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Herméneutique philosophique

Le terme hermĂ©neutique provient du verbe grec έρΌηΜΔύΔÎčÎœ (hermeneuein) qui peut prendre trois grandes significations : exprimer, interprĂ©ter et traduire[1]. Mais en gĂ©nĂ©ral, la signification la plus courante que nous lui donnons est celle d’interprĂ©ter. De plus, l’hermĂ©neutique se dĂ©finit dans l’AntiquitĂ© grecque, comme une τέχΜη (technĂš), c'est-Ă -dire un art ou plus prĂ©cisĂ©ment un savoir-faire. Ainsi, l’hermĂ©neutique doit ĂȘtre comprise traditionnellement comme l’art d’interprĂ©ter, c'est-Ă -dire un savoir-faire qui permet de dĂ©chiffrer le sens d’un message.

Histoire

Des origines de l’hermĂ©neutique Ă  la RĂ©forme protestante

DĂšs l'AntiquitĂ©, Platon (427-347 av. J.-C.) utilise le verbe έρΌηΜΔύΔÎčÎœ (hermeneuein) pour dĂ©finir le travail d’interprĂ©tation des rhapsodes[2], qui traduisent et expriment en mots le message des dieux contenu dans les oracles. Ainsi, pour Platon, l’hermĂ©neutique est sĂ©parĂ©e de la science de la vĂ©ritĂ©, elle ne fait que dire le sens. Platon critique donc l’art divinatoire et la soumet au contrĂŽle de la vĂ©ritĂ© philosophique. Alors, la fonction attachĂ©e Ă  l’hermĂ©neutique est celle de la mĂ©diation entre le divin et le mortel. À ce titre, chez les anciens Grecs, HermĂšs est le dieu-messager. L’hermĂ©neutique est donc trĂšs tĂŽt investie d’une fonction sacrale ou religieuse, car les messages sacrĂ©s ont toujours quelque chose d’intrinsĂšquement obscures.

Plus tard, les stoĂŻciens[3] penseront qu’il existe deux types de langage : le Î»ÏŒÎłÎżÏ‚ Ï€ÏÎżÏ†ÎżÏÎčÎșός (logos prophorikos) et le Î»ÏŒÎłÎżÏ‚ έυΎÎčÎŹÎžÎ”Ï„ÎżÏ‚ (logos endiathĂ©tos) qui sont respectivement le verbe extĂ©rieur (l’élocution) et le verbe intĂ©rieur (de l’ñme). Ainsi, chez eux, le verbe extĂ©rieur est analogue Ă  la rhĂ©torique et ils l’appelleront allĂ©gorie. Pour sa part, le verbe intĂ©rieur sera plutĂŽt assimilable Ă  l’hermĂ©neutique et ils le nommeront allĂ©gorĂšse. Selon eux, cette allĂ©gorĂšse permettrait d’aller chercher le sens cachĂ© d’un texte, qui se rĂ©vĂšle au premier abord seulement Ă  travers l’allĂ©gorie. Cette conception est trĂšs importante, car elle prĂ©figure l’hermĂ©neutique de Philon d’Alexandrie (15 av. J.-C.-50 ap. J.-C.) qui a Ă©tĂ© le premier Ă  appliquer l’allĂ©gorĂšse aux Écritures saintes de la Torah[4]. Plus tard, OrigĂšne[5] (185-234) et saint Augustin (354-430) reprendront le concept du sens cachĂ© que doit rĂ©vĂ©ler l’allĂ©gorĂšse, pour fonder les bases de l’exĂ©gĂšse biblique. Cette derniĂšre tiendra alors le haut du pavĂ© de l’interprĂ©tation chrĂ©tienne des Écritures saintes pendant tout le Moyen Âge.

Mais, avec la rĂ©forme protestante au XVIe siĂšcle, l’exĂ©gĂšse biblique et son allĂ©gorĂšse seront fortement critiquĂ©s par Martin Luther (1483-1546). En effet, Luther critique l’exĂ©gĂšse biblique, car il considĂšre que l’Église en a perdu le sens patristique et cela, au profit d’une autoritĂ© ecclĂ©siale dogmatique. C’est ainsi qu’il Ă©tablira les bases d’une nouvelle exĂ©gĂšse ayant essentiellement trois principes fondamentaux (1. Le sens global. 2. Sens littĂ©ral. 3. L’intelligibilitĂ© des Écritures) dont le plus important Ă  souligner est celui du sensus litteralis, c'est-Ă -dire du sens littĂ©ral, qui stipule que l’Écriture doit ĂȘtre d’abord prise au pied de la lettre. Ce renouveau exĂ©gĂ©tique revĂȘt une importance capitale pour ce qui sera plus tard appelĂ© l’hermĂ©neutique biblique, car il est caractĂ©risĂ© par une quasi-absence d’interprĂ©tation allĂ©gorique. Cela a donc donnĂ© lieu Ă  une multitude de querelles au sein du protestantisme quant Ă  la comprĂ©hension des Écritures saintes. C’est pourquoi, Ă  partir de cette problĂ©matique, il y eut, chez les protestants, plusieurs penseurs et thĂ©ologiens tels que Flavius Illyricus (≈1567) et Johann Conrad Dannhauer (1603-1666) qui ont dĂ©veloppĂ© de nouvelles approches exĂ©gĂ©tiques afin de pallier les apories de celles de Luther. C’est d’ailleurs Dannhauer qui utilisa pour la premiĂšre fois le nĂ©ologisme d’hermeneutica (hermĂ©neutique) pour caractĂ©riser l’interprĂ©tation des Ă©critures dans le christianisme. Mais, c’est tout de mĂȘme plus d'un siĂšcle plus tard, avec Friedrich Schleiermacher (1768-1834), que l’hermĂ©neutique prendra un tournant dĂ©cisif qui ouvrira la porte Ă  sa conception philosophique.

Le tournant universel de l’hermĂ©neutique chez Schleiermacher

Schleiermacher (1768-1834) Ă©tait un thĂ©ologien protestant allemand et un philosophe. Il a trĂšs peu Ă©crit sur l’hermĂ©neutique. NĂ©anmoins, il l’a enseignĂ©e pendant plusieurs annĂ©es et c’est Ă  travers ses manuscrits de notes de cours que nous y retrouvons sa pensĂ©e hermĂ©neutique. Cette derniĂšre stipule entre autres que l’hermĂ©neutique doit suivre une dĂ©marche particuliĂšre Ă  l’intĂ©rieur de laquelle il y a deux procĂ©dĂ©s ou mĂ©thodes Ă  suivre pour atteindre une interprĂ©tation adĂ©quate d’un texte. La premiĂšre mĂ©thode est appelĂ©e comparative et elle consiste en une interprĂ©tation grammaticale qui permet Ă  tout discours d’ĂȘtre analysĂ© selon le fonctionnement de sa propre langue, car celle-ci peut souvent comporter plusieurs interprĂ©tations pour un seul et mĂȘme mot. Pour sa part, la deuxiĂšme mĂ©thode est appelĂ©e divinatoire et elle se prĂ©sente comme une interprĂ©tation psychologique ou technique[6], car elle vise Ă  retrouver l’état d’ñme particulier de l’auteur lorsqu’il rĂ©digeait son texte. Cette mĂ©thode divinatoire est Ă©videmment l’aspect le plus original de l’approche hermĂ©neutique de Schleiermacher. Par contre, elle ne consiste pas en un acte de « voyance », mais plutĂŽt dans un travail de reconstruction de la pensĂ©e de l’auteur Ă  l’aide d’une mĂ©thodologie de la comprĂ©hension. Il y a donc un passage de l’interprĂ©tation Ă  l’art de la comprĂ©hension qui s’effectue avec Schleiermacher pour l’hermĂ©neutique. De plus, chez lui, cette transformation s’accompagne d’un souci de gĂ©nĂ©raliser cet art de la comprĂ©hension sous une seule hermĂ©neutique dite universelle[7] ; car au XVIIIe siĂšcle, il existait plutĂŽt plusieurs hermĂ©neutiques spĂ©ciales[8]. Ainsi, l’hermĂ©neutique ne se limitera plus simplement aux textes, mais Ă  toutes autres formes de discours qui requiĂšrent une comprĂ©hension.

Ainsi, pour rĂ©aliser cette hermĂ©neutique universelle, Schleiermacher souligne qu’il importe de faire la diffĂ©rence entre deux types de comprĂ©hension : la comprĂ©hension relĂąchĂ©e et la comprĂ©hension stricte. La premiĂšre en est une qui se produit d’elle-mĂȘme, sans que nous y mettions d’effort tandis que la seconde doit ĂȘtre pleinement voulue et recherchĂ©e. Cette diffĂ©rence a des consĂ©quences importantes pour Schleiermacher. À vrai dire, pour lui, le fait que la comprĂ©hension relĂąchĂ©e soit intuitive et qu’elle n’obĂ©isse Ă  aucune rĂšgle particuliĂšre l’amĂšne Ă  prĂ©supposer que c’est plutĂŽt l’incomprĂ©hension qui se manifeste de la sorte. C’est pourquoi, l’effort de comprĂ©hension doit absolument ĂȘtre prĂ©cĂ©dĂ© de rĂšgles trĂšs strictes et cela, Ă  travers une mĂ©thodologie particuliĂšre qui nous permettra d’éviter toute forme d’incomprĂ©hension inconsciente de notre part.

Droysen et l’École historique

MalgrĂ© le fait que Schleiermacher soit considĂ©rĂ© comme le pĂšre de la philosophie universelle de la comprĂ©hension, celui-ci a trĂšs peu parlĂ© de la comprĂ©hension de l’histoire dans son hermĂ©neutique. En fait, ce sont plutĂŽt des philologues tel que August Böckh (1785-1867) et des historiens tel que Droysen (1808-1882) qui ont repris sa pensĂ©e pour l’appliquer Ă  l’histoire. Ce mouvement de pensĂ©e s’est manifestĂ© Ă  l’intĂ©rieur de ce que nous appelons l’École historique ou historicisme. En fait, cette École a pris son essor au XIXe siĂšcle particuliĂšrement en Allemagne et elle a situĂ© sa philosophie surtout en opposition Ă  Hegel[9] (1770-1831) qui soutenait que c’est notre raison qui dĂ©montre son efficacitĂ© en se rĂ©alisant dans l’histoire et que, par consĂ©quent, le non-rationnel n’a jamais pu s’affirmer dans celle-ci. C’est cette vision hĂ©gĂ©lienne sur l’histoire, qu’elle qualifiait d’idĂ©aliste[10], que l’école historique a fortement critiquĂ©e.

En effet, cette Ă©cole s’oppose Ă  reconstruction de l’histoire en fonction des exigences a priori d’un systĂšme philosophique comme le prĂ©conisait Hegel. Ainsi, elle considĂšre que la connaissance scientifique n’a plus pour fondement la raison (comme le veut le rationalisme[11]), mais que cette connaissance scientifique s’appuie plutĂŽt sur des faits dont l’analyse mĂ©thodologique lui en assure la validitĂ©. NĂ©anmoins, pour ce courant de pensĂ©e, cette analyse mĂ©thodologique ne consiste pas Ă  dĂ©gager de l’histoire des lois gĂ©nĂ©rales, comme le feraient les sciences de la nature, mais bien Ă  lire les phĂ©nomĂšnes de l’histoire tels qu’ils se rĂ©vĂšlent dans leur contexte. Implicitement, cela veut dire que les Ă©vĂšnements historiques s’inscrivent dans un rĂ©cit qui en fait quelque chose de comprĂ©hensible, c'est-Ă -dire un rĂ©cit qui donne sens Ă  celui qui l’interprĂšte et par extrapolation, Ă  toute l’humanitĂ© en questionnement[12].

Ainsi, pour l’historien allemand Droysen, dont nous avons parlĂ© ci-dessus, il est impĂ©ratif de dĂ©velopper une mĂ©thodologie de la comprĂ©hension[13]. Car, si les sciences exactes sont parvenues Ă  un si grand succĂšs au XIXe siĂšcle, c’est parce qu’elles se sont munies d’une mĂ©thode[14] qui est Ă  la base de l’explication scientifique. Donc, pour lui, tant et aussi longtemps que l’histoire sera privĂ©e d’une telle mĂ©thodologie, elle ne pourra pas se prĂ©tendre une science.

Cette scientificitĂ© de l’histoire et des sciences humaines en gĂ©nĂ©ral doit, selon Droysen, se fonder Ă  partir de deux maniĂšres. PremiĂšrement, en leur appliquant la mĂ©thode des sciences exactes. De cette maniĂšre, il n’y aurait plus de diffĂ©rence significative entre les deux types de connaissances. Et deuxiĂšmement, en spĂ©cifiant ce qui distingue les sciences humaines des sciences exactes et cela, soit Ă  l’aide d’une mĂ©thodologie propre Ă  chacune des sciences humaines, soit Ă  l’aide d’une mĂ©thodologie gĂ©nĂ©rale des sciences humaines. Cette derniĂšre mĂ©thodologie, comme nous le verrons au prochain paragraphe, sera l’apanage de Dilthey (1833-1911), penseur allemand de la fin du XIXe siĂšcle et du dĂ©but du XXe.

L’hermĂ©neutique de Dilthey

Historien de la philosophie et philosophe fortement influencĂ© par le romantisme[15], Dilthey est un grand connaisseur de Schleiermacher et se trouve dans la mĂȘme lignĂ©e philosophique que l’école historique. Par consĂ©quent, lui aussi s’opposera au rationalisme hĂ©gĂ©lien et mettra l’accent sur la mĂ©thodologie de la comprĂ©hension. Mais, au lieu de tenter d’appliquer la mĂ©thode des sciences exactes aux sciences humaines, il fera plutĂŽt la distinction entre ces deux sciences afin de dĂ©velopper une mĂ©thodologie propre aux sciences humaines qui de cette maniĂšre pourront enfin prĂ©tendre Ă  l’objectivitĂ©.

Pour ce faire, Dilthey entreprend un ouvrage considĂ©rable intitulĂ© Introduction Ă  l'Ă©tude des sciences humaines (1883), qu’il envisage comme une critique de la raison historique. Cette derniĂšre critique est Ă©videmment inspirĂ©e de la Critique de la raison pure de Kant (1724-1804) de 1781 qui trace une voie mitoyenne entre les doctrines de l’empirisme et du rationalisme. En effet, Dilthey opĂšre dans cet ouvrage une critique des sciences humaines analogue Ă  celle de Kant un siĂšcle plus tĂŽt. Cependant, il est Ă  noter que la pensĂ©e de Dilthey se veut une opposition Ă  la perspective hĂ©gĂ©lienne de la mĂ©taphysique de l’histoire, tout comme celle de l’École historique et de l’empirisme. De cette maniĂšre, Dilthey se propose de complĂ©ter le travail de Kant qui, selon lui, n’aurait pas parlĂ© des sciences humaines d’un point de vue Ă©pistĂ©mologique.

Dans cette perspective, les sciences pures sont, pour Dilthey, une explication des phĂ©nomĂšnes qui se fait Ă  partir d’hypothĂšses gĂ©nĂ©rales, tandis que les sciences humaines se veulent plutĂŽt comme une comprĂ©hension, c'est-Ă -dire une introduction dans une individualitĂ© historique. Ce qui veut dire, pour Dilthey, que les sciences humaines scrutent l’intĂ©rioritĂ© de l’expression humaine et qu’elles ont pour but une reconstruction de la genĂšse du discours humain, au mĂȘme sens que l’entendait Schleiermacher. À cela, nous voyons bien une portĂ©e hermĂ©neutique se profiler Ă  l’horizon et cela, malgrĂ© le fait qu’elle n’apparaĂźt pas directement dans l’ouvrage de 1883. NĂ©anmoins, Dilthey publiera en 1900 un ouvrage intitulĂ© Le monde de l’esprit dans lequel il dira que l’hermĂ©neutique est ce que nous appelons « cette technique de l’interprĂ©tation des manifestations vitales de vie »[16]. Dans ce mĂȘme ouvrage, il dit aussi que la comprĂ©hension est un « processus par lequel nous connaissons un « intĂ©rieur » Ă  l’aide de signes extĂ©rieurs par nos sens »[17].

Pour Dilthey, l’objet de l’hermĂ©neutique est alors d’interprĂ©ter des signes extĂ©rieurs afin d’en comprendre l’intĂ©rieur[18], c'est-Ă -dire l’esprit et la vie qui s’exprime Ă  travers ceux-ci. En somme, l’hermĂ©neutique possĂšde donc, pour Dilthey, une structure triadique : le sentiment de l’ñme, l’expression et la comprĂ©hension oĂč le sentiment de l’ñme doit ĂȘtre reconstruit, comme nous l’avons dit prĂ©cĂ©demment, Ă  l’aide d’une mĂ©thode propre aux sciences humaines.

Heidegger et l’hermĂ©neutique ontologique

Heidegger fut l’élĂšve d’Edmund Husserl (1859-1938), le fondateur de la phĂ©nomĂ©nologie[19]. Sa pensĂ©e hermĂ©neutique a donc Ă©tĂ© influencĂ©e par cette derniĂšre, d’autant plus qu’Husserl dans le dĂ©veloppement de sa thĂ©orie de la comprĂ©hension a vivement critiquĂ© l’historicisme de Dilthey.

Ainsi, l’hermĂ©neutique contemporaine a Ă©tĂ© influencĂ©e par une approche diffĂ©rente de sa tradition initiale. En effet, la thĂ©orie de la comprĂ©hension du XXe siĂšcle s’est peu Ă  peu Ă©loignĂ©e de la perspective « psychologique » du retour au logos intĂ©rieur de Dilthey, pour effectuer un tournant phĂ©nomĂ©nologique avec Husserl et existential[20] avec Heidegger.

L’hermĂ©neutique s’est donc dĂ©gagĂ©e de la problĂ©matique du retour Ă  l’état d’ñme de l’auteur pour se rapprocher du questionnement ontologique de l’« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde » ; c'est-Ă -dire, dans les mots d’Heidegger, de la problĂ©matique du Dasein[21]. Avec ce tournant existential, la comprĂ©hension devient un questionnement de l’ĂȘtre par rapport au concret des projets de son existence et consĂ©quemment, celle-ci se rapproche de la question du langage. Car, comment pourrions-nous expliciter de tels projets en dehors du langage ? C’est ainsi que chez Heidegger, l’interprĂ©tation apparaĂźt comme l’aspect langagier de la comprĂ©hension. Cependant, l’interprĂ©tation n’a pas pour fondement l’application d’une mĂ©thode afin de comprendre un texte ou un discours, mais elle a plutĂŽt pour principe initial la comprĂ©hension de l’existence avant toute comprĂ©hension du discours. Ce principe initial de la comprĂ©hension de l’existence, c’est ce qu’Heidegger appelle la structure d’anticipation et selon lui, celle-ci est nĂ©cessaire Ă  toute comprĂ©hension. De cette maniĂšre, le cercle hermĂ©neutique n’est plus conçu comme dans l’exĂ©gĂšse biblique[22] ou l’historicisme[23], mais plutĂŽt comme un aller-retour incessant entre l’interprĂ©tation et nos structures anticipations qui l’alimentent. Nous sommes donc, avec le premier Heidegger (dans Être et Temps), devant une hermĂ©neutique du Dasein que nous pouvons trĂšs bien qualifier d’onto-phĂ©nomĂ©nologie universelle. Car, pour Heidegger, le Dasein lui-mĂȘme est une sorte de phĂ©nomĂ©nologie hermĂ©neutique, dans la mesure oĂč il recherche sans cesse ce qui est cachĂ© sous les phĂ©nomĂšnes de son existence[24] - [25].

Notes et références

  1. J. Grondin, L’universalitĂ© de l’hermĂ©neutique, PUF, 1993, p. 6
  2. RĂ©citant de poĂšmes Ă©piques qui accompagne son chant de la lyre ou de la cithare dans la GrĂšce antique.
  3. StoĂŻcisme : Doctrine de ZĂ©non (332-262 av. J.-C.), fondateur du Portique (ÏƒÏ„ÎżÎŹ : stoa en grec) d’oĂč elle tire son nom. Elle affirme que le bonheur rĂ©side dans la vertu et que nous devons ĂȘtre indiffĂ©rents Ă  tout ce qui a une influence sur la sensibilitĂ©.
  4. Les cinq premiers livres de la Bible chez les juifs.
  5. PĂšre de l’Église : Fondateur de l’allĂ©gorĂšse du quadruple sens.
  6. Schleiermacher l’appelait aussi technique, car elle vise à comprendre la technù (l’art) bien particuliùre d’un auteur.
  7. C’est donc Ă  partir de Schleiermacher (considĂ©rĂ© comme le fondateur de l’hermĂ©neutique universelle), que l’hermĂ©neutique cesse d’avoir une fonction auxiliaire, pour aspirer Ă  devenir une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale de toute comprĂ©hension et par consĂ©quent, une philosophie en elle-mĂȘme. C’est d’ailleurs dans cette optique que les termes, d’interprĂ©tation et de comprĂ©hension, sont dĂ©sormais synonymes pour l’hermĂ©neutique.
  8. Herméneutique sacrée, herméneutique juridique, herméneutique médicale, etc.
  9. Philosophe allemand, fondateur de la Phénoménologie de l'esprit (1806).
  10. Idéalisme : courant philosophique dans lequel l'idée est considérée comme norme ou principe du réel.
  11. Philosophie selon laquelle la raison est la source de toute connaissance.
  12. Mais, selon certains penseurs, cette perspective de l’École historique aurait ouvert la porte au relativisme et au scepticisme moderne, voire au nihilisme. En effet, si toute comprĂ©hension d’un Ă©vĂšnement dĂ©pend du contexte de l’époque dans laquelle il s’est dĂ©roulĂ©, nous sommes alors dans l’obligation d’en Ă©tablir la vĂ©ritĂ© seulement Ă  partir de ce mĂȘme contexte. Mais, Ă©tant donnĂ© que le contexte change toujours d’une Ă©poque Ă  une autre, la « vĂ©ritĂ© » ne revĂȘt plus par consĂ©quent qu’une valeur relative : c’est alors le relativisme. De plus, la pensĂ©e de l’École historique peut aussi nous amener Ă  considĂ©rer notre Ă©poque comme Ă©tant celle qui possĂšde la meilleure perspective quant Ă  la comprĂ©hension de l’histoire et cela, du fait que nous pouvons considĂ©rer nos valeurs avec un plus grand recul historique. Cette maniĂšre de voir les choses est appelĂ©e : conscience historique. Ainsi, pour certains, cette derniĂšre prĂ©figure le nihilisme ; car de cette façon, la connaissance est vouĂ©e Ă  un perpĂ©tuel changement qui fait en sorte que rien n'existe absolument (scepticisme) et qu’ainsi, aucune valeur ne peut ĂȘtre fondĂ©e (nihilisme).
  13. Ici, nous constatons une Ă©volution de l’hermĂ©neutique. Car cette derniĂšre, qui auparavant se limitait Ă  l’interprĂ©tation et la comprĂ©hension des textes, se voit transposer Ă  l’histoire oĂč il s’agit dĂ©sormais de comprendre et d’interprĂ©ter des Ă©vĂšnements qui ne sont plus, pour Droysen, simplement des faits, mais plutĂŽt des tĂ©moignages. De cette maniĂšre, l’hermĂ©neutique est appelĂ©e Ă  ĂȘtre un acteur important dans le dĂ©bat mĂ©thodologique en ce qui concerne la spĂ©cificitĂ© des sciences humaines. Un dĂ©bat qui, en l’occurrence, Ă©tait tout Ă  fait Ă©tranger Ă  Schleiermacher.
  14. La mĂ©thode scientifique a Ă©tĂ© entre autres inspirĂ©e de l’empirisme moderne : doctrine qui, contrairement Ă  l’idĂ©alisme ou au rationalisme, dĂ©fend l’idĂ©e selon laquelle l’ensemble des connaissances a pour origine des acquisitions de l’expĂ©rience.
  15. Ensemble des mouvements intellectuels et artistiques qui se développÚrent dans la premiÚre moitié du XIXe siÚcle en réaction au rationalisme et au classicisme des siÚcles précédents.
  16. W. Dilthey, Le monde de l’esprit, Édition Aubier-Montaigne, 1947, p. 334.
  17. Ibidem, p. 320.
  18. Ici, nous retrouvons clairement le Î»ÏŒÎłÎżÏ‚ Ï€ÏÎżÏ†ÎżÏÎčÎșός (logos prophorikos) et le Î»ÏŒÎłÎżÏ‚ έυΎÎčÎŹÎžÎ”Ï„ÎżÏ‚ (logos endiathĂ©tos) des anciens, comme nous l’avons prĂ©cĂ©demment chez les stoĂŻciens, qui sont respectivement le verbe intĂ©rieur (de l’ñme) et le verbe extĂ©rieur (l’élocution).
  19. Science des phĂ©nomĂšnes qui se proposent de saisir, par un retour aux donnĂ©es immĂ©diates de la conscience, les structures transcendantes de celle-ci et les essences des ĂȘtres.
  20. Examen des structures de la comprĂ©hension de soi dans une perspective ontologique, c'est-Ă -dire de notre existentialitĂ© en tant qu’« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde ».
  21. L’« ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde » qui se questionne et se comprend dans son existentialitĂ©. En d’autres mots : existence humaine conçue comme prĂ©sence au monde (ĂȘtre-lĂ -dans-le-monde) qui est questionnement sur sa propre existence en tant qu’étant (chose qui est).
  22. Dans l’exĂ©gĂšse biblique, le cercle hermĂ©neutique est conçu dans une perspective de foi : il faut croire pour comprendre et comprendre pour croire.
  23. Pour l’historicisme, le cercle hermĂ©neutique est conçu comme une relation formelle entre le tout et ses parties. Cette conception provient de Friedrich Ast (1778-1841) philosophe et philologue allemand de XIXe siĂšcle qui stipulait que pour comprendre l’ensemble d’un texte, il faut comprendre ses parties et vice versa. Il est Ă  noter que par la suite, Schleiermacher a voulu limiter la portĂ©e de cette conception, car, pour sa part, elle Ă©tait plutĂŽt problĂ©matique. En effet, comment pouvons-nous faire pour sortir de ce cercle ? Cela veut dire que pour comprendre le tout, il faut comprendre la partie, et vice versa.
  24. H. G. Gadamer, VĂ©ritĂ© et MĂ©thode, Éditions du Seuil, 1996, p. 11 (= GW, I, p. 1).
  25. Idem, p. 15, (= GW, I, p. 5).
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