Jugement usuel
Le jugement usuel est un mode de scrutin inventĂ© par Adrien Fabre, chercheur français en Ă©conomie, en 2019[1]. Câest une mĂ©thode de la meilleure mĂ©diane : un systĂšme de vote par valeurs qui se distingue par la dĂ©termination du gagnant par la mĂ©diane plutĂŽt que la moyenne.
Comme le jugement majoritaire dont il est inspiré, le jugement usuel utilise des appréciations verbales plutÎt que numériques pour évaluer les candidats ou options[2]. Le jugement usuel utilise cependant, selon son inventeur, une méthode plus fiable pour départager les égalités entre candidats[1].
Présentation
L'Ă©lecteur attribue Ă chaque candidat une mention verbale parmi une Ă©chelle commune, du type :
Excellent | TrĂšs bien | Bien | Assez bien | Passable | Insuffisant | Ă rejeter | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Candidat A | X | ||||||
Candidat B | X | ||||||
Candidat C | X | ||||||
Candidat D | X |
Un Ă©lecteur peut donner la mĂȘme mention Ă plusieurs candidats. Les candidats non Ă©valuĂ©s reçoivent la mention « Ă rejeter. »[3].
Au décompte, on totalise pour chaque candidat les appréciations reçues et on présente la part que chaque appréciation représente dans les votes exprimés. C'est son « profil de mérite » :
Candidat | Excellent | TrĂšs Bien | Bien | Assez Bien | Passable | Insuffisant | Ă Rejeter | TOTAL |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
A | 2,10 % | 15,32 % | 21,28 % | 19,71 % | 9,12 % | 17,63 % | 14,84 % | 100 % |
B | 2,22 % | 17,05 % | 18,51 % | 12,95 % | 13,42 % | 11,58 % | 24,27 % | 100 % |
C | 1,00 % | 9,00 % | 10,00 % | 15,00 % | 15,00 % | 25,00 % | 25,00 % | 100 % |
Cela se présente graphiquement sous la forme d'un histogramme cumulé dont le total correspond à 100 % des voix exprimées :
| ||||||||
A |
| |||||||
B |
| |||||||
C |
|
On dĂ©termine pour chaque candidat sa « mention majoritaire » : il s'agit de l'unique mention qui obtient la majoritĂ© absolue des Ă©lecteurs contre toute mention infĂ©rieure, et la majoritĂ© absolue ou lâĂ©galitĂ© contre toute mention supĂ©rieure. En pratique, lorsque le nombre dâĂ©lecteurs est impair de la forme 2N+1, la mention majoritaire est la mention attribuĂ©e par lâĂ©lecteur N+1, et lorsque le nombre dâĂ©lecteurs est pair de la forme 2N, la mention majoritaire est la mention attribuĂ©e par lâĂ©lecteur N[4].
Ce mode de sélection signifie que la majorité absolue (strictement plus de 50 %) des électeurs jugent qu'un candidat mérite au moins sa mention majoritaire, et que la moitié ou plus (50% ou plus) des électeurs jugent qu'il mérite au plus sa mention majoritaire, ce qui ressemble à la notion de médiane.
Le candidat Ă©lu est celui qui obtient la meilleure mention majoritaire.
Formule de départage des égalités
Lorsque plusieurs candidats obtiennent la mĂȘme mention majoritaire, une formule de dĂ©partage doit ĂȘtre appliquĂ©e. Câest cette formule qui distingue le jugement usuel des autres mĂ©thodes de la meilleure mĂ©diane tels que le jugement majoritaire[1].
- La mention majoritaire dâun candidat est notĂ©e .
- La part des partisans de , notée désigne la part des électeurs attribuant à une évaluation strictement supérieure à sa mention médiane . Par exemple, tous les électeurs ayant jugé un candidat « Excellent », « TrÚs Bien » ou « Bien », tandis que sa mention majoritaire est « Assez Bien ».
- La part des opposants à , notée désigne la part des électeurs attribuant à une note strictement inférieure à sa mention médiane . Par exemple, tous les électeurs ayant jugé un candidat « à rejeter », « Insuffisant » ou « Passable », tandis que sa mention majoritaire est « Assez Bien ».
Le jugement usuel ordonne les candidats selon la formule[1] :
Soit : « la diffĂ©rence entre la part de partisans et la part dâopposants, divisĂ©e par la part dâĂ©lecteurs ayant choisi la mention majoritaire ».
Exemple
Reprenons lâexemple utilisĂ© plus haut.
Candidat | Excellent | TrĂšs Bien | Bien | Assez Bien | Passable | Insuffisant | Ă Rejeter | TOTAL |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
A | 2,10 % | 15,32 % | 21,28 % | 19,71 % | 9,12 % | 17,63 % | 14,84 % | 100 % |
B | 2,22 % | 17,05 % | 18,51 % | 12,95 % | 13,42 % | 11,58 % | 24,27 % | 100 % |
C | 1,00 % | 9,00 % | 10,00 % | 15,00 % | 15,00 % | 25,00 % | 25,00 % | 100 % |
Les candidats A et B obtiennent tous deux la mention majoritaire « Assez Bien ». AprĂšs application de la formule, le candidat A obtient le score : «âŻAssez Bien -0,073 » et le candidat B le score : « Assez Bien -0,443 ».
Or, â0,073 > -0,443. Le candidat A ayant le score le plus Ă©levĂ©, il remporte lâĂ©lection.
Départages supplémentaires
Si la formule de dĂ©partage ci-dessus ne permet pas de dĂ©terminer un unique vainqueur (cas oĂč plusieurs candidats obtiennent le mĂȘme score), un score de dĂ©partage complĂ©mentaire doit ĂȘtre calculĂ© pour les candidats encore en lice, en remplaçant les partisans et opposants de chaque candidat par leurs «âŻsuccesseurs »[1].
On note la part d'électeurs ayant attribué une mention supérieure ou égale à , et la part d'électeurs ayant attribué une mention inférieure ou égale à . Dans l'exemple ci-dessus, ; ; ; et ; ; ; .
On reprend alors la formule en remplaçant, pour chaque candidat, et par et .
On recommence ainsi de suite jusqu'à ce qu'un unique vainqueur soit désigné, en remplaçant dans la formule les parts des successeurs utilisées ( et ) par les parts de leurs successeurs respectifs ( et ).
Si aprĂšs toutes ces Ă©tapes une Ă©galitĂ© persiste, alors on classe les candidats encore en lice selon l'ordre lexicographique de leur vecteur oĂč est le nombre de mentions qu'il est possible d'attribuer (dans l'exemple ci-dessus, ). Si cette comparaison ultime ne permet pas de dĂ©signer un unique vainqueur, c'est que les candidats encore Ă Ă©galitĂ© ont obtenu exactement la mĂȘme rĂ©partition de votes.
Usage
Le jugement usuel permet deux formes de prise de décision collective.
Dâune part, lâĂ©lection dâune seule option ou dâun seul candidat parmi une liste, par exemple pour lâattribution dâun poste public.
Dâautre part, lâĂ©tablissement dâun classement parmi des options ou des candidats, par exemple pour Ă©tablir une liste graduĂ©e de prioritĂ©s collectives.
Propriétés et avantages
En tant que mode de scrutin, le jugement usuel réunit des avantages communs aux méthodes de la meilleure médiane, et des avantages propres à sa formule de départage des égalités.
Avantages communs aux méthodes de la meilleure médiane
Les mentions verbales sont simples Ă comprendre et revĂȘtent un sens commun pour tous les Ă©lecteurs. Il nây a pas de confusion sur le sens dâun « 5 » ou dâun « 4 », comme cela peut ĂȘtre le cas lors dâun vote par note[5].
LâĂ©lecteur peut Ă©valuer chaque candidat sĂ©parĂ©ment et attribuer la mĂȘme mention Ă plusieurs candidats - diffĂ©rence majeure avec le scrutin majoritaire uninominal et la mĂ©thode Borda.
Plusieurs candidats de tendances similaires peuvent se prĂ©senter sans se nuire. Il nây a pas de « vote utile »[6].
LâĂ©lecteur peut Ă©valuer avec nuance chaque candidat, ce qui le distingue du vote par approbation, qui nâadmet que deux rĂ©ponses[7].
Lâemploi de la mĂ©diane encourage la sincĂ©ritĂ© du vote au dĂ©triment du vote stratĂ©gique. Le vote par mention est moins manipulable que le vote par note[7].
Il nây a quâun seul tour de vote.
Les « profils de mĂ©rites » fournissent des informations trĂšs riches sur la popularitĂ© de chaque option dans lâĂ©lectorat[7].
Le jugement usuel demandant aux Ă©lecteurs dâĂ©valuer les candidats et non de les classer entre eux, il Ă©chappe au thĂ©orĂšme dâimpossibilitĂ© de Arrow[8]. Il Ă©chappe aussi au paradoxe de Condorcet, puisquâil est toujours en mesure de dĂ©signer un vainqueur[6].
Similitude des résultats
Ă partir dâun Ă©chantillon de 187 paires de candidats issues de sondages rĂ©els, Adrien Fabre a Ă©tabli les observations suivantes[1] :
- le jugement usuel produit le mĂȘme vainqueur que le jugement majoritaire dans 97,9 % des cas.
- le jugement usuel produit le mĂȘme vainqueur quâun calcul de la moyenne dans 97,3 % des cas.
Avantages propres au jugement usuel
La formule de départage du jugement usuel comporte des avantages vis-à -vis des autres méthodes de la meilleure médiane[1].
Meilleure intégration des opinions minoritaires
La formule de dĂ©partage du jugement usuel prend en compte toutes les Ă©valuations minoritaires ( et ), tandis que le jugement majoritaire ne considĂšre que les plus grands groupes dâĂ©lecteurs nâayant pas attribuĂ© la mention majoritaire au candidat[1].
Moindre sensibilité aux variations infimes
Le jugement usuel est moins sensible aux variations infimes que le jugement majoritaire, le jugement typique et le jugement central. Une petite fluctuation dans lâĂ©lectorat est moins susceptible dâinverser lâordre des vainqueurs.
Cette propriĂ©tĂ© fait du jugement usuel un mode de scrutin plus robuste face aux accusations de fraude ou aux demandes de recomptages des bulletins. En effet, une petite diffĂ©rence de vote Ă©tant moins susceptible de modifier lâissue du scrutin, les candidats sont moins incitĂ©s Ă contester abusivement les rĂ©sultats[1].
Continuité
Face Ă des variations de votes, la fonction dĂ©finie par la formule du jugement usuel est continue. ConfrontĂ©s Ă ces mĂȘmes variations, les fonctions du jugement majoritaire, le jugement typique et le jugement central perdent leur continuitĂ©[1].
Monotonie
La fonction dĂ©finie par la formule du jugement usuel est monotone. Son sens de variation ne change pas. Toute augmentation du nombre de partisans amĂ©liorera le score du candidat . Toute augmentation du nombre dâopposants diminuera le score du candidat .
Un Ă©lecteur ne peut donc pas dĂ©savantager son candidat favori en amĂ©liorant son Ă©valuation, comme cela peut ĂȘtre le cas dans dâautres modes de scrutin.
Inconvénients
La formule de départage des candidats peut paraßtre assez complexe de prime abord. Le choix de cette formule repose sur la comparaison entre plusieurs méthodes mathématiques peu connues du grand public.
Le calcul des scores finaux requiert un ordinateur. Nombre dâĂ©lections nationales reposent cependant dĂ©jĂ sur les calculs de tableurs informatiques, et donc des ordinateurs, aprĂšs la centralisation des rĂ©sultats des bureaux de votes.
Notes et références
- (en) Adrien Fabre, « Tieâbreaking the highest median: alternatives to the majority judgment », Social Choice and Welfare,â , p. 24 (DOI https://doi.org/10.1007/s00355-020-01269-9, lire en ligne)
- (en) Michel Balinski et Rida Laraki, Majority Judgment : Measuring, Ranking, and Electing, MIT Press, , 448 p. (ISBN 978-0-262-01513-4, lire en ligne)
- « Le jugement majoritaire », sur lechoixcommun.fr (consulté le )
- (en) Michel Balinski et Rida Laraki, « Judge : donât vote », Operations Research,â , p. 29 (lire en ligne)
- « Pourquoi on n'utilise pas tout simplement des notes ? », sur lechoixcommun.fr (consulté le )
- « Vous reprendrez bien un peu de démocratie ? », sur lechoixcommun.fr (consulté le )
- Michel Balinski et Rida Laraki, « Jugement majoritaire versus vote majoritaire », Revue Française dâĂconomie,â (DOI https://doi.org/10.3917/rfe.124.0011, lire en ligne)
- « Le théorÚme d'impossibilité de Kenneth Arrow », sur lechoixcommun.fr (consulté le )
Voir aussi
Articles connexes
Programme informatique
- Paquet R implémentant différentes méthodes de meilleure médiane, ainsi que la méthode de meilleure somme : HighestMedianRules.