Approche statistique du second principe de la thermodynamique
Le deuxième principe de la thermodynamique exprime le fait que pour un système matériellement fermé, l'état d'équilibre thermodynamique atteint est le plus probable, c'est-à-dire celui qui a le plus de chances de se produire quand on décompte les différentes possibilités microscopiques de le réaliser, à condition que le système ne soit pas en contact avec une source de chaleur (ce qui viendrait tout perturber).
Exprimé analytiquement, cela devient : soient U, V... les variables extensives d'un système de N particules. Soit , ce nombre de réalisations possibles d'un état d'équilibre thermodynamique macroscopique, appelé pour faire bref le « Possible », ou nombre de complexions , ou nombre de réalisations microscopiques possibles d'un état macroscopique donné, etc.
L'état d'équilibre thermodynamique est celui qui maximise , le Possible.
Historiquement, ce principe fut très long à se dégager sous cette forme intuitive et épurée.
On appelle entropie le logarithme du Possible. Ainsi . Cette valeur dépend de la base de logarithme utilisée. L'usage[1] est de choisir la convention :
où est la constante de Boltzmann. Cette quantité se mesure en J/K.
Un exemple simple : la boîte de Maxwell
Soit une boîte circulaire plate, horizontale, séparée par un diamètre en 2 compartiments égaux, et contenant N palets blancs et N palets noirs, de même rayon r, glissant sans frottement sur ce fond. On ouvre le diamètre d'une grandeur supérieure à 2r, pour permettre le passage des pions. On secoue, puis on immobilise la boîte. On peut alors penser que le nombre de palets blancs dans le premier compartiment suit une loi binomiale, et de même pour le nombre de palets noirs. Le nombre de complexions donnant k palets blancs est et ce nombre est maximal pour k = N/2, avec un écart-type de l'ordre de . L'état le plus probable est donc celui pour lequel il y aura N/2 palets blancs et N/2 palets noirs dans le compartiment no 1. Cet état peut subir des fluctuations de l'ordre de , dont la valeur relative devant N est d'autant plus petite que N est grand. La thermodynamique les néglige donc purement et simplement.
Un exemple numérique concret : l'argon
L'argon est un gaz monoatomique, de masse molaire M = 40 g/mol, relativement abondant dans l'air (1 %). Il est quasi parfait. Or, la théorie permet de calculer très simplement l'entropie S d'un gaz parfait. Un moyen mnémotechnique est :
- S ~a. N..Ln[P] + N.
car la loi de Laplace pour l'adiabatique réversible du gaz parfait est bien connue ; il reste à remplacer P par 2/3 U/V (pression cinétique), pour obtenir S = S(U,V,N), qui est une fonction caractéristique. Donc on obtient tout à partir de cette fonction (ce qui permet de retrouver la valeur numérique a).
Tout, sauf la valeur de qui n'est évaluable que par la mécanique quantique (qui corrobore le troisième principe de la thermodynamique). Sackur et Tetrode ont donné cette valeur, dépendant de la constante de Planck, et ils ont vérifié expérimentalement par ajustement « inverse » la valeur de cette constante de Planck, ce qui assura le succès de leur théorie. Finalement, les étudiants retiennent mieux la formule suivante :
Soit , la traditionnelle longueur d'onde thermique de de Broglie, alors :
L'application numérique avec V = 22,4 l et m = 40*1000/6,02 kg donne la valeur de l'entropie molaire standard, S° = 155 J K−1 mol−1, conforme aux tables chimiques.
Bien sûr, cela marche aussi avec l'hélium ou le néon.
Implications en chimie
Les réactions chimiques ont des variations de S, pour raison stériques, souvent proches de 5,74 J/K : la raison est très souvent qu'il intervient 2 chemins de réaction, d'où un R.ln2 : par exemple en racémisation.
Un autre cas est celui évoqué par Wyman : soit HAAH, un diacide avec une très longue chaîne carbonée. Alors il est facile de voir que 1/2.K1 = 2. K2 (: = K), à cause de la « duplicité » de l'amphion HAA ou AAH. La fonction de répartition d'acidité s'écrit 1/(1+ /K2 + /K1K2 = 1/ , qu'un chimiste interprète immédiatement comme un monoacide HA de concentration double : la réaction HAAH → 2 HA ne change pas le pH, car le pH n'est pas une propriété colligative (heureusement, sinon cela remettrait en cause la théorie des pH).
Implications en biochimie
La biochimie abonde de tels cas où l'on compte et on décompte l'entropie des « mots » des suites de codons. C'est bien sûr toujours la même formule qui est employée en bioinformatique.
Histoire des sciences
Le deuxième principe fut trouvé sous une forme très particulière par Sadi Carnot. Bien que son raisonnement utilisât le concept dépassé du calorique, le raisonnement reste correct et donne le résultat correct : le rendement maximum d'une machine ditherme est le rendement de Carnot=1-T2/T1.
L'énoncé de Thomson (Lord Kelvin) (soit un cycle monotherme ; il ne peut être moteur) lui est équivalent.
L'énoncé intuitif de Clausius(1822-1888) (la chaleur ne saurait spontanément être transférée d'une source froide vers une source chaude) lui est aussi équivalent.
Puis plus tard, Clausius réussit en 10 ans de réflexion (1855-1865) sur l'irréversibilité à tirer de l'égalité pour les cycles dithermes réversibles, Q1/T1 + Q2/T2 = 0, sa célèbre fonction d'état, l'entropie :
- état A → S(état A) = dQ/T +cste.
D'où l'autre énoncé de Clausius : il existe une fonction d'état extensive, qui augmente toujours lors d'une transformation adiabatique.
C'est à Boltzmann que revient le mérite d'avoir perçu cette fonction comme le logarithme du Possible S = k ln, formule qu'on grava sur sa tombe. Les travaux de Szilárd, puis, en 1949, ceux de Shannon, enfin ceux de Krylov-Kolmogorov-Sinaï développeront la même idée, dans son prolongement informatique, puis mathématique.
Voir aussi
Articles connexes
- Entropie
- Entropie de Shannon
- L'exergie, alias fonctions de Gouy, comme Potentiels thermodynamiques
- Les formules de thermodynamique induites par les transformations de Legendre sur les fonctions caractéristiques
- les conséquences du deuxième principe sur l'irréversibilité
- Premier principe de la thermodynamique
- Troisième principe de la thermodynamique
Bibliographie
- Brush : cette entité nommée chaleur
- Ruelle : thermodynamique, résultats rigoureux.(1969)
- (de) C Truesdell, The tragicomedy of classical thermodynamics., Vienne, Springer, (OCLC 472165181)
- (en) Ryōgo Kubo, Thermodynamics., New York, Interscience, , 300 p. (OCLC 8781161)
- Georges Bruhat, Alfred Kastler, Rotislav Vichnievsky et Jacques Chanu, Thermodynamique, Paris, Masson & Cie., coll. « Cours de physique générale à l'usage de l'enseignement supérieur scientifique et technique », , 887 p. (OCLC 489941612)
- Léon Brillouin, La science et la théorie de l'information [« Science and information theory »], Paris, Masson, , 302 p. (OCLC 859820990).
- Ludwig Boltzmann (trad. A. Gallotti, préf. M. Brillouin), Leçons sur la théorie de gaz, Sceaux, J. Gabay, coll. « Grands classiques Gauthier-Villars », (1re éd. 1902) (ISBN 978-2-87647-004-0).
- Henri Poincaré (Réimpression autorisée de la 2e éd. publiée par Gauthier- Villars en 1908), Thermodynamique, Paris, Editions Jacques Gabay, coll. « Grands classiques », , 448 p. (ISBN 978-2-87647-166-5, OCLC 35041730).
Notes et références
- Cette convention permet de faire coïncider les définitions des températures absolues, issues d'une part de la thermodynamique statistique, d'autre part de l'étude des gaz parfaits.