AccueilđŸ‡«đŸ‡·Chercher

Canal de Craponne (arrĂȘt)

L’arrĂȘt « Canal de Craponne » est l’un des plus grands arrĂȘts de la Cour de cassation française en droit civil qui consacre le rejet de la thĂ©orie de l'imprĂ©vision, c'est-Ă -dire la rĂ©vision pour imprĂ©vision en droit contractuel. Il est devenu un arrĂȘt emblĂ©matique de la force obligatoire du contrat.

Canal de Craponne
Titre Cour de cassation, Chambre civile, 6 mars 1876, Commune de PĂ©lissanne contre marquis de Galliffet
Abréviation Cass., Civ., 6 mars 1876
Pays Drapeau de la France France
Tribunal (fr) Cour de cassation
Chambre civile
Date
Recours Cassation
DĂ©tails juridiques
Territoire d’application Drapeau de la France France
Branche Droit du contrat
Importance ArrĂȘt emblĂ©matique de la force obligatoire du contrat
Chronologie Cour d'appel d'Aix,
Citation « Dans aucun cas, il n'appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaßtre leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants. »
ProblĂšme de droit Le juge peut-il modifier les contrats lors de l'apparition de circonstances nouvelles ?
Solution Il n'appartient en aucun cas au juge de substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants.
Voir aussi
Mot clef et texte force obligatoire du contrat : art. 1134 (anc.) du Code civil
Lire en ligne Lire sur Wikisource

L'arrĂȘt a Ă©tĂ© rendu le par la Chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 1134 ancien du Code civil français. NĂ©anmoins, l'ordonnance du 10 fĂ©vrier 2016 portant rĂ©forme du droit des contrats, du rĂ©gime gĂ©nĂ©ral et de la preuve des obligations met fin Ă  cette jurisprudence puisque le nouvel article 1195 du Code civil dĂ©finit les circonstances et modalitĂ©s d'une telle rĂ©vision.

Les faits

Depuis le XVIe siĂšcle, le propriĂ©taire d’un canal d’irrigation percevait la redevance de 3 sous pour l’entretien et la fourniture d’eau Ă  la plaine voisine. À cause de la dĂ©prĂ©ciation monĂ©taire de trois siĂšcles, cette redevance Ă©tait devenue complĂštement dĂ©risoire et inadaptĂ©e ; elle ne couvrait mĂȘme plus les frais d’entretien du canal. Le propriĂ©taire, Gaston de Galliffet, dĂ©cide de saisir les tribunaux afin de faire revaloriser la redevance prĂ©vue aux conventions de 1560 et 1567.

La procédure

Le propriĂ©taire saisit la Cour d’appel d’Aix qui rend son arrĂȘt le . Un pourvoi est formĂ© par le bĂ©nĂ©ficiaire du contrat, la Cour de cassation rend son arrĂȘt de principe le .

Le problĂšme de droit

Peut-on porter atteinte Ă  la force obligatoire du contrat lorsque les circonstances Ă©conomiques ont changĂ© de telle sorte qu’il n’y a plus d’équilibre contractuel ?

Solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette l’idĂ©e de rĂ©vision du contrat par le juge, mĂȘme en cas de changement profond des circonstances affectant l’équitĂ© du contrat. Puisque « les conventions lĂ©galement formĂ©es tiennent lieu de loi Ă  ceux qui les ont faites » (article 1134 ancien du Code civil[1]), il n’y a pas lieu d’autoriser le juge Ă  se placer au-dessus de la loi voulue par les parties. Tant que les conditions essentielles du contrat sont rĂ©unies, il n’y a pas lieu de rĂ©viser le contrat.

Contournement de l’imprĂ©vision

Critiques de l’arrĂȘt

De nombreux auteurs se sont Ă©levĂ©s et s’élĂšvent encore contre cette solution. Ils estiment qu’elle ne prend pas en compte la rĂ©alitĂ© Ă©conomique du contrat et ne laisse pas suffisamment d’amplitude Ă  l’office du juge. Au soutien de leurs idĂ©es, ils ont tour Ă  tour affirmĂ© que la volontĂ© commune des parties voulait que le contrat subsiste si les choses restaient en l’état, que le cocontractant en situation de difficultĂ© subissait une lĂ©sion, que le cocontractant qui profite du dĂ©sĂ©quilibre s’enrichit sans cause, qu’il pourrait y avoir situation de force majeure pour le cocontractant en difficultĂ© ou encore et surtout, que la bonne foi dans les contrats (article 1134 al. 3) impose au crĂ©ancier de renĂ©gocier le contrat qui ne prĂ©sente plus aucun intĂ©rĂȘt pour le dĂ©biteur[2].

Certains arrĂȘts ont imposĂ© une obligation de renĂ©gocier les contrats devenus dĂ©sĂ©quilibrĂ©s sur le fondement de l’exigence de bonne foi :

  • Com. 3 novembre 1992[3], Huard, pourvoi n° 90-18.547, JCP G 1993, II, 22164, obs. G. Viramassy ; RTD Civ 1993, p. 124 s., obs. J. Mestre ; DefrĂ©nois 1993, p. 1377, obs. JL Aubert.
  • Com. 24 novembre 1998[4], pourvoi n° 96-18.357, D. 1999, IR p. 9 ; Contrats, conc., consomm. 1999 1999, Comm. n°56, obs. M.Malaurie-Vignal ; DefrĂ©nois, 1999, p. 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, I, 143, obs. Ch. Jamin ; RTD civ. 1999, p. 98, obs. J. Mestre et 646, obs. P.Y. Gautier.
  • Civ. 1re, 16 mars 2004[5], pourvoi n° 01-15.804, D. 2004, jurisprudence p. 1754.

Cependant, ces arrĂȘts demeuraient isolĂ©s et ambigus. De plus, ils ne mettaient pas d’obligation au succĂšs de la renĂ©gociation.

Finalement, c'est le législateur qui viendra consacrer la théorie de l'imprévision, obligeant donc les juridictions à l'admettre. C'est à l'article 1195 du Code civil[6] que la réforme de 2016 du droit des contrats à opérer cette évolution. Désormais, en cas de « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque » le juge peut réviser le contrat ou en prononcer la résolution. La jurisprudence canal de Craponne est donc caduque[7].

En droit administratif, l’arrĂȘt du Conseil d’État « Compagnie gĂ©nĂ©rale d’éclairage de Bordeaux » de 1916 accepte l’idĂ©e d’imprĂ©vision tant que l’évĂ©nement est imprĂ©visible, extĂ©rieur aux parties et bouleverse l’économie du contrat.

Solutions Ă©trangĂšres

  • Allemagne La thĂ©orie de l’imprĂ©vision a Ă©tĂ© adoptĂ©e lors des annĂ©es 1920 (Ă©poque de l'inflation dite galopante) et se trouve dans le § 313 BGB (Code civil allemand).
  • Projet de droit europĂ©en des contrats : Le projet de droit europĂ©en des contrats semble adopter la thĂ©orie de l’imprĂ©vision.
  • QuĂ©bec (Canada) : Le QuĂ©bec n'admet pas la thĂ©orie de l'imprĂ©vision. Le professeur de droit Didier Lluelles affirme que l'arrĂȘt Canal de Craponne est le point de dĂ©part de cette prise de position. Cet arrĂȘt continue donc de s'appliquer au QuĂ©bec malgrĂ© le fait qu'il ait Ă©tĂ© rejetĂ© en France depuis la rĂ©forme du droit des contrats de 2016[8].
  • Royaume-Uni : Le Royaume-Uni [9] a, dans un premier temps, refusĂ© de reconnaitre l’imprĂ©vision comme une cause d’exonĂ©ration d’exĂ©cution du contrat (Paradine v. Jane (1647 Al 26, 82 ER 897). Cependant un premier inflĂ©chissement Ă  cette thĂ©orie a Ă©tĂ© acceptĂ© par les Cours anglaises avec l’arrĂȘt Taylor v. Caldwell (Taylor v. Caldwell (1863) 3 B & S 826). Cet arrĂȘt reconnaissait l’existence d’ « implied terms » (clauses sous-entendues) par lesquelles les cocontractants acceptaient de mettre fin au contrat en cas de survenance d’évĂ©nements rendant l’exĂ©cution particuliĂšrement difficile pour une partie. C’est le principe de la « frustration ». Pourtant, cette pratique ne permettait pas de rĂ©tablir l’équilibre contractuel dans tous les cas. En 1956, la House of Lords a posĂ© la thĂ©orie de la « frustration » comme rĂšgle objective du droit des contrats : L’exĂ©cution du contrat ne peut ĂȘtre exigĂ©e que si les circonstances sont les mĂȘmes que lors de la conclusion du contrat. (ArrĂȘt Davis Contractors ltd v. Fareham Urban District Council de 1956)

Notes et références

Cet article est issu de wikipedia. Text licence: CC BY-SA 4.0, Des conditions supplĂ©mentaires peuvent s’appliquer aux fichiers multimĂ©dias.