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Architecture baroque à Turin

L'architecture baroque à Turin correspond à une période architecturale allant de la deuxième moitié du XVIe siècle à la fin du XVIIe siècle. La ville de Turin conserve aujourd'hui encore le caractère qu'a voulu lui donner le duc de Savoie Emmanuel-Philibert, qui, en 1562, transféra sa capitale de Chambéry à Turin et dut, à une époque où l'absolutisme commençait à s’épanouir, faire le choix d'une architecture affirmant l'autorité de l'État et du monarque. Les façades des palais sont ici beaucoup plus sobres et rigoureuses qu'à Rome. Le baroque est ici rationnel et donne à la ville un air de gravité.

Histoire

Vers la fin du XIVe siècle, Turin était encore enfermée dans l'enceinte romaine du castrum ; quelques années plus tard, pendant les règnes d'Emmanuel-Philibert de Savoie (1553-1580) et de son fils Charles-Emmanuel Ier (1580-1630), la ville devint un important centre baroque, point de rencontre des tendances romaines (à Rome, les artères percées vont d'une basilique à l'autre) et françaises (monarchiques, absolutistes)[1] et synthèse singulière entre aspirations contre-réformatrices et laïques[2]. À Turin, le plan est rationnel et laïque, les seuls édifices qui dominent la ville horizontale sont en revanche les clochers et les dômes des églises.

On fit appel à Ascanio Vitozzi (1539-1615) pour l'aménagement de la piazza Castello, autour de laquelle émergèrent les nouveaux quartiers de la ville ; les travaux furent dirigés par Carlo di Castellamonte (1560-1641), qui, à partir de 1621, réalisa une extension de l'habitat vers le sud selon un système d'axes orthogonaux. On doit au même architecte la conception de la vaste piazza San Carlo (appelée à l'époque Piazza Reale), espace qui s'inspire de la place royale à la française, avec, en son centre, une statue équestre, mais qui présente également deux églises jumelles flanquant l'axe principal, formule rappelant celle adoptée pour la piazza del Popolo à Rome. Cette double valence, fruit de l'union entre éléments sacrés et laïques, se retrouve également dans le Palais ducal (devenu plus tard Palais royal[3]), qui enlace pour ainsi dire la cathédrale[4].

Le plan d’agrandissement de Turin fut poursuivi par Amedeo di Castellamonte (1610-1683), fils de Carlo, qui planifia le développement de la ville vers l’est. En 1673 commença, selon le projet de l’architecte, la percée d’une voie (via Po) destinée à relier la piazza Castello à la porte du Po ; cette voie est bordée de palais à arcades d’une grande uniformité et se termine vers le fleuve par une exèdre (portique de plan semi-circulaire), référence symbolique à l’ouverture de la ville vers la campagne environnante[4].

Coupole de la chapelle du Saint-Suaire

Amedeo di Castellamonte a également travaillé sur diverses résidences de la Maison de Savoie ; il a apporté sa contribution au Palais ducal et, dans les années 1660, il fut chargé par Charles-Emmanuel II de concevoir le Palais royal[3] et le bourg de Venaria Reale, dans les environs de Turin.

À la même époque, Guarino Guarini (1624-1683) mit la dernière main à la chapelle du Saint-Suaire (cappella della Sacra Sindone), commencée par Castellamonte sur l'arrière de la cathédrale. La chapelle devait avoir trois entrées (deux à partir de la cathédrale et une à partir du Palais ducal), ce qui détermina la planimétrie de l'édifice. L'intérieur, de plan circulaire, est divisé en neuf parties, trois arcs correspondant à chacune des trois entrées. Le tout est couronné par le tambour de la coupole, laquelle est constituée par un extraordinaire entrelacs d'ogives et de nervures mis en valeur par la lumière diffusée par de nombreuses fenêtres que l'on voit curieusement émerger à l’extérieur de l'édifice[5].

Palais Carignan, façade

C’est encore Guarini qui construisit, entre 1668 et 1680, l'église Saint-Laurent. Le plan est de base octogonale, avec les côtés de forme convexe, mais un presbytère elliptique disposé transversalement apporte un axe principal à la composition ; l’espace, au niveau inférieur, est structuré par la présence de larges serliennes qui délimitent les chapelles latérales, tandis que la coupole est marquée par une série de nervures qui s'entrecroisent pour former l'octogone sur lequel repose la lanterne[6].

Les inventions extraordinaires de Guarini furent appliquées également dans l'architecture civile : le palais Carignan[3], basé sur un plan en U, présente une façade convexe monumentale qui fait saillie par rapport au reste de l'édifice. Cette configuration, bien que paraissant inspirée des projets de Gian Lorenzo Bernini pour le palais du Louvre et du château de Vaux-le-Vicomte, fait du palais Carignan l'une des résidences les plus intéressantes du XVIIe siècle[7].

Alors que Guarini construit des sanctuaires fermés, clos sur eux-mêmes, souvent sans recul, et qui auraient pu tout aussi bien être placés en un autre point de la ville, Filippo Juvarra (1678-1736), scénographe et auteur de nombreux décors de théâtre, cherche à organiser avec un sens grandiose de la mise en scène des espaces choisis pour leur valeur théâtrale[8]. Juvarra travaille à la gloire de la cour de Savoie et s'applique à organiser le déploiement du pouvoir et de la puissance.

Principaux édifices baroques à Turin

Palais et résidences

Édifice Architecte Date de construction Coordonnées Adresse Notes Images
(extérieur)
Images
(intérieur/détail)
Palais Carignan (Palazzo Carignano)[3]Camillo-Guarino Guarini167945° 04′ 08″ N, 7° 41′ 07″ EVia Accademia delle Scienze 5L'un des plus beaux édifices de Turin, il voit naître en 1820 Victor-Emmanuel II, qui deviendra le premier roi d'Italie.
Palais du Duc de Chablais (Palazzo Chiablese)[3]Benedetto AlfieriXVIe siècle / 1753-5445° 04′ 22″ N, 7° 41′ 07″ E Piazza San Giovanni
Palazzo CisternaAntonio Maurizio Valperga1675-168645° 04′ 02″ N, 7° 41′ 09″ EVia Maria Vittoria 12Aujourd’hui siège de la ville métropolitaine de Turin.
Palazzo CivicoFrancesco Lanfranchi, Benedetto Alfieri, Francesco Valeriano Dellala di Beinasco1659-166345° 04′ 24″ N, 7° 40′ 52″ EPiazza Palazzo di CittàAnciennement Palazzo di Città, aujourd'hui hôtel de ville.
Palais Madame (Palazzo Madama)[3]Filippo Juvarra et al.XIVe au XVIIIe siècle, achevé 172145° 04′ 15″ N, 7° 41′ 09″ EPiazza CastelloPalais baroque adossé au château médiéval au centre de la Piazza Castello, abrite le Museo Civico d'Arte Antica
Palais royal (Palazzo Reale)[3]Ascanio Vittozzi, Carlo di CastellamonteXVIe au XVIIIe siècle45° 04′ 22″ N, 7° 41′ 10″ EPiazzetta Reale 1Centre de la politique des Savoie pendant au moins trois siècles, styles néoclassique et baroque.
Château du Valentino (Castello del Valentino)[3]Carlo et Amedeo di CastellamonteXVIe siècle, reconstruit de 1638 à 166045° 03′ 14″ N, 7° 41′ 12″ EParco del Valentino

Édifices religieux

Édifice Architecte Date de construction Coordonnées Adresse Notes Images
(extérieur)
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(intérieur/détail)
Sanctuaire de la Consolata (Santuario della Consolata)Camillo-Guarino GuariniXVIIe et XVIIIe siècles45° 04′ 36″ N, 7° 40′ 44″ EVia della ConsolataL'un des plus anciens lieux de culte de Turin.
Basilique du Corpus Domini (Basilica del Corpus Domini)Ascanio Vittozzi, Amedeo di CastellamonteXVIIe siècle, commencée en 160745° 04′ 22″ N, 7° 40′ 58″ EVia Palazzo di CittàElle célèbre le « miracle eucharistique » qui se serait produit à Turin en 1453.
Église de l'Immaculée Conception (Chiesa dell'Immacolata Concezione)Camillo-Guarino Guarini (?)1675-169445° 04′ 03″ N, 7° 40′ 44″ EVia Arsenale/Via Lascaris
Chapelle des Marchands (Cappella dei Mercanti)(?)commencée au XVe siècle, terminée au XIXe siècle45° 04′ 23″ N, 7° 40′ 46″ EVia Garibaldi 25
Basilica MaurizianaAntonio Bettino la remanie en 1678XVe au XVIIe siècle45° 04′ 29″ N, 7° 40′ 57″ EVia Milano 20Adossée à la Galleria Umberto I.
Église de Notre-Dame du Carmel (Chiesa della Madonna del Carmino)Filippo Juvarra1732-173645° 04′ 31″ N, 7° 40′ 34″ Evia del Carmine, angle via Bligny
Église de la Santissima AnnunziataCarlo Morello / Giuseppe Gallo1648-1656, reconstruite de 1919 à 193445° 04′ 01″ N, 7° 41′ 33″ EVia Po 45
Église Saint-Charles (Chiesa di San Carlo)Antonio Maurizio Valperga (?)1619, façade 183445° 04′ 02″ N, 7° 40′ 55″ EPiazza San CarloÉglise jumelle de Sainte-Christine.
Église Sainte-Christine (Chiesa di Santa Cristina)Carlo di Castellamonte / Filippo Juvarra1620-1639 / 1715-171845° 04′ 01″ N, 7° 40′ 56″ EPiazza San CarloÉglise jumelle de Saint-Charles..
Église Saint-François d’Assise (Chiesa di San Francesco d’Assisi)Bernardo Antonio Vittone et al.1608-176145° 04′ 19″ N, 7° 40′ 50″ EVia San Francesco d’Assisi
Église San Francesco da PaolaAndrea Costaguta1632-166745° 04′ 06″ N, 7° 41′ 21″ Evia Po, angle via S. Francesco da Paola
Église Saint-Joseph (Chiesa di San Giuseppe)Carlo Emanuele Lanfranchià partir de 168345° 04′ 11″ N, 7° 40′ 46″ EVia Santa Teresa 22
Église Saint-Laurent (Chiesa di San Lorenzo)Camillo-Guarino Guarini1634-168045° 04′ 20″ N, 7° 41′ 05″ EVia Palazzo di Città/Piazza CastelloÉglise de la maison royale.
Église des saints martyrs (Chiesa dei Santi Martiri)Pellegrino Tibaldi, Carlo Giulio Quadrio pour la coupole1577-1612, coupole 1708-171145° 04′ 23″ N, 7° 40′ 46″ EVia Garibaldi, angle via BoteroDédiée aux plus anciens saints patrons de la ville, Octave, Soluteur et Adventeur.
Église Sainte-Marie de Place (Chiesa di Santa Maria di Piazza)Bernardo Antonio Vittone1751-175245° 04′ 19″ N, 7° 40′ 43″ EVia Santa Maria
Église Saint-Philippe Néri (Chiesa di San Filippo Neri)Filippo Juvarra / Giuseppe Maria Talucchi1715-1735 / 1823-185445° 04′ 05″ N, 7° 41′ 04″ EVia Maria Vittoria, angle via Accademia delle ScienzePlus grand édifice de culte de la ville.
Chapelle du Saint-Suaire (Cappella della Sacra Sindone)Camillo-Guarino Guarini1668-1694, commencée au XVIe siècle45° 04′ 24″ N, 7° 41′ 09″ EPiazza San GiovanniEncastrée entre la cathédrale et le Palais royal. Accès depuis la cathédrale.

Dans les environs

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(extérieur)
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(intérieur/détail)
Basilique de SupergaFilippo Juvarra1717-173145° 04′ 51″ N, 7° 46′ 04″ E10 km à l’est de TurinTransition entre baroque et néo-classicisme.
Pavillon de chasse de Stupinigi (Palazzina di caccia di Stupinigi)[3]Filippo Juvarra1729-173345° 59′ 43″ N, 7° 36′ 16″ EStupinigi, 13 km au sud-ouest de TurinChef-d’œuvre baroque de Juvarra.
Palais royal de Venaria (Reggia di Venaria Reale)[3]Amedeo di Castellamonte, Michelangelo Garove, Filippo Juvarra1658-167945° 08′ 09″ N, 7° 37′ 25″ EVenaria Reale, 13 km au nord-ouest de TurinL’une des plus vastes résidences royales au monde.

Les grands architectes baroques de Turin

Depuis 1563, date à laquelle Turin devint capitale du Duché de Savoie, la ville vit se succéder trois générations d'architectes s'employant à en faire une cité à la hauteur de son rang. Après le projet fondateur d'Ascanio Vitozzi, Amedeo di Castellamonte se propose de mettre en ordre une couronne périurbaine de la capitale, une Couronne de délices (Corona di delizie), sur laquelle projeter une image d'autorité et de magnificence[9]. Deux architectes de génie vont contribuer à la poursuite de ce projet audacieux : Guarino Guarini, dans les œuvres duquel (Palais Carignan, Église Saint-Laurent) dominent la technique, la géométrie et l'abstraction mathématique, et le Sicilien Filippo Juvarra, grand metteur en scène d'espaces architecturaux (escalier du Palais Madame, N.-D. du Carmel), âgé d'à peine cinq ans lorsque meurt Guarini. Mais bien d'autres architectes de renom ont également joué un rôle décisif dans la construction du patrimoine baroque de Turin. En voici une liste (dans l'ordre chronologique de leur naissance) qui ne saurait être exhaustive :


Bibliographie

  • (it) Renato De Fusco, Mille anni d'architettura in Europa, Bari, Laterza, , 698 p. (ISBN 978-88-420-4295-2, BNF 36681919).
  • Dominique Fernandez, La perle et le croissant : L'Europe baroque de Naples à Saint-Pétersbourg, Plon, .
  • Philippe Graff, « Turin, exemple et modèle d’une centralité urbaine planifiée selon les canons évolutifs du classicisme », Rives méditerranéennes, no 26 « Centralités en mouvement »,‎ , p. 31-46 (lire en ligne, consulté le )
  • (it) C. Norberg et Schulz, Architettura Barocca, Venise, Martellago, .
  • (it) Rudolf Wittkover, Arte e architettura in Italia,1600-1750, Turin, Einaudi, , 533 p. (ISBN 978-88-06-17708-9).

Notes et références

  1. De Fusco 1999, p. 405.
  2. Norberg et Schulz 1998, p. 46.
  3. Figure dans la liste des Résidences de la famille royale de Savoie inscrites en 1997 au patrimoine mondial de l'humanité.
  4. Norberg/Schulz 1998, p. 48.
  5. Wittkower 2012, p. 357-358.
  6. Wittkower 2012, p. 359.
  7. De Fusco 1999, p. 390.
  8. Fernandez 1997.
  9. Graff 2007, p. 33-36.
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