Herméneutique philosophique
Le terme hermĂ©neutique provient du verbe grec ÎÏΌηΜΔÏΔÎčÎœ (hermeneuein) qui peut prendre trois grandes significations : exprimer, interprĂ©ter et traduire[1]. Mais en gĂ©nĂ©ral, la signification la plus courante que nous lui donnons est celle dâinterprĂ©ter. De plus, lâhermĂ©neutique se dĂ©finit dans lâAntiquitĂ© grecque, comme une ÏÎÏΜη (technĂš), c'est-Ă -dire un art ou plus prĂ©cisĂ©ment un savoir-faire. Ainsi, lâhermĂ©neutique doit ĂȘtre comprise traditionnellement comme lâart dâinterprĂ©ter, c'est-Ă -dire un savoir-faire qui permet de dĂ©chiffrer le sens dâun message.
Histoire
Des origines de lâhermĂ©neutique Ă la RĂ©forme protestante
DĂšs l'AntiquitĂ©, Platon (427-347 av. J.-C.) utilise le verbe ÎÏΌηΜΔÏΔÎčÎœ (hermeneuein) pour dĂ©finir le travail dâinterprĂ©tation des rhapsodes[2], qui traduisent et expriment en mots le message des dieux contenu dans les oracles. Ainsi, pour Platon, lâhermĂ©neutique est sĂ©parĂ©e de la science de la vĂ©ritĂ©, elle ne fait que dire le sens. Platon critique donc lâart divinatoire et la soumet au contrĂŽle de la vĂ©ritĂ© philosophique. Alors, la fonction attachĂ©e Ă lâhermĂ©neutique est celle de la mĂ©diation entre le divin et le mortel. Ă ce titre, chez les anciens Grecs, HermĂšs est le dieu-messager. LâhermĂ©neutique est donc trĂšs tĂŽt investie dâune fonction sacrale ou religieuse, car les messages sacrĂ©s ont toujours quelque chose dâintrinsĂšquement obscures.
Plus tard, les stoĂŻciens[3] penseront quâil existe deux types de langage : le λÏÎłÎżÏ ÏÏÎżÏÎżÏÎčÎșÏÏ (logos prophorikos) et le λÏÎłÎżÏ ÎÏ ÎŽÎčΏΞΔÏÎżÏ (logos endiathĂ©tos) qui sont respectivement le verbe extĂ©rieur (lâĂ©locution) et le verbe intĂ©rieur (de lâĂąme). Ainsi, chez eux, le verbe extĂ©rieur est analogue Ă la rhĂ©torique et ils lâappelleront allĂ©gorie. Pour sa part, le verbe intĂ©rieur sera plutĂŽt assimilable Ă lâhermĂ©neutique et ils le nommeront allĂ©gorĂšse. Selon eux, cette allĂ©gorĂšse permettrait dâaller chercher le sens cachĂ© dâun texte, qui se rĂ©vĂšle au premier abord seulement Ă travers lâallĂ©gorie. Cette conception est trĂšs importante, car elle prĂ©figure lâhermĂ©neutique de Philon dâAlexandrie (15 av. J.-C.-50 ap. J.-C.) qui a Ă©tĂ© le premier Ă appliquer lâallĂ©gorĂšse aux Ăcritures saintes de la Torah[4]. Plus tard, OrigĂšne[5] (185-234) et saint Augustin (354-430) reprendront le concept du sens cachĂ© que doit rĂ©vĂ©ler lâallĂ©gorĂšse, pour fonder les bases de lâexĂ©gĂšse biblique. Cette derniĂšre tiendra alors le haut du pavĂ© de lâinterprĂ©tation chrĂ©tienne des Ăcritures saintes pendant tout le Moyen Ăge.
Mais, avec la rĂ©forme protestante au XVIe siĂšcle, lâexĂ©gĂšse biblique et son allĂ©gorĂšse seront fortement critiquĂ©s par Martin Luther (1483-1546). En effet, Luther critique lâexĂ©gĂšse biblique, car il considĂšre que lâĂglise en a perdu le sens patristique et cela, au profit dâune autoritĂ© ecclĂ©siale dogmatique. Câest ainsi quâil Ă©tablira les bases dâune nouvelle exĂ©gĂšse ayant essentiellement trois principes fondamentaux (1. Le sens global. 2. Sens littĂ©ral. 3. LâintelligibilitĂ© des Ăcritures) dont le plus important Ă souligner est celui du sensus litteralis, c'est-Ă -dire du sens littĂ©ral, qui stipule que lâĂcriture doit ĂȘtre dâabord prise au pied de la lettre. Ce renouveau exĂ©gĂ©tique revĂȘt une importance capitale pour ce qui sera plus tard appelĂ© lâhermĂ©neutique biblique, car il est caractĂ©risĂ© par une quasi-absence dâinterprĂ©tation allĂ©gorique. Cela a donc donnĂ© lieu Ă une multitude de querelles au sein du protestantisme quant Ă la comprĂ©hension des Ăcritures saintes. Câest pourquoi, Ă partir de cette problĂ©matique, il y eut, chez les protestants, plusieurs penseurs et thĂ©ologiens tels que Flavius Illyricus (â1567) et Johann Conrad Dannhauer (1603-1666) qui ont dĂ©veloppĂ© de nouvelles approches exĂ©gĂ©tiques afin de pallier les apories de celles de Luther. Câest dâailleurs Dannhauer qui utilisa pour la premiĂšre fois le nĂ©ologisme dâhermeneutica (hermĂ©neutique) pour caractĂ©riser lâinterprĂ©tation des Ă©critures dans le christianisme. Mais, câest tout de mĂȘme plus d'un siĂšcle plus tard, avec Friedrich Schleiermacher (1768-1834), que lâhermĂ©neutique prendra un tournant dĂ©cisif qui ouvrira la porte Ă sa conception philosophique.
Le tournant universel de lâhermĂ©neutique chez Schleiermacher
Schleiermacher (1768-1834) Ă©tait un thĂ©ologien protestant allemand et un philosophe. Il a trĂšs peu Ă©crit sur lâhermĂ©neutique. NĂ©anmoins, il lâa enseignĂ©e pendant plusieurs annĂ©es et câest Ă travers ses manuscrits de notes de cours que nous y retrouvons sa pensĂ©e hermĂ©neutique. Cette derniĂšre stipule entre autres que lâhermĂ©neutique doit suivre une dĂ©marche particuliĂšre Ă lâintĂ©rieur de laquelle il y a deux procĂ©dĂ©s ou mĂ©thodes Ă suivre pour atteindre une interprĂ©tation adĂ©quate dâun texte. La premiĂšre mĂ©thode est appelĂ©e comparative et elle consiste en une interprĂ©tation grammaticale qui permet Ă tout discours dâĂȘtre analysĂ© selon le fonctionnement de sa propre langue, car celle-ci peut souvent comporter plusieurs interprĂ©tations pour un seul et mĂȘme mot. Pour sa part, la deuxiĂšme mĂ©thode est appelĂ©e divinatoire et elle se prĂ©sente comme une interprĂ©tation psychologique ou technique[6], car elle vise Ă retrouver lâĂ©tat dâĂąme particulier de lâauteur lorsquâil rĂ©digeait son texte. Cette mĂ©thode divinatoire est Ă©videmment lâaspect le plus original de lâapproche hermĂ©neutique de Schleiermacher. Par contre, elle ne consiste pas en un acte de « voyance », mais plutĂŽt dans un travail de reconstruction de la pensĂ©e de lâauteur Ă lâaide dâune mĂ©thodologie de la comprĂ©hension. Il y a donc un passage de lâinterprĂ©tation Ă lâart de la comprĂ©hension qui sâeffectue avec Schleiermacher pour lâhermĂ©neutique. De plus, chez lui, cette transformation sâaccompagne dâun souci de gĂ©nĂ©raliser cet art de la comprĂ©hension sous une seule hermĂ©neutique dite universelle[7] ; car au XVIIIe siĂšcle, il existait plutĂŽt plusieurs hermĂ©neutiques spĂ©ciales[8]. Ainsi, lâhermĂ©neutique ne se limitera plus simplement aux textes, mais Ă toutes autres formes de discours qui requiĂšrent une comprĂ©hension.
Ainsi, pour rĂ©aliser cette hermĂ©neutique universelle, Schleiermacher souligne quâil importe de faire la diffĂ©rence entre deux types de comprĂ©hension : la comprĂ©hension relĂąchĂ©e et la comprĂ©hension stricte. La premiĂšre en est une qui se produit dâelle-mĂȘme, sans que nous y mettions dâeffort tandis que la seconde doit ĂȘtre pleinement voulue et recherchĂ©e. Cette diffĂ©rence a des consĂ©quences importantes pour Schleiermacher. Ă vrai dire, pour lui, le fait que la comprĂ©hension relĂąchĂ©e soit intuitive et quâelle nâobĂ©isse Ă aucune rĂšgle particuliĂšre lâamĂšne Ă prĂ©supposer que câest plutĂŽt lâincomprĂ©hension qui se manifeste de la sorte. Câest pourquoi, lâeffort de comprĂ©hension doit absolument ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© de rĂšgles trĂšs strictes et cela, Ă travers une mĂ©thodologie particuliĂšre qui nous permettra dâĂ©viter toute forme dâincomprĂ©hension inconsciente de notre part.
Droysen et lâĂcole historique
MalgrĂ© le fait que Schleiermacher soit considĂ©rĂ© comme le pĂšre de la philosophie universelle de la comprĂ©hension, celui-ci a trĂšs peu parlĂ© de la comprĂ©hension de lâhistoire dans son hermĂ©neutique. En fait, ce sont plutĂŽt des philologues tel que August Böckh (1785-1867) et des historiens tel que Droysen (1808-1882) qui ont repris sa pensĂ©e pour lâappliquer Ă lâhistoire. Ce mouvement de pensĂ©e sâest manifestĂ© Ă lâintĂ©rieur de ce que nous appelons lâĂcole historique ou historicisme. En fait, cette Ăcole a pris son essor au XIXe siĂšcle particuliĂšrement en Allemagne et elle a situĂ© sa philosophie surtout en opposition Ă Hegel[9] (1770-1831) qui soutenait que câest notre raison qui dĂ©montre son efficacitĂ© en se rĂ©alisant dans lâhistoire et que, par consĂ©quent, le non-rationnel nâa jamais pu sâaffirmer dans celle-ci. Câest cette vision hĂ©gĂ©lienne sur lâhistoire, quâelle qualifiait dâidĂ©aliste[10], que lâĂ©cole historique a fortement critiquĂ©e.
En effet, cette Ă©cole sâoppose Ă reconstruction de lâhistoire en fonction des exigences a priori dâun systĂšme philosophique comme le prĂ©conisait Hegel. Ainsi, elle considĂšre que la connaissance scientifique nâa plus pour fondement la raison (comme le veut le rationalisme[11]), mais que cette connaissance scientifique sâappuie plutĂŽt sur des faits dont lâanalyse mĂ©thodologique lui en assure la validitĂ©. NĂ©anmoins, pour ce courant de pensĂ©e, cette analyse mĂ©thodologique ne consiste pas Ă dĂ©gager de lâhistoire des lois gĂ©nĂ©rales, comme le feraient les sciences de la nature, mais bien Ă lire les phĂ©nomĂšnes de lâhistoire tels quâils se rĂ©vĂšlent dans leur contexte. Implicitement, cela veut dire que les Ă©vĂšnements historiques sâinscrivent dans un rĂ©cit qui en fait quelque chose de comprĂ©hensible, c'est-Ă -dire un rĂ©cit qui donne sens Ă celui qui lâinterprĂšte et par extrapolation, Ă toute lâhumanitĂ© en questionnement[12].
Ainsi, pour lâhistorien allemand Droysen, dont nous avons parlĂ© ci-dessus, il est impĂ©ratif de dĂ©velopper une mĂ©thodologie de la comprĂ©hension[13]. Car, si les sciences exactes sont parvenues Ă un si grand succĂšs au XIXe siĂšcle, câest parce quâelles se sont munies dâune mĂ©thode[14] qui est Ă la base de lâexplication scientifique. Donc, pour lui, tant et aussi longtemps que lâhistoire sera privĂ©e dâune telle mĂ©thodologie, elle ne pourra pas se prĂ©tendre une science.
Cette scientificitĂ© de lâhistoire et des sciences humaines en gĂ©nĂ©ral doit, selon Droysen, se fonder Ă partir de deux maniĂšres. PremiĂšrement, en leur appliquant la mĂ©thode des sciences exactes. De cette maniĂšre, il nây aurait plus de diffĂ©rence significative entre les deux types de connaissances. Et deuxiĂšmement, en spĂ©cifiant ce qui distingue les sciences humaines des sciences exactes et cela, soit Ă lâaide dâune mĂ©thodologie propre Ă chacune des sciences humaines, soit Ă lâaide dâune mĂ©thodologie gĂ©nĂ©rale des sciences humaines. Cette derniĂšre mĂ©thodologie, comme nous le verrons au prochain paragraphe, sera lâapanage de Dilthey (1833-1911), penseur allemand de la fin du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe.
LâhermĂ©neutique de Dilthey
Historien de la philosophie et philosophe fortement influencĂ© par le romantisme[15], Dilthey est un grand connaisseur de Schleiermacher et se trouve dans la mĂȘme lignĂ©e philosophique que lâĂ©cole historique. Par consĂ©quent, lui aussi sâopposera au rationalisme hĂ©gĂ©lien et mettra lâaccent sur la mĂ©thodologie de la comprĂ©hension. Mais, au lieu de tenter dâappliquer la mĂ©thode des sciences exactes aux sciences humaines, il fera plutĂŽt la distinction entre ces deux sciences afin de dĂ©velopper une mĂ©thodologie propre aux sciences humaines qui de cette maniĂšre pourront enfin prĂ©tendre Ă lâobjectivitĂ©.
Pour ce faire, Dilthey entreprend un ouvrage considĂ©rable intitulĂ© Introduction Ă l'Ă©tude des sciences humaines (1883), quâil envisage comme une critique de la raison historique. Cette derniĂšre critique est Ă©videmment inspirĂ©e de la Critique de la raison pure de Kant (1724-1804) de 1781 qui trace une voie mitoyenne entre les doctrines de lâempirisme et du rationalisme. En effet, Dilthey opĂšre dans cet ouvrage une critique des sciences humaines analogue Ă celle de Kant un siĂšcle plus tĂŽt. Cependant, il est Ă noter que la pensĂ©e de Dilthey se veut une opposition Ă la perspective hĂ©gĂ©lienne de la mĂ©taphysique de lâhistoire, tout comme celle de lâĂcole historique et de lâempirisme. De cette maniĂšre, Dilthey se propose de complĂ©ter le travail de Kant qui, selon lui, nâaurait pas parlĂ© des sciences humaines dâun point de vue Ă©pistĂ©mologique.
Dans cette perspective, les sciences pures sont, pour Dilthey, une explication des phĂ©nomĂšnes qui se fait Ă partir dâhypothĂšses gĂ©nĂ©rales, tandis que les sciences humaines se veulent plutĂŽt comme une comprĂ©hension, c'est-Ă -dire une introduction dans une individualitĂ© historique. Ce qui veut dire, pour Dilthey, que les sciences humaines scrutent lâintĂ©rioritĂ© de lâexpression humaine et quâelles ont pour but une reconstruction de la genĂšse du discours humain, au mĂȘme sens que lâentendait Schleiermacher. Ă cela, nous voyons bien une portĂ©e hermĂ©neutique se profiler Ă lâhorizon et cela, malgrĂ© le fait quâelle nâapparaĂźt pas directement dans lâouvrage de 1883. NĂ©anmoins, Dilthey publiera en 1900 un ouvrage intitulĂ© Le monde de lâesprit dans lequel il dira que lâhermĂ©neutique est ce que nous appelons « cette technique de lâinterprĂ©tation des manifestations vitales de vie »[16]. Dans ce mĂȘme ouvrage, il dit aussi que la comprĂ©hension est un « processus par lequel nous connaissons un « intĂ©rieur » Ă lâaide de signes extĂ©rieurs par nos sens »[17].
Pour Dilthey, lâobjet de lâhermĂ©neutique est alors dâinterprĂ©ter des signes extĂ©rieurs afin dâen comprendre lâintĂ©rieur[18], c'est-Ă -dire lâesprit et la vie qui sâexprime Ă travers ceux-ci. En somme, lâhermĂ©neutique possĂšde donc, pour Dilthey, une structure triadique : le sentiment de lâĂąme, lâexpression et la comprĂ©hension oĂč le sentiment de lâĂąme doit ĂȘtre reconstruit, comme nous lâavons dit prĂ©cĂ©demment, Ă lâaide dâune mĂ©thode propre aux sciences humaines.
Heidegger et lâhermĂ©neutique ontologique
Heidegger fut lâĂ©lĂšve dâEdmund Husserl (1859-1938), le fondateur de la phĂ©nomĂ©nologie[19]. Sa pensĂ©e hermĂ©neutique a donc Ă©tĂ© influencĂ©e par cette derniĂšre, dâautant plus quâHusserl dans le dĂ©veloppement de sa thĂ©orie de la comprĂ©hension a vivement critiquĂ© lâhistoricisme de Dilthey.
Ainsi, lâhermĂ©neutique contemporaine a Ă©tĂ© influencĂ©e par une approche diffĂ©rente de sa tradition initiale. En effet, la thĂ©orie de la comprĂ©hension du XXe siĂšcle sâest peu Ă peu Ă©loignĂ©e de la perspective « psychologique » du retour au logos intĂ©rieur de Dilthey, pour effectuer un tournant phĂ©nomĂ©nologique avec Husserl et existential[20] avec Heidegger.
LâhermĂ©neutique sâest donc dĂ©gagĂ©e de la problĂ©matique du retour Ă lâĂ©tat dâĂąme de lâauteur pour se rapprocher du questionnement ontologique de lâ« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde » ; c'est-Ă -dire, dans les mots dâHeidegger, de la problĂ©matique du Dasein[21]. Avec ce tournant existential, la comprĂ©hension devient un questionnement de lâĂȘtre par rapport au concret des projets de son existence et consĂ©quemment, celle-ci se rapproche de la question du langage. Car, comment pourrions-nous expliciter de tels projets en dehors du langage ? Câest ainsi que chez Heidegger, lâinterprĂ©tation apparaĂźt comme lâaspect langagier de la comprĂ©hension. Cependant, lâinterprĂ©tation nâa pas pour fondement lâapplication dâune mĂ©thode afin de comprendre un texte ou un discours, mais elle a plutĂŽt pour principe initial la comprĂ©hension de lâexistence avant toute comprĂ©hension du discours. Ce principe initial de la comprĂ©hension de lâexistence, câest ce quâHeidegger appelle la structure dâanticipation et selon lui, celle-ci est nĂ©cessaire Ă toute comprĂ©hension. De cette maniĂšre, le cercle hermĂ©neutique nâest plus conçu comme dans lâexĂ©gĂšse biblique[22] ou lâhistoricisme[23], mais plutĂŽt comme un aller-retour incessant entre lâinterprĂ©tation et nos structures anticipations qui lâalimentent. Nous sommes donc, avec le premier Heidegger (dans Ătre et Temps), devant une hermĂ©neutique du Dasein que nous pouvons trĂšs bien qualifier dâonto-phĂ©nomĂ©nologie universelle. Car, pour Heidegger, le Dasein lui-mĂȘme est une sorte de phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique, dans la mesure oĂč il recherche sans cesse ce qui est cachĂ© sous les phĂ©nomĂšnes de son existence[24] - [25].
Notes et références
- J. Grondin, LâuniversalitĂ© de lâhermĂ©neutique, PUF, 1993, p. 6
- RĂ©citant de poĂšmes Ă©piques qui accompagne son chant de la lyre ou de la cithare dans la GrĂšce antique.
- StoĂŻcisme : Doctrine de ZĂ©non (332-262 av. J.-C.), fondateur du Portique (ÏÏοΏ : stoa en grec) dâoĂč elle tire son nom. Elle affirme que le bonheur rĂ©side dans la vertu et que nous devons ĂȘtre indiffĂ©rents Ă tout ce qui a une influence sur la sensibilitĂ©.
- Les cinq premiers livres de la Bible chez les juifs.
- PĂšre de lâĂglise : Fondateur de lâallĂ©gorĂšse du quadruple sens.
- Schleiermacher lâappelait aussi technique, car elle vise Ă comprendre la technĂš (lâart) bien particuliĂšre dâun auteur.
- Câest donc Ă partir de Schleiermacher (considĂ©rĂ© comme le fondateur de lâhermĂ©neutique universelle), que lâhermĂ©neutique cesse dâavoir une fonction auxiliaire, pour aspirer Ă devenir une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de toute comprĂ©hension et par consĂ©quent, une philosophie en elle-mĂȘme. Câest dâailleurs dans cette optique que les termes, dâinterprĂ©tation et de comprĂ©hension, sont dĂ©sormais synonymes pour lâhermĂ©neutique.
- Herméneutique sacrée, herméneutique juridique, herméneutique médicale, etc.
- Philosophe allemand, fondateur de la Phénoménologie de l'esprit (1806).
- Idéalisme : courant philosophique dans lequel l'idée est considérée comme norme ou principe du réel.
- Philosophie selon laquelle la raison est la source de toute connaissance.
- Mais, selon certains penseurs, cette perspective de lâĂcole historique aurait ouvert la porte au relativisme et au scepticisme moderne, voire au nihilisme. En effet, si toute comprĂ©hension dâun Ă©vĂšnement dĂ©pend du contexte de lâĂ©poque dans laquelle il sâest dĂ©roulĂ©, nous sommes alors dans lâobligation dâen Ă©tablir la vĂ©ritĂ© seulement Ă partir de ce mĂȘme contexte. Mais, Ă©tant donnĂ© que le contexte change toujours dâune Ă©poque Ă une autre, la « vĂ©ritĂ© » ne revĂȘt plus par consĂ©quent quâune valeur relative : câest alors le relativisme. De plus, la pensĂ©e de lâĂcole historique peut aussi nous amener Ă considĂ©rer notre Ă©poque comme Ă©tant celle qui possĂšde la meilleure perspective quant Ă la comprĂ©hension de lâhistoire et cela, du fait que nous pouvons considĂ©rer nos valeurs avec un plus grand recul historique. Cette maniĂšre de voir les choses est appelĂ©e : conscience historique. Ainsi, pour certains, cette derniĂšre prĂ©figure le nihilisme ; car de cette façon, la connaissance est vouĂ©e Ă un perpĂ©tuel changement qui fait en sorte que rien n'existe absolument (scepticisme) et quâainsi, aucune valeur ne peut ĂȘtre fondĂ©e (nihilisme).
- Ici, nous constatons une Ă©volution de lâhermĂ©neutique. Car cette derniĂšre, qui auparavant se limitait Ă lâinterprĂ©tation et la comprĂ©hension des textes, se voit transposer Ă lâhistoire oĂč il sâagit dĂ©sormais de comprendre et dâinterprĂ©ter des Ă©vĂšnements qui ne sont plus, pour Droysen, simplement des faits, mais plutĂŽt des tĂ©moignages. De cette maniĂšre, lâhermĂ©neutique est appelĂ©e Ă ĂȘtre un acteur important dans le dĂ©bat mĂ©thodologique en ce qui concerne la spĂ©cificitĂ© des sciences humaines. Un dĂ©bat qui, en lâoccurrence, Ă©tait tout Ă fait Ă©tranger Ă Schleiermacher.
- La mĂ©thode scientifique a Ă©tĂ© entre autres inspirĂ©e de lâempirisme moderne : doctrine qui, contrairement Ă lâidĂ©alisme ou au rationalisme, dĂ©fend lâidĂ©e selon laquelle lâensemble des connaissances a pour origine des acquisitions de lâexpĂ©rience.
- Ensemble des mouvements intellectuels et artistiques qui se développÚrent dans la premiÚre moitié du XIXe siÚcle en réaction au rationalisme et au classicisme des siÚcles précédents.
- W. Dilthey, Le monde de lâesprit, Ădition Aubier-Montaigne, 1947, p. 334.
- Ibidem, p. 320.
- Ici, nous retrouvons clairement le λÏÎłÎżÏ ÏÏÎżÏÎżÏÎčÎșÏÏ (logos prophorikos) et le λÏÎłÎżÏ ÎÏ ÎŽÎčΏΞΔÏÎżÏ (logos endiathĂ©tos) des anciens, comme nous lâavons prĂ©cĂ©demment chez les stoĂŻciens, qui sont respectivement le verbe intĂ©rieur (de lâĂąme) et le verbe extĂ©rieur (lâĂ©locution).
- Science des phĂ©nomĂšnes qui se proposent de saisir, par un retour aux donnĂ©es immĂ©diates de la conscience, les structures transcendantes de celle-ci et les essences des ĂȘtres.
- Examen des structures de la comprĂ©hension de soi dans une perspective ontologique, c'est-Ă -dire de notre existentialitĂ© en tant quâ« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde ».
- Lâ« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde » qui se questionne et se comprend dans son existentialitĂ©. En dâautres mots : existence humaine conçue comme prĂ©sence au monde (ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde) qui est questionnement sur sa propre existence en tant quâĂ©tant (chose qui est).
- Dans lâexĂ©gĂšse biblique, le cercle hermĂ©neutique est conçu dans une perspective de foi : il faut croire pour comprendre et comprendre pour croire.
- Pour lâhistoricisme, le cercle hermĂ©neutique est conçu comme une relation formelle entre le tout et ses parties. Cette conception provient de Friedrich Ast (1778-1841) philosophe et philologue allemand de XIXe siĂšcle qui stipulait que pour comprendre lâensemble dâun texte, il faut comprendre ses parties et vice versa. Il est Ă noter que par la suite, Schleiermacher a voulu limiter la portĂ©e de cette conception, car, pour sa part, elle Ă©tait plutĂŽt problĂ©matique. En effet, comment pouvons-nous faire pour sortir de ce cercle ? Cela veut dire que pour comprendre le tout, il faut comprendre la partie, et vice versa.
- H. G. Gadamer, VĂ©ritĂ© et MĂ©thode, Ăditions du Seuil, 1996, p. 11 (= GW, I, p. 1).
- Idem, p. 15, (= GW, I, p. 5).