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Aristide Pierre Maurin

Aristide Pierre Maurin, également connu sous le nom Peter Maurin, est le cofondateur aux États-Unis, avec Dorothy Day, du Catholic Worker Movement[1].

Aristide Pierre Maurin
Biographie
Naissance
Décès
(Ă  72 ans)
New York
Nationalité
Activités
Écrivain, militant social
Autres informations
Archives conservées par
signature d'Aristide Pierre Maurin
Signature

Biographie

Aristide Pierre Maurin est nĂ© Ă  Oultet, hameau de la commune de Saint-Julien-du-Tournel, en Lozère, le dans une famille de paysans pauvres[2]. Il est le premier nĂ© d'une famille de 24 enfants issus de deux mariages. Ă€ cinq ans, il entre Ă  l’école du village oĂą il reste jusqu’à quatorze ans. Il passe alors le Certificat d’Études puis, Ă  partir de 1891, il poursuit sa formation Ă  Mende, au pensionnat Saint Privat dirigĂ© par les Frères des Ă©coles chrĂ©tiennes. Chez les frères, Pierre reçoit une formation classique, thĂ©ologique, religieuse et pĂ©dagogique. Il a envie d’enseigner et devient lui-mĂŞme Frère en 1895 après plusieurs annĂ©es de prĂ©paration Ă  Paris et aux alentours. Il est affectĂ© dans diffĂ©rents Ă©tablissements scolaires de la rĂ©gion jusqu’à son service militaire en . Il dĂ©couvre le journal Le Sillon et le mouvement du mĂŞme nom, fondĂ© par Marc Sangnier. Pierre adhère Ă  cette organisation. Ses vĹ“ux temporaires s’achèvent en 1903 : il ne les renouvelle pas[3]. Il milite dans Le Sillon pendant quelques annĂ©es surtout en participant aux rĂ©unions militantes et en vendant le pĂ©riodique dans les rues de Paris. Mais quelques annĂ©es après, une crise intervient au sein de l'organisation : Pierre ne partage pas l’enthousiasme de Sangnier pour les organisations syndicales. Par ailleurs, le conflit entre l’Église et l’État provoque la scission de ses idĂ©es avec celles du Sillon et Pierre dĂ©missionne du mouvement en 1906. PlacĂ© dans l’armĂ©e de rĂ©serve Ă  la fin de son service militaire obligatoire, il avait effectuĂ© une pĂ©riode d’exercice d’un mois en 1904. En revanche, il ne rĂ©pond pas Ă  sa convocation de 1908. Il Ă©chappe aux recherches de la police pendant quelques mois puis quitte la France pour le Canada en 1909. Il sera finalement dĂ©clarĂ© insoumis en 1911[4].

Maison natale de Peter Maurin à Oultet (Lozère)

Il y a deux raisons Ă  ce choix : le Canada est un pays sans conscription et d’autre part le gouvernement canadien a lancĂ© une grande campagne en faveur de l’immigration. Il vend des terres et des fermes Ă  des prix dĂ©risoires. Pierre s’établit dans la Saskatchewan, avec un associĂ© rencontrĂ© pendant le voyage. Deux ans après, l’associĂ© dĂ©cède accidentellement et Pierre abandonne l’exploitation qu’il ne peut plus assurer seul[5]. Il parcourt le Canada comme ouvrier agricole, puis terrassier creusant des canaux d’irrigation, tailleur de pierre, poseur de rails, etc.

Enfin, en 1911, il se dĂ©cide Ă  passer aux États-Unis qu’il parcourt en fonction des emplois qu'il trouve dans les mines de houille, les mines de plomb, les aciĂ©ries, les scieries, une briqueterie, etc.  On le voit en Pennsylvanie, en Ohio, en Iowa, Ă  Chicago, Ă  Decatur, Ă  Saint-Louis, Ă  New York. En 1913, il prend le train « Ă  crĂ©dit Â», comme il dit. On le met quelques jours en prison. Ă€ sa sortie, il reprend ses voyages Ă  travers les États de la Prairie, toujours en effectuant des travaux mal rĂ©munĂ©rĂ©s et prĂ©caires. Enfin, il revient Ă  sa vocation de professeur Ă  partir de 1917. Des enseignants de langue française sont engagĂ©s dans l'armĂ©e du fait de l’entrĂ©e en guerre des États-Unis. Cependant, les besoins existent toujours. Pierre est sollicitĂ© par des particuliers. Il donne alors des cours de français, Ă  domicile puis dans une petite Ă©cole qu’il ouvre Ă  Chicago, employant plusieurs professeurs. Pour la première fois, c’est une relative aisance. Mais Pierre donne l'essentiel de ses gages Ă  des pauvres ou Ă  des communautĂ©s charitables. Chacun le rĂ©munère selon ses possibilitĂ©s. Il en sera ainsi jusqu’à sa mort.

En 1925, il se fixe principalement Ă  New York mais il continue Ă  sillonner le pays pour y exposer sa conception idĂ©ale du monde et la manière d’y parvenir. Il organise des rĂ©unions contradictoires pendant lesquelles il rappelle les principes de l’Évangile. Il interpelle mĂŞme les ÉvĂŞques pour qu’ils fassent « cliqueter les encycliques Â»[6]. Il frĂ©quente assidĂ»ment les bibliothèques et Ă©tudie l'histoire, l'Ă©conomie, la philosophie [7]. Mieux que ses interlocuteurs, il a lu Proudhon, Marx, LĂ©nine, Kropotkine... Il prĂ´ne un ordre social imprĂ©gnĂ© des valeurs chrĂ©tiennes et il s’emploie Ă  diffuser ses idĂ©es. Il le fait partout oĂą l’occasion se prĂ©sente, dans les paroisses, dans les UniversitĂ©s, chez les Rotariens et mĂŞme dans les rues et dans les parcs. Ainsi, Pierre devient un propagandiste connu, admirĂ© par les uns, craint par les autres. On l’invite Ă  prĂ©senter ce qu’il appelle ses « petites compositions Â». Car Pierre Ă©crit rĂ©gulièrement pour formaliser sa pensĂ©e. Certaines confĂ©rences sont imprimĂ©es par des disciples gĂ©nĂ©reux et diffusĂ©es gratuitement Ă  plusieurs centaines d’exemplaires.

Catholic Workers

C’est en pleine crise économique que Pierre, qu’on appelle désormais Peter, rencontre une journaliste, Dorothy Day, ancienne communiste, reporter au Socialist Call et à New Masses. Elle s’est convertie récemment au catholicisme. Elle vient de mener pour le journal Commonweal une enquête auprès du Conseil des chômeurs à Washington. Elle y a vu le défilé des marcheurs de la faim, délégués miséreux des chômeurs et des pauvres qui, bannières déployées, implorent l’aide des autorités et le soutien de la population[8]. Dorothy s’est sentie fortement pressée de secourir cette pauvreté grandissante. Peter Maurin a lu les articles publiés par Dorothy et il sent qu’elle partage beaucoup de ses idées. Il souhaite la voir et se rend chez elle. Leur premier entretien est le prélude à de longues heures de conversation, quasi quotidiennes, qui commencent alors[9]. En pédagogue avisé, Peter complète la formation de Dorothy sur le plan religieux, économique, politique.... Peter Maurin pousse son interlocutrice à se tracer également un programme d’action. Etant journaliste, elle devrait éditer un périodique destiné aux hommes de la rue dans le langage des hommes de la rue[10].

Ainsi est crĂ©Ă© The Catholic Worker, un journal dont le premier numĂ©ro sort le [11]. Son tirage atteint rapidement 25 000 exemplaires ; 110 000 sont diffusĂ©s en un an (Sheehan). Dorothy y rend compte des questions posĂ©es par la crise, le chĂ´mage, la pauvretĂ©, la dĂ©tresse des sans-abri, les conditions de travail. Peter prĂ©fère de beaucoup dire comment devrait et pourrait ĂŞtre le monde[12]. Pour ce faire, il propose trois types d’action : des « discussions autour d’une table, la crĂ©ation de maisons d’hospitalitĂ© et la fondation d’universitĂ©s rurales Â»[13].

En 1936, il publie ses « petites compositions Â» sous la forme d’un livre, « Easy Essays Â», rĂ©Ă©ditĂ© plusieurs fois jusqu’à aujourd’hui[14]. Peter propose une rĂ©ponse globale Ă  la crise Ă©conomique qui frappe l’AmĂ©rique, avec le chĂ´mage et la misère. Il prĂ´ne une pauvretĂ© librement consentie, communautaire, accompagnĂ©e d’un retour Ă  la terre et Ă  quelques valeurs simples. La devise de sa « rĂ©volution verte » tient en trois mots « culte, culture, agriculture Â». Peter s’exprime le plus souvent sous forme d’aphorismes, dans une langue très simple pour ĂŞtre comprise par le plus grand nombre.

Il aborde de multiples sujets qui attirent l’attention sur le programme de l’église pour la « reconstruction d’un ordre social Â», en se fondant sur les encycliques, spĂ©cialement Rerum Novarum  et Quadragesimo Anno de Pie XI (1931). Les Essays et les articles de Peter sont dĂ©capants. « Je veux du changement, un changement radical Â» Ă©crit-il. Cela concerne l’église : «Il faudra bien que l’église romaine fasse autre chose que temporiser ; il faudra qu’elle traduise en actes une partie du dynamisme de son message. Faire exploser la dynamite d’un message est la seule façon de rendre le message dynamique. Si l’église catholique n’est pas aujourd’hui la force sociale dominante et dynamique, c’est que les penseurs catholiques n’ont pas su faire exploser la dynamique de l’église Â»[15]. Les banquiers et les classes supĂ©rieures ne sont pas Ă©pargnĂ©s : « Lorsque les comptes bancaires sont la norme des valeurs, la classe supĂ©rieure Ă©tablit la norme. Lorsque la classe supĂ©rieure ne se soucie que d’argent, elle ne se soucie pas de culture. Et quand personne ne se soucie de culture, la civilisation se dĂ©sintègre Â». La radicalitĂ© des mesures prĂ©conisĂ©es par Peter a un aspect « utopiste anarchiste Â».  Par exemple, pour Ă©viter l’inflation, il prĂ©conise une loi rendant Â« immĂ©diatement illĂ©gaux tous les intĂ©rĂŞts sur l’argent prĂŞtĂ© Â». Quant au principal de la dette il ne sera remboursĂ© par les emprunteurs qu’à raison « de un pour cent pendant une pĂ©riode d’une centaine d’annĂ©es Â» ! Proposition radicale sans doute, utopique certainement[16].

Avec Dorothy Day, il rĂ©alise ce qu’il a imaginĂ© depuis de nombreuses annĂ©es : Les « Maisons d’hospitalitĂ© Â». « Nous avons besoin des Maisons d’hospitalitĂ© pour donner aux riches l’opportunitĂ© de servir les pauvres[17]. Elles offrent hĂ©bergement et travail aux chĂ´meurs, aux migrants, aux veuves et aux misĂ©reux. Pour Peter, «  le devoir d’hospitalitĂ© n’est ni enseignĂ© ni pratiquĂ© dans les pays chrĂ©tiens Â». C’est d’autant plus paradoxal que ça l’était dans l’église primitive et que « c’est toujours pratiquĂ© dans les pays musulmans Â». Peter dĂ©plore cette situation auprès des Ă©vĂŞques, dont en vain il sollicite l’aide pour financer son projet[18]. Finalement, ce sont surtout des donateurs laĂŻcs qui ont fourni l’argent nĂ©cessaire Ă  la crĂ©ation des « Maisons d’hospitalitĂ© Â». Aujourd’hui, les communautĂ©s de Catholic Worker sont au nombre de 208 aux États-Unis et elles existent dans 28 pays. Beaucoup d’entre elles portent le nom de Peter, ou celui de Dorothy voire celui des deux fondateurs. Il n’y a pas de « siège Â» du mouvement Catholic Worker et chaque maison est indĂ©pendante. Si bien que chacune a sa personnalitĂ©. La plupart revendiquent une obĂ©dience catholique mais certaines sont interreligieuses et le multiculturalisme se dĂ©veloppe. Elles vivent de dons en espèces ou en nature, de la vente de produits fabriquĂ©s ou cultivĂ©s par la communautĂ©, mais aussi des salaires de ceux qui peuvent travailler Ă  l’extĂ©rieur. Dans les fermes, la part d’autoconsommation est prĂ©pondĂ©rante.

Ainsi, l’œuvre de Peter Maurin se poursuit Ă  travers le monde : ses livres se lisent encore, le journal Catholic Worker se vend toujours et les communautĂ©s sont bien vivantes. Des biographies et des travaux universitaires sont consacrĂ©s rĂ©gulièrement au mouvement.

Peter est dĂ©cĂ©dĂ© en 1949, dans la pauvretĂ©, et si l’on peut encore voir sa tombe au cimetière Saint John, Ă  Queens, ce LozĂ©rien atypique est quasi ignorĂ© en France[19]. Ses archives sont conservĂ©es Ă  l’UniversitĂ© Marquette. Aux États-Unis, son nom est encore connu bien qu’il soit un peu Ă©clipsĂ© par celui de Dorothy Day. C’est pourtant elle qui appelait Peter Maurin, « le Saint François des temps modernes Â».


Notes et références

  1. (en) « The Catholic Worker Movement »
  2. Archives Départementales de la Lozère. Registre des naissances.
  3. (en) Marc H. Ellis, Peter Maurin, Prophet in the twentieth century, New York/Ramsey, Paulist Press, , 191 p. (ISBN 978-0-8091-2361-2), Chapter one France 1877-1909
  4. Archives Départementales de la Lozère. R 8161, No 1129
  5. (en) Marc H. Ellis, Peter Maurin, Prophet in the twentieth century, New York/Ramsey, Paulist Press, , 191 p., P.31
  6. (en) Peter Maurin, Easy Essays, Eugene, Oregon, Wipf & Stock publishers,
  7. Henrik Lindell, « Les anars de Dieu », Témoignage Chrétien,‎ (temoignagechretien.fr/articles/religion-monde/les-anars-de-dieu)
  8. (en) Sheehan, Arthur, Peter Maurin, Gay Believer,, New York, Hanover House, , 217 p., Page 90
  9. (en) Ellis, Marc H., Peter Maurin, prophet in the twentieth century, New York/Ramsey, Paulist Press, New York/Ramsey,, , 191 p., page 42
  10. (en) Sheehan, Arthur, Peter Maurin : Gay believer, New York, Hanover House, , 217 p., Page 91
  11. Day Dorothy, La longue solitude, Paris, Les Editions du Cerf, , 373 p., Page 235
  12. (en) Day,, Dorothy, When I met first Peter Maurin, Eugene, Oregon, Wipf & Stock, , Préface à Easy Essays
  13. Day, Dorothy, La longue solitude, Paris, Les Editions du Cerf, , 373 p., page 223
  14. (en) Maurin, Peter, Easy Essays, Eugene, Oregon, Maurin, Peter, Easy Essays, Catholic Workers reprint series, Wipf & Stock, Eugene, Oregon, , 216 p. (ISBN 978-1-60899-062-7)
  15. (en) Maurin, Peter, Easy Essays, Eugene, Oregon, Wipf & Stock, , 216 p. (ISBN 978-1-60899-062-7), Page 3 : Blowing the dynamite
  16. (en) « Peter Maurin: A Fool for Christ, by Christopher Shannon », sur Crisis Magazine,
  17. (en) Maurin, Peter, Easy Essays, Eugene, Oregon, Wipf & Stock, , 216 p. (ISBN 978-1-60899-062-7), Page 9 : Houses of hospitality
  18. (en) Maurin, Peter, Easy Essays, Eugene, Oregon, Wipf & Stock, , 216 p. (ISBN 978-1-60899-062-7), Page 8 : To the Bishops of the USA. A plea for houses of hospitality.
  19. (en) « Why Peter Maurin matters, by Paul Magno », sur catholicworker.org,

Source

  • Ellis Marc H. "Peter Maurin, prophet in the twentieth century", Paulist Press, New York/Ramsey, 1981
  • Maurin, Peter, Easy Essays, Catholic Workers reprint series, Wipf & Stock, Eugene, Oregon, 2010
  • Arthur Sheehan, Peter Maurin, Gay Believer, New York, 1959.
  • Baum, Gregory, ChrĂ©tiens dans la mouvance anarchiste, Revue Relations/Centre justice et foi, no 682, , lire en ligne.
  • Day, Dorothy, La longue solitude, Les Editions du Cerf, Paris, 1955, 373 pages.

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