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Correctionnalisation d'un crime (France)

En droit français, la correctionnalisation d'un crime consiste dans le fait de rĂ©duire un crime en un dĂ©lit correctionnel[1]. Elle peut ĂȘtre judiciaire quand des magistrats (procureurs ou juges) vont nĂ©gliger volontairement une circonstance aggravante ou un Ă©lĂ©ment constitution d'un crime pour ne retenir que ceux qui constituent un dĂ©lit. Elle peut ĂȘtre lĂ©gale quand le lĂ©gislateur dĂ©cide de rĂ©trograder un crime en dĂ©lit en diminuant la peine encourue.

Cette technique permet de faire juger l'infraction devant un tribunal correctionnel, plutĂŽt que devant une cour d'assises.

Correctionnalisation légale

En France, la compétence des juridictions répressives dépend de la classification des infractions (contraventions, délits ou crimes). L'article 34 de la Constitution donne compétence au législateur pour « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur peut donc choisir de correctionnaliser un crime, ou à l'inverse criminaliser un délit. Cette technique ne pose aucun problÚme juridique.

Les rĂ©formes successives tendent Ă  une correctionnalisation des infractions. Tel est ainsi le cas pour la correctionnalisation des violences volontaires sans incapacitĂ© de travail (loi du 13 mai 1863) ; des agressions sexuelles, exceptĂ© le viol (loi du 23 dĂ©cembre 1980) ; les vols aggravĂ©s (loi du 2 fĂ©vrier 1981) ; ou encore les atteintes aux intĂ©rĂȘts de la nation, Ă  l'Etat ou Ă  la paix publique (loi du 22 juillet 1992).

La correctionnalisation lĂ©gale peut rĂ©sulter d'une volontĂ© de dĂ©sengorgement des cours d'assises, mais Ă©galement rĂ©sulter de changements quant Ă  la perception des infractions par la sociĂ©tĂ©. Ainsi, l'avortement Ă©tait un crime jusqu'Ă  une loi du 27 mars 1923 qui l'a correctionnalisĂ©, avant d'ĂȘtre dĂ©pĂ©nalisĂ© par la loi du 17 janvier 1975.

Correctionnalisation judiciaire

Contexte

Le manque de moyens des cours d'assises, impliquant des délais de comparution trÚs longs, explique le recours à la correctionnalisation judiciaire[2] pour faire juger les auteurs d'infraction devant un tribunal correctionnel alors qu'ils ont commis un « crime » : on parle alors de correctionnalisation[3].

Cette pratique, bien qu'illégale[4], arrange parfois deux des trois parties[5] : le procureur ou le juge d'instruction, initiateur, gagne la possibilité de raccourcir et de simplifier la procédure alors que le prévenu voit son crime rétrogradé au rang de simple délit.

Cette pratique est décriée, notamment pour les cas de viols, par des juristes et des associations d'aide aux victimes, qui dénoncent entre autres la mauvaise information des victimes quant aux conséquences de la correctionnalisation, l'atteinte à l'égalité des justiciables, les difficultés que cette pratique entraßne dans la lutte contre la récidive (le casier judiciaire ne mentionnant qu'un délit et non un crime)[6].

Il convient de prĂ©ciser que cette pratique peut aussi rĂ©sulter de diffĂ©rents critĂšres comme la personnalitĂ© du mis en cause, les circonstances de commission de l'infraction, l'importance du prĂ©judice et l'anciennetĂ© de l'affaire (qu'il convient aussi de mettre en perspective avec la prescription de l'action publique)[7]. Tel peut ĂȘtre le cas pour un vol Ă  main armĂ©e dans un petit commerce, avec un prĂ©judice peu Ă©levĂ©.

Application

Plusieurs mécanismes légaux permettent aux magistrats de recourir à la correctionnalisation et au tribunal correctionnel de se déclarer compétent.

Minimisation des faits

La plainte dĂ©posĂ©e par une victime ne constitue qu'un signalement de faits allĂ©guĂ©s devant l'autoritĂ© judiciaire. Il revient au procureur de la RĂ©publique de qualifier les faits, c'est-Ă -dire de retenir une sanction lĂ©gale par rapport Ă  ce qui lui est dĂ©noncĂ©. La victime n'a aucun droit Ă  maintenir la qualification lĂ©gale qu'elle souhaite voir juger. Le droit de la victime se rĂ©sume Ă  demander des dommages-intĂ©rĂȘts en tant que partie civile.

Le procureur demeure libre, à tout moment, de ne retenir que les faits qui lui semblent pertinents avec l'infraction qu'il entend poursuivre, et d'écarter les faits qui n'entrent pas en adéquation avec les charges qu'il entend retenir contre le prévenu.

Ainsi, lorsqu'une victime dénonce un viol, qui implique une pénétration sexuelle, le procureur qui décide de n'étudier qu'une plainte pour attouchements va écarter les faits de pénétration du débat.

Article 469 du Code de procédure pénale

L'article 469 du code de procédure pénale traite du cas des renvois devant des cours d'assises de personnes poursuivies pour des crimes. Le tribunal correctionnel doit renvoyer le ministÚre public à mieux se pourvoir s'il estime que les faits présentés sont de nature à entrainer une peine criminelle.

L'article prĂ©voit une exception en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel par le juge d'instruction. Ainsi si la victime avait recours Ă  un avocat au moment oĂč elle a portĂ© plainte et lorsque cette plainte a Ă©tĂ© « minimisĂ©e », alors le tribunal ne peut procĂ©der au renvoi de l'affaire devant une cour d'assises[8].

En raison de cette interdiction faite au tribunal correctionnel, la Cour de cassation estime qu'une partie civile, qui ne dispose pourtant pas de l'action publique, peut soulever devant elle le moyen tendant Ă  contester le renvoi devant le tribunal correctionnel et donc Ă  une potentielle correctionnalisation[9].

Conséquences

Une consĂ©quence pour une victime consiste en des difficultĂ©s pour prouver les faits. Alors que devant une cour d'assises, les jurĂ©s se prononcent « en leur Ăąme et conscience Â», procĂ©dĂ© qui permet notamment de lutter contre un « crime parfait Â», le juge en correctionnelle doit d'une maniĂšre plus stricte rechercher la preuve du dĂ©lit.

L'exemple le plus frĂ©quent est celui des viols. Lorsqu'une victime porte plainte contre un viol, les jurĂ©s d'assises vont pouvoir se focaliser sur un faisceau de prĂ©somptions (prĂ©sence de l'accusĂ© sur les lieux, traces de violences voire de sperme
). Lorsque les mĂȘmes faits sont requalifiĂ©s en simples attouchements, les mĂȘmes preuves perdent de leur intĂ©rĂȘt : une prĂ©sence sur les lieux perd de son importance, et des traces de sperme doivent ĂȘtre Ă©cartĂ©es car non utiles pour une recherche d'attouchements.

Partant de là, les victimes sont plus fortement dissuadées de porter plainte, à cause des conséquences d'une correctionnalisation du crime[6].

Le contrĂŽle du juge

Une correctionnalisation judiciaire ne peut avoir lieu sans l'accord de toutes les parties : le ministĂšre public et le juge d'instruction ; les parties civiles ; et la juridiction de jugement.

Toutefois, mĂȘme en cas d'accord des parties, la jurisprudence considĂšre que la correctionnalisation peut toujours ĂȘtre contestĂ©e par les parties en tout Ă©tat de la procĂ©dure[10] - [11].

Le tribunal correctionnel saisi, ou la chambre des appels correctionnels, peuvent également relever d'office son incompétence au profit de la cour d'assises[12]. La Cour de cassation peut également procéder à ce contrÎle d'office et les parties peuvent lui soulever ce moyen pour la premiÚre fois devant elle[13].

Cour européenne des droits de l'homme

Les consĂ©quences de ces imprĂ©cisions en droit français peuvent ĂȘtre portĂ©es devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, notamment pour violation de l'article 6 de la Convention EDH qui pose le droit Ă  un procĂšs Ă©quitable.

Lutte contre la correctionnalisation judiciaire

Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prĂ©sentĂ© par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti prĂ©voit la gĂ©nĂ©ralisation des cours criminelles en expĂ©rimentation depuis 2019[14]. Ces cours, composĂ©es seulement de magistrats professionnels, ont vocation Ă  connaĂźtre des crimes punis de 15 ou 20 ans de rĂ©clusion pour Ă©viter le recours Ă  la correctionnalisation.

La mission de l'Assemblée nationale sur les cours criminelles a mis en avant la réduction du délai d'audiencement de 6 à 8 mois[15].

Références

  1. GĂ©rard Cornu, Vocabulaire juridique, (ISBN 978-2-13-079910-8), p. 277
  2. « Pourquoi la généralisation des cours criminelles départementales fait débat », sur www.20minutes.fr (consulté le )
  3. « Correctionnalisation : dĂ©finition de correctionnalisation, citations, exemples
 », sur reverso.net (consultĂ© le ).
  4. Cass. crim. 12 janv. 2000, Bull. crim., no 24
  5. « Politiquement correctionnel - Journal d'un avocat », sur maitre-eolas.fr (consulté le ).
  6. « Quand le viol n’est plus un crime », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consultĂ© le )
  7. Michel REDON, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, , § 2 - Correctionnalisation des crimes
  8. « Article 469 - Code de procédure pénale », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le )
  9. « ArrĂȘt n°333 du 17 mars 2021 (20-86.318) - Cour de cassation - Chambre criminelle - ECLI:FR:CCAS:2021:CR00333 | Cour de cassation », sur www.courdecassation.fr (consultĂ© le )
  10. Cour d'appel de Paris 23 juin 1967, JCP 1968. II. 15413, note Meurisse
  11. Cour d'appel de Reims, 9 nov. 1978, D. 1979.92, note J. Pradel, JCP 1979. II. 19046, note P. Bouzat, Rev. sc. crim. 1979.379, obs. G. Levasseur
  12. Crim., 22 mai 1996, Bull. crim., no 212
  13. Crim., 22 mai 1996, Bull. crim., no 212 ; 12 janv. 2000, Bull. crim., no 24
  14. « Les grandes lignes du projet de loi Dupond-Moretti - Avocat | Dalloz Actualité », sur www.dalloz-actualite.fr (consulté le )
  15. Mission flash sur les cours criminelles de l'Assemblée nationale
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