tout genre mais Ă©galement d’amĂ©liorer notre quotidien. L’extension du jeu dans la vie quotidienne ne s’arrĂŞte pas aux tâches de loisirs vĂ©cues comme « plaisantes Â» telles que passer du temps sur les rĂ©seaux sociaux (Facebook, Twitter). La ludification s’étend dĂ©sormais vers les tâches considĂ©rĂ©es comme moins plaisantes comme les tâches mĂ©nagères. Le jeu en ligne Chore Wars[11] est un exemple de ludification appliquĂ© Ă  l’entretien d’une maison. Fonctionnant un peu sur le mode de World of Warcaft, Chore Wars propose une sĂ©rie de quĂŞtes Ă  rĂ©aliser entre colocataire ou en famille sauf que ces quĂŞtes correspondent Ă  des tâches mĂ©nagères. Ă€ chaque corvĂ©e effectuĂ©e, le joueur gagne des points et peut faire Ă©voluer son avatar au niveau suivant.

De la ludification Ă  la ludicisation de l'apprentissage

Étymologiquement, le vocable ludification est construit sur le latin facere qui traduit l’idĂ©e qu’il est possible de « faire le jeu Â». Ludifier relèverait alors d’une activitĂ© de transformation automatique et non problĂ©matique se traduisant par une approche essentialiste des phĂ©nomènes ludiques. Ainsi, en s’appuyant sur Henriot [12], Genvo[13] et Sanchez[14] proposent d'utiliser le terme ludicisation pour les contextes d'apprentissage. Ce terme permet d'insister sur l'importance de prendre en compte non pas le jeu (ludus), l’artefact qui est utilisĂ© pour jouer, mais la situation de jeu. Selon ce modèle, il n’existe pas d’élĂ©ments Ă  proprement parler mais des Ă©lĂ©ments qui, combinĂ©s, peuvent constituer une structure ludique, un jeu, et des interactions qui, lorsqu’elles se mettent en place (lorsqu’un joueur accepte de jouer) permettent le dĂ©veloppement d’une situation de jeu.

Le terme ludicisation paraĂ®t alors plus appropriĂ©. En effet, le suffixe « icisation Â» ne renvoie pas Ă  l’idĂ©e que l’on puisse « faire Â» un jeu comme le laisse penser le suffixe « fication Â» (facere) de ludification mais plutĂ´t Ă  l’idĂ©e qu’il est possible de transformer une situation en jeu. Comme le soulevait dĂ©jĂ  Jacques Henriot en 1989[15], c’est l’intention qui fait le jeu et non l'objet en lui mĂŞme. Ce n’est pas « dans la matĂ©rialitĂ© des objets, dans la factualitĂ© des gestes, que l’on a des chances de dĂ©tecter la prĂ©sence de l’élĂ©ment ludique Â»[12] . Cette approche conduit Ă  dĂ©finir le jeu par le sens que le joueur donne Ă  la situation plutĂ´t que par les actes qu'il est amenĂ© Ă  effectuer.

Entreprises ludifiées

Dans le cadre de la formation, les entreprises investissent de plus en plus dans des programmes de formation numĂ©rique qui permettent Ă  leurs collaborateurs d'apprendre de manière ludique. Les plateformes de formation en ligne dites « ludiques Â» sont de plus en plus utilisĂ©es par les entreprises[16].

Au-delà du jeu sérieux, qui est régulièrement utilisé pour susciter l'engagement au sein d'organisations déjà établies, certaines organisations se construisent directement autour de règles de jeu. C'est le cas par exemple de 2PS, une société de service-conseil basée sur des consultants autonomes mais qui collaborent grâce à un système de points et de récompenses[17].

Application à la société

Au-delĂ  de l’entreprise, la ludification est prĂ©sente dans tous les domaines de la vie sociale tels que le commerce, l’enseignement, l’écologie, l’armĂ©e, l'information [18]et la vie quotidienne… Son but est de rendre le plus efficient possible les actions et dĂ©marches prioritaires prĂ©sentes dans chaque domaine de la vie sociale. Par exemple, la « Green gamification Â»[19] aurait l’avantage d’accĂ©lĂ©rer les « bons Â» comportements en les intĂ©grant de manière plus durable dans les modes de vie par le biais de la gratification immĂ©diate. Afin d’amĂ©liorer le système de tri collectif, la Suède a transformĂ© en 2009 un conteneur de tri de verre en machine Ă  jouer. Les six trous du conteneur furent agrĂ©mentĂ©s d’un dispositif visuel afin que chaque trou s’allume de manière intermittente. Le but pour le joueur Ă©tait alors de jeter le verre Ă  recycler dans le trou qui s’allumait. Le dispositif connut lui aussi un franc succès car le volume de verre triĂ© fut multipliĂ© par 2.

En regardant du côté des défenseurs de la ludification, l’on s’aperçoit que cette idée va bien au-delà de la seule application du jeu dans des sphères non-ludiques. En effet, la ludification revêt pour certains une manière de penser la société dans son ensemble.

Jane McGonigal[20] : « Si nous voulons rĂ©soudre des problèmes comme la famine, la pauvretĂ©, le changement climatique, les conflits, l’obĂ©sitĂ©, je crois que nous devons viser Ă  jouer en ligne au moins 21 milliards d’heures par semaine d’ici dix ans Â»

Pour transformer le monde et trouver des solutions aux problèmes de la vie rĂ©elle, il y aurait besoin de 21 milliards d’heures de jeu par semaine contre les 3 milliards d’heures que passent les joueurs actuels Ă  jouer en ligne. Son idĂ©e est de transposer ce temps de jeu virtuel Ă  celui d’un jeu qui aurait des consĂ©quences et des bienfaits sur la rĂ©alitĂ©. « Ă€ ce jour, les joueurs de WoW ont collectivement passĂ© 5,93 millions d’annĂ©es Ă  rĂ©soudre les problèmes d’Azeroth Â»

Dans sa rhĂ©torique, le jeu apparaĂ®t comme la solution pour l’avenir de la planète et de l’humanitĂ© en s’appuyant sur les capacitĂ©s du joueur Ă  devenir le super-hĂ©ros qu’il incarne dans les jeux vidĂ©o, Ă  devenir acteur de son quotidien pour le bien de tous. McGonigal porte ainsi le projet d’une sociĂ©tĂ© amĂ©liorĂ©e Ă  travers ce support et elle nous dĂ©voile sa posture, pro-ludification, tout en essayant de nous convaincre de la nĂ©cessitĂ© de jouer pour transformer le monde. « Mon but pour les dix prochaines annĂ©es est de faire en sorte qu’il soit aussi facile de sauver le monde dans la rĂ©alitĂ© qu’il l’est dans les jeux vidĂ©o. Pour cela j’ai un plan, qui implique de convaincre plus de gens, y compris Ă  passer plus de temps Ă  jouer Ă  des jeux plus grands et meilleurs. «  Nous ne voulons pas prĂ©dire le futur. Ce que nous voulons est inventer le futur. Nous voulons imaginer le meilleur rĂ©sultat possible. Et nous voulons embarquer tout le monde pour rendre ce rĂ©sultat rĂ©el. (…) Eh bien j’espère que vous serez d’accord avec moi pour dire que les joueurs sont une ressource humaine utilisable pour effectuer des tâches dans le monde rĂ©el, que les jeux sont un moyen puissant pour le changement. (…) J’espère vraiment que nous saurons nous rĂ©unir pour jouer Ă  des jeux utiles, pour survivre encore 100 ans sur cette planète. Mon souhait est que vous me rejoigniez pour crĂ©er de tels jeux et y jouer Â».

Critiques

Pour les pro-ludification, le phĂ©nomène va prendre de l’ampleur dans les annĂ©es Ă  venir en s’appuyant Ă  la fois sur les nouvelles gĂ©nĂ©rations oĂą le jeu vidĂ©o est devenu une rĂ©fĂ©rence et qui portent de nouvelles valeurs ainsi que sur « l’exode massif vers les mondes virtuels et les environnements de jeux en ligne Â» selon les mots d’Edward Castranova, prononcĂ©s par Jane McGonigal.

Une autre critique apportée à la ludification est qu'il arrive souvent que le jeu devienne plus important que le message ou l’utilité dégagés par l’application ludifiée. Par exemple, pour les gestes écologiques, que le sens du jeu disparaisse (trier ses déchets) pour laisser place à ses mécaniques (acheter plus de produits, marquer plus de points) alors que la meilleure façon de ne pas polluer est de ne pas consommer.

Notes et références

  1. « ludification », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  2. Commission d’enrichissement de la langue française, « ludification », sur FranceTerme, ministère de la Culture (consulté le ).
  3. Thevenot Pauline, Les serious games informatifs : au delà du jeu : Mémoire en SIC, Nancy Université, , 139 p. (lire en ligne), p. 56-61
  4. Hubert Cosico, « Gamification, pourquoi et comment », sur http://fr.slideshare.net/, (consulté le ), Diapositive n°23
  5. Coline B., « Gamification et récompenses, une divergence d’intérêts ? », sur http://www.lagamification.com/, (consulté le )
  6. Alain Battandier, « Théorie de la motivation intrinsèque et extrinsèque », sur http://alain.battandier.free.fr/, (consulté le )
  7. Les ambiguïtés de la "gamification", Rémi Sussan, Internet Actu 01/03/11
  8. « Comprendre la gamification : la boucle d'engagement », Julien Theler, 09/01/2014
  9. Professeur de game design à l'université de Carnegie Melon.
  10. « « Les limites du concept de gamification appliqué au marketing, pour une proposition de real-gamification. La Règle du jeu. »; PALEY S. »
  11. LEJEUNE F., « Jane McGonigal, Reality is Broken. Why Games make us Better and How They can change the World [La réalité est cassée. Pourquoi les jeux nous rendent meilleurs et comment ils peuvent changer le monde] »
  12. Henriot, Le jeu, Presses Universitaires de France.,
  13. Genvo, S., « Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot », Sciences du jeu, no 1,‎
  14. Sanchez, E, Young, S et Jouneau-Sion, C, « Classcraft : de la gamification à la ludicisation », Actes de la 7ème conférence sur les environnements informatiques pour l'apprentissage humain,‎ , pp. 360-371
  15. Henriot, Jacques., Sous couleur de jouer : la métaphore ludique, J. Corti, (ISBN 2-7143-0325-0 et 978-2-7143-0325-7, OCLC 21678488, lire en ligne)
  16. « "Quelques réflexions estivales sur la gamification dans les MOOC | La révolution MOOC" »
  17. Juliette Rolland, « 2PS.com, quand le jeu vidéo inspire un modèle d'affaires », Le Lien MULTIMÉDIA :: le portail des professionnels du numérique au Québec,‎ (lire en ligne, consulté le )
  18. Falgas Julien et Thevenot Pauline, « Apprendre à mieux s’informer grâce au jeu vidéo », Festival de culture scientifique Pint of Science,‎ (HAL hal-02985446, lire en ligne Accès limité)
  19. « « La gamification “green” rend le développement durable plus amusant | L’Atelier : Accelerating Innovation »
  20. (en) « Jane McGonigal : le jeu peut rendre le monde meilleur », sur TED, (consulté le )

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