Francisme (linguistique)
Un francisme, ou moins souvent hexagonisme, est un fait de langue caractéristique du français de France[1] - [2] - [3]. La premiÚre occurrence connue du terme, formé sur le modÚle de québécisme et de belgicisme, est en 1986 dans les travaux du linguiste allemand Franz Hausmann[2]. Ce terme apparaßt le plus souvent dans le contexte de la lexicographie canadienne de langue française. Dans ce contexte-là , il est utilisé plus largement pour désigner les faits de langue caractéristiques du français d'Europe.
Pour des exemples de francismes, voir l'article Français de France.
« Gallicisme » ou « francisme » ?
Les termes gallicisme et francisme peuvent prĂȘter Ă confusion. Un gallicisme est une tournure idiomatique propre Ă la langue française (faire d'une pierre deux coups) ou un emprunt au français dans une autre langue (garage ou souvenir en anglais), alors qu'un francisme est un fait de langue particulier au français de France, considĂ©rĂ© par rapport Ă la langue française dans son ensemble. Cependant, le terme francisme a Ă©tĂ© utilisĂ© autrefois dans le sens de gallicisme[2].
Concernant l'occitan, une auteur a proposĂ© le terme de « francisme » pour dĂ©signer les emprunts au français jugĂ©s incorrects, et « gallicisme » pourrait ĂȘtre rĂ©servĂ© aux mots qui proviennent du français mais sont considĂ©rĂ©s comme devant ĂȘtre acceptĂ©s dans la norme[4].
Dans les dictionnaires
En France
Les dictionnaires publiés en France n'indiquent pas les mots et les sens dont l'usage est restreint à la France ou à l'Europe. Les rédacteurs du Nouveau Petit Robert écrivent en effet ceci dans sa préface au sujet des régionalismes dans le dictionnaire:
« Ces données ne prétendent pas remplacer les descriptions spécifiques et plus exhaustives des belgicismes [...], et encore moins se substituer à des dictionnaires du français décrivant l'usage et la norme de cette langue dans une communauté sociale donnée (le Robert vient d'en faire la tentative trÚs sérieuse au Québec, par le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui.)» [...] Le Nouveau Petit Robert, bien qu'il décrive fondamentalement une norme du français de France, inclut certains régionalismes de France et d'ailleurs pour souligner qu'il existe plusieurs « bons usages », définis non par un décret venu de Paris, mais par autant de réglages spontanés ou de décisions collectives qu'il existe de communautés vivant leur identité en français. »
Au Canada
Les deux principaux dictionnaires gĂ©nĂ©raux de langue française Ă avoir Ă©tĂ© publiĂ©s au Canada depuis celui de BĂ©lisle en 1957 soit le Dictionnaire du français plus (1988) et le Dictionnaire quĂ©bĂ©cois d'aujourd'hui (1992), indiquent les francismes par la marque d'usage « (France) ». Les banques de donnĂ©es terminologiques Termium du Bureau de la traduction du gouvernement canadien et Grand dictionnaire terminologique de l'Office quĂ©bĂ©cois de la langue française font de mĂȘme. Le Dictionnaire du français standard en usage au QuĂ©bec et le Dictionnaire canadien bilingue, tous deux en prĂ©paration, utiliseront plutĂŽt la marque « FE » pour « français d'Europe ».
La préface du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui donne les indications suivantes au sujet du marquage géographique:
« Ce sont les mots et les sens particuliers Ă la France (les francismes) qui sont les plus nombreux. Un systĂšme de balisage Ă deux niveaux les identifie. Lorsque le mot dĂ©signe une rĂ©alitĂ© concrĂšte ou abstraite spĂ©cifique au pays de nos ancĂȘtres, la marque « France », placĂ©e entre parenthĂšses, prĂ©cĂšde la dĂ©finition (ex. : 1 tabac, sens 3, T.V.A.); trĂšs souvent, ces synonymes n'ont pas de synonyme nord-amĂ©ricain. Lorsque la rĂ©alitĂ© est commune aux deux communautĂ©s francophones, c'est-Ă -dire lorsqu'il existe des formes linguistiques synonymiques dont l'emploi est circonscrit gĂ©ographiquement, le mĂȘme systĂšme est utilisĂ© (ex. : (France) 2 se tailler, tantine, tapĂ©e et tarte, sens 2, qui correspondent respectivement Ă partir ou s'enfuir, tante, grande quantitĂ©, coup ou gifle au QuĂ©bec). Chaque fois que cela est possible, les synonymes en usage au QuĂ©bec sont signalĂ©s sous l'entrĂ©e « française ». Par ailleurs, la trĂšs grande majoritĂ© des mots hexagonaux citĂ©s appartient au registre familier et ils possĂšdent parfois, au QuĂ©bec mĂȘme, des synonymes de mĂȘme niveau (par ex. : (France) 2 se tailler et (QuĂ©bec) sacrer (le) son camp, tous deux signifiant « dĂ©camper, dĂ©guerpir, partir »). Les mots ou les sens qui figurent au dictionnaire avec la marque « France » sont en gĂ©nĂ©ral connus ici mais leur emploi est plutĂŽt passif, c'est-Ă -dire que l'utilisateur du dictionnaire peut les entendre, grĂące Ă la tĂ©lĂ©vision, la radio, au cinĂ©ma, etc., ou les lire, grĂące aux journaux, aux revues, Ă la littĂ©rature, etc., mais il les intĂ©grera rarement Ă son usage actif, sauf lorsqu'il veut crĂ©er un effet rhĂ©torique. En outre, une nuance est apportĂ©e dans l'utilisation de la marque « France » sous la forme de : « Surtout en France ». Cette expression sert Ă noter qu'un mot est usuel en France tout en ayant une certaine frĂ©quence active au QuĂ©bec, le plus souvent d'ailleurs dans le registre soutenu (ex. : 1 soda, tapissier, tartine, sens 1, 2 timbale, week-end) Ă l'occasion, on a aussi fait une remarque sur le genre des mots qui diffĂšre en France et au QuĂ©bec (ex. : parka et thermos qui sont du genre masculin dans l'usage quĂ©bĂ©cois alors qu'en France, ils sont soit masculins, soit fĂ©minins; minestrone est fĂ©minin au Canada et masculin en France. »
Controverse
La pertinence de la notion de francisme soulĂšve la controverse.
L'utilisation du terme francisme peut souligner l'opposition Ă l'idĂ©e que la norme française du français devrait ĂȘtre prĂ©Ă©minente dans les dictionnaires de français en usage au Canada[5]. L'utilitĂ© du terme est au contraire mise en doute par les tenants d'un français international unique, dans lequel la norme française serait prĂ©pondĂ©rante. Ces derniers s'opposent en gĂ©nĂ©ral Ă la donnĂ©e d'indications gĂ©ographiques dans les dictionnaires pour les usages spĂ©cifiquement français, ou bien contestent l'existence de ces derniers. Voir Ă ce propos les citations d'Annette Paquot et de Lionel Meney ci-dessous, ainsi que l'article dĂ©bat sur la norme du français quĂ©bĂ©cois.
Citations
« francisme [fÊÉÌsism] n. m. LING Fait de langue (prononc., mot, tournure, etc.) caractĂ©ristique du français de France. Marchand de couleurs* est un francisme, et mĂȘme un parisianisme. »
â Article du Dictionnaire du français Plus (1988), V. encycl. quĂ©bĂ©cisme. â De France.
« [Le terme "francisme"] a été relevé dans la correspondance adressée à l'Office de la langue française [du Québec] en mai 1993 par l'équipe du Docteur Roger A. CÎté, auteur de la Nomenclature systématique internationale de la médecine humaine et vétérinaire et président de la Commission ministérielle de terminologie de la santé.
Ce terme vient combler, d'une certaine maniĂšre, le besoin de nos linguistes du QuĂ©bec qui n'ont pas d'appellation pour dĂ©signer des termes exclusifs Ă l'Hexagone (ou Ă la France), alors qu'on utilise dĂ©jĂ trĂšs largement le terme « quĂ©bĂ©cisme » en France pour des usages qui sont propres au QuĂ©bec. Aussi, en France, on utilise les termes « belgicisme » et « helvĂ©ticisme » pour dĂ©signer des usages linguistiques propres au français de Belgique et de Suisse. On trouve mĂȘme dans la revue Dialogue, Bulletin de linguistique du Module des lettres et des langues modernes de l'UniversitĂ© du QuĂ©bec Ă Chicoutimi, dans le volume 4 d'avril 1993 Ă la page 61 ce qui suit : « Sont Ă©tiquetĂ©s comme francismes des mots dont les QuĂ©bĂ©cois ne font pas spontanĂ©ment usage. Entrent dans cette catĂ©gorie : asbestose, baraka, buraliste, cassoulet, drugstore, macreux, pĂ©quenaud, pĂ©pĂ©, royalistes, sapeur-pompier, etc. »
â Extrait de la page du Grand dictionnaire terminologique, produit par l'Office quĂ©bĂ©cois de la langue française
« Dâailleurs, dans le cadre dâune rĂ©flexion sur la marque francisme intĂ©grĂ©e Ă la terminologie mĂ©talinguistique des dictionnaires quĂ©bĂ©cois voulant se positionner de la mĂȘme maniĂšre que les dictionnaires français par rapport au français de rĂ©fĂ©rence, Annette Paquot affirme : « En se rĂ©pandant dans lâensemble de la sociĂ©tĂ© française, les tours populaires ou argotiques, les faits dialectaux devenus rĂ©gionalismes par leur emploi dans le discours français de certains locuteurs et tous les faits lexicaux originellement peu diffusĂ©s se rĂ©pandent ipso facto, câest-Ă -dire presque [âŠ] instantanĂ©ment, dans une partie au moins des sociĂ©tĂ©s belge, canadienne, suisse, etc. tandis quâun fait de mĂȘme nature, mĂȘme trĂšs gĂ©nĂ©ral dans celles-ci, peut y rester confinĂ© indĂ©finiment. Le dĂ©sĂ©quilibre des Ă©changes linguistiques dans la francophonie fait que maquĂ© est un belgicisme, que morgain est un poitevinisme, mais que moufle et mistral ne sont pas des francismes et quâil nây a pas de symĂ©trie entre ces termes. »
â (Paquot, 1995 : 128 ; 2000 : 193), Extrait de De la francophonie nĂ©o-coloniale Ă la francophonie universalisante (texte de Jean Nicolas de Surmont, citant notamment Paquot
« Marque d'usage mise en valeur par les linguistes québécois qui désirent prendre leurs distances par rapport au français de France en le relativisant et en le banalisant. »
â Extrait du Dictionnaire quĂ©bĂ©cois-français de Lionel Meney, dĂ©finition de francisme
Notes
- Dictionnaire du français plus, 1988.
- L'exemplier - Franqus.
- « francisme », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française.
- (fr) / (oc) Josiana Ubaud, Diccionari ortografic, gramatical e morfologic de l'occitan / Dictionnaire orthographique, grammatical et morphologique de l'occitan, Canet, Trabucaire, 2011, 1161 p. (ISBN 978-84-974-1252-0), p. 14.
- Gabrielle Saint-Yves écrit dans un article de 1994 au sujet de Claude Poirier, rédacteur en chef du Dictionnaire du français Plus : « The ideological weight of the metalinguistic use of the label France clearly positioned Poirier in opposition to the defenders of an exogenous linguistic norm. »