Cour criminelle (France)
En droit français, une cour criminelle est une juridiction d'exception constituée de cinq juges professionnels sans jury populaire mise en place dans certains départements français pour juger en première instance des crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion criminelle. Sa mise en place a pour objectif de désengorger les cours d'assises surchargées, dont les délais d'audiencement sont excessifs[1].
Historique
La décision de tester des cours criminelles apparaît dans la loi no 2019-222 du de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice[2].
Les cours criminelles sont mises en place par l'arrêté du relatif à l'expérimentation de la cour criminelle[3], qui indique que ces cours criminelles doivent permettre de limiter la pratique de la correctionnalisation, soit la requalification de crimes en délits[4].
Sept départements parmi les volontaires sont choisis initialement pour cette expérimentation[5] :
- les Ardennes ;
- le Calvados ;
- le Cher ;
- la Moselle ;
- La RĂ©union ;
- la Seine-Maritime ;
- les Yvelines.
Les premières audiences ont lieu en septembre 2019.
En mai 2020, l'Assemblée nationale adopte la proposition du gouvernement d’étendre l’expérimentation des cours criminelles à trente départements, au lieu de neuf[6] : « l’objectif est notamment d’aider à résorber le stock des affaires criminelles en souffrance devant les cours d’assises »[7]. L'arrêté du 2 juillet 2020[8] étend l'expérimentation à six nouveaux départements à compter du : l'Isère, la Haute-Garonne, la Loire-Atlantique, le Val-d'Oise, la Guadeloupe et la Guyane.
La généralisation des cours criminelles à partir du a été décidée en vertu de l'article 9 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire[9].
Application
Ces cours criminelles dérogent à une comparution classique devant une cour d'assises. Elles ne sont compétentes que pour les majeurs non récidivistes.
La plupart des crimes jugés par ces cours sans jury populaire sont, en 2020, des viols ou des viols aggravés[7].
DĂ©cision de comparution devant la cour criminelle
L'initiative de faire comparaître le ou les accusés devant une cour criminelle appartient au juge d'instruction à la fin d'une information judiciaire. La décision est prise par la chambre de l'instruction si un appel a été formé contre la décision du juge d'instruction[5].
Dans le cas de mises en accusation déjà pendantes devant une cour d'assises, l'affaire peut toutefois être renvoyée devant la cour criminelle avec l'accord de l'accusé assisté de son avocat.
Exceptions
L'exception qui empêche de traiter une affaire devant la cour criminelle est constituée par la présence, dans l'affaire, parmi les co-auteurs du crime, d'une personne encourant trente ans ou plus de réclusion criminelle[10].
En revanche, la cour criminelle reste compétente pour juger des délits connexes[10].
Composition de la cour
La composition est fixée par le premier président de la cour d'appel qui, dans le cadre de ses fonctions, va lui-même désigner un président pour cette cour criminelle, ainsi que quatre assesseurs. L'absence de jurés civils caractérise ces cours à la différence des cours d'assises.
Deux des assesseurs peuvent être des magistrats n'exerçant qu'à titre temporaire, voire être à la retraite s'ils ont le statut de magistrats honoraires[10].
Des avocats honoraires, nommés à cette fin, peuvent aussi composer cette juridiction[11], à condition de ne pas être majoritaires.
Audience
L'audience devant la cour criminelle est en principe publique. Mais le procès peut se dérouler à huis clos, sans public, si elle considère que le contenu des débats peut être dangereux pour l'ordre public ou les mœurs. Dans ce cas, seuls l'accusé, la victime partie civile et leurs avocats y assisteront. Pour certains crimes (viol, actes de torture, proxénétisme aggravé,...), le huis clos est accordé sans condition à la victime partie civile qui le demande. L'accusé ne peut pas demander le huis-clos. Dans les autres cas, le huis clos ne peut être ordonné que si l'une des victimes parties civiles ne s'y oppose pas.
Critiques
L'expérimentation du dispositif des cours criminelles suscite des critiques liées au manque d'information[6] - [7], ou à l'inéquité de traitement entre justiciables[6].
L’Union syndicale des magistrats, comme la présidente du Conseil national des barreaux, la présidente de la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris critiquent en mai 2020 « une extension qui, sous couvert d’une décision politique d’opportunité, mettrait en place, de fait, une juridiction de droit commun sans que son expérimentation en ait été débattue »[7].
Le Syndicat de la Magistrature, quant à lui, se dit favorable à la préservation des cours d'assises et du jury populaire, considérant la généralisation des cours criminelles comme un recul démocratique témoignant d'une « vision gestionnaire de la justice »[12] - [13].
L'absence des jurés dans les cours criminelles suscite également des critiques quant au fait d'« éloigner un peu plus la justice des citoyens »[14] - [15] - [16].
Une autre critique adressée aux cours criminelles, dans une perspective féministe, est qu'elles tendent à "disqualifier" le crime de viol - qui représente près de 90 % des affaires pour lesquelles ces cours sont compétentes - en ne laissant subsister le jury populaire que pour le jugement des crimes "les plus graves", comme l'exprime l'avocate Laure Heinich dans une tribune publiée dans le journal Le Monde : "Exit les jurés. Exit le regard public, l’œil extérieur, les témoins. Exit l’oralité des débats et la pédagogie citoyenne. Trop cher pour le viol. Les crimes « les plus graves », selon l’expression de l’ancienne garde des sceaux, punis de plus de vingt ans d’emprisonnement, demeureront jugés par une cour d’assises et sa démocratie directe, tandis que les viols seront, eux, disqualifiés d’office"[17].
Le 4 novembre 2022, est publiée dans le journal Le Monde une tribune[18] initiée par l'universitaire Benjamin Fiorini, et co-signée par la Ligue des Droits de l'Homme, le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France, l'Association des Avocats Pénalistes, la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats, le président de cour d'assises Marc Hédrich, les magistrats et essayistes Antoine Garapon et Denis Salas, l'avocat Henri Leclerc et le politologue Yves Sintomer, plaidant pour le maintien du jury populaire de cour d'assises et l'abandon des cours criminelles. Le collectif, qui voit dans l'effacement du jury populaire une atteinte aux libertés du peuple, à l'humanité de la procédure et la citoyenneté, appelle à soutenir la proposition de loi de la députée Francesca Pasquini (EELV) visant à préserver le jury populaire de cour d'assises[19] - [20].
Cette tribune est suivie de près par la publication du rapport du comité d'évaluation et de suivi de la cour criminelle[21], dont le bilan est qualifié de "calamiteux" par l'universitaire Benjamin Fiorini[22]. Le rapport indique notamment qu'aucun phénomène de dé-correctionnalisation associé aux cours criminelles n'a pu être mesuré, et qu' « qu’aucun chiffre concret n’a été avancé permettant de déterminer le nombre de magistrats et de greffiers rendus nécessaires au fonctionnement généralisé des CCD, dans les conditions prévues par la loi. Le comité souhaiterait qu’une évaluation soit réalisée à cet effet avant la mise en œuvre de cette généralisation », et estime qu’« un tel renforcement de ces effectifs apparaît […] indispensable au fonctionnement des CCD » .
La tribune et le rapport suscitent rapidement une importante mobilisation des professionnels de la justice. Le 6 décembre 2022, le Conseil de l'Ordre du barreau de Toulouse adopte à une motion contre la généralisation des cours criminelles[23]. Il est imité le 13 décembre par le barreau de Paris[24] et le barreau de Nantes[25], puis par le barreau des Hauts-de-Seine[26] et le barreau de Saint-Etienne[27]. Au total, 43 barreaux se sont officiellement prononcés contre la généralisation des cours criminelles et pour la préservation du jury populaire de cour d'assises[28].
Documentaires
- Cours criminelles, Lætitia Ohnona, 52min, 2022
Références
- « Qu’est-ce que la cour criminelle départementale, que le gouvernement souhaite généraliser ? », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Voir la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en vigueur sur Légifrance.
- Voir l'Arrêté du 25 avril 2019 relatif à l'expérimentation de la cour criminelle en vigueur sur Légifrance.
- Le Monde avec AFP, « Juger des crimes sans jurés : Caen teste la nouvelle cour criminelle », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Article 1 de l'arrêté du .
- Le Monde avec AFP, « L’Assemblée vote pour étendre l’expérimentation des cours criminelles », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Jean-Baptiste Jacquin, « Justice : la crise sanitaire fait reculer un peu plus la cour d’assises », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Arrêté du 2 juillet 2020 portant extension de l'expérimentation de la cour criminelle dans six départements.
- « Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire », sur vie-publique.fr (consulté le ).
- Voir l'article 63 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice sur Légifrance.
- Art. 3 de la loi organique n° 2021-1728 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire (1).
- « Cours criminelles : une mesure "indigne", "au nom d'une vision gestionnaire de la justice", selon le Syndicat de la magistrature », sur Franceinfo, (consulté le ).
- « États généraux de la Justice : faites entrer le citoyen », sur France Culture, (consulté le ).
- « L’Assemblée nationale vote la généralisation des cours criminelles départementales », Ouest-France avec l'AFP,‎ (lire en ligne).
- « « Supprimer les jurys populaires revient à rompre un peu plus le lien entre les citoyens et leur justice » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Benjamin Fiorini, « Jurés populaires: on ne peut pas «rendre la justice aux citoyens» sans les citoyens », sur Libération (consulté le ).
- « « Gisèle Halimi au Panthéon, c’est se moquer d’elle » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « « L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises porte atteinte à la liberté, l’humanité et la citoyenneté » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Assemblée Nationale, « Proposition de loi n°309 visant à préserver le jury populaire de cour d’assises », sur Assemblée nationale (consulté le ).
- « Justice : la généralisation des cours criminelles départementales contestée », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- Rapport du comité d'évaluation et de suivi de la cour criminelle, octobre 2022.
- Benjamin Fiorini, « [Point de vue...] Le bilan calamiteux des cours criminelles départementales : analyse critique du dernier rapport d’évaluation », Le Quotidien, novembre 2022,‎ (lire en ligne, consulté le ).
- « Cour criminelle départementale : les avocats de Toulouse votent contre sa généralisation », sur France 3 Occitanie (consulté le ).
- odufour, « Le barreau de Paris adopte une motion pour défendre les cours d'assises », sur Actu-Juridique, (consulté le ).
- Motion adoptée par le Conseil de l'Ordre du Barreau de Nantes, 13 décembre 2022.
- « Ma Toque 92 », sur matoque92.com (consulté le ).
- « L’Ordre des avocats de Saint-Etienne s’oppose à la disparition du jury populaire », sur IF Saint-Etienne (consulté le ).
- "Procès d'assises : la grogne monte contre les cours criminelles", Ouest-France 25 décembre 2022 (lire en ligne).