Circuit du Trésor
Le circuit du Trésor est une modalité de financement utilisée par l'État français entre les années 1940 et les années 1960. Le Trésor public disposait d'un compte à la Banque de France sur lequel les institutions publiques françaises (les correspondants du Trésor) dont notamment le système bancaire nationalisé devaient déposer leur trésorerie. Cela a permis à l’État de capter facilement des capitaux de court terme nécessaires à son endettement.
L'augmentation importante des déficits publics et l'abondance de capitaux de long terme sur les marchés financiers ont conduit à le rendre déficient. Passé au second plan à partir des années 1960, il finance aujourd'hui environ 10 % du déficit public.
Histoire
Une création du régime de Vichy
Un financement permis par le Trésor captant l'épargne des correspondants du Trésor est mis en place durant la Première Guerre mondiale[1].
En 1936, Vincent Auriol, ministre des Finances du Front populaire, constate la fragilité du système de financement des déficits publics de la France et que le renouvellement de la souscription aux bons du Trésor n'est jamais garanti. La crainte de ne pouvoir financer le déficit traverse le régime de Vichy[2]. Ce dernier met en place vers 1940 le circuit[3].
L'occupation de la France par l'Allemagne du fait de la Seconde Guerre mondiale laisse l'État français exsangue, posant avec force la question des moyens de financement de l'économie française. L'étroitesse des marchés financiers de l'époque empêche à l’État de s'approvisionner en capitaux dans les proportions nécessaires. Le ministère des Finances met alors en place une architecture économique appelée « circuit du Trésor »[4]. Entre 1940 et 1944, 490 milliards de francs de bons du Trésor sont émis et achetés, permettant au Trésor de drainer l'épargne disponible[1]. La Caisse des dépôts et consignations est le premier acheteur de titres de dette publique[1].
La captation par le Trésor des dépôts permet à l’État d'éviter de recourir au financement monétaire de la Banque de France[5]. Cette dernière pouvait faire des avances à l’État (avances de la Banque de France), mais le montant, trop faible pour couvrir toutes les dépenses et pouvant générer de l'hyperinflation, était encadré par le Parlement français[6]. De plus, le relèvement du plafond des avances de la banque centrale requérait un vote du Parlement, considéré comme humiliant pour le gouvernement en place[7].
Une utilisation à la Libération pour pallier le manque de capitaux
Lorsque la Libération a lieu, le circuit du Trésor fonctionne toujours : en 1945, 66 % des actifs financiers détenus par les banques environ sont des bons du Trésor, contre 82 % en septembre 1941[1].
L’État finance ses découverts temporaires en drainant l'épargne des particuliers, déposée dans les comptes de dépôts des banques commerciales ; ces dernières étant publiques depuis leur nationalisation, elles doivent déposer leur trésorerie sur le compte du Trésor public[4]. Toutefois, la fin de la guerre et le retour à la normale sur les marchés financiers rend les titres de la dette publique moins attractifs, et les banques décaissent des bons du Trésor à hauteur de 50 milliards de francs en 1946[1].
Afin d'assurer au circuit du Trésor son bon fonctionnement, une loi adoptée en 1948 oblige les établissements bancaires à détenir une partie importante des titres de dette de la France dans leur portefeuille de liquidités[4]. La part des bons du Trésor qu'ils détiennent ne peut descendre en deçà d'un « plancher » déterminé par la loi, qui s'exprime en proportion des dépôts détenus par les banques[8].
Financé par les banques commerciales, l’État dispose d'entrées permanentes de liquidité. Ainsi, en 1955, le Trésor français est le premier collecteur de fonds du pays, avec 695 milliards de francs collectés, contre 617 pour le secteur bancaire. La contrepartie de ce système est de renforcer l'inflation, qui diminue le pouvoir d'achat des Français, que les fonds ne peuvent être utilisés que sur le court terme, et dans la limite des liquidités disponibles[9].
Des déficiences provoquant un abandon progressif
Les conséquences économiques du circuit du Trésor conduisent à son abandon progressif[10]. L'augmentation des dépenses publiques nécessite pour l’État de disposer de fonds de long terme, alors que le circuit du Trésor ne permet que des prêts de court terme[11]. Aussi, le taux d'intérêt sur les bons du Trésor achetés par les correspondants ne peut être fixé sous un certain seuil qui garantit que les banques ne feront pas des pertes[2].
La nécessité pour les banques de détenir l'équivalent de leurs réserves en dette publique les limite et provoque un effet d'éviction à l'égard des entreprises. Des réformes sont donc menées dans les années 1960 afin de réduire le taux plancher de 95% à 25% en 1956. Il atteint 15 % en 1963, puis 5% en 1965[2]. La réforme Debré-Haberer de 1966-1967 supprime le plancher, mettant fin en pratique au circuit du Trésor[4].
L'augmentation des volumes échangés sur le marché financier permet à l’État de se tourner vers une modalité de vente des titres de dette par adjudication, c'est-à -dire par mise aux enchères, à partir de 1963. Plusieurs dispositions de la loi de 1966 aboutissent à un élargissement du marché financier, avec une ouverture aux compagnies d'assurances, aux organismes de retraite, à la Caisse nationale de crédit agricole, etc., qui permettent à l’État de se financer à moindre coût, abondamment, et sans générer de l'inflation[4].
Le circuit du Trésor sera adopté dans certaines anciennes colonies françaises avec des réussites diverses[12]. S'il est encore utilisé en France aujourd'hui, les correspondants du Trésor n'apportent plus que moins de 10 % du financement du déficit public[13]. Certains mouvements de gauche radicale proposent un « retour » au circuit[14].
Fonctionnement
Une méthode de captation de l'épargne
Un État dispose de plusieurs solutions de financement en cas de déficit. Il peut mener des emprunts nationaux afin que la population lui prête les ressources nécessaires à son fonctionnement ou à un investissement. Il peut également bénéficier d'avances de la banque centrale, mais cela fait croître la masse monétaire, et donc, potentiellement, l'inflation[15]. Enfin, il a la possibilité d'orienter de manière plus ou moins forcée l'épargne nationale privée vers des emprunts publics. Le circuit du Trésor est fondé sur cette dernière option[16].
Une architecture financière ad hoc
Le Trésor se situait au centre et en surplomb du réseau des banques et institutions financières françaises, qu'elles fussent publiques ou privées[17]. Les membres de ce réseau sont appelés « correspondants du Trésor »[18]. Le réseau est permis par la coexistence d'un tissu bancaire divers collectant une épargne abondante : banques coopératives et mutualistes, banques de prêts à long terme, etc.[19] Pour éviter des fuites d'épargne, c'est-à -dire une utilisation de l'épargne à d'autres fins que l'achat de titres de dette publique, le circuit a longtemps été clôt par une réglementation financière obligeant les banques à acheter une partie des bons[1].
Lorsque l’État s'endettait, les banques commerciales étaient contraintes d'acheter les bons du Trésor en proportion de leur portefeuille total ; il s'agissait donc d'une forme d'emprunt forcé[20]. En achetant ces bons au Trésor, elles faisaient transiter leurs fonds vers lui ; la Direction du Trésor captait alors les dépôts considérables des banques commerciales françaises, notamment des particuliers, afin de fournir l’État en liquidités[21]. Le circuit peut toutefois se dérégler et le Trésor se trouver dans l'impossibilité de trouver les ressources nécessaires pour assurer le financement qui lui est demandé, ce qui arrive à plusieurs reprises[22].
Limites
Inflation
Le circuit du Trésor a été critiqué en interne au sein du ministère des Finances pour sa propension à générer de l'inflation[23], dont par Bloch-Lainé lui-même[24]. Si le ministère des Finances mobilise la liquidité qui est abondée sur son compte par les correspondants du Trésor, alors aucune inflation n'est générée car la masse monétaire reste identique ; en revanche, si le Trésor acquiert un prêt auprès d'une banque, alors la Banque de France crédite le compte du Trésor, ce qui génère de la monnaie[2]. Comme l'explique Haberer dans un de ses cours des années plus tard : « il n'en aurait été différemment que si, grâce à cette élévation du [taux] plancher [d'obligations publiques détenues par le système bancaire], le Trésor avait détruit de la monnaie en se désendettant auprès de la Banque de France, ce qu'il ne faisait pas. En fait, le plancher apportait une sécurité qui favorisait une mauvaise gestion des finances publiques, laquelle était génératrice d'inflation »[2].
En réalité, c'est les déficits de l’État et le financement monétaire de la dette publique qui, en faisant augmenter la masse monétaire, produisent de l'inflation à la mesure de la dette publique. Un circuit du Trésor complété par la Banque de France causait ainsi de l'inflation, quoique cela ne soit pas substantiel au circuit du Trésor lui-même[6].
Effet d'Ă©viction
L'économiste Laure Quennouëlle-Corre remarque que le circuit du Trésor, parce qu'il captait une partie importante des ressources des banques commerciales, limitait la capacité des banques à financer les entreprises et l'investissement privé. Cela produisait un « effet d'éviction des valeurs publiques sur le marché des emprunts », qui « est d'autant plus fort que l'État propose des produits avantageux fiscalement »[25]. Ainsi, en septembre 1941 par exemple, le portefeuille des banques était à 82 % composé de bons du Trésor et à 18 % seulement de titres privés[1]. C'est pourquoi, en 1959, Charles de Gaulle prend la décision ne plus émettre d'emprunt public afin de ne pas provoquer l'éviction des placements privés[1].
Références
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- Yves Bouthillier, Le drame de Vichy (2). Finances sous la contrainte, (Plon) réédition numérique FeniXX, (ISBN 978-2-259-30343-9, lire en ligne)
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