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Affaire de la Casa Pia

L’Affaire de la Casa Pia est un cas d'abus sexuels et de prostitution d'enfants impliquant des enfants et des employés de l'établissement étatique portugais pour enfants pauvres et orphelins Casa Pia (« la Maison pieuse »), ainsi que des personnalités extérieures, qui auraient été clients du réseau de prostitution[1]. L'affaire implique des personnalités publiques et politiques, qui sont inculpées pour divers crimes dont des abus et viols d'enfants ainsi que des complicités, et pour certaines condamnées à de la prison ferme, dont le présentateur de télévision vedette Carlos Cruz (en), l'ancien ambassadeur du Portugal à l'UNESCO Jorge Ritto, et l'ancien gouverneur de Casa Pia Manuel Abrantes[2] - [3] - [4]. Plusieurs hauts responsables politiques dont des présidents sont accusés d'avoir ignoré les plaintes d'abus systématiques dans les établissements pendant au moins 20 ans[1]. L'existence d'un réseau de prostitution de plus de 100 garçons est ainsi révélé, au sein d'une organisation qui comptait 10 orphelinats et écoles s'occupant de plus de 4000 enfants[1]. Le scandale débute en septembre 2002 lorsque la mère d'un pensionnaire, connu sous le nom de Joël, s'est plainte d'abus par Carlos Salvino, employé d'une des maisons de Casa Pia, après que Joël lui ai dit avoir été violé par ce dernier[5] - [1].

En 2010, huit procès avaient eu lieu, dont certains menant à la condamnation d'anciens enfants de Casa Pia[4]. En 2010, à la suite d'un procès de près de six ans lors duquel 32 victimes présumées témoignent, six personnes sont condamnés à de la prison ferme, avec des peines allant de cinq à sept ans de prison, et 18 ans pour Carlos Silvino, l'employé qui avait abusé de garçons des centaines de fois et les avaient prostitués à d'autres hommes. La seule femme inculpée dans ce procès, accusée d'avoir laissé sa maison d'Elvas être utilisée par des pédophiles pour des « orgies »[6], est acquittée[2] - [3] - [4].

Historique

La Casa Pia est une institution caritative publique de renom, un foyer de jeunes orphelins et d’enfants dĂ©favorisĂ©s, fondĂ© en 1780, et qui gère dans tout le pays une dizaine de centres qui accueillent environ 4 600 mineurs. C’est avec effroi que les Portugais ont ainsi dĂ©couvert que durant près de trente ans, 128 enfants (), dont la majoritĂ© Ă©taient orphelins, mais aussi sourds et muets ou mĂŞme handicapĂ©s mentaux, auraient Ă©tĂ© abusĂ©s dans l’indiffĂ©rence des directeurs de l’école et des autoritĂ©s publiques.

Si le scandale éclate en 2002, il est révélé ensuite que la prédécesseur du président portugais Jorge Sampaio, le général Ramalho Eanes, était au courant d'accusations de réseau de prostitution 20 ans auparavant, mais les plaintes auprès de la police de l'époque semblent n'avoir donné aucune suite ou avoir disparu[1].

Il s’agit du plus gros scandales de mœurs jamais connu au Portugal depuis la Révolution des Œillets en 1974. Plusieurs noms de personnalités ont été cités parmi les adultes impliqués dans ce vaste réseau de pédomanes, organisé par un ancien gardien de l’école, Carlos Silvino, alias Bibi. D’après l’accusation, celui-ci choisissait ses victimes « parmi les enfants spécialement vulnérables, en manque d’affection et sans références parentales masculines ».

Le lundi , le procureur général de la République, José Souto Moura, a accusé formellement dix hautes personnalités d’avoir commis des « violences sexuelles sur enfants et d’exercer la prostitution de mineurs ». Parmi les inculpés figurent :

  • des stars du show-biz, dont l’humoriste Herman JosĂ© et le prĂ©sentateur vedette, Carlos Cruz, 62 ans, qui devait ĂŞtre l’égĂ©rie du Portugal Ă  la Coupe d’Europe de football de 2004. Il avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ© pour des faits similaires dans les annĂ©es 1980 : on avait Ă  l’époque retrouvĂ© chez lui des cartons Ă  chaussures pleins de photos d’enfants, mais ces pièces Ă  conviction avaient mystĂ©rieusement disparu et les choses en Ă©taient restĂ©es lĂ  ;
  • des notables comme l’archĂ©ologue Francisco Alves et le mĂ©decin Ferreira Diniz, connu du grand public pour avoir animĂ© une Ă©mission quotidienne sur la radio catholique Radio Renascença, et qui aurait fait subir des examens aux enfants de la Casa Pia, afin de s’assurer qu’ils ne souffraient pas d’infections vĂ©nĂ©riennes avant leur introduction dans le rĂ©seau de ces pĂ©domanes de la haute sociĂ©tĂ© ;
  • un dignitaire de la haute diplomatie, l’ancien ambassadeur Jorge Ritto, pour lequel, dans sa rĂ©sidence, auraient Ă©tĂ© organisĂ©es des orgies au cours desquelles des enfants de la Casa Pia Ă©taient livrĂ©s par Bibi Ă  des notables ;
  • l’ancien ministre du Travail et de la SolidaritĂ© et actuel dĂ©putĂ© socialiste Paulo Pedroso, 38 ans, très populaire pour avoir introduit le RMI au Portugal ;
  • des anciens Ă©lèves ont Ă©voquĂ© d’autres orgies pĂ©dophiles qui se seraient dĂ©roulĂ©es dans une villa tranquille de l’Alentejo oĂą Bibi les emmenait et oĂą soixante personnes auraient participĂ©.

Les personnalités impliquées étaient toutes connues pour leurs opinions de gauche, or la pédocriminalité n’épargnant, a priori, aucun camp politique, les proches des accusés ont utilisé cette particularité du dossier, pour crier au complot politique et sont allés jusqu’à accueillir le député Paulo Pedroso comme un héros au Parlement, lorsqu’il a été remis en liberté provisoire. Selon Pedro Namora, ancien de la Casa Pia, aujourd’hui, avocat réputé, et qui coordonne le réseau des anciennes victimes : « dès que des notables ont été mis en cause, les politiques ont découvert qu’il fallait réformer le Code pénal et renforcer la présomption d’innocence. Ils sont vite passés des droits de l’enfant à celui des accusés. Et ils ont oublié les victimes ».

En fait, aucun des contrôles sociaux n’a fonctionné, ni aucune enquête de police, or le pouvoir connaissait depuis longtemps les éléments suivants :

  • en 1975, dĂ©jĂ  dĂ©noncĂ© par des professeurs de la Casa Pia pour « pratiques pĂ©dophiles », Bibi est interrogĂ© par la police avant d’être relâchĂ© ;
  • en 1982, la secrĂ©taire d’État Ă  la Famille Teresa Costa Macedo, donne l’alerte, en fournissant dans un rapport des preuves d’actes de pĂ©domanie au sein de la Casa Pia, mais son rapport est classĂ© sans suite. Elle accuse aujourd’hui Antonio Eanes (prĂ©sident de la RĂ©publique entre 1976 et 1986), d’avoir fermĂ© les yeux. La police judiciaire a rĂ©cemment reconnu que ces documents ont Ă©tĂ© dĂ©truits en 1993 ;
  • en 1989, le mĂŞme Bibi est expulsĂ© pour « pratiques pĂ©dophiles », mais sera rĂ©intĂ©grĂ© deux ans plus tard par une dĂ©cision de justice.

Un reporter de la chaîne de télévision SIC commente : « Cela fait longtemps que les gens savent ce qui se trame dans la Casa Pia. Le scandale a été étouffé grâce à la complicité de hauts responsables de l’État ».

José Antonio Saraiva, chroniqueur vedette de l’hebdomadaire Expresso a commenté ainsi : « Cela va être dur d’avoir à nouveau confiance envers les autorités de notre pays. Le malaise s’est installé dans toute notre société ».

Le président portugais, Jorge Sampaio, a promis que la justice serait appliquée « les yeux fermés » dans cette affaire qui secoue depuis le Portugal : « Il faut que la justice se fasse, qu’on aille jusqu’au bout et que cette tragédie qui a perduré pendant vingt ans soit effectivement jugée pour que tous puissent respirer ». Quoi qu’il en soit, beaucoup de personnalités ne seront jamais inquiétées, car, prescription oblige, les juges ne s’attachent qu’aux faits commis depuis 1995.

Chronologie

  • Septembre 2001 : Paula Cruz porte plainte pour le viol par sodomie de son fils Fabio Cruz Ă  l’âge de 9 ans, par un homme Ă  tout faire de la Casa Pia, Carlos Silvino, alias Bibi, âgĂ© de 46 ans.
  • 25 novembre 2002 : Fabio Cruz, ancien pensionnaire de la Casa Pia raconte son histoire dans l’hebdomadaire portugais Expresso. Son tĂ©moignage est le dĂ©part d’une avalanche de rĂ©vĂ©lations faites par des anciens pensionnaires se dĂ©clarant toutes victimes.
  • Le chauffeur de la Casa Pia, Carlos Silvino, est arrĂŞtĂ©. L’homme, connu sous le surnom de Bibi, se serait rendu coupable d’une trentaine d’actes de violence sexuelle sur des mineurs. Il aurait aussi livrĂ© des enfants Ă  de riches clients - une pratique qui remonte Ă  plus de trente ans selon certaines victimes.
  • 22 mai 2003 : Arrestation de Paulo Pedroso, ancien ministre du Travail et de la SolidaritĂ©, dĂ©putĂ© socialiste et numĂ©ro deux du PS. La consternation de l’opinion publique se transforme alors en un profond malaise politique et moral. Ă€ la suite de cette arrestation de Paulo Pedroso, plusieurs responsables socialistes crient au complot et Ă  la calomnie.
  • 29 mai 2003 : Le prĂ©sident de la RĂ©publique, Jorge Sampaio, fait une dĂ©claration solennelle pour se porter garant devant le pays du bon fonctionnement des institutions.
  • 4 juin 2003 : Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du PS est Ă  son tour convoquĂ© par la justice portugaise pour avoir tentĂ© de faire obstruction Ă  l’enquĂŞte sur la responsabilitĂ© de Paulo Pedroso, ce qui a amenĂ© les socialistes Ă  jouer profil bas.
  • DĂ©but juin : arrestation de six autres personnalitĂ©s de la sociĂ©tĂ© portugaise.
  • 1er septembre 2003 : Les avocats de six des treize inculpĂ©s ont dĂ©posĂ© un recours contre le juge chargĂ© du dossier, Rui Texeira, accusĂ© de partialitĂ©, car ce magistrat aurait portĂ© atteinte aux droits de la dĂ©fense en dĂ©cidant que la confrontation entre les inculpĂ©s et une trentaine de victimes - toutes mineures - se ferait par vidĂ©o interposĂ©e. Demande de dessaisissement rejetĂ©e par la chambre d’appel de Lisbonne.
  • 13 septembre 2003 : L’hebdomadaire Expresso rĂ©vèle que dans les annĂ©es 1970, des employĂ©s de la compagnie audiovisuelle publique, la RTP, auraient filmĂ© des viols sur des mineurs de la Casa Pia, et auraient revendu certains enregistrements Ă  l’étranger.
  • Ă€ l’automne 2003, une « marche blanche », a Ă©tĂ© organisĂ©e Ă  Lisbonne pour canaliser l’émotion qui avait submergĂ© la population. La nouvelle directrice de Casa Pia, Catalina Pestana, s’est, Ă  cette occasion rĂ©solument placĂ©e du cĂ´tĂ© des Ă©lèves en dĂ©clarant : « Je n’ai pas fait la rĂ©volution des Ĺ“illets en 1974 pour arriver Ă  un tel scandale ! ». AcclamĂ©e par la foule, elle a rĂ©clamĂ© « justice pour les enfants ! » et elle apporte toute l’aide nĂ©cessaire aux autoritĂ©s de police, rompant ainsi avec l’habitude complice qui conduit souvent un responsable Ă  tenter d’étouffer ou de « rĂ©gler le problème en interne », afin de ne pas ternir l’image de l’institution.
  • 19 octobre 2003 : DĂ©but du procès Ă  huis clos de l’ancien chauffeur et gardien de l’école, Carlos Silvino, alias Bibi.
  • 28 octobre 2003 : Après avoir Ă©tĂ© reportĂ© Ă  deux reprises, nouveau rebondissement lorsque l’avocat de Carlos Silvino, alias Bibi, a rĂ©clamĂ© le remplacement du magistrat qui prĂ©side le collectif de juges chargĂ© du procès. Cette demande entraĂ®ne « une suspension du procès jusqu’à ce que la cour se prononce » sur cette question.
  • Lundi 29 dĂ©cembre 2003 : Le procureur gĂ©nĂ©ral de la RĂ©publique, JosĂ© Souto Moura, a accusĂ© formellement dix hautes personnalitĂ©s d’avoir commis des « violences sexuelles sur enfants et d’exercer la prostitution de mineurs ».
  • 5 mai 2004 :
    • Carlos Cruz (en), 63 ans, prĂ©sentateur vedette de la tĂ©lĂ©vision portugaise, en dĂ©tention prĂ©ventive depuis fĂ©vrier 2003, et l’un des dix prĂ©sumĂ©s pĂ©dophiles, a Ă©tĂ© placĂ© en rĂ©sidence surveillĂ©e par une cour d’appel et a retrouvĂ© la libertĂ© jusqu’au procès. Il reste inculpĂ© formellement de 9 chefs d’accusation diffĂ©rents, notamment pour abus sexuel sur enfants et relations avec un adolescent. Sur les 10 accusĂ©s, deux sont encore en dĂ©tention prĂ©ventive.
  • 16 juin 2004 : La cour d’appel de Lisbonne ayant dĂ©cidĂ© au dĂ©but de mois de cesser les poursuites contre l’ex-ministre socialiste de l’emploi Paulo Pedroso, le cĂ©lèbre prĂ©sentateur de tĂ©lĂ©vision Herman JosĂ© et l’archĂ©ologue Francisco Alves. Le ministère public et les victimes ont fait appel de la dĂ©cision alors que selon eux, il existe de «forts indices» permettant de les juger. Paulo Pedroso Ă©tait accusĂ© de 23 crimes d’abus sexuels sur des mineurs de l’institution publique Casa Pia.
  • 10 aoĂ»t 2004 : Le directeur de la police judiciaire portugaise a prĂ©sentĂ© lundi sa dĂ©mission, dans le cadre d’une affaire d’enregistrements qui auraient Ă©tĂ© volĂ©s Ă  un journaliste enquĂŞtant sur le scandale pĂ©dophile de la Casa Pia.
  • 4 septembre 2010 : 6 des 7 accusĂ©s sont condamnĂ©s Ă  la prison par le tribunal de première instance de Lisbonne : Carlos Silvino, ancien chauffeur, 18 ans de prison ; Carlos Cruz, ancien animateur tĂ©lĂ©, 7 ans ; Ferreira Diniz, mĂ©decin de l'institution, 7 ans ; Jorge Ritto, ancien ambassadeur, 6 ans et 8 mois ; Hugo Marçal, avocat, 6 ans et 2 mois ; Manuel Abrantes, 5 ans et 9 mois. Gertrudes Nunes, propriĂ©taire de la maison, est acquittĂ©e.
  • 7 novembre 2018 Le septième accusĂ© a Ă©tĂ© trouvĂ© au Guatemala.

Pour la petite histoire

  • La demande d’assistance judiciaire pour les frais du procès, que Paula Cruz avait dĂ©posĂ©e a Ă©tĂ© refusĂ©e : avec 197 euros de pension par mois comme seule ressource, elle n’a pas dĂ©montrĂ©, lui a-t-on rĂ©pondu, qu’elle n’a pas les moyens d’y faire face.
  • Lorsque le prĂ©sentateur Carlos Cruz (en) a Ă©tĂ© inculpĂ©, une manifestation de tĂ©lĂ©spectateurs a eu lieu devant le siège de la PJ pour le soutenir.
  • L’humoriste vedette de la tĂ©lĂ©vision portugaise Herman JosĂ© a Ă©tĂ© Ă©galement inculpĂ© mais laissĂ© en libertĂ©, et il a pu faire une grande Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©e d’autodĂ©fense Ă  sa gloire au cours de laquelle des « beautiful people » ont dĂ©filĂ© pour le congratuler.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. (en-GB) Giles Tremlett, « Portugal rocked by child abuse scandal », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
  2. « Portugal : épilogue pour le scandale de la Casa Pia », Le Figaro, (consulté le )
  3. (en) Barry Hatton, Associated Press, « 7 defendants convicted in Portugal sex abuse trial », Boston.com,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. (en-GB) « Six men jailed for Portugal child sex abuse », BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. P. E., « Joël, 16 ans, a révélé l'affaire », Le Parisien, (consulté le )
  6. « Affaire Casa Pia: six des sept accusés condamnés après un long procès », Le Point, (consulté le )
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