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L'Horoscope (La Fontaine)

L'Horoscope est la quinzième fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678. La Fontaine y décrit les « faiseurs d'horoscope » comme des « charlatans ».

L'Horoscope
Image illustrative de l’article L'Horoscope (La Fontaine)
Gravure de Johann Christoph Teucher d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759

Auteur Jean de La Fontaine
Pays Drapeau de la France France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678
Chronologie

Texte

Illustration de Benjamin Rabier (1906)
Illustration de Benjamin Rabier (1906)

On rencontre sa destinée
Souvent par des chemins qu'on prend pour l'Ă©viter. 
Un Père eut pour toute lignĂ©e 
Un fils qu'il aima trop, jusques Ă  consulter
Sur le sort de sa géniture
Les Diseurs de bonne aventure.
Un de ces gens lui dit, que des Lions surtout
Il Ă©loignât l'enfant jusques Ă  certain âge : 
Jusqu'Ă  vingt ans, point davantage.
Le Père pour venir à bout
D'une précaution sur qui roulait la vie
De celui qu'il aimait, défendit que jamais
On lui laissât passer le seuil de son palais.
Il pouvait sans sortir contenter son envie,
Avec ses compagnons tout le jour badiner,
Sauter, courir, se promener.
Quand il fut en l'âge où la chasse
Plaît le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Lui fut dĂ©peint ; mais, quoi qu'on fasse,
Propos, conseil, enseignement,
Le jeune homme inquiet[N 1], ardent, plein de courage,
A peine se sentit des bouillons d'un tel âge,
Qu'il soupira pour ce plaisir.
Plus l'obstacle Ă©tait grand, plus fort fut le dĂ©sir. 
Il savait le sujet des fatales dĂ©fenses ;
Et comme ce logis plein de magnificences
Abondait partout en tableaux,
Et que la laine et les pinceaux
Traçaient de tous cĂ´tĂ©s chasses et paysages, 
En cet endroit des animaux,               
En cet autre des personnages,
Le jeune homme s'Ă©mut[N 2], voyant peint un Lion.
Ah ! monstre, cria-t-il, c'est toi qui me fais vivre
Dans l'ombre et dans les fers. A ces mots, il se livre
Aux transports violents de l'indignation,
Porte le poing sur l'innocente bĂŞte.
Sous la tapisserie un clou se rencontra.
Ce clou le blesse ; il pĂ©nĂ©tra
Jusqu'aux ressorts de l'âme[N 3] ; et cette chère tĂŞte
Pour qui l'art d'Esculape en vain fit ce qu'il put,
Dut sa perte Ă  ces soins qu'on prit pour son salut.
Même précaution nuisit au Poète Eschyle.
Quelque Devin le menaça, dit-on,
De la chute d'une maison.
AussitĂ´t il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.
Un Aigle, qui portait en l'air une Tortue,
Passa par lĂ , vit l'homme, et sur sa tĂŞte nue,
Qui parut un morceau de rocher Ă  ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie, afin de la casser :
Le pauvre Eschyle ainsi sut ses jours avancer[N 4]
De ces exemples il résulte
Que cet art, s'il est vrai, fait tomber dans les maux
Que craint celui qui le consulte ;
Mais je l'en justifie, et maintiens qu'il est faux.
Je ne crois point que la nature
Se soit lié les mains, et nous les lie encor,
Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort.
Il dépend d'une conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;
Non des conjonctions de tous ces charlatans.
Ce Berger et ce Roi sont sous mĂŞme planète ; 
L'un d'eux porte le sceptre, et l'autre la houlette :
Jupiter le voulait ainsi.
Qu'est-ce que Jupiter ? un corps sans connaissance. 
D'oĂą vient donc que son influence
Agit diffĂ©remment sur ces deux hommes-ci ?
Puis comment pĂ©nĂ©trer jusques Ă  notre monde ? 
Comment percer des airs la campagne profonde ?
Percer Mars, le Soleil, et des vides sans fin ?
Un atome la peut dĂ©tourner en chemin :
OĂą l'iront retrouver les faiseurs d'horoscope ?
L'Ă©tat oĂą nous voyons l'Europe[N 5]
MĂ©rite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prĂ©vu ;
Que ne l'a-t-il donc dit ? Mais nul d'eux ne l'a su.
L'immense Ă©loignement, le point, et sa vitesse,
Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils Ă  leur faiblesse
De suivre pas Ă  pas toutes nos actions ?
Notre sort en dĂ©pend : sa course entre-suivie[N 6] , 
Ne va, non plus que nous, jamais d'un mĂŞme pas ;
Et ces gens veulent au compas,
Tracer le cours de notre vie ! 
il ne se faut point arrĂŞter
Aux deux faits ambigus que je viens de conter. 
Ce fils par trop chĂ©ri ni le bonhomme Eschyle, 
N'y font rien. Tout aveugle et menteur qu'est cet art,
Il peut frapper au but une fois entre mille ;
Ce sont des effets du hasard.

— Jean de La Fontaine, Fables de La Fontaine, L'Horoscope, texte Ă©tabli par Jean-Pierre Collinet, Fables, contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la PlĂ©iade Â», 1991, p. 319

Notes

  1. qui ne tient pas en place
  2. s'emporta, se mit en colère
  3. comprendre que l'infection gagna les centres vitaux et qu'il mourut probablement du tétanos
  4. Avancer la fin de ses jours
  5. en pleine guerre avant la paix de Nimègue
  6. ininterrompue

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