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Cahiers de Mai

Les Cahiers de Mai sont une revue créée immédiatement après les événements de Mai 68 et publiée jusqu'en 1974. Ce bi-hebdomadaire a popularisé le reportage social, juste après Mai 68.

Cahiers de Mai
Une des Cahiers de Mai, n°12, .
Format
Fondateur
Pays

L'objectif de la publication est d'établir des liaisons entre les groupes ouvriers révolutionnaires qui existent, de manière plus ou moins constituée, après , dans de nombreuses entreprises[1].

Historique

Les participants sont d'origine politiques diverses : PCF (Daniel Anselme), CGT (amenés par le menuisier H. Fournié), ancienne "Gauche syndicale" (Jean-Marcel Bouguereau, Marc Kravetz, Jean-Louis Peninou), PSU (Fromentin, Lichtenberger), communisme libertaire (Daniel Colson et Jacques Wajnsztejn), UJC(ml) (Daniel Lindenberg, Queysanne).

Le premier numĂ©ro de la revue paraĂ®t le 68, avec pour thème « la Commune de Nantes Â». La parution est bi-hebdomadaire jusqu'au n° 7 puis mensuelle jusqu'en 1974.

Le tirage de la revue oscille entre 17 000 et 20 000 exemplaires.

Une approche en termes d'enquĂŞte

Les Cahiers de Mai cherchent à développer une pratique particulière basée sur l’enquête ouvrière. Elle se distingue de celle entreprise de l’autre côté des Alpes avec les Quaderni Rossi, par le fait que l’enquête est menée directement à partir du mouvement social lui-même et non à partir d’une analyse des transformations du capital.

Les Cahiers de Mai se font connaitre en particulier au printemps 1971, lors des grèves de l'industrie automobile française de 1969-1973, lorsqu'ils coordonnent des réunions de témoignage des différentes usines Renault, puis lors de la première vague des grèves des ouvriers de Peñarroya en 1971 et 1972 déclenchée plusieurs semaines après un accident du travail pour la défense des conditions de travail des ouvriers immigrés, qui ont eu lieu en à Saint-Denis puis de à mars 1972 dans les trois usines d’affinage de la Société minière et métallurgique de Peñarroya, alors premier producteur mondial de plomb [2], dans le sillage d'un film présenté en par leur fondateur Daniel Anselme.

Le , le journal organise la rĂ©union au Mans d'une « commission mĂ©tallurgie Â»[3], avec des militants ouvriers actifs dans une quinzaine d'entreprises: Renault Billancourt, Saviem, SociĂ©tĂ© mĂ©tallurgique de Normandie (Caen), Usinor (Dunkerque), Dubigeon (Nantes), SNIAS (Châtillon), Westinghouse (Paris), mais aussi des PTT (Paris), de la SNCF (Paris-Austerlitz, Tours), et des travailleurs de diverses autres professions (bâtiment, imprimerie, informatique), Ă  Lyon, Dunkerque, Nantes[3].

« Le rĂ´le politique de l’enquĂŞte Â», article publiĂ© en juillet 1970 dans le n° 22, propose une analyse de la conception des Cahiers de Mai. Elle se dĂ©finit en opposition avec l’enquĂŞte de la sociologie industrielle qui est en plein dĂ©veloppement. Il s’agit de placer l’enquĂŞte sous la direction ou au moins le contrĂ´le des travailleurs. L’enquĂŞte sert Ă  faire ressortir l’expĂ©rience ouvrière tout en faisant apparaĂ®tre les idĂ©es nouvelles. Elle joue le rĂ´le politique de la reformation de la classe ouvrière et Ĺ“uvre Ă  la rĂ©alisation de l’unitĂ© de la classe[4].

Cette unité est lente à se faire et les Cahiers de Mai auront tendance à encourager des regroupements par secteurs qui donneront lieu à des groupes et journaux comme Action-Cheminot et Action-PTT. Il s’agit aussi, même si c’est plus implicite, de faire un bilan des luttes et des transformations du capital.

Ă€ la « communication verticale Â» des syndicats qui laisse peu d’autonomie Ă  la base, les Cahiers de Mai opposent une liaison horizontale, Ă  la base comme ils tenteront de la mettre en place, par exemple, pendant les grèves d’OS Ă  Berliet Lyon avec la rĂ©daction d’un texte par les travailleurs des ateliers en grève[5] et au cours de la grève de Pennaroya de 1972, entre les diffĂ©rentes usines du groupe[6], toutes plus ou moins en grève.

Un autre point de l’intervention du groupe est directement liĂ© Ă  un des Ă©checs du mouvement de mai avec la difficultĂ© qu’il y a eu Ă  relier la lutte de ceux qui Ă©taient Ă  l’extĂ©rieur des entreprises et ceux qui Ă©taient Ă  l’intĂ©rieur. Les comitĂ©s Ă©tudiants-travailleurs ont reprĂ©sentĂ© une tentative de rĂ©ponse Ă  chaud Ă  ce problème, mais ils ont eu une efficacitĂ© limitĂ©e et surtout, ils ont disparu ou sont en sommeil. Quant Ă  « l’établissement Â» des militants extĂ©rieurs, les Cahiers de Mai s’y refusent car ils trouvent cette pratique en vogue (au sein des groupes maoĂŻstes) artificielle.

La pratique de l’enquête ne va pas de soi et les débats sont vifs, au sein même du groupe, entre ceux, majoritaires, qui voient dans l’enquête la base même de la dynamique, à condition que l’enquête soit réussie évidemment, c’est-à-dire que son utilisation dans l’usine fasse bouger les choses et ceux, minoritaires, qui parlent en termes de formation politique qui seule pourra permettre aux ouvriers les plus combatifs de résister et aux pressions patronales et aux récupérations syndicales ou gauchistes[7].

La critique contre la théorie de l’avant-garde

Plus tard, la revue mène une sĂ©vère critique contre la thĂ©orie de l’avant-garde et de la conscience de classe importĂ©e de l’extĂ©rieur. Les groupes extĂ©rieurs sont critiquĂ©s parce qu’ils cherchent Ă  apporter une dimension politique qui n’existerait pas dans la lutte elle-mĂŞme. La revue essaie de s’en tenir Ă  une ligne claire de dĂ©marcation de classe : « Qui parle et au nom de qui ? Â».

Une anecdote racontĂ©e par Daniel Anselme permet de comprendre la diffĂ©rence entre l’optique des Cahiers de Mai et celle des groupes gauchistes. Dans une discussion en petit comitĂ© qui met en prĂ©sence d'un cĂ´tĂ©, D. Anselme, principale figure (non mĂ©diatisĂ©e) des Cahiers et de l'autre Roland Castro de VLR (Vive la rĂ©volution) et Le Dantec de la Gauche prolĂ©tarienne, ces deux derniers font assaut de rĂ©volutionnarisme et Anselme de leur poser la question : « Mais qui vous a fait rĂ©volutionnaire ? Â».

Mais cette ligne qui relève d’une vision de la pure autonomie de la classe en lutte bute sur le fait que le capitalisme est un rapport social de dépendance entre deux classes certes antagonistes, mais aussi liées. D’où le rôle des syndicats, d’où l’ambiguïté de la revue à leur égard. Elle bute aussi sur le fait que Mai 68 exprime en partie une crise de la théorie du prolétariat et une remise en cause du rôle moteur de la classe ouvrière dans le processus de lutte contre un système qui est de plus en plus ressenti comme un système de domination et non pas simplement ou essentiellement d’exploitation. Cette crise sera manifeste après Lip et fatale aux Cahiers de Mai qui sont dissous en 1974.

L'arrivée à Libération des journalistes des Cahiers de Mai

En 1974, à Jean-Paul Sartre, qui lui pose la question « Pourquoi tu quittes Libé », Jean-Pierre Barou invoque son différend avec de nouveaux arrivants, des anciens des Cahiers de mai, propulsés par Serge July. July souhaite alors en particulier que Marc Kravetz et Jean-Marcel Bouguereau, ses amis personnels depuis Mai 68, intègrent Libération[8]. Les Cahiers de Mai ont été créés par une petite équipe de militants venant aussi bien du PCF que de l'extrême-gauche ou des milieux catholiques[8]. Tout à l'opposé des « maos spontex » de la GP, ils veillent dès à ne pas se couper des syndicats, même vis-à-vis de Georges Séguy (CGT) qui s'avérera un adversaire des séquestrations.

Source

Liens

Références

  1. RĂ©daction, Les Cahiers de mai, Le Monde, 3 avril 1970, [lire en ligne].
  2. Penarroya 1971-1979 : Notre santé n’est pas à vendre !, par Laure Pitti, maîtresse de conférences en sociologie, université Paris-VIII
  3. Cahiers de Mai de juin 1971
  4. Un cheminot dĂ©clare (n°22, p.14) : « L’enquĂŞte joue surtout un rĂ´le d’auto-formation des noyaux qui ont participĂ© au combat. Elle doit permettre Ă  ces noyaux parfois informels, de se rĂ©unir, et Ă  travers ce travail d’enquĂŞte, de voir ce qui se passe dans leur entreprise, de leur faire prendre conscience qu’ils existent, qu’une de leurs taches est de s’organiser rĂ©ellement, et qu’à partir de leur groupe (CA, section syndicale etc., ça dĂ©pend des conditions) des liaisons soient entreprises Â».
  5. La pratique est de fait très différente de celle de la feuille d’usine de Lutte Ouvrière ou de la pratique externe de l’enquête des maos. Ici, cela débute par une réunion entre certains ouvriers en lutte qui contactent ou sont contactés par les Cahiers de Mai, un texte est rédigé ensemble puis les ouvriers le font circuler dans l’usine pour correction et enfin une dernière réunion met le point final au texte qui est diffusé ensuite dans l’usine, mais aussi dans les Cahiers de Mai. Une grosse limite réside dans le fait que les militants ne pouvant être de partout, le contact à l’intérieur passe souvent par un membre de la CFDT, le plus souvent un délégué de la tendance gauchisante du syndicat. Il en ressort une ambiguïté de départ qui peut conduire à des dérives. C’est effectivement ce qui s’est passé à partir de Pennaroya et encore plus avec Lip. Nous y reviendrons dans l’analyse du mouvement de Lip.
  6. À Lyon, à Saint-Denis, à Noyelles-Godault, à Largentière.
  7. Un militant de Lyon (B. Fromentin) intervient sur cette question de l’interventionnisme politique : « Ces groupes se prĂ©sentent comme des sujets politiques qui auraient Ă  stabiliser des noyaux plus ou moins amorphes sans tenir aucun compte du fait que le dĂ©veloppement et l’existence de noyaux ne dĂ©pend pas d’actions volontaires de groupes extĂ©rieurs qui prendraient des mesures pour permettre Ă  ces groupes d’exister, mais des luttes rĂ©elles qui se passent dans la boĂ®te Â» (p.16).
  8. Sartre, le temps des révoltes, par Jean-Pierre Barou, Editions Stock, 2006 -
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