Diotime
Diotime de MantinĂ©e est une prĂȘtresse et une prophĂ©tesse qui joue un rĂŽle important dans le Banquet de Platon. En effet, avec Diotime, câest la philosophie qui entre en scĂšne dans le dialogue qui « ouvre alors sur une dimension nouvelle, celle de lâintelligible. »[1] Diotime n'est pas prĂ©sente lors du banquet, mais Socrate rapporte son enseignement lors de son intervention.
Son rĂŽle dans le Banquet
Dans le Banquet de Platon, les convives dâune rĂ©ception sont invitĂ©s Ă prononcer Ă tour de rĂŽle un discours qui soit un Ă©loge Ă lâAmour (Ăros). Vient le tour de Socrate, lâorateur le plus important. Socrate rapporte alors le discours qui lui aurait Ă©tĂ© tenu dans sa jeunesse par une femme de MantinĂ©e, Diotime, quâil prĂ©sente comme une prĂȘtresse et une prophĂ©tesse qui l'aurait « instruit des choses concernant l'amour ». Socrate dĂ©clare Ă©galement que Diotime aurait Ă©loignĂ© la peste d'AthĂšnes en prescrivant des sacrifices (201d).
Dans son discours tel que Socrate le restitue, Diotime commence par expliquer que lâAmour (Ăros) nâest pas un Dieu mais un « grand dĂ©mon » (202d), un ĂȘtre intermĂ©diaire dont la fonction est de lier les mortels aux Immortels.
Sa nature sâexplique par son origine : il est le fils de PauvretĂ© (Penia) et dâExpĂ©dient (Poros). LâAmour (Ăros) nâest pas dĂ©licat et beau mais rude et malpropre et « il nâa pas de gĂźte, couchant toujours par terre et Ă la dure, dormant Ă la belle Ă©toile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car puisquâil tient de sa mĂšre, câest lâindigence quâil a en partage. Ă lâexemple de son pĂšre en revanche, il est Ă lâaffĂ»t de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, rĂ©solu, ardent, câest un chasseur redoutable ; il ne cesse de tramer des ruses, il est passionnĂ© de savoir et fertile en expĂ©dients, il passe tout son temps Ă philosopher, câest un sorcier redoutable, un magicien et un expert. »[2] (203d).
Selon elle, « lâamour a nĂ©cessairement pour objet aussi lâimmortalitĂ©. » (207a) Câest ce quâexprime lâinstinct de procrĂ©ation que lâon observe chez les animaux et chez les hommes « fĂ©conds selon le corps » (208e). Câest ce quâexprime aussi le dĂ©sir de gloire immortelle qui prĂ©side Ă lâenfantement de beaux discours par les hommes « fĂ©conds selon lâĂąme » (209a-e).
Cependant, lâimmortalitĂ© vĂ©ritable fait lâobjet dâune rĂ©vĂ©lation suprĂȘme au cours de laquelle Diotime Ă©voque la doctrine platonicienne des Formes intelligibles et montre « la droite voie quâil faut suivre » (211b) en sâĂ©levant « comme au moyen dâĂ©chelons, en passant dâun seul beau corps Ă deux, de deux beaux corps Ă tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui nâest autre que la science du beau lui-mĂȘme, dans le but de connaĂźtre finalement la beautĂ© en soi. »[3] (211c).
LâidentitĂ© de Diotime
La plupart des personnages des Dialogues de Platon correspondent Ă des personnes ayant rĂ©ellement existĂ© dans la GrĂšce antique[4]. Mais en dehors du Banquet, il nâexiste pas dâautre source mentionnant le nom de Diotime. Lâexistence historique de Diotime est donc sujette Ă discussion. La signification du nom de Diotime de MantinĂ©e donne Ă penser quâil sâagirait dâun personnage de fiction. En effet, Diotime signifierait « honorĂ©e par Zeus » ou « honorant Zeus » et Platon aurait choisi de rendre le personnage originaire de MantinĂ©e car le nom de cette ville dâArcadie Ă©voque mĂĄntis, qui signifie « le devin »[5] en grec ancien : on a donc lĂ un nom sur mesure pour une prĂȘtresse et une prophĂ©tesseâŠ
Certains auteurs[6] pensent que Platon a choisi ici le personnage dâune femme pour donner plus de poids au lien qui existait entre amour homosexuel et Ă©ducation par le biais de la pĂ©dĂ©rastie' dans lâAthĂšnes archaĂŻque et classique, lien Ă©voquĂ© ici en 209c. Mais le mĂȘme argument a Ă©galement Ă©tĂ© mis en avant pour dĂ©fendre la thĂšse opposĂ©e : dâautres auteurs[7] pensent en effet que Platon a choisi de mettre ici en scĂšne un personnage fĂ©minin pour justement opĂ©rer une critique de cette institution masculine et substituer une reprĂ©sentation fĂ©minine de lâĂ©ducation liĂ©e Ă la procrĂ©ation Ă une reprĂ©sentation masculine de lâĂ©ducation liĂ©e Ă la pĂ©nĂ©tration phallique.
Ăvocations
dans la littérature
- LâĂ©crivain autrichien Robert Musil a repris le nom de Diotime pour l'un des principaux personnages fĂ©minins de son roman L'Homme sans qualitĂ©s.
- Marguerite Duras, reprenant L'Homme sans qualités de Musil dans une piÚce de théùtre Agatha, mentionne le nom de Diotima pour son héroïne.
- Le poÚte allemand Friedrich Hölderlin a donné le nom de "Diotima" au personnage de la jeune fille aimée par le héros de son roman Hypérion ou L'Ermite de GrÚce. La "Diotima" de Hölderlin est associée à Susette Gontard, la femme aimée du poÚte dans sa vie et qui l'a inspiré dans la version complÚte du roman épistolaire publiée en 1797 et 1799 chez Cotta.
- L'Ă©crivain polonais Jadwiga Ćuszczewska (1834-1908) a utilisĂ© le nom de plume Diotima (Deotyma).
- L'Ă©crivain belge Henry Bauchau (1913-2012) a Ă©crit le roman Diotime et les lions et a repris le personnage de Diotime dans son roman Ćdipe sur la route.
- "Diotima" est le nom d'un quatuor formé par YunPeng Zhao (violon), Constance Ronzatti (violon), Franck Chevalier (alto) et Pierre Morlet (violoncelle).
- Yannis Ritsos Ă©voque "Diotime" dans le dixiĂšme poĂšme de la troisiĂšme partie (Parole de chair) de son recueil Erotika' (Ăditions ErosOnyx, 2009, p. 112).
dans la musique contemporaine
- Pierre BartholomĂ©e Le RĂȘve de Diotime (1999), d'aprĂšs le roman Diotime et les lions de Henry Bauchau.
dans l'art contemporain
- Diotime figure parmi les 1 038 femmes rĂ©fĂ©rencĂ©es dans l'Ćuvre dâart contemporain The Dinner Party (1979) de Judy Chicago. Son nom y est associĂ© Ă Aspasie[8] - [9].
Notes et références
- Luc Brisson, Ă©dition du Banquet de Platon, GF Flammarion, 1998, Introduction, p. 45
- Traduction de Luc Brisson, GF Flammarion, 1998, p. 142
- Traduction de Luc Brisson, GF Flammarion, 1998, p. 158
- Ruby Blondell The Play of Character in Plato's Dialogues, Cambridge University Press, 2002, p. 31
- Luc Brisson, Ă©dition du Banquet de Platon, GF Flammarion, 1998, Introduction, p. 28
- Cf. David M. Halperin, « Pourquoi Diotime est-elle une femme ? », Cent ans d'homosexualité et autres essais sur l'amour grec, EPEL, 2000.
- Cf. Luc Brisson, Ă©dition du Banquet de Platon, GF Flammarion, 1998, Introduction, p. 11 et p. 61-65.
- Musée de Brooklyn - Centre Elizabeth A. Sackler - Diotime
- Judy Chicago, The Dinner Party : From Creation to Preservation, Londres, Merrel 2007. (ISBN 1-85894-370-1).