Affaire Jacques Dugué
L'affaire Jacques Dugué, appelée aussi « affaire de Saint-Ouen », est une affaire criminelle française qui débute en 1978, lorsqu'un pédophile nommé Jacques Dugué est arrêté pour abus sexuel sur mineur et accusé de faire partie d’un réseau de proxénétisme pédophile. L'affaire est révélée par le journal Minute. L'intéressé est condamné à six ans de prison ferme en 1981, avant de faire l'objet par la suite d'autres condamnations.
DĂ©roulement de l'affaire
EnquĂŞte et arrestation
L'affaire est centrée autour d’accusations de prostitution et de proxénétisme[1].
En , lors d'une perquisition chez un pédophile américain, des policiers de Los Angeles, aux États-Unis, trouvent une lettre dans laquelle un Français de 43 ans nommé Jacques Dugué évoque ses efforts pour « pervertir les enfants afin qu'une nouvelle génération de pervers nous succède »[2]. Habitant à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), il est représentant en armes et articles de sport, et père de deux filles[3]. Depuis 1973, il entraîne aussi, bénévolement, l'équipe de basket junior du Red Star Olympique, ce qui lui permet de rencontrer de nombreux adolescents à qui il propose de poser nus dans son pavillon[2]. Il fait aussi partie de groupes de couples échangistes qui se transmettent des photos d’enfants[1]. Les photos et films pédophiles réalisés dans le pavillon de Jacques Dugué sont ensuite envoyés aux Pays-Bas et au Danemark[2].
Les policiers français arrêtent Jacques Dugué le . Lorsqu'ils font irruption chez lui, Jacques Dugué est en train de photographier des enfants nus. Les enquêteurs vont trouver sur place de très nombreuses photographies pornographiques, les unes prises par lui, d'autres réalisées par des tiers, ainsi que des revues, des lettres et des films[3].
Il est inculpé pour attentat à la pudeur sans violence sur mineurs de quinze ans[2]. Dans un premier temps, il reste en détention préventive et l'enquête ne permet pas encore de connaître précisément les faits. Elle aboutit cependant à l'inculpation de huit personnes pour attentats à la pudeur sur mineurs de moins de quinze ans et de quatre autres personnes en relation avec le réseau Dugué en France, soit un total de douze inculpations. Sept autres personnes sont incarcérées[2]. Les enquêteurs estiment que Jacques Dugué allouait parfois une gratification à ses victimes, issues de milieux très modestes[3]. La justice n’établit pas qu'il réalisait un quelconque bénéfice financier du fait de ses activités[2].
MĂ©diatisation
L'affaire de Saint-Ouen est révélée par le journal d'extrême-droite Minute au mois de . Dans les premiers jours de , France-Soir, alors le journal français le plus diffusé, fait sa une sur « une écœurante affaire de mœurs » où un « soi-disant éducateur aurait livré à la prostitution internationale des régiments de gamins[4] - [1]. »
Fondé le , le journal Le Gai Pied s'empare de l'affaire dans les mois qui suivent, mais dans le sens opposé. Il estime que l’affaire Dugué représente la « coalition de la France profonde et de nos censeurs bureaucrates, anonymes et repus de cause contre les pervers » et croit savoir qu’aucun enfant n’a dit être contraint d’aller chez Jacques Dugué, et que c’est « la loi [qui] se moque du consentement »[1]. Gai Pied publie quelques mois plus tard un entretien avec un mineur qui a eu des relations avec Dugué. Le mineur refuse le statut de victime, parle de son « affection » pour Dugué, sur un ton assez militant :
« La société considère le pédophile comme le pervers absolu […], celui qui pervertit l’enfance en lui tenant un discours différent, en lui apprenant autre chose que ce qu’eux-mêmes ou l’école lui enseignent, en lui montrant comment agir ou raisonner différemment. C’est cela qui est insupportable[1]. »
Le journal Homophonies, un mensuel dont le premier numéro sort en , fondé par le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle (CUARH), lui-même créé en 1979 à l'occasion de la première « université d'été homosexuelle », met en avant le fait qu’aucun enfant n’a été contraint[4].
Tribune libre dans Libération
Alors qu'il n'a pas encore comparu devant un tribunal, Jacques Dugué, toujours en détention préventive, déclenche un scandale encore plus à vif, car il publie dans le quotidien Libération une tribune libre où il fait l’apologie de la sodomisation d’enfants et incite à des relations sexuelles avec des jeunes âgés de seulement onze ans. La tribune est publiée par le quotidien le , quinze jours après l’article de France-Soir. Jacques Dugué y revendique la plupart des actes reprochés et s’en prend, plus généralement, à la tendance à « considérer les enfants comme des demi-hommes, dépendants et irresponsables »[4].
C'est la période (1977-1979) où Libération a commencé à publier de petites annonces destinées à des mineurs de douze à dix-huit ans[5]. Dès la fin 1976, Libération se prépare à l'arrivée d'un nouveau rival, Le Matin de Paris, fondé le par Claude Perdriel [6], alors qu'il subit depuis le printemps la concurrence de Rouge et, depuis l'été, du bimensuel américain The Paris Metro [7]. L'année 1977 marque la rupture définitive avec un certain gauchisme social, pour aller vers le sociétal [7].
C'est seulement en 1978 que Libération condamne, pour la première fois, les prises de position pro-pédophiles au sein de ses publications. Le quotidien édite alors la revue Un Regard moderne[8], une revue mensuelle d'actualité illustrée et animée par le groupe Bazooka. Après seulement six numéros, la parution de la revue est arrêtée à la suite de la publication, dans le numéro du 5-6 novembre 1978, consacré aux personnes détenues, d'un dessin pédopornographique dans la page d'annonce « Taules »[9]. Malgré cette prise de position, le journal ouvre encore ses pages à des défenseurs de la pédophilie à l'occasion de la publication de l'article « Câlins enfantins », en 1981[10].
Condamnation de 1981
Le , plus de trois ans après son arrestation, Jacques Dugué comparaît devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le président du tribunal, Jean Sournies, prend la décision d'ordonner le huis clos pour écarter les risques de « troubles de l'ordre public » et d'« atteinte aux bonnes mœurs ». Sa décision est accueillie favorablement par les avocats de la défense, Dominique Jourdain et Jeanine Pietruzynski. En revanche les représentants des neuf parties civiles la déplorent[3].
Les enquêteurs établissent que, parmi les dix-sept mineurs concernés, figurent deux garçon de trois et neuf ans, ainsi qu'une fillette de sept ans[2]. Le , Dugué est condamné à six ans de prison ferme[1].
Au cours du procès, le philosophe René Schérer et l'écrivain Gabriel Matzneff témoignent en faveur de Jacques Dugué. René Schérer était déjà considéré avec beaucoup de méfiance par une large partie des milieux intellectuels. En 1971, la rédaction de Politique Hebdo avait ainsi refusé de publier un entretien de Schérer en raison — selon le témoignage du rédacteur en chef adjoint de l'époque Hervé Hamon — de ses « positions pro-pédophiles »[11].
Jacques Dugué sort de prison cinq ans et deux mois après son arrestation, le [2].
Affaires ultérieures
Le , devant la cour d'assises de la Gironde, dans une autre affaire, Jacques Dugué est condamné à huit ans d'emprisonnement[2].
Il est à nouveau arrêté en 2001 dans le cadre d'une enquête sur un CD-ROM saisi aux Pays-Bas avec des milliers de photos pédophiles[12]. C'est l'époque de la banalisation d'Internet, au cours de laquelle la multiplication des supports numériques incite la police à durcir les contrôles relatifs à la pédopornographie. Au printemps 2000, Serge Garde dans L'Humanité, puis Laurence Beneux dans Le Figaro, révèlent en effet l'existence du CD-ROM de Zandvoort contenant 8 500 documents pédosexuels, et d'un fichier établi par la police néerlandaise à partir du CD[13].
Accusé d'avoir violé à plusieurs reprises deux jeunes garçons à Chambéry (Savoie), Jacques Dugué est condamné par la cour d'assises de Savoie à trente ans de réclusion criminelle en 2002[12].
Cinéma
L'enquête et la préparation du procès de l'affaire Jacques Dugué sont contemporains du tournage à Hénin-Beaumont de La Femme flic, film français réalisé par le cinéaste Yves Boisset, sorti en 1980, dans lequel une jeune inspectrice de police enquête sur un réseau de prostitution enfantine niché dans un quartier populaire et qui rappelle les faits dénoncés dans l'affaire Jacques Dugué.
Notes et références
- « De la libération des enfants à la violence des pédophiles : la sexualité des mineurs dans les discours politiques des années 1970 », par Jean Bérard, dans la revue Genre, sexualité et société .
- "Avec le pédophile Jacques D., des victimes de père en fils ?", par Françoise-Marie Santucci, dans Libération du 11 juillet 2000 .
- "Jacques Dugué répond d'attentats à la pudeur sur des mineurs de moins de quinze ans", par J.-M. Durand-Souffland dans Le Monde du 04 novembre 1981 .
- « Les âges du consentement : militantisme gai et sexualité des mineurs en France et au Québec (1970-1980) », par Jean Bérard et Nicolas Sallée, dans la revue Femmes, genre, histoire, 2015.
- Anne-Claude Ambroise-Rendu, « Un siècle de pédophilie dans les médias », Le Temps des médias,‎ (lire en ligne).
- « Il était une fois Libé », par François Samuelson, Flammarion, 2007, page 273.
- « Il était une fois Libé », par François Samuelson, Flammarion, 2007, page 270.
- Après un numéro 0 pilote titré Un Regard sur le monde. Épistolier (1978), p. 20.
- Anne-Claude Ambroise Rendu, « Un siècle de pédophilie dans les médias », Le temps des médias,‎ (lire en ligne, consulté le )note de bas de page numéro 26.
- « Libé, qui dénonce la pédophilie de l'Eglise, a-t-il dénoncé l'éloge de la pédophilie auquel il s'est livré à ses débuts? », sur Libération.fr, (consulté le )
- Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard, « Que reste-t-il de la révolution sexuelle de Mai 68 ? », Le Monde, 1er mars 2001.
- « Un pédophile condamné à trente ans de prison », dans Libération du 14 février 2002.
- Le Livre de la honte : les réseaux pédophiles, Laurence Beneux, Serge Garde, 2001.
Voir aussi
Bibliographie
- « De la libération des enfants à la violence des pédophiles : la sexualité des mineurs dans les discours politiques des années 1970 » est un article du sociologue Jean Bérard paru dans le n° 11 (printemps 2014) de la revue universitaire en ligne Genre, sexualité et société. Genre, sexualité & société est une publication électronique à comité de lecture. Francophone, internationale et pluridisciplinaire, elle a été fondée en 2009 par un groupe de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales et traite de la sexualité et des questions de genre. Ce numéro du périodique est consacré aux « parias sexuels ».