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L'Art d'avoir toujours raison

L'Art d'avoir toujours raison (en allemand Die Kunst, Recht zu behalten) est une Ɠuvre du philosophe allemand Arthur Schopenhauer qui traite de l'art de la controverse ou « dialectique Ă©ristique ».

La Dialectique Ă©ristique
Auteur Arthur Schopenhauer
Version originale
Langue Allemand
Titre Eristische Dialektik
Date de parution 1864
Version française
Nombre de pages 74

RĂ©digĂ©e vers 1830-1831 et publiĂ©e en 1864, elle est parfois Ă©ditĂ©e en France sous le titre de La Dialectique Ă©ristique (en allemand Eristische Dialektik, du grec ጐρÎčστÎčÎșÎź τέχΜη).

De façon à la fois sarcastique et pragmatique, c'est-à-dire ne prenant en compte que les résultats, Schopenhauer y expose une série de stratagÚmes permettant de l'emporter lors de controverses, indépendamment de la vérité du point de vue que l'on soutient. Ce travail qu'il considÚre comme le premier essai d'une « dialectique scientifique » n'ayant pas d'équivalent à son époque a aussi pour but de bien distinguer ces stratagÚmes afin de pouvoir les dénoncer.

La dialectique éristique, constituée de la dialectique et de la sophistique, s'opposerait ainsi à la logique, à l'analytique, et à la philosophie dont le but est la recherche objective de la vérité.

La dialectique Ă©ristique

La dialectique Ă©ristique est une technique de controverse.

Cette technique, qui peut apparaĂźtre comme une forme d'art, repose sur la distinction entre la vĂ©ritĂ© objective d'une proposition et l'apparence de vĂ©ritĂ© que cette proposition peut prendre aux yeux des disputeurs et des auditeurs. La finalitĂ© de cet art est de fournir des moyens pour parvenir Ă  cette derniĂšre apparence, afin de convaincre les auditeurs que l'on a raison, mĂȘme si l'on a objectivement tort.

Causes originelles et fonctions de la dialectique Ă©ristique

Si les hommes Ă©taient honnĂȘtes, il n'y aurait pas de dialectique.

Schopenhauer distingue quelques causes originelles de la dialectique éristique qui sont en fait toutes liées :

  • la malhonnĂȘtetĂ© ;
  • la vanitĂ© ;
  • le fait de parler avant de rĂ©flĂ©chir ;
  • l'obstination dans l'erreur.

Une autre cause est que l'expérience enseigne que lorsque nos arguments en faveur d'une thÚse sont réfutés, il pourra toujours se trouver un nouvel argument qui nous donnera finalement raison. La généralisation de cette observation conduit à dévaloriser systématiquement les thÚses de l'adversaire et à les attaquer sans examen.

Le rĂ©sultat de cet ensemble est que tout homme veut que sa thĂšse paraisse vraie, mĂȘme (et surtout) quand il sait qu'elle est fausse.

En conséquence, les moyens de cet art relÚvent de la ruse et de l'adresse ; chacun en est pourvu, quoique de maniÚre inégale. Tout le monde puise des ressources dans sa perversité naturelle, mais l'exercice et la réflexion peuvent nous rendre plus forts.

Il est important de remarquer que le but de Schopenhauer n'a rien de cynique, puisque la dialectique éristique est aussi, par nature, un art de repousser les attaques déloyales. L'apprentissage de la dialectique éristique complÚte donc l'apprentissage de la logique, car il faut également se défendre quand on a raison.

La dialectique Ă©ristique, en tant que telle, a pour but d'enseigner comment se dĂ©fendre contre les attaques de toute nature, et en particulier les attaques dĂ©loyales, et de mĂȘme, comment attaquer ce qu’affirme l’autre, sans se contredire soi mĂȘme et, plus gĂ©nĂ©ralement, sans ĂȘtre rĂ©futĂ©. Il faut strictement distinguer la dĂ©couverte de la vĂ©ritĂ© objective de l’art de donner Ă  ses propositions l’apparence de la vĂ©ritĂ© : l’un est le propre d’une toute autre activitĂ©, c’est l’Ɠuvre de la facultĂ© de juger, de la rĂ©flexion, de l’expĂ©rience, et il n’y a pas d’art particulier qui s’y rapporte ; mais le second point est l’objet mĂȘme de la dialectique.

On l’a dĂ©finie comme la logique de l’apparence ; Ă  tort car elle ne serait alors utilisable que dans la dĂ©fense de propositions fausses ; or lorsqu’on a raison, on a Ă©galement besoin de recourir Ă  la dialectique Ă©ristique pour dĂ©fendre son droit, et il faut connaĂźtre les stratagĂšmes de la malhonnĂȘtetĂ© pour leur faire face, et mĂȘme souvent en employer certains pour battre l’ennemi avec ses propres armes.

Donc, en résumé, il s'agit :

  • de dĂ©fendre ses thĂšses sans se contredire ;
  • de renverser les thĂšses adverses.

Place de la vérité

« Il est impossible de dire de quel cĂŽtĂ© est la vĂ©ritĂ© » : les participants ne savent pas eux-mĂȘmes ce qu'il en est, quand ils ne sont pas convaincus d'avoir raison. Le dĂ©bat peut Ă©ventuellement permettre de dĂ©voiler la vĂ©ritĂ©, mais ce n'est pas du ressort de la dialectique.

La dialectique se distingue alors de la logique et de la sophistique, car celle-ci vise uniquement le faux et suppose une connaissance du vrai, ce qui n'est pas le cas dans la dialectique Ă©ristique.

MĂ©thodes

Le point de départ est une thÚse posée par l'adversaire ou par nous.

1. Modes :

  • ad rem (vĂ©ritĂ© objective) : la thĂšse est ou non en accord avec la vĂ©ritĂ© objective : le ciel parait bleu, les poissons nagent...
  • ad hominem (vĂ©ritĂ© subjective) : la thĂšse ne concorde pas avec ce que l'adversaire affirme ou concĂšde ou fait par ailleurs.
  • ex concessis (cas particulier d'ad hominem): exploitation des concessions faites par l'adversaire

2. MĂ©thodes

  • rĂ©futation directe par attaque des fondements :
    • rĂ©futation des fondements ;
    • rĂ©futation de la consĂ©cution ;
  • rĂ©futation indirecte par attaque des consĂ©quences :
    • rĂ©futation par une consĂ©quence fausse (ad rem ou ad hominem), ou raisonnement par l'absurde.
    • rĂ©futation par la dĂ©monstration de cas contraires.

Les stratagĂšmes

(Note : les numĂ©ros entre parenthĂšses renvoient Ă  l'ordre des stratagĂšmes dans l'Ɠuvre ; ces stratagĂšmes ne sont pas prĂ©sentĂ©s en totalitĂ©, mais les types remarquables sont indiquĂ©s)

Sophismes, logique erronée

  • Extension (1 et 19), gĂ©nĂ©ralisation caricaturale des positions adverses
  • Homonymie (2), ou glissement sĂ©mantique
  • Passage du relatif Ă  l'absolu (3), ou changement de contexte
  • Passage du particulier au gĂ©nĂ©ral (11)
  • DĂ©guisement d'une pĂ©tition de principe (6)
  • Fausse dichotomie (13): forcer l'adversaire Ă  adopter ou rejeter une proposition.
  • Distinguo subtil (17), pour Ă©chapper Ă  un argument adverse
  • Contre-exemple erronĂ© (25), ou non-pertinent, ou faussement contradictoire.
  • Retournement de l'argument adverse, retorsio argumenti (26), mais de façon spĂ©cieuse.
  • Refus des consĂ©quences (33) d'un argument adverse: "cela est peut-ĂȘtre vrai en thĂ©orie, mais pas en pratique".

DĂ©tournement de l'attention, masquage des intentions

  • Dissimulation de nos intentions (4 et 7), en forçant l'adversaire Ă  admettre nos prĂ©misses (4) et en le confondant par des questions nombreuses et rapides (7). Proche de la mĂ©thode (ou ironie) socratique.
  • Feindre d'adopter les positions de l'adversaire pour mieux les rĂ©futer (5)
  • par changement de l'ordre des questions (9)
  • par provocation (8)
  • par interruptions (18)
  • par diversion (29): dĂ©tourner le dĂ©bat sur un autre sujet, de prĂ©fĂ©rence vaguement reliĂ© au dĂ©bat actuel et en adressant des reproches Ă  l'adversaire.

Arguments dirigés personnellement contre l'adversaire

  • Argument ad hominem (StratagĂšme 16) : disqualifier l'adversaire en montrant qu'il est en contradiction avec ses positions passĂ©es, ou son propre comportement, ou ceux de ses partisans.
  • Argumentum ad personam (dernier argument, intitulĂ© « Ultime stratagĂšme[1] »): le plus dĂ©loyal, consistant Ă  attaquer la personne-mĂȘme de l'adversaire de façon insultante et blessante.
  • Argument ad auditores (Str. 28): appel Ă  l'auditoire visant Ă  marginaliser l'adversaire.
  • Argument ad verecundiam (Str. 30): ou argument d'autoritĂ©, faisant appel Ă  des autoritĂ©s respectĂ©es, ou des lois, plutĂŽt qu'Ă  la raison, ceci en fonction du niveau de connaissance de l'auditoire.
  • DĂ©nomination (12): pĂ©jorative pour dĂ©signer les thĂ©ories adverses, et inversement positive pour dĂ©signer les nĂŽtres.
  • StratagĂšme 14 (et 20), fallacia non causae ut causae: passer Ă  la conclusion souhaitĂ©e, en la prĂ©sentant avec aplomb comme une consĂ©quence logique des rĂ©ponses de l'adversaire, alors qu'il n'en est rien.
  • StratagĂšme 15: piĂ©ger l'adversaire par une proposition juste mais bancale, le forçant soit Ă  la rejeter (et on pourra alors prouver qu'il a tort), soit Ă  l'accepter (et on pourra alors recourir au stratagĂšme 14).
  • StratagĂšme 24, ou consĂ©quences montĂ©es de toutes piĂšces: extrapolation Ă  partir des positions de l'adversaire amenant Ă  des consĂ©quences absurdes ou dangereuses. Exemple: "Si on vous laisse manifester contre le gouvernement, ce sera l'anarchie dans notre pays".
  • Exploitation de la colĂšre de l'adversaire (27) Ă  la suite d'une provocation (8) pour insinuer qu'on a touchĂ© un point faible.
  • Exploitation de ce que l'adversaire ne rĂ©pond pas Ă  une question (34) pour insinuer qu'il est de mauvaise foi.
  • StratagĂšme 31: fausse modestie, ironie consistant Ă  dĂ©clarer ne rien comprendre aux arguments de l'adversaire, afin de le ridiculiser.
  • StratagĂšme 32: amalgame des positions de l'adversaire avec une thĂ©orie discrĂ©ditĂ©e.
  • StratagĂšme 35, ou argument ab utili: insinuer que les positions de l'adversaire auraient des consĂ©quences fĂącheuses pour l'auditoire, et mettre ainsi celui-ci de notre cĂŽtĂ©.
  • StratagĂšme 36: noyer l'adversaire dans une logorrhĂ©e qui le dĂ©stabilise.
  • StratagĂšme 37: exploiter une faiblesse de raisonnement de l'adversaire, alors mĂȘme qu'il n'a pas tort sur le fond, pour disqualifier globalement ses arguments.

Culture populaire

Le film Le Brio d'Yvan Attal raconte l'histoire d'un professeur contraint d'enseigner cet art à une étudiante qu'il avait publiquement rabaissée.

Références

  1. Arthur Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison, Éditions Mille et Une Nuits, , 89 p. (ISBN 978-2-7555-0242-8, lire en ligne), p. 66.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

Liens externes

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