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Criton (Platon)

Criton (grec ancien : ÎšÏÎŻÏ„Ï‰Îœ) est un dialogue du philosophe de la GrĂšce antique Platon. Il dĂ©crit une conversation entre Socrate et son ami Criton au sujet de la justice, de l'injustice, et de la maniĂšre la plus appropriĂ©e de faire face Ă  l'injustice. Socrate soutient que l'injustice ne peut ni ne doit ĂȘtre combattue par l'injustice, et dĂ©cline ainsi l’offre que lui fait Criton de l’aider Ă  s’évader de prison[1]. Les protagonistes s'interrogent sur la valeur Ă  accorder Ă  l’opinion publique ainsi que sur le devoir d’obĂ©issance aux lois de la citĂ©. Le dialogue prĂ©sente une forme primitive de thĂ©orie du contrat social.

Début du Criton dans le Codex Oxoniensis Clarkianus 39 de la bibliothÚque Bodléienne (datant de 895 environ).

Résumé

Le dialogue a lieu dans la cellule de Socrate, oĂč il attend son exĂ©cution, Ă  la suite de sa condamnation Ă  mort. Son ami Criton lui rend visite pour l'informer qu'il a organisĂ© son Ă©vasion et son exil d'AthĂšnes. Socrate apparaĂźt toutefois vouloir rester en dĂ©tention pour attendre l'exĂ©cution de la sentence qui doit avoir lieu le lendemain, et Criton avance alors une sĂ©rie d'arguments destinĂ©s Ă  persuader Socrate de s’enfuir.

Criton avance que la mort de Socrate aurait pour consĂ©quence de peiner et de dĂ©shonorer sa famille et ses amis, qui seront perçus comme n'ayant pas tentĂ© de le sauver. Par ailleurs, rester en prison Ă  attendre la mort alors que la possibilitĂ© lui est offerte de s'Ă©vader Ă©quivaudrait, d'une part, Ă  choisir de priver ses fils d'un pĂšre, donc Ă  agir de maniĂšre indigne, et d'autre part Ă  donner raison aux ennemis qui l'ont condamnĂ© Ă  tort, donc Ă  commettre lui-mĂȘme une injustice.

Socrate rĂ©pond, dans un premier temps, que l’opinion publique est inconsĂ©quente et que les seules opinions qui importent sont celles des gens qui se prĂ©occupent de la vĂ©ritĂ©, en consĂ©quence de quoi Criton ne devrait pas craindre la calomnie, mais bien plutĂŽt et seulement s’évertuer Ă  agir conformĂ©ment Ă  la justice. La seule question qui vaille, pour Socrate, est celle de savoir s'il serait juste de tenter de s'enfuir : s'il est juste de s'Ă©vader, il suivra Criton ; autrement, il restera en prison et attendra la mort. Dans un second temps, et pour rĂ©soudre le problĂšme ainsi posĂ©, Socrate demande Ă  Criton d'imaginer ce que lui diraient les Lois d'AthĂšnes si elles le voyaient s'enfuir. Les lois Ă©tant solidaires les unes des autres, en violer une Ă©quivaudrait Ă  les enfreindre toutes, et Socrate ferait alors une offense considĂ©rable Ă  la citĂ©. Offense d’autant plus inacceptable que les lois obligent les citoyens de la mĂȘme maniĂšre que les parents obligent les enfants, et le maĂźtre l’esclave. Les Lois ainsi personnifiĂ©es par Socrate prĂ©sentent les droits et devoirs du citoyen Ă  la maniĂšre d'un contrat social : en choisissant de vivre Ă  AthĂšnes, un citoyen accepte implicitement de se soumettre Ă  ses lois. Or, Socrate plus qu'aucun autre citoyen devrait souscrire Ă  ce contrat, puisqu'il a vĂ©cu grĂące Ă  lui heureux pendant soixante-dix ans Ă  AthĂšnes.

Si Socrate devait Ă  prĂ©sent s'Ă©vader, enfreignant par lĂ  mĂȘme les lois qu’il a si longuement et invariablement approuvĂ©es, il se mettrait effectivement hors la loi et n'aurait plus sa place dans aucune citĂ© civilisĂ©e pour le reste de sa vie. Criton approuve le raisonnement et le dialogue prend fin.

Les arguments de Criton

Ému par l’imminence de l’exĂ©cution, et face au calme de Socrate, Criton entreprend de persuader son ami de s’évader de prison. Pour ce faire, il avance une sĂ©rie d’arguments d’ordre affectif.

D’abord, la mort de Socrate causerait un double malheur Ă  ses proches : d’une part, la douleur de perdre un ami cher, « d’ĂȘtre privĂ© de toi, d’un ami, tel que [nous] n’en [retrouverons] jamais de pareil »[2] (44b) ; d’autre part, l’opprobre de l’opinion publique qui les accusera d’avoir Ă©tĂ© trop avares ou trop lĂąches pour financer son Ă©vasion, « car jamais le vulgaire ne voudra se persuader que c’est toi qui as refusĂ© de sortir d’ici, malgrĂ© nos instances. »[2] (44c) Ensuite, dĂ©cider de rester et de mourir Ă©quivaudrait Ă  trahir ses enfants, qu'il a l'obligation de nourrir, d’élever, et de ne pas abandonner « aux maux qui sont le partage des orphelins. »[2] (45c) Enfin, et arguant que le procĂšs n'a pas Ă©tĂ© Ă©quitable, Criton termine en disant Ă  Socrate que son renoncement serait le point culminant d'une affaire grotesque et, Ă  certains Ă©gards, une complicitĂ© dans l’injustice.

Criton insiste sur le fait qu'il ne court que peu de risques en aidant Socrate Ă  s’enfuir, en cela que les personnes susceptibles de le dĂ©noncer s'achĂštent facilement. Il ajoute que Socrate n'a aucune raison de craindre de lui ĂȘtre redevable une fois en exil, car plusieurs autres amis se proposent volontiers de participer au financement de l'opĂ©ration. Enfin, Criton soutient que Socrate saura trouver refuge et quiĂ©tude dans un certain nombre de citĂ©s Ă©trangĂšres, notamment la Thessalie oĂč Criton a des amis disposĂ©s Ă  lui donner asile, et que ses enfants seront correctement pris en charge en son absence.

La réponse de Socrate

Socrate fait remarquer que la sollicitude de son ami est fĂącheuse si elle ne se conforme pas Ă  la justice, et entreprend de rĂ©pondre aux arguments avancĂ©s par Criton avec l’aide de la raison : « Il faut donc examiner si le devoir permet de faire ce que tu me proposes, ou non ; car ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai pour principe de n’écouter en moi d’autre voix que celle de la raison. »[2] (46b) Si l'examen de la vĂ©ritĂ© est nĂ©cessairement circonstanciĂ©, il ne faut pas pour autant Ă©noncer un jugement dĂ©pendant de circonstances particuliĂšres. Socrate insiste sur la cohĂ©rence de sa position tout au long de sa vie, et juge bon de ne pas se dĂ©voyer quand elle est menacĂ©e.

Sur l’argument de l’opinion publique et des effets de sa mort sur la rĂ©putation de ses proches et sur la sienne propre, Socrate exprime son mĂ©pris pour la « multitude irritĂ©e » qui pense de maniĂšre irrationnelle et agit au hasard : « Il ne faut donc pas, mon cher Criton, nous mettre tant en peine de ce que dira de nous la multitude, mais bien de ce qu’en dira celui qui connaĂźt le juste et l’injuste ; et celui-lĂ , Criton, ce juge unique de toutes nos actions, c’est la vĂ©ritĂ©. »[2] (48a) Peu importe que le peuple ait le pouvoir de faire mourir, son opinion ne vaut pas celle du sage. L'argent, la rĂ©putation, l'amour pour ses enfants, ne sont que des considĂ©rations d'homme irrĂ©flĂ©chi. La seule question qui vaille est celle de savoir s’il serait juste ou non de s'enfuir[1].

Pour rĂ©pondre Ă  la question ainsi posĂ©e, Socrate et Criton conviennent qu’il n’est jamais bon de commettre une injustice, et qu’il n’est alors certainement jamais bon de rĂ©pondre Ă  une injustice par une injustice, mĂȘme quand sa vie en dĂ©pend, car « c’est une obligation sacrĂ©e de ne jamais rendre injustice pour injustice, ni mal pour mal. »[2] (49c) Partant, Socrate se demande ce que les Lois d'AthĂšnes diraient au sujet de son Ă©vasion. Or, selon lui, les Lois seraient de l'avis que la relation entre le citoyen et la citĂ© est de la mĂȘme nature que celle qui lie l'enfant Ă  ses parents, et l'esclave Ă  son maĂźtre. Un rapport de servitude reconnaissante auquel Socrate a implicitement souscrit en choisissant de rester vivre Ă  AthĂšnes et d’y Ă©lever ses enfants en connaissant ses lois. Et puisque « les Lois disent la vĂ©ritĂ© »[2] (51b), peu importe que les AthĂ©niens qui les appliquent puissent ĂȘtre injustes, ĂȘtre condamnĂ© Ă  tort ne justifie pas de rĂ©pondre Ă  son tour par l'injustice, car ce serait une offense dĂ©libĂ©rĂ©e faite Ă  la citĂ© civilisĂ©e.

Socrate demande Ă  son ami Criton s'il suit bien le raisonnement des Lois et s'ils doivent finalement accepter leur conclusion. Criton approuve effectivement le raisonnement selon lequel Socrate ne devrait pas tenter de s'Ă©vader, et le dialogue prend fin.

Notes et références

  1. Paul Woodruff, « Plato’s Shorter Ethical Works », dans The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Metaphysics Research Lab, Stanford University, (lire en ligne)
  2. « Oeuvres de Platon, traduites par Victor Cousin », sur Wikisource

Voir aussi

Traductions françaises

  • Platon, Criton, in ƒuvres de Platon, T. 1, traduction par Victor Cousin, Bossange frĂšres, 1822.
  • Platon, Criton, in ƒuvres complĂštes de Platon, T. 1 , traduction et notes par Émile Chambry, Classiques Garnier, 1936.
  • Luc Brisson (dir.) (trad. du grec ancien), Criton : Platon, ƒuvres complĂštes, Paris, Éditions Flammarion, (1re Ă©d. 2006), 2204 p. (ISBN 978-2-08-121810-9) Document utilisĂ© pour la rĂ©daction de l’article
  • Platon, ƒuvres complĂštes, Gallimard (BibliothĂšque de la PlĂ©iade, 2 vol.), Paris, 1970-1971
  • Platon, ƒuvres complĂštes. Criton, Ă©dition de LĂ©on Robin, Les Belles Lettres (CUF), Paris, 1970
  • Platon, Criton, traduction de Luc Brisson, Flammarion, Paris, 2005 (3e Ă©dition, GF, no 848) (ISBN 2-08-070848-1)
  • Platon, Apologie de Socrate, Criton, PhĂ©don, traduction de RenĂ©e et Bernard Piettre, Le livre de Poche, 1992 (ISBN 9782253061342)

Articles connexes

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