Affaire Marguerite Simonnet (1466)
L'Affaire Marguerite Simonnet est une affaire judiciaire concernant le viol de Marguerite Simonnet Ă l'Ăąge de 12 ou 13 ans par un jeune homme, Ă proximitĂ© de Rennes en 1466. Une enquĂȘte est rapidement ouverte. NĂ©anmoins, celle-ci se rĂ©vĂšle complexe et lâaccusĂ© nâest finalement pas condamnĂ©. Ainsi, cette affaire rĂ©vĂšle la difficultĂ© de punir le crime de viol au Moyen Ăge.
Affaire Marguerite Simonnet (1466) | |
Titre | L'affaire Marguerite Simonnet (1466) |
---|---|
Chefs d'accusation | Viol |
Pays | France |
Ville | Rennes |
Date | juin 1466 |
Cette affaire judiciaire est issue des archives dĂ©partementales de Loire-Atlantique[1] et a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e par lâhistorien mĂ©diĂ©viste Jean Pierre Leguay dans lâouvrage Violences Sexuelles, MentalitĂ©, Histoire des cultures et des sociĂ©tĂ©s dâAlain Corbin en 1990.
Le viol au Moyen Ăge
Au Moyen Ăge, la religion chrĂ©tienne est en plein dĂ©veloppement et exerce une grande influence sur la sexualitĂ© mĂ©diĂ©vale. De fait, lâĂglise surveille et rĂ©glemente fortement la sexualitĂ© en exigeant par exemple que les relations sexuelles aient lieu uniquement dans le cadre du mariage. Ainsi, mĂȘme si ce nâest pas rĂ©ellement pour les mĂȘmes raisons quâaujourdâhui, le viol Ă©tait dĂ©jĂ perçu comme un crime majeur, reprĂ©sentant une rĂ©elle menace pour la sociĂ©tĂ© et pour les familles. Ă cette Ă©poque, la notion de «viol» et celle de «rapt» se confondent puisque ces deux actes sont marquĂ©s par une absence de consentement[2].
LâidĂ©e que le viol reprĂ©sente un vĂ©ritable danger sâimpose aussi dans le droit de lâĂ©poque. En effet, le droit romano-canonique le punit sĂ©vĂšrement, notamment par la peine de mort ou lâexil[3]. Le droit coutumier, par exemple La Coutume dâArtois, rĂ©prime lui aussi rigoureusement le viol en administrant de diffĂ©rentes maniĂšres la peine de mort (pendaison, noyadeâŠ)[4].
Affaire judiciaire
Faits
Le crime a lieu au milieu du XVÚme siÚcle prÚs de Rennes, une ville importante du duché de Bretagne, qui connaßt alors une grande expansion économique et sociale et dans laquelle rÚgne une certaine insécurité[5].
La victime, Marguerite Simonnet, appartient Ă une famille laborieuse et honnĂȘte. Son pĂšre est artisan peintre dans un faubourg de Rennes[6]. Alors quâelle part dans les landes bretonnes voir sa sĆur, elle rencontre sur son chemin deux cavaliers qui lui bloquent le passage et lâun deux, finalement, la viole.
Elle nâa pas vraiment pu se dĂ©fendre face Ă ses deux agresseurs, plus ĂągĂ©s et forts quâelle mais aussi plus puissants socialement. Le premier, Guillaume Moriou, est le fils dâune famille aisĂ©e et reconnue de commerçants de la ville, proche de la corporation des marchands espagnols. Le second est justement un Espagnol vendeur de laine, nommĂ© Jehannico Darbieto, qui rĂ©side chez les Moriou.
A la suite de son viol, Marguerite est recueillie par des voisins qui lâencouragent Ă dĂ©noncer son agression[7]. Ainsi, le 16 juin, elle fait alors une premiĂšre dĂ©position dans laquelle elle accuse Jehannico Darbieto de lâavoir violĂ©e. Elle donne de nombreux dĂ©tails qui mettent en Ă©vidence la violence de lâacte («luy dit que si elle bougeoit que lui couperoit une oraille»), lâagression sexuelle («il mist son membre, câest-Ă -dire son vit avec une main dedans son con»), et mĂȘme lâĂ©jaculation de lâagresseur («elle sentit descendre dudit membre une chose chaude et aprĂšs remolit ledit membre»)[8]. De plus, son tĂ©moignage montre quâelle a tentĂ© de rĂ©sister en vain («ne pouvoit remuer pour ce questoit trop pesant», «luy fit grand mal»).
EnquĂȘte
La fin du Moyen Ăge est une pĂ©riode au cours de laquelle la procĂ©dure inquisitoire sâimpose progressivement sur la procĂ©dure accusatoire. En effet, lâutilisation de preuves irrationnelles comme le duel judiciaire est peu Ă peu abandonnĂ©e pour laisser place Ă une vĂ©ritable enquĂȘte qui doit permettre dâapporter les preuves du crime[9]. Avec ce nouveau systĂšme, la procĂ©dure pouvait aussi ĂȘtre lancĂ©e plus facilement, par exemple Ă la suite dâun simple soupçon, dâune rumeur publique ou encore de la dĂ©nonciation de la victime.
Câest justement ce qui se passe pour cette affaire, puisque, dĂšs le lendemain de lâagression, une enquĂȘte est ouverte et menĂ©e par un notaire de la cour de Rennes. Compte tenu de la gravitĂ© du crime, lâaccusĂ© est incarcĂ©rĂ© mais il faut dĂ©sormais prouver le viol afin quâil soit condamnĂ©[10]. La victime est interrogĂ©e une seconde fois, ainsi que plusieurs tĂ©moins qui confirment avoir entendu des cris et tĂ©moignent de lâĂ©tat de choc dans lequel ils ont retrouvĂ© la fillette. NĂ©anmoins, les deux accusĂ©s, quant Ă eux, expliquent quâil ne sâest rien passĂ© et minimisent les faits[11].
En outre, afin dâapporter des preuves plus concrĂštes, des examens mĂ©dicaux sont rĂ©alisĂ©s rapidement. Marguerite Simonnet est donc examinĂ©e minutieusement, une premiĂšre fois par deux matrones qui constatent effectivement le viol puisque les lĂšvres de la victime sont meurtries et enflĂ©es et des taches de sperme et de sang sont prĂ©sentes sur son corps. Cependant, une seconde expertise plus tardive et moins rigoureuse est rĂ©alisĂ©e par des femmes non spĂ©cialistes qui mettent en avant lâabsence du viol[12]. La procĂ©dure dâenquĂȘte ne fournit donc pas de certitudes absolues puisque plusieurs conclusions sâopposent.
Résultat de la procédure
Finalement, mĂȘme si le viol est en thĂ©orie puni de mort et malgrĂ© plusieurs preuves de lâagression, la procĂ©dure dâenquĂȘte ne va pas aboutir et lâaccusĂ© nâest pas condamnĂ©. En effet, lâaffaire se termine en fait par un accord financier de 33 livres et 15 sous (lâĂ©quivalent dâun mois de salaire pour un ouvrier) conclu entre le pĂšre de la victime et celui de Guillaume Moriou, reprĂ©sentant de Jehannico Darbietto[13].
Les extraits de la procĂ©dure judiciaire semblent mettre en avant que des pressions ont Ă©tĂ© exercĂ©es. Tout dâabord, la puissante famille Moriou paraĂźt avoir eu de lâinfluence sur celle de la victime assez modeste, en proposant une somme dâargent pour mettre un terme Ă lâaffaire. De plus, la derniĂšre expertise mĂ©dicale, innocentant les accusĂ©s, a lâair peu fiable puisquâelle nâest pas rĂ©alisĂ©e par une matrone mais par lâĂ©pouse du gardien de la prison dans laquelle est incarcĂ©rĂ© lâaccusĂ©. Par ailleurs, lâavenir de la victime, Marguerite Simonnet, semble assez compromis parce que la jeune fille a Ă©tĂ© dĂ©florĂ©e et ne pourra ainsi pas se marier.
Cette affaire mĂ©connue rĂ©vĂšle donc la difficultĂ© pour la justice de lâĂ©poque de punir le viol. De fait, comme le souligne Annick Porteau-Bitker, «les condamnations pour viol et plus encore les exĂ©cutions sont rares» au Moyen Ăge[14]. En effet, la punition dĂ©pend du statut, de la renommĂ©e et de lâordre matrimonial de la victime. La sanction la plus frĂ©quemment appliquĂ©e est lâamende ou la compensation pĂ©cuniaire qui peuvent ĂȘtre parfois assez lourdes mais souvent aussi nĂ©gociĂ©es[15]. â
Notes et références
- Archives départementales de Loire-Atlantique E198/1 à 10.
- J-M. Carbasse, « Le chùtiment des crimes », Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Presses universitaires de France, 2006, p. 363-366.
- Livre XLVIII du Digeste de Justinien de 533
- A. Porteau-Bitker, « La justice laĂŻque et le viol au Moyen Ăge », Revue historique de droit français et Ă©tranger, vol. 66, n° 4, 1988, p. 520-524.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 18.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 19.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 22.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 21.
- A. Porteau-Bitker, « La justice laĂŻque et le viol au Moyen Ăge », op. cit., p. 513-514.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 22.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 23-24.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 25.
- J-P. Leguay, « Un cas de « force » au Moyen Ăge : le viol de Margot Simonnet », op. cit., p. 26.
- A. Porteau-Bitker, « La justice laĂŻque et le viol au Moyen Ăge », op. cit., p. 520-524.
- D. Left, « âConnaĂźtre charnellement une femme contre sa volontĂ©Ì et avec violenceâ, Viols des femmes et honneur des hommes dans les statuts communaux des Marches au XIVe siĂšcle », in Claustre J., MattĂ©oni O., Offenstadt N., Un Moyen Ăge pour aujourdâhui, MĂ©langes offerts Ă Claude Gauvard, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p. 453- 454.