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Face au drapeau

Face au drapeau est un roman d'anticipation de Jules Verne, paru en 1896.

Face au drapeau
Image illustrative de l’article Face au drapeau

Auteur Jules Verne
Pays France
Genre Roman d'anticipation
Éditeur Hetzel
Date de parution 1896
Illustrateur LĂ©on Benett
Chronologie
SĂ©rie Voyages extraordinaires

L'auteur fait part dans cette œuvre de son inquiétude face aux progrès techniques dans le domaine des explosifs, qui transparaissait déjà (mais avec une teinte d'humour) dans De la Terre à la Lune et qui s'affirme dans Les Cinq Cents Millions de la Bégum, en imaginant une bombe d'une puissance inouïe. Le héros tragique du roman, Thomas Roch, qui se trouve dans la position d'un moderne Coriolan, aurait été inspiré par l'inventeur de la mélinite, Eugène Turpin. Ce dernier traîna Jules Verne et son éditeur en justice pour diffamation. L'écrivain et Louis-Jules Hetzel furent défendus par Raymond Poincaré[1].

On rattache généralement ce roman à la période sombre, pessimiste et misanthrope, de la production romanesque de Jules Verne, qui s'achèvera avec Maître du monde.

Cet ouvrage a inspiré à Yano Yuichiro, avec L'Étonnante Aventure de la mission Barsac, la série animée japonaise Le Secret du sable bleu (2002).

Historique

Le roman est achevé dès 1894. Il paraît d'abord sous forme de feuilleton du 1er janvier au 15 juin 1896 dans la revue créée par Pierre-Jules Hetzel, le Magasin d'éducation et de récréation, puis sous grand format cartonné la même année, avec des illustrations et chromotypographies de Léon Benett[2].

Résumé

Thomas Roch est un inventeur français œuvrant dans le domaine militaire ; son invention géniale devrait lui apporter gloire et fortune, mais la folie des grandeurs qui le gagne lui vaut de se voir fermer les portes de tous les ministères de la guerre d'Europe et des États-Unis... car aucun gouvernement n'est prêt à payer le prix exorbitant demandé en contrepartie. Le gouvernement de Washington préfère le faire interner, plutôt que de le voir aller vers une autre puissance plus encline à se ruiner pour cet explosif révolutionnaire.

C'est dans la maison de repos où séjourne Thomas Roch, Healthfull-House, que commence l'histoire : d'étranges visiteurs viennent lui rendre visite comme s'il s'agissait d'une curiosité locale. Parmi eux, figurent l'énigmatique comte d'Artigas, dont la richesse et la renommée le précèdent dans le monde entier, et le capitaine Spade, son bras droit. Il s'ensuit l'enlèvement de Roch et de son infirmier, et leur voyage dans la goélette Ebba jusqu'à la base des ravisseurs : l'îlot perdu de Back-Cup, isolé au sein de l'archipel des Bermudes. Plusieurs navires ont déjà disparu corps et biens à ses abords... Cet îlot, qui sert depuis quelque temps de repaire au comte et à son équipe de malfaiteurs, doit son nom à sa forme, qui évoque une tasse renversée. La seule entrée, découverte fortuite du comte d'Artigas, est un tunnel sous la surface. Le comte, dont le roman permet de découvrir la véritable identité, s'est en effet approprié la technique du sous-marin – appelé tug dans le récit (« remorqueur », qui tracte la goélette Ebba lors de ses voyages).

L'intérieur voûté et immense de Back-Cup rappelle le lieu où Nemo avait amarré définitivement son propre sous-marin, le Nautilus, dans un autre roman de Jules Verne, L'Île mystérieuse. Cet îlot semble volcanique aux marins qui s'en approchent, car une fumée s'échappe de son dôme ; l'infirmier enlevé en même temps que Thomas Roch, narrateur de l'essentiel du roman, révélera que ce sont en réalité les compagnons de mer du comte qui font brûler un feu continuel pour faire accroire à l'existence d'un volcan en activité.

Mais d'Artigas et Spade, secondés de l'ingénieur Serkö, veulent-ils supprimer toute chance de voir un jour l'explosif de Thomas Roch fabriqué, ou veulent-ils s'en assurer l'exclusivité ? Nous le saurons au fil du roman, en suivant le récit qu'en fera le surveillant Gaydon (en réalité un ingénieur français agissant lui aussi incognito) dans son journal. Le savant Roch va devoir quant à lui se déterminer et décider de vendre ou non le secret à la fois révolutionnaire et destructeur de son invention, même s'il sait que celui-ci pourrait se retourner contre son propre pays, dont les bateaux croisent à portée de tir de Back-Cup : au moment du choix, il se trouvera donc « Face au drapeau ».

Personnages

Face au drapeau, Cartonnage Hetzel aux feuilles d'acanthe polychrome
  • Le comte d'Artigas, personnage Ă©nigmatique qui a domestiquĂ© la puissance Ă©lectrique et possède la technique du sous-marin ; il rappelle le personnage de Nemo, avec la mĂŞme fascination des armes de destruction massive, et sa vĂ©ritable identitĂ© sera rĂ©vĂ©lĂ©e au premier tiers du roman.
  • Le capitaine Spade, bras droit et « âme damnĂ©e » du comte d'Artigas.
  • Le gardien Gaydon, de son vrai nom Simon Hart, un Français. C'est le narrateur de l'histoire, dont les notes de captivitĂ© composent les deux tiers du rĂ©cit, soit douze chapitres du roman. Brillant ingĂ©nieur, il a changĂ© d'identitĂ© pour devenir l'infirmier de Thomas Roch, dans l'espoir de rĂ©cupĂ©rer son secret au profit de la France. Sa vĂ©ritable identitĂ© est connue dès le dĂ©part par les ravisseurs.
  • Thomas Roch, c'est l'inventeur du Fulgurateur, une arme de destruction massive sans prĂ©cĂ©dent ; il est internĂ© car le refus des grandes puissances d'acquĂ©rir son secret l'a rendu fou. Ce personnage a Ă©tĂ© inspirĂ© Ă  l'auteur par le chimiste français Eugène Turpin, inventeur de la mĂ©linite et des canons gyroscopiques, qui avait Ă©tĂ© emprisonnĂ© après avoir publiĂ© un pamphlet antigouvernemental et accusĂ© d'avoir vendu une invention Ă  l'Allemagne ; celui-ci attaquera en diffamation Verne et Hetzel qui seront dĂ©fendus par Raymond PoincarĂ©, encore simple avocat. Si Jules Verne a gagnĂ© le procès, on sait dĂ©sormais par la correspondance qu'il adresse Ă  son frère et Ă  son Ă©diteur qu'il s'Ă©tait inspirĂ© de Turpin pour son roman[3].
  • L'ingĂ©nieur Serkö, membre de l'Ă©quipe interlope du comte d'Artigas basĂ©e Ă  Back-Cup. D'une grande finesse intellectuelle, c'est un personnage ambigu, semblant Ă  la fois protĂ©ger Gaydon et l'interroger discrètement.
  • Effrondat, le maĂ®tre d'Ă©quipage de l'Ebba, la goĂ©lette du comte d'Artigas, tractĂ©e par le tug et toujours reliĂ©e Ă  lui sous la ligne de flottaison.

Artefacts verniens

  • L'ile fictive de Back-Cup, que Jules Verne situe Ă  l'extrĂ©mitĂ© ouest des Bermudes, reliĂ©e Ă  l'archipel par un cordon de rĂ©cifs et d'Ă®lots dĂ©solĂ©s. C'est le repaire du comte d'Artigas. Back-Cup a la forme d'une tasse renversĂ©e : un dĂ´me rocheux flanquĂ© d'une arche rocheuse (qui n'est pas sans rappeler l'Aiguille d'Étretat) figurant l'anse. Sa circonfĂ©rence est de mille deux cents mètres. Son contour Ă  pic et ses Ă©boulis la rendent impraticables, sauf une face battue par les tempĂŞtes oĂą vivaient des pĂŞcheurs. D'Artigas les a chassĂ©s en faisant passer l'Ă®le pour un volcan marin. Back-cup est creuse : une vaste grotte abrite un lac intĂ©rieur. Au nord, des chambres Ă©vidĂ©es dans la roche pour les quatre-vingt Ă  cent hommes de main du comte d'Artigas : c'est Bee-Hive, « la Ruche ». Ă€ l'est, une forĂŞt de piliers rocheux. Au sud, des magasins et une petite centrale Ă©lectrique (une pile). Le lagon fait trois cents mètres de circonfĂ©rence et quarante mètres de profondeur. Il est reliĂ©e Ă  la mer, cĂ´tĂ© ouest, par un tunnel immergĂ© long d'environ quarante mètres, qui s'ouvre Ă  trois mètres sous la surface. La seule autre issue est une ouverture au sommet de la grotte, faux cratère d'oĂą s'Ă©chappe une fumĂ©e entretenue par les hommes du comte en brĂ»lant du varech. Une crique cachĂ©e entre les rochers permet de dissimuler la goĂ©lette Ebba.
  • La goĂ©lette Ebba. FabriquĂ©e Ă  Gotteborg, en Suède, commandĂ©e par le comte d'Artigas. C'est un deux-mâts de petites dimensions. Il permet de ravitailler Back-Cup en vivres et en matĂ©riel, achetĂ©s sur la cĂ´te est des États-Unis, oĂą la silhouette du voilier est bien connue.
  • Le tug ou remorqueur sous-marin, Ă  propulsion Ă©lectrique, en forme de fuseau, pourvu d'un poste d'observation Ă  hublots et d'un fanal. Construit sur les plans de l'ingĂ©nieur Serkö par les chantiers Cramps de Philadelphie, son naufrage a Ă©tĂ© simulĂ© lors d'essais en baie de Charleston, pour le remettre secrètement Ă  celui qui en avait financĂ© la construction : le comte d'Artigas. Le tug est divisĂ© en plusieurs chambres intĂ©rieures, mais reste de taille modeste (et de conception rĂ©aliste) par rapport au fameux Nautilus de Nemo. Gaydon prĂ©cise que son tonnage est insuffisante pour ravitailler seul le repaire de ses ravisseurs, d'oĂą la nĂ©cessitĂ© d'entretenir la goĂ©lette Ebba. Le tug remorque celle-ci en l'absence de vent ; un tableau de commande situĂ© Ă  l'avant du voilier permet de transmettre les ordres de vitesse et de direction. Quand survient un navire marchand isolĂ©, le tug l'Ă©peronne, permettant Ă  l'Ă©quipage de la goĂ©lette de le piller. Il n'est apparemment pas Ă©quipĂ© de torpilles, qui existaient pourtant dĂ©jĂ .
  • Le Sword, sous-marin britannique en essai aux Bermudes. Plus petit que le tug du comte d'Artigas, il ne fait qu'une dizaine de tonneaux. Il est divisĂ© en trois chambres : salle des machines, poste de pilotage et un compartiment Ă  l'avant (une soute ?). Son maniement est moins aisĂ© que celui du tug. Son Ă©quipage est apparemment de trois hommes. Lui non plus ne semble pas dotĂ© de torpilles.

Le tug et surtout le Sword sont similaires aux petits sous-marins torpilleurs développés à cette époque, comme le Gymnote français cité au chapitre X (1888) ou les sous-marins anglo-américains de la classe Holland (1901). Jules Verne imagine une propulsion par un moteur électrique branché sur de puissantes piles, mais on commençait déjà à expérimenter des submersibles vapeur / électrique ou diesel / électrique.

  • Le Fulgurateur Roch... C'est un projectile discoĂŻde, chargĂ© d'un explosif très puissant. On le dispose sur un chevalet (qui peut accueillir trois projectiles), on règle sa disposition pour la visĂ©e, puis on verse un produit dĂ©flagrateur par un orifice tubulaire. En quarante-cinq secondes, le mĂ©lange fait effet : le disque s'Ă©lance (sans doute en projetant un excĂ©dent de gaz par sa « tige » ou tuyère) jusqu'Ă  une distance de plusieurs kilomètres, puis revient lĂ©gèrement en arrière Ă  la manière d'un boomerang, avant d'exploser. La dĂ©flagration rase une superficie de plusieurs milliers de mètres carrĂ©s. Cette arme s'inspire d'armes ayant existĂ©, dont certaines sont nommĂ©es dans le roman : la fusĂ©e gyroscopique de Turpin, le boulet Zalinski et le projectile en disque du commandant Chapel[4].

Thèmes verniens abordés

Selon Daniel Compère, c'est « le » roman de Jules Verne, en ce sens qu'il est l'archétype d'un récit de l'auteur, où l'on retrouve à la fois de très nombreux thèmes que Verne avait abordés auparavant dans des ouvrages séparés : le sous-marin (Vingt mille lieues sous les mers), le maître énigmatique de l'engin (Nemo, Robur, Mathias Sandorf), l'incognito et l'usurpation d'identité (Nemo, Robur, Mathias Sandorf), la puissance de destruction de l'être humain (Nemo, Robur, Mathias Sandorf, Robur le Conquérant, Maître du monde, Les Cinq Cents Millions de la Bégum, etc.), la balistique (De la Terre à la Lune, Les Cinq Cents Millions de la Bégum), le patriotisme (Les Cinq Cents Millions de la Bégum), le volcanisme (Voyage au centre de la Terre, Le Volcan d'or), etc.

Bibliographie

  • Charles-NoĂ«l Martin. PrĂ©face. Éditions Rencontre. Tome 47. Lausanne. 1971.
  • Jean-Paul Faivre. De Jules Verne en Arsène Lupin, ou le vrai mistère [sic] de L'Aiguille creuse. in "Cahier de l'Herne. Jules Verne". Paris. 1974.
  • Olivier Dumas. "Face au drapeau" dĂ©cryptĂ©. (Jean d'Autriche et Eugène Turpin). Bulletin de la SociĂ©tĂ© Jules Verne 69. 1984.
  • Piero Gondolo della Riva. Ă€ propos de l'Affaire Turpin. Bulletin de la SociĂ©tĂ© Jules-Verne 69. 1984.
  • Jean-Michel Margot. Caroline. J.V. n°4. 1987.
  • Volker Dehs. Jules Verne (1828-1905): Die Erfindung des Verderbens. Franz Rottensteiner & Michael Koseler (Ed.). Meitingen. Septembre 1997.
  • Volker Dehs. Les MĂ©saventures d'Eugène Turpin. Ă€ propos des prĂ©liminaires de "Face au drapeau". Bulletin de la SociĂ©tĂ© Jules Verne 129. 1999.
  • David Cook. La MĂ©linite. Bulletin de la SociĂ©tĂ© Jules Verne 134. 2000.

Adaptation au cinéma

  • En 1957, Karel Zeman tourne L'Invention diabolique (Vynález zkázy), aussi titrĂ© Aventures fantastiques, très largement inspirĂ© du roman. Le cinĂ©aste reconstitue les images des Éditions Hetzel. C'est un des films les plus proches de l'esprit de Jules Verne.

Notes et références

  1. Voir l'article de Piero Gondolo della Riva: À propos de l'affaire Turpin, (Bulletin de la Société Jules Verne 69. 1984) et le numéro 129 du même bulletin, entièrement consacré à ce procès, avec notamment la correspondance de Verne, Louis-Jules Hetzel et Raymond Poincaré d'octobre 1896 à mars 1897, et une note sans titre rédigée par l'auteur pour l'affaire Turpin.
  2. Piero Gondolo della Riva. Bibliographie analytique de toutes les œuvres de Jules Verne. Tome I. Société Jules Verne. 1977. Pages 122-123.
  3. Ariel Pérez, Garmt de Vries, Jean-Michel Margot, « Jules Verne FAQ », sur Zvi Har’El’s Jules Verne Collection, (consulté le ).
  4. Jules Verne s'inspire essentiellement du projectile inventé par Chapel pour le Fulgurateur Roch , voir, Alexandre Tarrieu, Jules Verne est-il un auteur de science-fiction ?, Revue Galaxies n°30, 2014, p.121

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

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