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Jean Renart

Jean Renart est le nom de plume d'un écrivain français de la fin du XIIe siècle et de la première partie du XIIIe siècle, connu comme auteur du Lai de l'Ombre, qu'il signe de ce nom. Il est sorti de l'anonymat à la fin du XIXe siècle, quand on a pu lui attribuer deux romans, L'Escoufle et Le Roman de la Rose. Le puissant évêque Milon de Nanteuil était le mécène de Jean Renart. Ce dernier lui consacrera Le Roman de la Rose (plus tard rebaptisé Guillaume de Dole)[1] - [2] - [3] - [4].

Jean Renart
Biographie
Naissance
Activités
Période d'activité
XIIe siècle-XIIIe siècle
Autres informations
Mécène
Ĺ’uvres principales
L'Escoufle (d), Le Roman de la Rose, Le lai de l'ombre (d)

Éléments biographiques

Un ménestrel ?

Sa vie est mal connue. Le peu qu'on sait de cet auteur est tiré des renseignements fournis par ses œuvres dont les dates d'écriture sont déduites des allusions à des personnages historiques qu'elles contiennent. Originaire du Rhône et de formation cléricale, il porte un surnom de ménestrel, construit sur un oxymore[5]. En effet, dans la littérature médiévale, les noms formés sur Johannes (Jean, Jehan, Jeannot…) désignaient des niais, des benêts, alors que Renart est « le maître des ruses »[6].

Il ne signe clairement qu’un texte de ce surnom : le Lai de l'Ombre. Mais au début de ce poème, il fait une allusion explicite à un autre texte en vers, un roman, l’Escoufle ; et des similitudes d’intrigue, des critères stylistiques, ainsi qu’une anagramme en fin de poème à propos de son sornon, permettent de lui attribuer de façon sûre Le Roman de la Rose[5].

Jean Renart connait très bien les œuvres des trouvères et même de certains troubadours de son temps. Il évolue dans un milieu aristocratique : l’Escoufle est dédié à un comte de Hainaut, ce qui permet de la dater vers 1200-1202[7] ; le Lai de l’Ombre est dédicacé à un eslit, un évêque désigné (élu) mais non consacré, probablement le même Milon de Nanteuil[8] - [9] auquel est dédicacé le Roman de la Rose[10].

Une identification vraisemblable

Rita Lejeune a apporté dans une publication de 1997, Du nouveau sur Jean Renart[11], des éléments qui tendent à prouver que sous ce pseudonyme se cache Hugues de Pierrepont, prince-évêque de Liège de 1200 à 1229[12]. Selon Gislebert de Mons, Hugues était un clerc exceptionnel et très lettré (« satis litteratus et discretus », écrit-il dans ses Gesta episcoporum Leodiensium abbreviata). Il aurait eu, selon la Chronica d'Aubry de Trois-Fontaines, une jeunesse dissolue avant de s'amender. Il avait aussi une grande réputation de chevalier sachant manier les armes et mener ses troupes : en 1213, à la tête des milices communales liégeoise et hutoise, il vainquit le duc de Brabant Henri le Guerroyeur, allié de Philippe Auguste, à la bataille de Steps. C'était aussi un prélat mondain, qui, lorsqu'il participa au concile de Latran (11 au ) se présenta les deux premiers jours en habits laïcs, vêtu d'abord comme un comte, puis comme un duc, et le troisième en habit épiscopal, coiffé de la mitre[12].

Hugues de Pierrepont, noble lui-même, connaissait la noblesse française et impériale (dont certains représentants illustres apparaissent en personne dans l'épisode du tournoi du Roman de la Rose) ; il maîtrisait le vocabulaire juridique (très présent dans l’Escoufle et le Roman de la Rose), puisqu'il rendait la justice en tant que prince-évêque[8] ; il pouvait connaître le wallon (le tudesque) que parlaient ses ouailles, dont Jean Renart se moque dans Le Roman de la Rose[13]. Il avait un frère prénommé Guillaume, comme les héros de l’Escoufle et du Roman de la Rose, mort au cours de la troisième croisade[8]. En outre il soutenait, dans la course au titre d'empereur du Saint-Empire romain germanique, la candidature d'Othon, comte de Poitiers, qu'il est allé chercher, avec d'autres prélats rhénans, pour le faire élire roi des Romains puis couronner le [14]. Aussi Rita Lejeune a-t-elle émis l'idée que, dans le Roman de la Rose le personnage de papier, le roi Conrad, était une représentation idéalisée de l'empereur Othon IV[8].

Ĺ’uvres

On attribue avec certitude trois ouvrages Ă  Jean Renart[5] :

  • L’Escoufle, un roman de plus de 9 000 vers, traite le thème des amours contrariĂ©es par un père, mĂŞlĂ© au thème de l'oiseau (un escoufle, c'est-Ă -dire un milan) voleur d'un objet prĂ©cieux (un anneau, gage d'amour) : Guillaume de Montivilliers est promis Ă  Aelis, fille de l’empereur de Rome, dont son père est conseiller. Ă€ la mort du père de Guillaume, l’empereur revient sur sa promesse, et les deux jeunes gens s’enfuient vers la France. Aelis a donnĂ© Ă  Guillaume une aumĂ´nière contenant un anneau. Un escoufle s’en empare. Guillaume part Ă  la poursuite de l’oiseau ; les amants sont longtemps sĂ©parĂ©s et se retrouvent après de multiples pĂ©ripĂ©ties.
  • Le Lai de l'Ombre, une nouvelle courtoise de 962 vers : un chevalier est amoureux d'une dame qui lui rĂ©siste et refuse l'anneau qu'il lui offre ; il dĂ©clare alors qu’il va en faire prĂ©sent Ă  l’objet qu’il aime le plus après sa dame : il jette l'anneau dans un puits pour l'offrir Ă  l'image (l'ombre) de la dame reflĂ©tĂ©e par l'eau ; la dame sĂ©duite par tant de raffinement lui accorde son amour.
  • Le Roman de la Rose, renommĂ© Guillaume de Dole par l'humaniste et historien du XVIe siècle Claude Fauchet, d’après un des hĂ©ros du roman, pour Ă©viter la confusion avec Le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, beaucoup plus cĂ©lèbre. L’histoire repose sur le thème de la gageĂĽre ou pari sur la chastetĂ© d'une femme[15], mais s'appuie aussi sur un fonds historique, la crise de succession dans le Saint-Empire, entre 1197 et 1218[16]. L’empereur Conrad tombe amoureux de LiĂ©nor, sĹ“ur de Guillaume de Dole, sans l’avoir vue, grâce Ă  une chanson de trouvère (qui s'inspire du Lai de l'Ombre). Il invite le frère Ă  sa cour, oĂą celui-ci s’illustre dans un tournoi. Le sĂ©nĂ©chal de l’empereur, jaloux du nouveau venu, se rend Ă  Dole et obtient par ruse de la mère de LiĂ©nor un dĂ©tail intime sur la jeune fille (elle a sur la cuisse une tache de naissance en forme de rose). Le sĂ©nĂ©chal peut alors prĂ©tendre devant l’empereur qu’elle s’est donnĂ©e Ă  lui. LiĂ©nor dĂ©cide de dĂ©masquer l’imposteur : elle lui fait envoyer, de la part d’une femme que le sĂ©nĂ©chal a naguère courtisĂ©e en vain, une aumĂ´nière contenant un anneau, une broche et une ceinture ; puis se rend Ă  la cour de l’empereur, prĂ©tend que le sĂ©nĂ©chal l’a violĂ©e et lui a volĂ© les objets qu’elle lui a fait remettre. Le sĂ©nĂ©chal jure n’avoir jamais vu cette jeune fille : LiĂ©nor se dĂ©voile alors comme « la pucelle Ă  la rose », confondant le sĂ©nĂ©chal qu’on oblige Ă  se croiser, et Ă©pouse l’empereur. Dans ce texte, par ses allusions Ă  des faits contemporains, en Ă©liminant les Ă©lĂ©ments merveilleux propres Ă  la tradition bretonne, Jean Renart manifeste un souci d'actualisation qui oriente le roman dans la voie du rĂ©alisme ; Renart est aussi le premier auteur Ă  insĂ©rer des intermèdes lyriques chantĂ©s qui viennent ponctuer et commenter l’action, un procĂ©dĂ© qui sera rapidement repris par d'autres auteurs.

On lui a attribué d’autres textes anonymes de la même époque : un roman, Galeran de Bretagne, dont l'auteur qui se désigne comme « Renaut » s’inspire visiblement de Jean Renart ; un fabliau, Auberée ; un lai : le Lai d’ignauré (ou Ignaurès) ou Lai du prisonnier, dont l’auteur signe aussi Renaut (peut-être Renaut de Beaujeu) ; deux pièces à rire, Débat de Renart et de Piaudoue, Du Plait de Renart de Dammartin contre Vairon son roncin, mais à chaque fois sans éléments vraiment probants.

La question de l’audience réelle de Jean Renart à son époque reste posée : en effet l’Escoufle n’est conservé que dans un manuscrit, tout comme le Roman de la Rose ; le Lai de l’Ombre est connu par sept manuscrits, six du XIIIe et un du XIVe siècle. Cependant des études récentes soulignent le succès du procédé d'insertion de poèmes lyriques qu'il affirme avoir inventé. Son Roman de la Rose a été imité dès 1229 par Gerbert de Montreuil, dans le Roman de la Violette, qui en imite le titre, en reprend l'intrigue et y insère quarante chansons et refrains lyriques à la mode sous Louis VIII[17]. Galeran de Bretagne s'inscrit dans la même tradition littéraire, tout en se montrant plus proche de l'esthétique épique des romans de la Table Ronde[18].

Éditions

  • Jean Renart, L'Escoufle, roman d'aventure. Nouvelle Ă©d. d'après le manuscrit 6565 de la Bibliothèque de l'Arsenal par Franklin Sweetser, Genève, Droz, 1974 (Textes littĂ©raires français, 211)
  • Jean Renart, L'Escoufle, roman d'aventure. Traduction en français moderne par Alexandre Micha, Paris, Ă©ditions HonorĂ© Champion, 1992 (Traductions des Classiques français du Moyen Ă‚ge, 48).
  • Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Ă©d. Rita Lejeune, Paris, Droz, 1936.
  • Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Ă©d. FĂ©lix Lecoy, Paris, Ă©ditions HonorĂ© Champion, 1962 (Classiques français du Moyen Ă‚ge, 91).
  • Jean Renart, Guillaume de Dole ou le Roman de la Rose, roman courtois du XIIIe siècle, traduit en français moderne par Jean Dufournet, Jacques Kooijman, RenĂ© MĂ©nage et Christine Tronc, Paris, Ă©ditions HonorĂ© Champion, 1988 (Traductions des Classiques français du Moyen Ă‚ge, 27).
  • Jean Renart (trad. Jean Dufournet), Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Paris, Ă©ditions HonorĂ© Champion, , 479 p. (ISBN 978-2-7453-1702-5, prĂ©sentation en ligne)
  • Jean Renart, Lai de l'Ombre, Ă©d. FĂ©lix Lecoy, Paris, Ă©ditions HonorĂ© Champion, 1979 (Classiques français du Moyen Ă‚ge, 104)

Notes et références

  1. Collectif, "L'ceuvre de Jean Renart" - Google
  2. Rita Lejeune, Ă©d. de 1936, FĂ©lix Lecoy, Ă©d. de 1962)
  3. Rita Lejeune-Dehousse, L'Ĺ’uvre de Jean Renart : contribution Ă  l'Ă©tude du genre romanesque au Moyen Ă‚ge, E. Droz, Lieg, Paris, 1935
  4. Todd, p. 144
  5. Jean Renart 2008, p. 11
  6. Renart est un patronyme germanique (Reginhard) traditionnellement porté par le goupil, flatteur, menteur, malicieux et rusé.
  7. Baudouin VI de Hainaut part pour la quatrième croisade en 1202 et meurt en 1206, prisonnier des Valaques après la bataille d'Andrinople ; jusqu’en 1246, il n’y a plus de comte de Hainaut.
  8. Jean Renart 2008, p. 13
  9. Originaire de Nanteuil-la-Fosse, le jeune et ambitieux Milon est candidat (éconduit) au titre d'archevêque de Reims en 1202, chanoine de la cathédrale en 1206, prévôt du chapitre à partir de 1207 et jusqu'à son élection comme évêque de Beauvais en 1217, consacré en 1222 à son retour de croisade, et mort en 1234.
  10. Les spécialistes datent ce roman soit de 1208-1210 (Rita Lejeune, 1974 ; Jean Dufournet, 2008), soit de 1228 (Félix Lecoy, 1962 ; Michel Zink, 1979).
  11. Du nouveau sur Jean Renart, 24 pages, Liège, 1997
  12. Jean Renart 2008, p. 12
  13. Jean Renart 2008, p. 203 : Jean Renart, écrivant pour le monde courtois francophone, relève avec un amusement condescendant le parler dialectal.
  14. Nancy Vine Durling 1997, p. 47
  15. Ce thème bien connu des contes porte le n° AT 882 dans la classification Aarne-Thompson.
  16. Nancy Vine Durling 1997, p. 46
  17. Jean Renart 2008, p. 56
  18. Jean Renart 2008, p. 57

Voir aussi

Bibliographie

  • Rita Lejeune, L’œuvre de Jean Renart, Liège, Paris, Droz, 1935.
  • Rita Lejeune, « Jean Renart, pseudonyme littĂ©raire de l'Ă©vĂŞque de Liège, Hugues de Pierrepont (1200-1229) », Revue belge de philologie et d'histoire, 77:2, 1999, p. 271-297.
  • Michel Zink, Roman rose et rose rouge, Paris, Nizet, , 126 p. (prĂ©sentation en ligne)
  • M. Accarie, Théâtre, littĂ©rature et sociĂ©tĂ© au Moyen Ă‚ge, Serre Ă©diteur, , 480 p. (ISBN 978-2-86410-412-4, lire en ligne), « Courtoisie, fine amor et amour courtois »
  • (en) Nancy Vine Durling, Jean Renart and the Art of Romance : essays on « Guillaume de Dole », University Press of Florida, , 240 p. (ISBN 978-0-8130-1495-1, lire en ligne)
  • Sylvie Lefèvre, « Jean Renart », dans Robert Bossuat, Louis Pichard et Guy Raynaud de Lage (dir.), Dictionnaire des lettres françaises, t. 1 : Moyen Ă‚ge, Ă©d. entièrement revue et mise Ă  jour sous la dir. de Geneviève Hasenohr et Michel Zink, Paris, Fayard, 1994, p. 838-841.
  • Isabelle Arseneau, « La condition du pastiche dans le roman lyrico-narratif de Jean Renart (Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole) », Études françaises, vol. 46, no 3,‎ , p. 99-122 (lire en ligne)

Articles connexes

Liens externes

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