Agrionies
Les Agrionies (ÎÎłÏÎčÏÎœÎčα) sont des festivitĂ©s dionysiaques de la GrĂšce antique qui se dĂ©roulaient dans plusieurs rĂ©gions de GrĂšce. NĂ©anmoins le foyer original serait la BĂ©otie et en particulier OrchomĂšne. La lĂ©gende en faisait remonter lâorigine au crime des Minyades, les trois filles du roi Minyas. Celles-ci, ayant refusĂ© de rejoindre le cortĂšge des suivantes de Dionysos, furent frappĂ©es de folie par le dieu et tuĂšrent puis dĂ©membrĂšrent le fils de lâune dâentre elles.
DĂ©roulement
Lors des Agrionies dâOrchomĂšne, les hommes prenaient le deuil et on les appelait les cendrĂ©s (ÏολÏΔÎčÏ / psoloeis / couverts de suie). Le prĂȘtre de Dionysos muni dâune Ă©pĂ©e poursuivait les femmes, nommĂ©es les malfaisantes (ÏλοαÎč / oloai), et avait le droit de tuer (symboliquement[1]) celle quâil pouvait capturer. Par la suite, les femmes faisaient semblant de chercher Dionysos et disaient quâil sâĂ©tait rĂ©fugiĂ© chez les Muses, puis festoyaient ensemble en se lançant des devinettes.
Lors des Agrionies de ChĂ©ronĂ©e, câest le prĂȘtre de Dionysos qui prenait la fuite et qui Ă©tait poursuivi par les femmes. On sait que des agrionies ou des fĂȘtes similaires se dĂ©roulaient dans plusieurs rĂ©gions de GrĂšce : ThĂšbes, Argos, Lesbos, Chios, CrĂšte, etc. Dans tous les cas elles semblent sâĂȘtre dĂ©roulĂ©es de nuit.
Interprétations
Les Agrionies Ă©voquaient le caractĂšre cruel et fĂ©roce du dieu Dionysos. On le qualifiait alors dâagrionios (ÎŹÎłÏÎčÏÎœÎčÎżÏ / le sauvage) ou dâomophagos (ÏÎŒÎżÏÎŹÎłÎżÏ / carnivore / cannibale). Dans les mythes qui racontent sa vie, Dionysos nous est montrĂ© Ă plusieurs reprises comme particuliĂšrement bestial avec ceux qui lâont outragĂ© ou ont repoussĂ© son culte[2]. Des sacrifices humains auraient pu ĂȘtre effectuĂ©s en son honneur dans les temps les plus anciens[3]. Dans le cadre des Agrionies, le sacrifice semble aussi avoir Ă©tĂ© remplacĂ© par lâarrachage violent de lierre. Quoi quâil en soit câest la transgression au monde ordonnĂ© qui Ă©tait commĂ©morĂ©e lors des Agrionies : Dionysos et sa barbarie symbolisent lâaffranchissement aux lois et Ă la morale civilisĂ©es, la dĂ©sorganisation de la sociĂ©tĂ©. Mais la pagaille âle scandaleâ induit par Dionysos est aussi salutaire, il permet une rĂ©gĂ©nĂ©ration. Tel est lâun des sens des Agrionies. On peut y voir aussi une fĂȘte avec inversion des rĂŽles sexuels, du moins dans son dĂ©roulement Ă OrchomĂšne ; les femmes dominent et le meurtre symbolique rĂ©tablit le « bon ordre des choses »[4].
Pour la société prise dans son ensemble, c'est un nouveau départ qui semble avoir été célébré dans un rituel de la nouvelle année. Agrionos ou Agrianos est souvent un mois de printemps[5].
Pour Jean Haudry, la disparition du dieu que cherchent les femmes serait la traduction mythique de l'extinction rituelle du feu. Elles sont un trait central de la mythologie de Dionysos « Feu divin ». Ce motif serait liĂ© Ă la conception d'un « feu latent ». La fuite suivie d'un retour semble ĂȘtre un Ă©lĂ©ment primaire de la mythologie du feu[6]. L'indication selon laquelle Dionysos trouve refuge chez les Muses ainsi que les jeux de devinettes des femmes sont caractĂ©ristiques de la conceptions traditionnelle de la fureur poĂ©tique telle qu'on la retrouve Ă©galement chez le dieu germanique Wotan[7].
Notes
- nĂ©anmoins Plutarque (Qu. grae. 299F) rapporte quâĂ son Ă©poque le prĂȘtre ZoĂŻlos appliqua Ă la lettre le « permis de tuer »cf. note 3
- p.ex. Lycurgue qui tue son fils (Bib. III,5,1) ; PenthĂ©e dĂ©pecĂ© par sa mĂšre (Bib. III,5,2)âŠ
- NĂ©anmoins il y a peu dâĂ©vidence. Dans un passage cĂ©lĂšbre, Plutarque (Th.13) rapporte le sacrifice Ă Dionysos mangeur de chair crue de trois jeunes prisonniers de guerre afin dâassurer une victoire aux Grecs. Cette histoire a probablement Ă©tĂ© inventĂ©e pour dans un premier temps pour nuire Ă ThĂ©mistocle et dans un deuxiĂšme temps elle a Ă©tĂ© recyclĂ©e par la propagande en faveur de l'homme d'Ătat en montrant son humanitĂ©. Les textes nous montrent aussi que les Grecs prĂ©fĂšraient substituer une victime animale (PĂ©l.21-22), la lĂ©gende d'IphigĂ©nieâŠDans le cas de ZoĂŻlos cf. note 1, la suite de lâhistoire montre clairement lâaversion du dieu et du peuple pour cet acte puisque Z. et sa famille seront punis puis dĂ©mis de leur charge sacerdotale, fait exceptionnel pour un acte extraordinaire
- (de) Fritz Graf, Nordionische Kulte, Rom, Schweizerisches Institut, 1985
- Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, ArchÚ, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 384-385
- Jean Haudry, ibid, 2016, p. 360-363
- Jean Haudry, ibid, 2016, p. 386-387
Sources
- Apollodore, BibliothÚque [détail des éditions] [lire en ligne]
- Plutarque, Vies parallÚles [détail des éditions] [lire en ligne] (Thémistocle)
- Plutarque, PĂ©lopidas, (grc)(en)(it) en ligne
- Plutarque, Ćuvres morales [dĂ©tail des Ă©ditions] [lire en ligne] (IV-18 :Quaestiones graecae, 299F/38), (IV-18 :Quaestiones romanae, 291A/112), (VIII-46:Quaestiones convivales, 717A/112)
- (en) Human Sacrifice in Ancient Greece, D.D. Hughes (1991)
- Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, C. Daremberg, E. Saglio ; article: Agrionia