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Le Sopha, conte moral

Le Sopha, conte moral est un conte français de Claude Prosper Jolyot de Crébillon dit « Crébillon fils », rédigé en 1737[1], paru dans une édition clandestine en 1740[2], et publié au début de février 1742[3].

Le Sopha,
conte moral
Image illustrative de l’article Le Sopha, conte moral
Le Sopha, conte moral,
A Gaznah, De l’Imprimerie du Très-Pieux, Très-Clément et Très-Auguste Sultan des Indes, l’an de l’Hegire M. C. XX. Avec Privilege du Susdit.

Auteur Crébillon fils
Genre Roman libertin
Éditeur Impr. du Sultan des Indes [?]
Lieu de parution Gaznah [Paris]
Date de parution 1120 H. [ca. 1742]

Argument

Le conte adopte un récit cadre oriental qui renvoie aux Mille et une nuits[4] et s’affirme comme une réflexion sur les aléas du désir et de l’amour[5]. Le narrateur, Amanzéï, est transformé en sopha et ne retrouvera sa forme humaine que « quand deux personnes se donneraient mutuellement et sur [lui] leurs prémices ». À l’intention du sultan Schah-Baham, qui s’ennuie, et de la sultane, il raconte les scènes dont il a été le témoin en faisant défiler sept couples. Le dernier, formé de deux adolescents (Zéïnis et Phéléas) dont les jeunes cœurs jouissent innocemment du plaisir qu’ils se donnent, remplit la condition permettant de le libérer.

La virtuositĂ© de CrĂ©billon consiste Ă  broder Ă  l’infini sur le mĂŞme thème sans jamais rĂ©pĂ©ter exactement les mĂŞmes notes[6]. Les diffĂ©rents Ă©pisodes – dont le plus long (9 chapitres) est celui de Zulica â€“ de ce roman qui « conjugue vitriolage psychologique, satire politique et mise en abyme des pouvoirs de la fiction et du langage[7] Â», sont autant d’occasions de ridiculiser l’hypocrisie sous ses diffĂ©rentes formes (respectabilitĂ© mondaine, vertu, dĂ©votion).

Histoire

Le Sopha circulait déjà sous le manteau bien avant sa publication officielle en 1742[1], nonobstant les défenses qui lui avaient été faites[8]. Après sa publication, l’auteur est exilé par le cardinal de Fleury[9] à 30 lieues de Paris le [10] en raison du cynisme de l’ouvrage et de son libertinage, mais surtout parce que certains croient reconnaître Louis XV dans le personnage ridicule et amusant du sultan Schah-Baham. Crébillon prit alors le chemin de l’Angleterre, sans en informer son père qui demanda de ses nouvelles au chancelier d’Aguesseau, qui lui répondit le [11]. Crébillon parvint à faire valoir pour sa défense que l’ouvrage aurait été commandé par Frédéric II de Prusse et n’aurait été publié qu’à la suite d’une indiscrétion et contre sa volonté. Rappelé le , il s’empressa de rentrer en France[11].

RĂ©ception

Le Mariage Ă  la mode 4 : la Toilette de Hogarth. On y voit le Sopha dans un coin du canapĂ©, Ă  droite.

Avec le Sopha, CrĂ©billon obtint un nouveau succès de scandale[12]. Lorsqu’il fut introduit auprès du public anglais par Lord Chesterfield, qui avait donnĂ© les trois cents exemplaires, que lui avait envoyĂ©s CrĂ©billon, Ă  vendre chez l’éditeur White (en)[13], le succès en fut Ă©norme ; Walpole lui-mĂŞme le trouva admirable[3]. Hogarth a trouvĂ© le moyen de le reprĂ©senter dans son Marriage A-la-Mode (1743-1745), enfoncĂ© dans un coin du canapĂ©[14]. Le Sopha a eu une influence sur les Bijoux indiscrets de Diderot, oĂą la bague de Mangogul joue le mĂŞme rĂ´le d’objet voyeur que le sopha crĂ©billonien[15], et les Liaisons dangereuses de Laclos[16] oĂą Mme de Merteuil lit un chapitre du Sopha pour se disposer Ă  la venue de Belleroche[17].

Notes

  1. Geeta Paray-Clarke, La FĂ©erie Ă©rotique : CrĂ©billon et ses lecteurs, New York, Peter Lang, 1999, 163 p., (ISBN 978-0-82043-993-8), p. 63.
  2. Correspondance de Madame de Graffigny : 1er octobre 1740-27 novembre 1742, lettres 309-490, vol. 3, English Showalter, J. A. Dainard, Ă©d., Voltaire Foundation, Taylor Institution, 1985, p. 306.
  3. Rex A. Barrell, Chesterfield et la France, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1968, 287 p., p. 122.
  4. Emmanuelle Sempère, De la merveille Ă  l’inquiĂ©tude : le registre du fantastique dans la fiction, Bordeaux , Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, 611 p., (ISBN 978-2-86781-533-1), p. 227.
  5. Sempère, op. cit.
  6. Olga B. Cragg, Rosena Davison, Sexualité, mariage et famille au XVIIIe siècle, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998, xvii, 376 p., (ISBN 978-2-76377-562-3), p. 74.
  7. Cécile Guilbert, « "Le Sopha", de Crébillon fils : la rhétorique de l’amour », sur Le Monde, (consulté le )
  8. Jean Sgard, Crébillon fils, Desjonquères, 2002, 311 p., (ISBN 978-2-84321-042-6), p. 110.
  9. François Nicolas NapolĂ©on Ravaisson-Mollien, Louis Jean FĂ©lix Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille : 1709-1772, t. 12, A. Durand et Pedone-Lauriel, 1881, p. 224.
  10. Paul Hazard, Fernand Baldensperger, Revue de littérature comparée t. 76, Paris, Didier, 2002, p. 345.
  11. Maurice Dutrait, Étude sur la vie et le théâtre de Crébillon (1674-1762), Genève, Slatkine Reprints, 1970, iv, 570 p., p. 72.
  12. Ernest Sturm, Crébillon fils, ou, La science du désir, Paris : A.-G. Nizet, 1995, 1995, 142 p., (ISBN 978-2-70781-210-0), p. 30.
  13. (en) Viktor Link, « The reception of Crebillon in England : an unnoticed edition and some editions Â», Studies on Voltaire and The Eighteenth Century no 132, 1975, p. 199-203.
  14. (en) Robert L. S. Cowley, Marriage A-la-mode : a re-view of Hogarth’s narrative art, Manchester, Manchester University Press, 1983, x-177 p., (ISBN 978-0-71900-884-9), p. 105.
  15. Geeta Beeharry-Paray, « Les Bijoux indiscrets de Diderot : pastiche, forgerie ou charge du conte crĂ©billonien ? Â», Diderot Studies, vol. 28, Genève, Droz, 2000, 222 p., p. 33.
  16. (en) Steven Moore, The novel : an alternative history, 1600-1800, New York, Bloomsbury Academic, 2013, viii-1013 p., (ISBN 978-1-44118-869-4), p. 337.
  17. BĂ©atrice Didier, Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses : pastiches et ironie, Paris, Éditions du temps, 1998, 206 p., (ISBN 978-2-84274-058-0), p. 107.

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