Ariane et Barbe-Bleue
Ariane et Barbe-Bleue est un opéra (« conte musical ») en trois actes composé par Paul Dukas entre 1899 et 1906 sur un livret de Maurice Maeterlinck. Il est créé le [1] à l'Opéra-Comique de Paris sous la direction de François Ruhlmann. Création américaine en par Toscanini au Metropolitan Opera House.
Genre | Opéra, « conte musical » |
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Nbre d'actes | 3 |
Musique | Paul Dukas |
Livret | Maurice Maeterlinck |
Langue originale |
Français |
Durée (approx.) | env. 2 h |
Création |
Opéra-Comique, Paris |
Personnages
- Ariane (soprano)
- La Nourrice (contralto)
- Barbe-Bleue (baryton-basse)
- Les cinq premières femmes de Barbe-Bleue :
- SĂ©lysette (mezzo-soprano)
- Ygraine (soprano)
- MĂ©lisande (soprano)
- Bellangère (soprano)
- Alladine (rĂ´le muet)
- Trois paysans
- La foule (chœur)
Personnages
- Ariane (soprano) : c'est le personnage principal, presque exclusif. Prototype de femme sinon libérée, du moins se libérant.
- La Nourrice (contralto) : le reflet d'Ariane, son double craintif et conservateur.
- Barbe-Bleue (baryton-basse) : rôle secondaire, malgré sa présence dans le titre de l'œuvre. Ne chante que quelques phrases au premier acte.
- Les cinq premières femmes de Barbe-Bleue :
- SĂ©lysette (mezzo-soprano)
- Ygraine (soprano)
- MĂ©lisande[2] (soprano)
- Bellangère (soprano)
- Alladine (rĂ´le muet)
- Trois paysans
- La foule (chœur)
Orchestration
Instrumentation d'Ariane et Barbe-Bleue |
Cordes |
premiers violons, seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses, 2 harpes |
Bois |
3 flûtes (les 2e et 3e prennent le piccolo), 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes,
1 clarinette basse, 3 bassons, 1 contrebasson (ou sarrussophone contrebasse) |
Cuivres |
4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba |
Percussions |
timbales chromatiques, cymbales, grosse caisse, tambour de basque, triangle,
caisse roulante, tambourin, timbres, célesta, cloche en si bémol, tam-tam |
Argument
Le conte est sous-titré Le Refus de la délivrance : les cinq femmes de Barbe-Bleue refusent la liberté que leur apporte Ariane, car leur enfermement est surtout mental. « On ne pourrait pas fuir ; car tout est bien fermé, et puis c'est défendu », explique Sélysette à Ariane au deuxième acte.
- Acte I
Contre l'avis des siens, Ariane suit Barbe-Bleue dans son château, elle est sa sixième femme. Barbe-Bleue lui confie sept clés, lui interdisant l'usage de la septième. Celle-ci seule intéresse Ariane : derrière la porte qu'elle verrouille s'élèvent les plaintes des épouses précédentes.
- Acte II
Ariane libère les femmes séquestrées derrière cette porte, et ouvre une voie vers une évasion possible du château.
- Acte III
Barbe-Bleue est agressé par les paysans qui veulent délivrer Ariane. Ariane montrant qu'elle est libre, le récupère, le délie et le soigne, puis lui déclare qu'elle le quitte sans retour. Elle invite les autres femmes à la suivre, lesquelles, le regard attendri sur leur bourreau, refusent, préférant leur servitude.
Genèse
Paul Dukas fut très impressionné par la pièce Ariane et Barbe-Bleue de Maurice Maeterlinck lorsqu'elle fut publiée en 1899. L'auteur avait initialement réservé le droit d'utiliser sa pièce en tant que livret d'opéra à Edvard Grieg. Lorsque celui-ci abandonna ses plans, Maeterlinck le proposa à Dukas. La composition dura jusqu'en 1906.
L'opéra a souvent été comparé à Pelléas et Mélisande (1902) de Claude Debussy par la prédominance du discours orchestral sur le chant[3].
Les noms des cinq premières femmes de Barbe-Bleue sont inspirés de pièces antérieures de Maeterlinck. Pelléas et Mélisande (1893) pour Mélisande, Alladine et Palomides (1894) pour Alladine, La mort de Tintagiles (1894) pour Ygraine et Bellangère et Aglavaine et Sélysette (1896) pour Sélysette.
Analyse
Paul Dukas écrivit un article dans un numéro de la Revue musicale en 1910, concernant l'intrigue de son opéra.
Personne ne veut être délivré. La délivrance coûte cher parce qu’elle est l’inconnu, et que l’homme (et la femme) préférera toujours un esclavage « familier » à cette incertitude redoutable qui fait tout le poids du « fardeau de la liberté ». Et puis la vérité est qu’on ne peut délivrer personne : il vaut mieux se délivrer soi-même. Non seulement cela vaut mieux, mais il n’y a que cela de possible. Et ces dames le montrent bien (très gentiment) à cette pauvre Ariane qui l’ignorait… et qui croyait que le monde a soif de liberté alors qu’il n’aspire qu’au bien-être : dès qu’on a tiré ces dames de leur cave, elles lâchent leur libératrice pour leur bijoutier-bourreau (beau garçon d’ailleurs) comme il convenait ! C’est là le côté « comique » de la pièce, car il existe, au moins dans le poème, un côté satirique dont la musique ne pouvait tenir compte sans rendre l’ouvrage tout à fait inintelligible.
Mais, vu du côté d’Ariane, et en laissant de côté les piètres marionnettes qui lui servent de comparses, ce refus de la liberté prend un caractère tout à fait pathétique, comme il arrive lorsqu’un être supérieur qui se croit indispensable éprouve que l’on n’a nul besoin de lui pour un dévouement héroïque, et qu’il suffit aux médiocres d’une solution médiocre.
Il faut donc que l’interprétation d’Ariane rende sensible aux spectateurs le drame intérieur de l’héroïne que la musique exprime d’autant plus intensément que les paroles prononcées sont « indifférentes ».
Le premier et le deuxième acte sont les plus faciles, mais toute l’expression du troisième dépendra de la manière dont ces deux actes seront joués. Le premier avec une assurance calme au début et une vaillance souriante qui, de suite, désarme Barbe-Bleue (que voulez-vous… il ne m’a fait aucun mal). Ariane est sûre de son fait. Elle sait que les femmes sont vivantes. Elle croit qu’elle est la libératrice attendue, désirée. Et elle domine immédiatement la situation. Barbe-Bleue ne lui inspire aucune crainte, pas plus que la séduction vulgaire des pierreries, dont s’éblouit la nourrice, ne la retient : Ce que j’aime est plus beau que les plus belles pierres. Tout de suite elle désobéit parce qu’il est dans sa nature de prendre une décision immédiate et d’agir. D’abord, elle cherche la porte défendue et ne s’arrête aux diamants que parce qu’ils symbolisent la passion de la clarté « qui a tout pénétré, ne se repose pas et n’a plus rien à vaincre qu’elle-même » et parce que leur éclat magnifique et solaire l’emporte sur celui des autres pierreries. Au fond de toutes ses paroles on la sent en révolte contre la conception de l’amour tyrannique, égoïste et primitif que représente Barbe-Bleue avec son château enchanté dont la salle splendide se prolonge en un cachot plein de ténèbres : « Vous aussi ». — « Moi surtout ». — « Le bonheur que je veux ne peut vivre dans l’ombre, etc. ». Mais sa révolte n’a rien de raisonné, de théorique. Ce n’est pas en vertu d’une conviction féministe qu’elle agit, mais par l’expansion d’une nature supérieure, surnaturellement bonne et active, et parce qu’elle croit les autres semblables à elle-même. Elle ne hait point Barbe-Bleue ; elle l’aime au contraire comme elle aime toute puissance naturelle. Mais elle impose à cette puissance sa limite, qui est la liberté, également naturelle, de celles qu’il veut asservir, et dès les premiers mots elle le domine. Ce rapport d’Ariane et de Barbe-Bleu est particulièrement intéressant et doit être indiqué avec beaucoup délicatesse si l’on veut bien lier le dénouement de la pièce à son exposition.
Barbe-Bleue est vaincu, à la fin du premier acte — mais l’ignore encore — par l’intervention d’Ariane qui éloigne les paysans alors qu’elle n’aurait qu’à les laisser faire selon sa logique à lui.
Et il s’établit entre lui et Ariane une sorte de complicité tacite qui ressemble de sa part à une vénération passionnée pour celle qui lui résiste en l’épargnant; de sorte que son amour sauvage et « qui tremblait pourtant », s’élève à la fin (lorsqu’Ariane le fait soigner par ses esclaves terrorisées et finalement le délivre), jusqu’à une adoration muette qui ressemble un peu à de l’amour véritable, « à moins que sa conscience ou quelque autre force n’ait parlé ». Barbe-Bleue a senti confusément qu’en laissant faire Ariane, il se libérait de la chaîne de l’instinct. Et peut-être est-il le seul qu’elle parvienne à délivrer réellement. Aussi lève-t-il vers elle un regard chargé de passion reconnaissante et de tristesse lorsqu’elle lui dit adieu, sentant bien que cette délivrance ne peut s’accomplir que par leur séparation. Seul, il la suit douloureusement des yeux, tandis que « ses femmes » se détournent d’elle vers lui. En ayant ce dénouement présent à l’esprit au premier acte, alors qu’Ariane revient volontairement vers Barbe-Bleue, on exprimera très clairement au troisième la situation des deux personnages vis-à -vis l’un de l’autre.
La relation d’Ariane à la Nourrice n’a pas besoin d’être commentée : les phrases du dialogue suffisent à la préciser.
Quant à son rapport aux femmes de Barbe-Bleue, il est tout aussi clair si l’on veut bien songer qu’il repose sur une opposition radicale, et que tout le sujet est basé sur la confusion que fait Ariane de son propre besoin de liberté dans l’amour, et du peu de besoin qu’en éprouvent ses compagnes, esclaves nées du désir de leur opulent tortionnaire.
Pourtant cette opposition ne s’accuse tout d’abord que par des traits indirects — incapacité d’agir des femmes de Barbe-Bleue, impossibilité pour elles de prendre une résolution quelconque, attente terrorisée d’on ne sait quoi (on priait, on chantait, on pleurait et puis on attendait… toujours…), soumission servile aux événements (on ne pouvait pas fuir et puis c’est défendu !), terreur de toute hardiesse, etc. Cela n’entrave pas l’élan enthousiaste d’Ariane, et, malgré tout, elle espère en la force de l’exemple : elle brise la vitre qui emprisonne la lumière de la délivrance et croit par ce geste l’avoir accomplie. Elle l’accomplirait peut-être, si le château (« si beau que je l’aurais pleuré », dit Sélysette), ne les retenait prisonnières, et si la délivrance morale dont son acte est le symbole, se complétait par une délivrance matérielle. Mais quand cette délivrance matérielle se produira, par l’irruption des paysans, la délivrance morale deviendra impossible par la seule présence de Barbe-Bleue. C’est là que l’opposition absolue entre Ariane et ses compagnes deviendra pathétique par l’écroulement du rêve de liberté qu’elle avait fait pour toutes. Tout d’abord grande joie à les parer, à leur révéler leur propre beauté, dont elles ignorent la puissance. Ariane ne sait pas qu’elle ne les fait belles que pour un nouvel esclavage. C’est pendant la bataille que le conflit s’accentue et que le drame commence véritablement. Elle découvre avec une douloureuse stupeur par les exclamations de ses compagnes qu’elles aiment Barbe-Bleue, non pas le Barbe-Bleue transformé déjà par son ascendant, qu’elle a soumis à la fin du premier acte, mais celui d’avant son arrivée, le Barbe-Bleue dont on parlait comme d’un meurtrier, le bourreau aux pierreries. Et son mouvement instinctif est de faire pour elles ce qu’elles n’osent même pas faire avant que les paysans ne le tuent « je vais ouvrir les portes de la salle ». Et elle ouvre, sachant dès ce moment à quoi s’en tenir, mais espérant encore. Elle éloigne les paysans, elle s’approche du blessé que ses adoratrices, à genoux, n’osent pas même regarder et que leur passivité laisserait mourir là , s’il était blessé à mort, sans son intervention. Les femmes se rassurent et se montrent telles qu’elles sont. À ce moment, Ariane les juge incurables, et sait déjà qu’elle ne sera pas suivie. Elle n’espère plus, mais elle agit encore. Elle fait le geste que ses « sœurs » attendent. Elle délie Barbe-Bleue, sachant que lui seul est transformé, et que son acte est désormais sans péril pour ses compagnes d’un jour; et l’adieu de son « maître » lui dit qu’elle peut sans danger pour elles leur proposer le choix entre lui et le monde « inondé d’espérance » qu’elle leur montre… là -bas, et dont elle sait si bien qu’aucune ne voudra. Toutes refusent à tour de rôle avec des nuances diverses de sentiment qui marquent leur degré de sensibilité et la tendresse qu’elles éprouvent pour Ariane (la plus tendre, Sélysette, la plus touchante, Alladine). L’héroïne n’a plus qu’une délivrance à accomplir, celle que lui conseillaient les diamants, emblèmes de « cette passion de la. clarté qui n’a plus rien à vaincre qu’elle-même ». Elle se délivre, elle aussi, elle triomphe de la pitié que lui inspirent ses « pauvres sœurs » et quitte le château sur cette victoire, très calme, très triste, comme il sied après des victoires pareilles.Discographie sélective
- Armin Jordan (dir.), Katherine Ciesinski (Ariane), Mariana Paunova (la Nourrice), Gabriel Bacquier (Barbe-Bleue), Nouvel orchestre philharmonique, Chœur de Radio France, enregistré en 1983 (Erato, 1984).
- Leon Botstein (dir.), Lori Phillips (Ariane), Patricia Bardon (la Nourrice), Peter Rose (Barbe-Bleue), Laura Vlasak-Nolen (Sélysette), Ana James (Ygraine), Daphne Touchais (Mélisande), Sarah-Jane Davies (Bellangère), BBC Symphony Orchestra (Telarc, 2007)
- Bertrand de Billy (dir.), Deborah Polaski (Ariane), Jane Henschel (La Nourrice), Kwangchul Youn (Barbe-Bleue), Ruxandra Donose (Sélysette), Stella Grigorian (Bellangère), Ileana Tonka (Ygraine), Nina Bernsteiner (Mélisande), Radio-Symphonieorchester Wien, Slovak Philharmonic Choir (Oehms Classics, 2008)
- Stéphane Denève (dir.), Jeanne-Michèle Charbonnet (Ariane), Patricia Bardon (La Nourrice), José van Dam (Barbe-Bleue), Gemma Coma-Alabert (Sélysette), Salomé Haller (Bellangère), Beatriz Jiménez (Ygraine), Elena Copons (Mélisande), Orchestre et Chœurs du Gran Teatre del Liceu de Barcelona. Mise en scène : Claus Guth (DVD Opus Arte, enregistré lors des représentations de juin et )
Bibliographie
- Dans son livre Logique des mondes (Seuil, 2006), Alain Badiou propose une lecture de l'opéra.
Notes et références
- François-René Tranchefort, L'Opéra, Paris, Éditions du Seuil, , 634 p. (ISBN 978-2-02-006574-0, BNF 34725545), p. 363
- Allusion à la Mélisande de Maeterlinck et Debussy, d'ailleurs cité musicalement par Dukas.
- Debussy avait presque terminé de composer Pelléas lorsque Dukas commençait Ariane et Barbe-Bleue