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Dix-Neuf de Nauru

Les « Dix-Neuf de Nauru » sont dix-neuf opposants nauruans au gouvernement du prĂ©sident Baron Waqa et de son influent ministre de la Justice David Adeang, arrĂȘtĂ©s et condamnĂ©s « pour une manifestation globalement pacifique » et reconnus par Amnesty International comme ayant Ă©tĂ© poursuivis pour « des motivations politiques »[1].

« Dix-Neuf de Nauru »
Titre Republic v Batsiua
Fait reproché émeute, agression contre des membres des forces de l'ordre, intrusion dans les locaux du Parlement
Pays Drapeau de Nauru Nauru
Jugement
Statut Affaire jugée : accusés reconnus coupables et condamnés à des peines de prison
Tribunal Cour suprĂȘme de Nauru
Date du jugement

Faits initiaux

DĂ©rive autoritaire du gouvernement Waqa / Adeang

En juin 2013, Baron Waqa devient prĂ©sident de la RĂ©publique de Nauru et nomme l'avocat David Adeang aux postes de ministre assistant le prĂ©sident, ministre des Finances et du DĂ©veloppement durable, et ministre de la Justice[2]. En juillet, alors que Waqa est en dehors du pays, Adeang, assurant la tĂȘte du gouvernement, prend la dĂ©cision controversĂ©e d'interdire la diffusion par les mĂ©dias des paroles d'un dĂ©putĂ© de l'opposition, Mathew Batsiua, qui critique le limogeage par le gouvernement du chef de la police. Cette censure est alors commentĂ©e par les mĂ©dias Ă©trangers, et condamnĂ©e par l'opposition[3].

Quelques jours plus tard, Adeang interdit Ă  nouveau la diffusion d'une interview tĂ©lĂ©visĂ©e - cette fois, une interview du dĂ©putĂ© d'opposition Kieren Keke critiquant un accord entre Nauru et l'Australie concernant l'Ă©tablissement Ă  Nauru de rĂ©fugiĂ©s arrivĂ©s en Australie par bateau. Adeang fait diffuser un entretien dans lequel il explique le point de vue du gouvernement, mais ne permet pas Ă  l'opposition de faire de mĂȘme. Il explique : « Kieren n'a pas nĂ©cessairement la mĂȘme interprĂ©tation que nous de cet accord, et je pense que la nĂŽtre est la bonne »[4].

En janvier 2014, la majoritĂ© parlementaire introduit une lĂ©gislation rĂ©troactive permettant au gouvernement de dĂ©porter immĂ©diatement et sans appel tout Ă©tranger prĂ©sent dans le pays ; cette loi est alors appliquĂ©e Ă  l'Australien Rod Henshaw, conseiller du gouvernement prĂ©cĂ©dent, accusĂ© d'ĂȘtre trop proche de l'opposition. David Adeang, en tant que ministre de la Justice, a dĂšs lors « le pouvoir absolu de dĂ©porter n'importe qui sans indiquer de raison et sans recours aux tribunaux »[5].

Le 13 mai 2014, sur proposition d'Adeang, le Parlement de Nauru vote la suspension de trois députés d'opposition (Kieren Keke, Roland Kun et Mathew Batsiua), au motif qu'ils ont critiqué le gouvernement auprÚs des médias étrangers, et auraient ainsi nui à la réputation internationale du pays. Kieren Keke répond en accusant la majorité parlementaire de vouloir faire taire toute critique, et de dérive vers une dictature[6].

En juin 2015, la Australian Broadcasting Corporation (ABC) rĂ©vĂšle que Baron Waqa, David Adeang et plusieurs autres dĂ©putĂ©s les soutenant auraient reçu entre eux plusieurs centaines de milliers de dollars australiens en pots-de-vin de la part de la compagnie australienne de commerce de phosphate Getax en 2009 et en 2010. Ces sommes Ă©taient destinĂ©es Ă  les aider dans leur conquĂȘte du pouvoir, afin qu'ils mettent en Ɠuvre des politiques favorables Ă  Getax. Dans un e-mail consultĂ© par la ABC, Adeang promet d'Ɠuvrer pour que Getax obtienne le plein contrĂŽle sur les rĂ©serves de phosphate de Nauru, qui Ă©tait alors considĂ©rĂ©es comme un bien public[7]. Le 8 juin, la ABC diffuse un reportage avançant des preuves de corruption Ă  l'encontre de Waqa et d'Adeang ; la police fĂ©dĂ©rale australienne ouvre une enquĂȘte Ă  l'encontre de la compagnie Getax[8].

Manifestation de 2015 contre le gouvernement, et arrestation de députés d'opposition

Le 16 juin 2015, plus de trois cents personnes manifestent Ă  Nauru pour demander la levĂ©e de la suspension des cinq dĂ©putĂ©s d'opposition, interdits d'entrĂ©e au Parlement depuis plus d'un an pour avoir critiquĂ© le gouvernement. Ils protestent Ă©galement contre la dĂ©portation de Rod Henshaw et contre ce qu'ils dĂ©crivent comme une Ă©rosion de l'indĂ©pendance de la justice. Le gouvernement dĂ©crit la manifestation comme Ă©tant une Ă©meute, affirmant que les manifestants ont brisĂ© des vitres du Parlement et blessĂ© dix policiers en leur jetant des pierres. Le dĂ©putĂ© d'opposition Mathew Batsiua est arrĂȘtĂ© et placĂ© en dĂ©tention pour ĂȘtre entrĂ© dans l'enceinte du Parlement[9] - [10]. Le dĂ©putĂ© d'opposition Roland Kun, installĂ© en Nouvelle-ZĂ©lande avec sa famille depuis sa suspension du Parlement, est prĂ©sent Ă  Nauru au moment de la manifestation mais n'y participe pas. Le lendemain nĂ©anmoins, alors qu'il s'apprĂȘte Ă  s'envoler vers la Nouvelle-ZĂ©lande pour rejoindre sa famille, le gouvernement Waqa rĂ©voque son passeport, lui interdisant de quitter Nauru. Les autoritĂ©s lui reprochent un entretien qu'il a accordĂ© aux mĂ©dias australiens une semaine plus tĂŽt[11]. Le 19 juin, les dĂ©putĂ©s d'opposition Squire Jeremiah et Sprent Dabwido sont arrĂȘtĂ©s Ă  leur tour pour avoir participĂ© Ă  la manifestation[12].

Les « Dix-Neuf »

Ce sont finalement dix-neuf personnes qui sont arrĂȘtĂ©es pour leur participation Ă  la manifestation : trois des dĂ©putĂ©s suspendus, et seize de leurs partisans[13]. Ils sont : Meshack Akubor, Mathew Batsiua (dĂ©putĂ©), Pisoni Bop, Job Cecil, Sprent Dabwido (dĂ©putĂ©), Grace Detageouwa, Estakai Foilape, Mereiya Halstead, Dabub Jeremiah, Daniel Jeremiah, John Jeremiah, Rutherford Jeremiah, Squire Jeremiah (dĂ©putĂ©), Joram Joram, Bereka Kakiouea, Jacki Kanth, Josh Kepae, Renack Mau, et Piroy Mau[14] - [15].

Inculpation et premier jugement

Les « Dix-Neuf de Nauru », comme les appellent les mĂ©dias Ă©trangers, sont inculpĂ©s pour divers troubles Ă  l'ordre public, accusĂ©s notamment d'Ă©meute. Certains sont accusĂ©s Ă©galement d'avoir agressĂ© des policiers, ou d'ĂȘtre entrĂ©s illĂ©galement dans les locaux du Parlement[16] - [17]. En novembre 2016, prĂ©sentĂ©s Ă  une magistrate, quatre d'entre eux plaident coupable, et les quinze autres plaident non-coupable. La magistrate Emma Garo, citoyenne salomonaise, doit alors prononcer la peine des quatre accusĂ©s ayant plaidĂ© coupable. Le ministre de la Justice David Adeang avait dit ouvertement qu'elle devait les condamner Ă  des peines aussi lourdes que possible, faute de quoi son contrat d'emploi ne serait pas reconduit. La magistrate fait fi de ces menaces : Des quatre accusĂ©s ayant plaidĂ© coupable, John Jeremiah est condamnĂ© Ă  trois mois de prison ferme pour Ă©meute, Job Cecil Ă  trois mois de prison ferme pour Ă©meute et pour rassemblement illicite, et Josh Kapae Ă  six mois de prison ferme pour agression et Ă©meute. Grace Detageouwa, la seule femme Ă  avoir plaidĂ© coupable, est condamnĂ©e Ă  trois mois de prison avec sursis, et relĂąchĂ©e[14] - [13] - [18] - [19].

Le gouvernement met fin au contrat de la magistrate[18] et fait appel de ces peines, les jugeant trop clĂ©mentes. Il obtient en mai 2017 du prĂ©sident de la Cour suprĂȘme de Nauru, le Fidjien Mohammed Khan, d'augmenter les peines des trois hommes : celles de John Jeremiah et de Josh Kapae sont portĂ©es Ă  vingt-deux mois, et celle de Job Cecil Ă  quatorze mois[20]. Les trois hommes font appel Ă  la Haute Cour d'Australie, la plus haute instance judiciaire de Nauru. Le gouvernement en dĂ©cembre 2017 abroge le traitĂ© bilatĂ©ral accordant ce statut Ă  la Haute Cour d'Australie, et interdit ainsi aux condamnĂ©s de faire appel[18].

ProcÚs des quinze autres accusés

Sprent Dabwido, Squire Jeremiah et son cousin l'haltĂ©rophile Rutherford Jeremiah ayant fui le pays vers l'Australie[1] - [18] - [21] - [22] - [23], restent douze accusĂ©s Ă  juger (onze hommes et une femme). Le 13 septembre 2018, le juge australien Geoffrey Muecke, siĂ©geant comme juge de la Cour suprĂȘme de Nauru, met un terme au procĂšs et fait relĂącher les accusĂ©s. Il explique que le gouvernement a rendu impossible la tenue d'un procĂšs Ă©quitable, le ministre de la Justice David Adeang ayant tentĂ© d'empĂȘcher les accusĂ©s d'avoir accĂšs Ă  un avocat, et ayant dĂ©clarĂ© ouvertement que le gouvernement ferait le nĂ©cessaire pour qu'ils soient emprisonnĂ©s. Le juge note Ă©galement que le gouvernement a fait pression sur les entreprises du pays pour que les accusĂ©s ne puissent pas trouver d'emploi. Geoffrey Muecke accuse David Adeang de s'ĂȘtre livrĂ© Ă  « un affront honteux Ă  l'État de droit Â»[24] - [17]. David Adeang estime publiquement qu'il faudra « s'occuper Â» de ce juge dont les « valeurs Â» ne sont pas celles du gouvernement, « nous qui disons que ces personnes sont coupables Â»[25].

Le gouvernement fait appel de cette dĂ©cision, et crĂ©e Ă  cet effet une Cour d'Appel de Nauru. Le gouvernement fait Ă©galement adopter une loi empĂȘchant les accusĂ©s d'avoir accĂšs Ă  des avocats venant de l'Ă©tranger, et nomme un unique avocat pour reprĂ©senter collectivement les accusĂ©s. En mai 2019, Sprent Dabwido, rĂ©fugiĂ© en Australie, meurt d'un cancer. En dĂ©cembre 2019, le juge fidjien Daniel Fatiaki (en), siĂ©geant dans cette nouvelle cour, dĂ©clare tous les accusĂ©s coupables : quatre pour agression, onze pour Ă©meutes et deux pour ĂȘtre entrĂ©s illĂ©galement dans les locaux du Parlement. Il les condamne Ă  entre trois et onze mois de prison ferme, dont une peine de onze mois de prison Ă  l'encontre de Mathew Batsiua[1] - [22] - [26] - [27].

Le dernier des prisonniers, Mathew Batsiua, sort de prison en avril 2020[16].

Sort des « Dix-Neuf »

AccuséCondamnation[28]Peine
Meshack Akuborémeuteprison ferme
Mathew Batsiuaémeute11 mois ferme
Pisoni Bopémeute, agressionprison ferme
Job Cecilémeute, rassemblement illicite14 mois ferme
Sprent Dabwidon/a ; en exil en Australie ; mort en mai 2019-
Grace Detageouwaémeute3 mois avec sursis
Estakai Foilapeémeuteprison ferme
Mereiya Halsteadémeute, intrusionprison ferme
Dabub Jeremiahémeuteprison ferme
Daniel Jeremiahémeuteprison ferme
John Jeremiahémeutevingt-deux mois ferme
Rutherford Jeremiahn/a ; en exil en Australie-
Squire Jeremiahn/a ; en exil en Australie-
Joram Joramémeuteprison ferme
Bereka Kakioueaémeute, agressionprison ferme
Jacki Kanthémeute, intrusionprison ferme
Josh Kepaeémeute, agressionvingt-deux mois ferme
Renack Mauémeute, agressionprison ferme
Piroy Mauémeute, agressionprison ferme

Référence

  1. (en) « NAURU. RENFORCER LA PROTECTION DES DROITS HUMAINS », Amnesty International, juillet 2020
  2. (en) "President Waqa names his cabinet", gouvernement de Nauru, 13 juin 2013
  3. (en) "Nauru opposition MP censored by government after riot interview", Pacific Media Watch, 29 juillet 2013
  4. (en) "Nauru TV censored over asylum seeker deal", The Age, 6 août 2013
  5. (en) "Pacific Correspondent says Nauru situation not unique", Radio Australia, 30 janvier 2014
  6. (en) "Nauru Parliament erupts into chaos after opposition MPs suspended for speaking to ABC, foreign media", Australian Broadcasting Corporation, 14 mai 2014
  7. (en) "Nauru's president Baron Waqa and justice minister allegedly bribed by Australian phosphate dealer Getax", Australian Broadcasting Corporation, 8 juin 2015
  8. (en) "Nauru President and Justice Minister face bribery allegations involving Australian company" (vidéo), Australian Broadcasting Corporation, 8 juin 2015
  9. (en) "Nauru opposition MP arrested after mass protest", Radio New Zealand, 16 juin 2015
  10. (en) "Court drops charges against protesters after unfair trial", Civicus, 9 novembre 2018
  11. (en) "Nauru opposition MP Roland Kun prevented from leaving country after ABC 7.30 interview", Australian Broadcasting Corporation, 17 juin 2015
  12. (en) "Constituents 'living in fear': Nauru MP", SBS, 19 juin 2015
  13. (en) "Defending the Nauru 19: An Interview with Sydney Lawyer Christian Hearn", Sydney Criminal Lawyers, 24 septembre 2017
  14. (en) The Republic v. Jeremiah and others, RONLAW (base de données juridique de Nauru)
  15. (en) "NOTICE OF APPLICATION FOR ADMISSION TO PRACTICE", Republic of Nauru Government Gazette, 8 juillet 2016, p.3
  16. (en) "Last of 'Nauru-19' pro-democracy protesters released", Civicus, 7 mai 2020
  17. (en) Michael Swanson, "Trial of the 'Nauru 19'", The Journal of the NSW Bar Association, 1er décembre 2018
  18. (en) "Nauru 19: Australian judge blasts 'appalling' persecution of protesters", The Guardian, 14 novembre 2019
  19. (en) Republic v. Mathew Batsiua & others, Cour suprĂȘme
  20. (en) "Nauruans jailed over political protest to appeal sentence in Australia", The Guardian, 2 mai 2017
  21. (en) "Two members of 'Nauru 19' seek asylum in Australia", Radio New Zealand, 11 novembre 2019
  22. (en) "Nauru 19 found guilty of rioting and other charges in controversial retrial", The Guardian, 12 décembre 2019
  23. (en) "Lawyers slam 'sham trial' as Nauru 19 sentenced to jail terms over 2015 protests", Special Broadcasting Service, 19 décembre 2019
  24. (en) "Nauru 19: judge throws out case and rules protesters cannot receive a fair trial", The Guardian, 13 septembre 2018
  25. (en) "Nauru: a nation in democratic freefall propped up by Australia", The Guardian, 2 septembre 2018
  26. (en) "DESPITE POLITICAL CHANGE IN NAURU, JUDICIARY CONVICTS 2015 PROTESTERS", Civicus, 10 janvier 2020
  27. (en) "Nauru 19 survivors jailed", Islands Business, 25 décembre 2019
  28. (en) "Republic v Batsiua - Sentence (2019) NRSC 48; Criminal Case 12 of 2017, Criminal Case 08 of 2018 (11 December 2019)", Pacific Islands Legal Information Institute
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