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Camp Century

Camp Century est une base militaire de l'armĂ©e amĂ©ricaine au Groenland, construite Ă  la fin des annĂ©es 1950 Ă  240 km Ă  l'Est de la base aĂ©rienne de ThulĂ©, Ă  l'extrĂŞme nord-ouest de l'inlandsis groenlandais. Elle a Ă©tĂ© dĂ©finitivement fermĂ©e en 1967, mais la fonte de la glace sous laquelle elle est enfouie risque de la mettre Ă  nu[1].

Camp Century
Image illustrative de l’article Camp Century
Les entrées du site.

CoordonnĂ©es 77° 10′ 00″ nord, 61° 08′ 00″ ouest
GĂ©olocalisation sur la carte : Groenland
(Voir situation sur carte : Groenland)
Camp Century

Dirigé par le colonel John H. Kerkering et sous la responsabilité du Cold Regions Research and Engineering Laboratory (en) du Corps du génie de l'armée des États-Unis, le projet fut mis en œuvre de 1959 à 1967, en pleine Guerre froide, avec l'objectif d'acheminer, via des tunnels sous la calotte glaciaire, 600 missiles nucléaires au plus près de l'URSS[2].

Construction et abandon

Plan de la base en 1965.

Les travaux commencent en juin 1959 et seront terminĂ©s en octobre 1960[2]. Construit dans le cadre du projet Iceworm (en), Camp Century, prĂ©sentĂ© comme un projet scientifique, poursuivait Ă©galement un but militaire : les États-Unis ne disposant pas dans les annĂ©es 1950 de missiles balistiques ayant une portĂ©e pouvant frapper l'URSS depuis leur territoire, le projet visait Ă  creuser sous la calotte glaciaire un vaste ensemble de puits Ă  missiles braquĂ©s sur le territoire soviĂ©tique[1]. Pour ce faire, la base fut alimentĂ©e par un rĂ©acteur nuclĂ©aire, et les autoritĂ©s amĂ©ricaines firent construire des voies ferrĂ©es sous la calotte pour transporter le matĂ©riel. Vingt-et-un tunnels furent construits, sous la supervision du physicien B. Lyle Hansen, en utilisant l'acier et la neige comme matĂ©riau[2]. Ils abritaient, entre autres, un hĂ´pital, un magasin, un théâtre et une Ă©glise. Jusqu'Ă  200 personnes travaillaient dans le camp pendant la pĂ©riode d'Ă©tĂ©[2]. L'eau provenait de la fonte des glaciers. Aucune ogive nuclĂ©aire ne sera finalement stockĂ©e dans la base[2].

Près de huit millions de dollars furent investis dans le projet (soit 59 millions de dollars valeur 2010), dont 5,7 millions pour le seul rĂ©acteur nuclĂ©aire portable PM-2A, premier de ce genre Ă  avoir Ă©tĂ© fabriquĂ©, Ă  l'initiative d'Alco Products[2]. Produisant MW d'Ă©lectricitĂ©, il servait aussi Ă  faire fondre la glace[2]. Ce rĂ©acteur a Ă©tĂ© envoyĂ© au Groenland en pièces dĂ©tachĂ©es, assemblĂ© sur place, utilisĂ©, puis dĂ©montĂ© et renvoyĂ© aux États-Unis. Le PM-2A a Ă©tĂ© conçu pour dĂ©montrer la capacitĂ© de crĂ©er une centrale nuclĂ©aire Ă  partir d'Ă©lĂ©ments prĂ©fabriquĂ©s dans une rĂ©gion Ă©loignĂ©e, ici en Arctique. La cuve sous pression a ensuite Ă©tĂ© utilisĂ©e pour Ă©tudier la fragilisation de l'acier au carbone par les neutrons. Le rĂ©acteur est mis en service le et coupĂ© en 1963-1964. Il utilisait comme combustible de l'uranium 235 enrichi Ă  93 %.

Le projet fut abandonnĂ© en 1964 en raison du mouvement des glaces, lequel menaçait de faire s'effondrer les tunnels, et la base est officiellement fermĂ©e en 1967. RestĂ©s sans maintenance (l'entretien demandait le dĂ©placement et l'enlèvement de plus de 120 tonnes de neige et glace chaque mois), la totalitĂ© des tunnels s'effondrèrent par la suite[2].

Révélation du projet

Les détails du projet ne furent rendus publics qu'en , lorsque l'Institut danois de la politique étrangère (le Danish Foreign Policy Institute, ou DUPI) publia un rapport, à la demande du Parlement danois, concernant l'histoire des armes nucléaires au Groenland. Le rapport provoqua un scandale, puisqu'il montra qu'à l'époque de l'accident de Thulé (écrasement d'un Boeing B-52 Stratofortress en 1968), le gouvernement danois avait donné l'autorisation tacite du transport d'armes nucléaires au Groenland, en violation avec la déclaration officielle du Premier ministre Hans Christian Hansen, en 1957, qui faisait du Danemark une zone exempte d'armes nucléaires[3], ligne politique qui demeura officiellement en vigueur jusqu'en 1988[4].

Risques liés à la fonte de la calotte

En 2016, les chercheurs ont Ă©valuĂ© que les 55 hectares du site contenaient encore 200 000 litres de fuel autrefois contenus dans des citernes qui sont probablement dĂ©truites par la rouille et les mouvements de la glace. La prĂ©sence de gĂ©nĂ©rateurs et autres transformateurs font penser que les PCB sont les produits chimiques les plus rĂ©pandus et les plus problĂ©matiques[1] - [5]. Il resterait aussi 240 000 litres d’eaux usĂ©es[6]. Les vestiges du camp restent enfouis en 2016 sous une trentaine de mètres de glace[7]. Avec le rĂ©chauffement climatique, si la fonte se poursuit au rythme actuel, la perte de glace ne serait plus compensĂ©e par les nouvelles chutes de neige Ă  partir de 2090 et la mise au jour des dĂ©chets pourrait se faire environ un siècle plus tard[5].

Une nouvelle étude, publiée en 2021, montre en revanche que les nouvelles chutes de neige continueront de compenser la perte de glace jusqu'au moins 2100. La base devrait donc rester enfouie sous la glace jusqu'à cette date, et pourrait même s'enfoncer davantage, jusqu'à une soixantaine de mètres sous la glace en 2100[8].

Intérêt scientifique

Bien qu'Ă  visĂ©e militaire, Camp Century a permis au gĂ©ophysicien danois Willi Dansgaard (en) d'analyser les premières carottes de glace afin d'effectuer une Ă©tude sur l'histoire du climat depuis 100 000 ans[9]. Dansgaard Ă©crivit en 1967 au scientifique amĂ©ricain Chester Langway, responsable de la conservation des glaces prĂ©levĂ©es par l'armĂ©e lors de la construction des tunnels, afin de pouvoir Ă©tudier ces carottes[9] - [10]. Après cette première Ă©tude, dont les rĂ©sultats surprenants furent accueillis de façon sceptique par la communautĂ© scientifique, Dansgaard obtint de rĂ©aliser un nouveau forage en 1979, dans le sud du Groenland, avec le Suisse Hans Oeschger (en), lequel confirma la brutalitĂ© des fluctuations climatiques observĂ©es[9].

Notes et références

  1. Groenland : la fonte des glaces menace une base nucléaire secrète de l'armée américaine - L'Obs, 26 septembre 2016
  2. (en) Camp Century, Greenland - Frank J. Leskovitz, Science Leads the Way
  3. (en) The Campaign for Nuclear Disarmament - Holger Terp, The Danish Peace Academy
  4. (en) Denmark agrees on nuclear policy - Michael R. Gordon, The New York Times, 8 juin 1988
  5. (en) Julia Rosen, « Mysterious, ice-buried Cold War military base may be unearthed by climate change », Science,
  6. Ludovic Dupin, « Sous le Groenland, le réchauffement met au jour une bombe nucléaire à retardement », L'Usine nouvelle,
  7. Loïc Chauveau, « Réchauffement : une base militaire datant de la guerre froide resurgit au Groenland », Sciences et Avenir,
  8. (en) « Camp Century is staying under the ice », (consulté le )
  9. Willi Dansgaard, Géophysicien danois - Stéphane Foucart, Le Monde (nécrologie), 15 janvier 2011 (accès réservé aux abonnés)
  10. (en) The history of Danish ice core science, Center for Ice and Climate, Nils Boehr Institute

Voir aussi

Article connexe

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