Ălectromigration
Basiquement, on peut dĂ©finir l'Ă©lectromigration comme le dĂ©placement dâatomes dans un conducteur induit par un flux dâĂ©lectrons. Ce mĂ©canisme nâapparait que dans les applications oĂč lâon observe de trĂšs forte densitĂ© de courant comme en microĂ©lectronique.
Historique
Le phĂ©nomĂšne dâĂ©lectromigration a Ă©tĂ© dĂ©couvert en 1861[1] par le physicien français Gerardin[2]. Pendant longtemps le phĂ©nomĂšne resta un sujet dâĂ©tude pour les physiciens car les conditions requises pour observer le phĂ©nomĂšne ne pouvaient ĂȘtre produites quâen laboratoire. Il ne devient un sujet dâintĂ©rĂȘt que pendant les annĂ©es 1960 avec lâĂ©mergence des circuits intĂ©grĂ©s commerciaux, câest-Ă -dire quand le phĂ©nomĂšne est devenu prĂ©occupant pour la fiabilitĂ© des lignes dâinterconnexions. En effet dans une ligne Ă©lectrique « aĂ©rienne » (comprendre non intĂ©grĂ©), la densitĂ© de courant admissible est limitĂ©e Ă 104 A.cmâ2 Ă cause de lâeffet Joule qui provoquerait la fusion du conducteur. Dans un circuit intĂ©grĂ©, le courant est conduit par des lignes constituĂ©es de fines couches de mĂ©tal en contact avec du silicium qui joue le rĂŽle de radiateur. Ceci permet dâatteindre (et mĂȘme dĂ©passer) les densitĂ©s de courant nĂ©cessaire pour que lâĂ©lectromigration devienne significative qui sont de lâordre de 106 A.cmâ2. Câest lâamĂ©ricain J. R. Black, dans un article[3] de 1967, qui pose les bases modernes de la recherche sur le sujet. Il exprime notamment la relation entre la densitĂ© de courant, la tempĂ©rature et la durĂ©e de vie de la ligne dans une Ă©quation qui porte aujourdâhui son nom (Ă©quation de Black).
Description
Quand on applique une diffĂ©rence de potentiels Ă une interconnexion, les Ă©lectrons circulent du plus faible potentiel (cathode) vers le plus haut potentiel (anode). Les atomes de mĂ©taux commencent alors Ă se dĂ©placer sous lâinfluence du flux dâĂ©lectrons qui entre en interaction avec le rĂ©seau cristallin. Ce phĂ©nomĂšne est appelĂ© Ă©change de quantitĂ© de mouvement (momentum exchange en anglais). En supposant que la direction du flux dâĂ©lectrons est positive, la force induite par le flux dâĂ©lectron peut ĂȘtre exprimĂ©e par :
oĂč est la charge atomique effective, est le numĂ©ro atomique effectif, est la charge de lâĂ©lectron, est le champ Ă©lectrique, est la rĂ©sistivitĂ© du mĂ©tal et la densitĂ© de courant.
Le dĂ©placement des atomes est facilitĂ© par la prĂ©sence dâimperfections dans le cristal. Les rĂ©gions de discontinuitĂ©s dans la structure cristalline (dislocation) ou les interfaces entre les cristaux (joint de grains) sont, par exemple, des zones privilĂ©giĂ©es pour la diffusion des atomes de mĂ©tal. Quand une interconnexion est terminĂ©e par une barriĂšre de diffusion comme le tungstĂšne (W) ou le tantale (Ta), le dĂ©placement des atomes provoque une contrainte de traction au niveau de la cathode oĂč les atomes dĂ©sertent et une contrainte de compression au niveau de lâanode oĂč les atomes sâaccumulent. Le gradient de stress rĂ©sultant induit une force mĂ©canique qui sâoppose Ă la force "Ă©lectronique". Cette force peut sâexprimer par :
oĂč est le volume atomique, est le stress mĂ©canique et est la longueur de la ligne.
DâaprĂšs le modĂšle de Korhonen, le flux atomique peut ĂȘtre exprimĂ© en fonction de et :
oĂč est la concentration atomique, est la diffusivitĂ© atomique, est la constante de Boltzmann et est la tempĂ©rature. Cette Ă©quation montre que doit ĂȘtre supĂ©rieur Ă pour que le flux des Ă©lectrons provoque un dĂ©placement de matiĂšre. Lâinfluence de la tempĂ©rature est par contre masquĂ©e puisque la tempĂ©rature favorise lâĂ©lectromigration contrairement Ă ce que lâĂ©quation pourrait faire penser. En effet, la diffusion est un processus activĂ© thermiquement qui varie exponentiellement avec la tempĂ©rature ().
Mécanisme de défaillance
La diffusion des atomes de mĂ©tal nâest pas un problĂšme en soi. Pour quâun dĂ©faut apparaisse il faut que la quantitĂ© de matiĂšre arrivant dans une rĂ©gion soit supĂ©rieure ou infĂ©rieure Ă la quantitĂ© de matiĂšre la quittant. Si plus de matiĂšre arrive quâil nâen part, lâaccumulation de matiĂšre peut aboutir Ă un court-circuit ou Ă la rupture de la couche de passivation provoquant ainsi une opportunitĂ© de corrosion. Si plus de matiĂšre part quâil nâen arrive, on observe une augmentation de la rĂ©sistance de la ligne voir une ouverture de la ligne. Dans les lignes, les dĂ©fauts apparaissent donc dans les zones de discontinuitĂ© du flux de matiĂšre comme les contacts avec le silicium ou aux vias (connexions entre les diffĂ©rents niveaux de mĂ©tallisation).
Conception minimisant l'Ă©lectromigration
Lâapproche conventionnelle utilisĂ©e pour assurer un degrĂ© de fiabilitĂ© suffisant reste encore actuellement basĂ©e sur le modĂšle empirique mis au point par Black en 1969. Ce modĂšle permet dâestimer la durĂ©e de vie moyenne avant dĂ©faillance (MTTF : Mean Time To Failure) dâune ligne soumise Ă lâĂ©lectromigration :
avec une constante dĂ©terminĂ©e empiriquement, lâĂ©nergie dâactivation et une constante comprise entre 1 et 2. La densitĂ© de courant et la tempĂ©rature apparaissent, assez naturellement, comme les paramĂštres critiques influant sur la durĂ©e de vie des interconnexions. CouplĂ© Ă une approche statistique (notamment avec un modĂšle de distribution des dĂ©faillances), ce modĂšle est encore largement usitĂ© dans lâindustrie. En effet, il continue de montrer de bons rĂ©sultats et est un bon indicateur de la robustesse dâune technologie. Ce type de modĂšle permet dâĂ©tablir des rĂšgles de conceptions qui sont ensuite implantĂ©es dans les outils de CAO employĂ©s en microĂ©lectronique. Ainsi un concepteur est prĂ©venu lorsque la densitĂ© de courant dans une ligne est trop importante pour assurer une durĂ©e de vie convenable.
NĂ©anmoins le concepteur peut (devrait) respecter certaines rĂšgles pour sâassurer que les connexions vieilliront dans de bonnes conditions. Une bonne pratique Ă appliquer est de rĂ©partir au mieux la densitĂ© de courant dans les lignes. Les angles Ă 90° ou les vias sont des zones de fort gradient de densitĂ© de courant. Il faut proscrire au maximum les angles Ă 90° dans les interconnexions et prĂ©fĂ©rer lâutilisation dâangles de 135°. La conception de matrices de vias nĂ©cessite Ă©galement des prĂ©cautions pour amĂ©liorer la distribution de la densitĂ© de courant. La disposition des vias doit ĂȘtre organisĂ©e de façon Ă minimiser les gradients de densitĂ© de courant.
Une autre piste Ă suivre est lâutilisation de lignes Ă structure dites « bambou ». Cette dĂ©nomination est tirĂ©e de la forme des joints de grain du matĂ©riau semblable Ă la tige de la plante. Le problĂšme des lignes classiques est que les joints de grains sont des zones privilĂ©giĂ©es pour le transport de matiĂšre. Une structure bambou, avec ses joints de grains perpendiculaires au flux dâĂ©lectrons et donc au flux de matiĂšre, est bien plus rĂ©sistante Ă lâĂ©lectromigration. Pour former des interconnexions avec cette structure, la largeur de la piste doit ĂȘtre de lâordre de grandeur, ou infĂ©rieure, Ă la taille moyenne dâun grain du matĂ©riau utilisĂ©. Ăvidemment, pour ne pas augmenter la densitĂ© de courant, on doit rĂ©partir le flux dâĂ©lectron sur plusieurs lignes en parallĂšle.
Enfin, il existe une limite maximale de longueur de piste en dessous de laquelle lâĂ©lectromigration ne peut pas se produire que lâon nomme longueur de Blech. Pour comprendre le phĂ©nomĂšne, il faut prendre en compte les contraintes mĂ©caniques induites par le dĂ©placement de matiĂšre dans une ligne. Les rĂ©gions oĂč la matiĂšre sâaccumule vont ĂȘtre soumises Ă une compression quâon peut modĂ©liser par une force sâopposant au dĂ©placement de matiĂšre par Ă©lectromigration. Cette force va avoir tendance Ă rĂ©duire, voire annuler, le dĂ©placement de matiĂšre. De maniĂšre plus formelle, il existe un couple densitĂ© de courant () - longueur de ligne () pour lequel la ligne nâest pas sujette Ă lâĂ©lectromigration. Cette approche semble trĂšs sĂ©duisante puisquâelle permettrait dâobtenir des lignes Ă durĂ©e de vie infinie.
Cependant il est compliquĂ© dâappliquer ces mĂ©thodes sur des circuits complexes et elles sont donc, a priori, peu employĂ©es sur des circuits commerciaux.
Voir aussi
Liens internes
Liens externes
- (en) CSL - What is electromigration ?
- (en) Electromigration for Designers: An Introduction for the Non-Specialist, J.R. Lloyd, TechOnLine.
Littérature
- (en) J. R. Black, Mass Transport of Aluminum by Momentum Exchange with Conducting Electrons, 6th Reliability Physics Symposium, 1967.
- (en) J.R. Black, « Electromigration - A Brief Survey and Some Recent Results », IEEE Transaction on Electron Devices, IEEE, vol. ED-16, no 4,â , p. 338
- (en) M. A. Korhonen, « Stress evolution due to electromigration in confined metal lines », JAP, vol. 73, no 8,â , p. 3790-3799
- (en) P.-C. Wang, « Electromigration-induced stress in aluminum conductor lines measured by x-ray microdiffraction », Applied Physics Letters, vol. 72, no 11,â , p. 1296-1298
- (en) Jens Lienig, « Introduction to Electromigration-Aware Physical Design », Proceedings of the International Symposium on Physical Design (ISPD), vol. 44,â , p. 39-46
- (en) Blech, « Electromigration in thin aluminum films on titanium nitride », Journal of Applied Physics, vol. 47, no 4,â , p. 1203-120
Notes
- M. Gerardin, "Compte Rendue de lâAcadĂ©mie des Sciences", 53, 727, 1861.
- physicien français Gerardin
- J. R. Black, Mass Transport of Aluminum by Momentum Exchange with Conducting Electrons, 6th Reliability Physics Symposium, 1967