AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Cause en droit français des contrats

La cause de l'obligation Ă©tait une des quatre notions centrales[1] en droit des contrats français avec l'objet, le consentement et la capacitĂ© Ă  contracter. Elle Ă©tait dĂ©terminante de la validitĂ© d'un contrat. Un contrat sans cause[2] ou avec une cause illicite[3] ne pouvait ĂȘtre valable.

Originellement, la cause pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e de deux façons diffĂ©rentes. Ainsi, les canonistes faisaient une distinction entre la cause efficiente (qui correspond Ă  la condition sine qua non, c'est-Ă -dire sans laquelle on n'aurait pas contractĂ©) et la cause finale (le but poursuivi). Ils Ă©taient inspirĂ©s de considĂ©rations d'ordre moral telles que le respect de la parole donnĂ©e nonobstant l'absence de formes et la nĂ©cessitĂ© que l'engagement soit raisonnable (c'est-Ă -dire qu'il y ait une « cause » : on ne s'engage pas sans raison, et que cette cause ne soit pas immorale).

En droit romain, Ă©tait utilisĂ©e la cause efficiente, de façon subsidiaire en raison du formalisme. De nos jours, c'est le sens de cause finale qui a Ă©tĂ© retenu. Il convient de rechercher le but poursuivi par les parties. DĂšs lors, la cause peut-ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e objectivement ou subjectivement.

La rĂ©forme de 2016 du droit des contrats[4] fait disparaĂźtre cette notion de cause dans le code civil. Cette sortie est toutefois trompeuse puisque le rĂ©gime du droit des contrats imposera toujours que les conventions ne dĂ©rogent pas Ă  l'ordre public et aux bonnes mƓurs (cause subjective) et l'existence d'une rĂ©elle contrepartie dans les contrats Ă  titre onĂ©reux (cause objective). De plus, tous les contrats Ă©tablis avant cette rĂ©forme restent valides, la notion de cause s'y applique donc toujours.

Les fonctions de la cause

La cause a une triple fonction :

  • Protection du consentement des parties et de l'Ă©quilibre du contrat.
  • Protection de l'ordre social (cause illicite ou immorale).
  • Subsidiairement : qualification des contrats (selon la thĂ©orie classique, la cause — mobile abstrait — est la mĂȘme pour chaque catĂ©gorie de contrat).

Chaque vice affectant la cause répond à une fonction de celle-ci :

  • Sanctionner l'absence de cause permet de pallier une atteinte au consentement et Ă  l'Ă©quilibre du contrat ; ce vice est sanctionnĂ© de nullitĂ© relative Ă  la charge de celui qui l'invoque de le prouver.
  • Sanctionner l'illicĂ©itĂ© de la cause vise au contraire Ă  assurer la protection de l'ordre social ; c'est la nullitĂ© absolue, qui est ici encourue, tout individu justifiant d'un intĂ©rĂȘt pouvant l'invoquer.

La nature de la cause en doctrine : cause objective ou cause subjective

Pour Jean Domat et la théorie classique, lorsque le juge opÚre une appréciation objective de la cause, il s'agit du mobile abstrait de l'obligation. On parle de « cause de l'obligation ». Pour Jacques Maury et la théorie moderne, au contraire, lorsque le juge opÚre une appréciation subjective de la cause, il faut prendre en compte les mobiles concrets de l'obligation. On parle de « cause du contrat ».

C'est Ă  Jacques Maury que l'on doit d'avoir soulignĂ© que sous ses deux aspects — cause objective et cause subjective — il s'agit toujours d'une mĂȘme notion : celle qui justifie le pourquoi de l'engagement.

La théorie classique de la cause : cause objective

Une effigie de Pothier sur le bĂątiment de la Chambre des reprĂ©sentants des États-Unis

Cette théorie a été développée par Jean Domat (XVIIe siÚcle), reprise par Pothier (XVIIIe siÚcle) et c'est d'elle dont se sont inspirés les rédacteurs du Code civil de 1804. Elle vise à protéger le consentement.

Pour Domat et la thĂ©orie classique, il s'agit donc du but immĂ©diat et direct qui conduit le dĂ©biteur Ă  s'engager. On parle Ă©galement de cause abstraite car on recherche la raison d'ĂȘtre gĂ©nĂ©rale du contrat. Ainsi, elle est toujours la mĂȘme pour un mĂȘme type de contrat:

  • Contrat synallagmatique : la cause est la contrepartie (l'avantage espĂ©rĂ© par chaque partie), ce qui revient Ă  Ă©noncer :
    « La cause de l'obligation de l'une des parties réside dans l'objet de l'obligation de l'autre, et réciproquement. »
  • Contrat rĂ©el : la cause est constituĂ©e par la remise de la chose, objet du contrat, par une partie, et que celle qui l'a reçue s'oblige Ă  restituer.
  • Contrat Ă  titre onĂ©reux : l'engagement de chacun trouve sa raison d'ĂȘtre dans la contrepartie reçue ou attendue de l'autre.
  • Contrat Ă  titre gratuit : la cause est constituĂ©e par l'intention libĂ©rale (animus donandi).
  • Contrat alĂ©atoire : L'existence de la cause rĂ©side dans l'alĂ©a.
  • Contrat de prĂȘt (type de contrat unilatĂ©ral) : La cause de l'obligation de l'emprunteur rĂ©side dans la remise de la chose par le prĂȘteur.
  • Contrat de cautionnement (type de contrat unilatĂ©ral) : la jurisprudence a considĂ©rĂ© Ă  cet Ă©gard que la cause du cautionnement rĂ©side dans les prestations que le crĂ©ancier doit fournir au dĂ©biteur principal, nonobstant la qualitĂ© de la caution et ses relations avec le dĂ©biteur principal (Ă  moins qu'il n'en ait Ă©tĂ© stipulĂ© autrement).

C'est dans cette mesure que la cause objective peut servir Ă  qualifier les contrats.

La théorie moderne de la cause : cause subjective

Elle a Ă©tĂ© exposĂ©e en 1920 d'une part par Henri Capitant et d'autre part par Jacques Maury. Capitant remonte Ă  la thĂ©orie des canonistes mais il retrouve une notion totalement diffĂ©rente de Domat : l'engagement devait ĂȘtre causĂ© mais aussi lĂ©gitime et honnĂȘte. Selon les auteurs du XIXe siĂšcle, la cause de chaque obligation est l'obligation assumĂ©e par le cocontractant ; pour Capitant c'est l'exĂ©cution de cette obligation, chacun ne s'engage pas uniquement pour que l'autre s'engage mais surtout pour que l'autre exĂ©cute son engagement.

Pour Capitant comme pour Maury, la cause a un rÎle dynamique dans l'acte juridique : c'est la volonté des parties qui engendre des obligations et modifie les relations, les patrimoines, etc.

Ainsi, lorsque la cause est appréciée subjectivement, le juge va considérablement pousser la recherche de la cause de chaque partie : on parle de recherche de la "cause impulsive et déterminante" ayant poussé les parties à contracter.

Critique anti-causaliste et réfutation

La cause, notion fondamentale du droit des contrats français, a pourtant été vivement critiquée notamment par Planiol qui appartient à la doctrine "anti-causaliste". Néanmoins, ses critiques ont suscité des réponses de la part des défenseurs de la notion de cause comme notion indispensable à la compréhension de la matiÚre contractuelle.

La thĂšse anti-causaliste de Planiol

La théorie de la cause est fausse
  • Du point de vue de la logique formelle : les deux obligations rĂ©ciproques d'un contrat synallagmatique ne peuvent se tenir mutuellement de cause : un effet est nĂ©cessairement postĂ©rieur Ă  sa cause, c'est-Ă -dire que si chaque obligation est l'effet de l'existence de l'autre, aucune d'elle ne peut naĂźtre.
  • Dans les contrats rĂ©els (remise d'une chose, dĂ©pĂŽt, prĂȘt, gage) la prestation n'est pas la cause de l'obligation de restitution au crĂ©ancier : la prestation est le fait gĂ©nĂ©rateur de l'obligation et non pas sa cause au sens de cause finale.
  • Dans les libĂ©ralitĂ©s, l'intention libĂ©rale[5] contribue uniquement Ă  la qualification du contrat (Ă  titre gratuit). Du point de vue de la validitĂ©, la cause est une notion vide de sens : force est de scruter les motifs, c'est-Ă -dire la cause subjective pour annuler une clause illicite ou immorale.
La théorie de la cause est inutile[6]
  • Dans les contrats synallagmatiques, l'absence de cause au moment de la formation du contrat ou une cause illicite et/ou immorale fait double emploi avec la notion d'objet du contrat ou de l'obligation.
  • Dans les contrats rĂ©els, l'absence de cause Ă©quivaut Ă  l'absence de remise de la chose; or, si la chose n'a pas Ă©tĂ© remise, le contrat n'est pas formĂ© et il n'y a pas lieu de l'annuler
  • Dans les libĂ©ralitĂ©s, l'absence de cause Ă©quivaut Ă  l'absence d'animus donandi; plutĂŽt que recourir Ă  l'absence de cause pour annuler la donation, le donateur pour faire valoir l'absence de consentement.

RĂ©futation des critiques anti-causalistes

La théorie de la cause n'est pas fausse
  • La cause du contrat synallagmatique n'est pas le fait gĂ©nĂ©rateur, la cause finale n'est pas l'obligation de l'autre - la cause doit prĂ©cĂ©der l'effet et deux phĂ©nomĂšnes ne peuvent ĂȘtre gĂ©nĂ©rateurs l'un de l'autre — c'est l'avantage escomptĂ© des obligations rĂ©ciproques, c'est-Ă -dire le but poursuivi par les deux parties.
  • Pour les contrats rĂ©els, les anti-causalistes confondent cause finale et cause efficiente — le but et l'origine — alors qu'une mĂȘme prestation peut ĂȘtre Ă  la fois le fait gĂ©nĂ©rateur et la cause d'une obligation : la formation du contrat de prĂȘt suppose la remise de la chose prĂȘtĂ©e que l'emprunteur s'engage Ă  restituer parce qu'elle lui a Ă©tĂ© remise.
La théorie de la cause est utile
  • Elle explique le contrat synallagmatique, les obligations rĂ©ciproques : l'obligation de l'un a pour obligation de l'autre (nullitĂ© si objet impossible ou illicite, si la cause de l'obligation est absente ou fausse).
  • Elle est distincte de l'objet : si dans un contrat synallagmatique l'objet de l'obligation d'une partie fait dĂ©faut ou est illicite alors que l'objet de l'obligation de l'autre est valable, seule la notion de cause (et sa rĂ©ciprocitĂ©) permet de justifier la nullitĂ© de l'entier contrat.
  • Le juge peut contrĂŽler la justification du consentement (contrĂŽle limitĂ© Ă  l'existence et au caractĂšre licite de la cause objective mais non aux mobiles : cause subjective).

Mais s'agissant de libĂ©ralitĂ©s, la cause objective est nĂ©cessairement l'intention libĂ©rale : si celle-ci existe il ne peut y avoir absence de cause objective, d'oĂč l'intĂ©rĂȘt de recourir Ă  la cause subjective — les mobiles — dĂšs lors que la cause est illicite, immorale ou contraire Ă  l'ordre public ou aux bonnes mƓurs.

La nature de la cause en jurisprudence : application distributive

Jacques Maury avait distinguĂ© les deux acceptions de la cause (cause de l'obligation et cause du contrat); il dresse par ailleurs un panachage cohĂ©rent de ces deux notions en fonction des intĂ©rĂȘts Ă  protĂ©ger :

  • La cause est apprĂ©ciĂ©e objectivement dans sa fonction de protection individuelle (du consentement).
  • La cause est apprĂ©ciĂ©e subjectivement dans sa fonction de protection sociale de l'ordre social (stricto sensu) et de l'ordre public Ă©conomique (lato sensu).

Ce panachage se retrouve aujourd'hui en jurisprudence.

L'appréciation en matiÚre d'absence de cause

En la matiÚre, la jurisprudence s'attache traditionnellement à la théorie de la cause objective.

On a pu noter un inflĂ©chissement de la position des juges Ă  la suite des arrĂȘts Point Club vidĂ©os[7] et Chronopost[8] qui semblaient avoir transposĂ© la thĂ©orie de la cause subjective en droit positif. À cet Ă©gard, si l'arrĂȘt Chronopost peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© autrement, l'arrĂȘt des "cassettes vidĂ©o" est sans Ă©quivoque : il s'attachait Ă  ce que la cause du contrat demeure lors de son exĂ©cution. L'office du juge Ă©tait, dans ce cas, de vĂ©rifier que le contrat puisse ĂȘtre exĂ©cutĂ© conformĂ©ment Ă  l'Ă©conomie voulue par les parties lors de la conclusion du contrat. Dans le cas contraire, le juge devait invoquer l'absence de cause dans le contrat et en prononcer la nullitĂ©.

Pour autant, la cause subjective subit aujourd'hui un reflux : si le principe de la jurisprudence des "points vidĂ©o" a d'abord Ă©tĂ© confirmĂ© par d'autres arrĂȘts, il convient de noter qu'il n'en est pas fait application dans ces cas d'espĂšces [9]; surtout, la chambre commerciale semble avoir abandonnĂ© purement et simplement cette thĂ©orie dans une espĂšce similaire Ă  celle ayant donnĂ© naissance Ă  la jurisprudence [10]. Ne demeure donc que la jurisprudence Chronopost, qui peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme un moyen d'assurer la force obligatoire du contrat et ne suffit donc pas Ă  caractĂ©riser un accueil de la cause subjective par la Cour de cassation.

Il convient toutefois de noter que la jurisprudence, sans remettre en cause la thĂ©orie de la cause objective, laisse une fenĂȘtre ouverte pour la protection de l'Ă©quilibre du contrat. En effet, la Cour de cassation a innovĂ© Ă  l'occasion d'un arrĂȘt du 11 mars 2003, au sein duquel elle accepte pour la premiĂšre fois de prendre en compte une absence seulement partielle de la cause. Le juge, dans ce cas, peut prononcer une nullitĂ© partielle de la convention, visant Ă  rĂ©tablir l'Ă©quilibre.

L'appréciation en matiÚre de cause illicite

La notion de cause objective ne permet pas de combattre au mieux les atteintes Ă  l'ordre et Ă  la moralitĂ© publics qui trouvent leur source ou sont facilitĂ©es par un contrat. L'exemple typique qui illustre cette critique est le suivant : un contrat de prostitution aura une cause illicite et sera nul tandis que le contrat de bail visant Ă  Ă©tablir une maison de tolĂ©rance sera Ă  l'abri de la nullitĂ©, alors mĂȘme que les intĂ©rĂȘts en jeu sont les mĂȘmes dans les deux cas.

La notion de cause subjective permet justement de rĂ©pondre Ă  cette exigence de conformitĂ© Ă  l'ordre public et aux bonnes mƓurs, en ce qu'elle permet de contrĂŽler la concordance du contrat avec des exigences supĂ©rieures quand le recours Ă  l'objet ne le permet pas. Aussi la jurisprudence a pris parti pour la cause subjective lorsqu'il s'agit de juger la licĂ©itĂ© d'un contrat.

La sanction est possible lorsque le mobile illicite a été déterminant du consentement des parties, c'est-à-dire lorsque l'accord n'aurait pas eu lieu en son absence. La Cour de cassation n'exige pas de ce mobile qu'il soit partagé par les parties (sphÚre contractuelle), contrairement à sa jurisprudence antérieure ; il y a là traduction de sa volonté de sanctionner plus efficacement les atteintes à l'ordre public[11].

Notes et références

  1. Art. 1108 du Code civil
  2. Art. 1131 du Code civil
  3. Art. 1133 du Code civil
  4. Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
  5. Animus donandi
  6. Marcel Planiol, La cause du contrat, Marcel Planiol, G. Ripert, , p. 396-397
  7. Cass. 1re civ., , pourvoi no 94-14800, Bull. civ. I no 286 p. 200, Recueil Dalloz 30 octobre 1997, no38, p. 500, note P. Reigne, Juris-Classeur périodique 96,IV, 1998, 97,I,4015 obs Labarthe
  8. Cass. com., , pourvoi no 93-18632, Bull. civ. IV no 261 p. 223, Recueil Dalloz 6 juin 1997, n° 10, p. 121, note A. Sériaux, Gazette du Palais 16 août 1997 n° 238, p. 12, note R. Martin, Juris-Classeur périodique 9 juillet 1997, n° 28-29, p. 336, note D. Cohen, Defrénois 15 mars 1997, n° 5, p. 333, note D. Mazeaud, JCP E 20 mars 1997, n° 12, p. 49, note K. Adom, Les petites affiches, n° 95, 13 mai 2002, pp. 12-15, Frédéric Buy
  9. Cass 3e Civ. 16/02/2000 n°98-11.838 (non publié), Cass Com. 27/03/2007 n°06-10.452 (non publié)
  10. Cass. Com. 9 juin 2009, n° 08-11.420
  11. Revirement par un arrĂȘt Cass 1er Civ. 07/10/1998 n°96-14.359 : "un contrat peut ĂȘtre annulĂ© pour cause illicite ou immorale, mĂȘme lorsque l'une des parties n'a pas eu connaissance du caractĂšre illicite ou immoral du motif dĂ©terminant du contrat"

Voir aussi

Articles connexes
Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.