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Affaire Fougeron

LAffaire Fougeron, appelée aussi « l’affaire de la bombe atomique » par le procureur général de la Cour d'appel de Lyon[1], est une affaire politique, judiciaire, policière et artistique qui concerne les poursuites contre l'affiche Il faut sauver la paix[2], œuvre du peintre communiste André Fougeron, éditée par le PCF pour dénoncer la course aux armements en 1948. Ces poursuites s'étendront aux journaux qui ont choisi de reproduire l'affiche et causeront la mort d'un militant du PCF tué dans le dos par un policier en décembre 1948 au moment où il collait sur un mur un tract reproduisant l'affiche.

Histoire

Au cours de l'année 1947, André Fougeron peint la toile Les Parisiennes au marché[3], ensuite exposée au Salon d'automne le 24 septembre 1948[4]. Les comptes rendus de presse à Paris sont « relevés par les accents d'un scandale »[4]. La plupart des critiques sont étonnés par un « sujet social en cette période marquée par la vie chère »[4], tandis que d'autres critiques applaudissent au contraire son réalisme.

Un mois et demi après, un article-manifeste de Fougeron, « Le peintre à son créneau » publié dans le premier numéro, en , de La Nouvelle Critique, le propulse chef de file du « nouveau réalisme français » qui se veut dans la continuité de la peinture d'histoire à vocation sociale (Poussin, Le Nain, Courbet). Il s'engage alors dans la voie du réalisme socialiste[5]. Fougeron réalise de nombreux dessins de presse pour des journaux communistes, comme L'Humanité, Ce soir, Les Lettres françaises[6]. La CGT lui réservera en 1950 près d’un an de salaire pour créer une série[7] sur les mineurs en passant un an à leurs côtés à Lens, dans le Pas-de-calais.

A la fin de l'exposition de 1948 Fougeron est convoqué au siège du PCF et chargé d'illustrer un slogan symbolisant l'euphorie présente lors de l'unité nationale de 1945-1946 et il propose l'image de la maternité, acceptée par le PCF après consultation des sections[8]. L'affiche, qui montre une petite fille allongée sous une pluie de bombes atomiques[2] est interdite par le ministre de l'intérieur Jules Moch, une action en justice est intentée contre son auteur[2]. Le 1er décembre, Louis Aragon organise une conférence de presse de soutien à la Mutualité[6] et le 12 décembre 1948 [6]le militant communiste André Houllier, ex animateur du Comité local de Libération en 1944, est tué, dans le dos[8], par un policier n'étant pas en service[9], à Saint-Mandé, en région parisienne, au moment où il colle sur un mur un tract reproduisant cette affiche[8]. Lors de ses obsèques, Aragon se penche vers Fougeron : « Tu sais maintenant ce que tu dois faire pour le prochain Salon d’automne »[7]. Ces obsèques prennent une ampleur nationale, le 18 décembre 1948 à Saint-Mandé, suivies par une foule massive avec forêt de drapeaux rouge, plusieurs portraits de lui et associations d'anciens combattants[10]. Son meurtre fait suite à huit décès de militants lors de la Grève des mineurs de 1948, quelques jours plus tôt[11].

Fougeron est inculpé le 16 mai 1949 par le juge Jadin « pour avoir participé à une entreprise de démoralisation de l’armée et de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale »[6] - [2], et la censure étendue le lendemain à la « mise en vente, la distribution, la diffusion ou l'exposition de dessins, gravures, peintures, emblèmes ou images quelconques ». Un non-lieu sera prononcé 23 septembre 1951[6]. Fougeron répond immédiatement[8] en peignant avec des couleurs sublimant le "Bleu blanc rouge"[8], le tableau Hommage à André Houllier, dédié au militant qui collait son affiche, où elle apparait en raison des dimensions de l'œuvre[8], 4 mètres de long - [12], qui « domina la salle » consacrée à la peinture réaliste au Salon d'automne 1949[8], en s'inspirant du classique Jacques-Louis David[8], ce qui est contesté par de virulents compte-rendus de presse[8] auxquels Fougeron répond dans Arts de France par l'article "Critique et autocritique"[8]. En bas du tableau, le corps d'André Houllier rappelle celui de la petite fille de l'affiche [8].

Le ministre de l'intĂ©rieur Jules Moch s'investit tout particulièrement dans cette affaire [2]. Près de deux cent informations contre X sont ouvertes, sur les instructions du Garde des sceaux RenĂ© Mayer, qui Ă©voque le risque de nuire Ă  la dĂ©fense nationale. La diffusion de l’affiche dans les journaux communistes suscite aussi une demande de levĂ©e d’immunitĂ© de quatre dĂ©putĂ©s communistes[13]. Les poursuites visent par exemple contre Louis Mardon, directeur du quotidien La Voix de la patrie (quotidien), inculpĂ© pour avoir publiĂ© une reproduction de cette affiche puis relaxĂ© par le tribunal de Montpellier 31 mai 1949[1]. Ce jugement reconnut d’une part, qu’une action pour la paix n’est pas nuisible Ă  la dĂ©fense nationale et que, d’autre part, il ne permettait plus de rĂ©primer des actes individuels non rattachĂ©s Ă  une action collective. La cour d’appel de Montpellier confirme très rapidement, par "l'arrĂŞt Mardon" du 27 juillet 1949[1], qui entraĂ®na la multiplication des relaxes pour les nombreux militants et journalistes de la presse communistes poursuivis en justice depuis des semaines [1].

L'ArrĂŞt Mardon dĂ©clencha par ailleurs une rĂ©flexion sur la dĂ©finition et la doctrine juridique concernant les crimes d’atteintes Ă  la sĂ»retĂ© de l’État, notion de base de la politique rĂ©pressive des annĂ©es 1940[13]. Dans la foulĂ©e, le Garde des sceaux consulte les procureurs gĂ©nĂ©raux Ă  travers la France et leur demande des notes d’informations sur l’état des procĂ©dures pour le chef d’inculpation en cause[13]. Celui d’Alger  rĂ©pond le 21 juin 1951, et rappelle que la doctrine exposĂ©e dans l’arrĂŞt Mardon ne fait que revenir au contenu d'un rapport remis au prĂ©sident de la rĂ©publique le 9 avril 1940[13], le vide juridique entretenu ensuite pendant dix ans ayant facilitĂ© les mesures de rĂ©pression[13].

Notes et références

  1. Biographie Le Maitron de Louis Mardon, directeur de La Voix de la patrie (quotidien)
  2. Canopé Le réseau de création et d'accompagnement pédagogiques
  3. Exposée depuis au musée d'art moderne de Saint-Étienne
  4. "Peinture et communisme : le scandale Fougeron", dans L'Histoire de décembre 1998 -
  5. Lucie Fougeron, « Un exemple de mise en image : le "réalisme socialiste" dans les arts plastiques en France (1947-1954) », Sociétés & représentations, 2003-1 (N° 15).
  6. André Fougeron, site officiel
  7. "Fougeron le maudit" par Harry Bellet dans Le Monde du 12 mai 2014
  8. "Regard d'une historienne de l'art", par Sarah Wilson, dans la revue Matériaux pour l'histoire de notre temps 1991
  9. "L'agent Le Nohan, qui tua André Houllier un matin de décembre 1948 n'était pas en service. Il allait donner un coup de main à un boucher de ses amis pour préparer la viande avant d'ouvrir la boutique"
  10. Les obsèques d'André Houllier, Cinémathèque du parti communiste français, 1948
  11. Récapitulatif de René Merle
  12. "André Fougeron, la vie en rouge", par Eric Biétry-Rivierre dans Le Figaro du 28/02/2014
  13. "L’impossible pĂ©riodisation des « affaires » ? TemporalitĂ©s multiples, chronologisationartificielle et caractère infini des procès politiques" par Vanessa Codaccioni, UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne
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