Ăcloga (Byzance)
L'Ăcloga ou Ăclogue (du grec ancien áŒÎșλογΟ / eklogáž, « choix, sĂ©lection ») est un code de loi introduit en 726 (ou 741) par LĂ©on III, Empereur de Byzance, et son fils Constantin V. Ă une Ă©poque oĂč les lois byzantines Ă©taient nombreuses et complexes, lâĂcloga se veut une sĂ©lection, une simplification et une «grecquification» du Code Justinien. Il sâintroduit dans un courant de christianisation des valeurs par LĂ©on III, ainsi est-il liĂ© Ă©troitement Ă la nouvelle doctrine de l'iconoclasme. Ce code reprĂ©sente un tournant dans l'Ă©volution historique de la sociĂ©tĂ© byzantine. Il rĂ©vise et adapte le droit byzantin « aux conditions sociales d'un monde dominĂ© par la diversitĂ© des traditions ethniques et des coutumes populaires et troublĂ© par les mouvements sociaux et religieux qui sâopposaient Ă la monarchie et Ă lâĂglise » [1]. Son utilisation officielle prend fin sous la Dynastie MacĂ©donienne.
Son titre complet est rĂ©digĂ© ainsi : SĂ©lection de lois rangĂ©es en forme concise par LĂ©on et Constantin, les sages et pieux empereurs, et provenant des Institutes, des Digestes, du Code et des Novelles de Justinien le Grand, et rĂ©visĂ©es avec lâobjectif dâune plus grande humanitĂ© [sĂ©lection] promulguĂ©e au mois de mars, neuviĂšme indiction de lâannĂ©e 6234 de la CrĂ©ation.
Contexte
Avant l'introduction de l'Ăcloga, lâEmpire byzantin utilisait le Code Justinien comme base juridique. Le corpus de ce Code Ă©tait massif, complexe et en latin. LĂ©on III entreprit alors, par lâintermĂ©diaire dâune commission de juriste, de faire une «sĂ©lection» plus accessible pour ses contemporains; une version abrĂ©gĂ©e et grecque du droit romain.
Il se veut un effort afin de rĂ©duire la corruption et les inĂ©galitĂ©s sociales affligeant la sociĂ©tĂ© byzantine[2]. Il souligne Ă de multiples reprises que le pauvre doit ĂȘtre protĂ©gĂ© des excĂšs du riche. Il appelle Ă un rĂ©alignement des valeurs byzantines vers une pensĂ©e plus chrĂ©tienne. Le rĂšgne de LĂ©on III et de son fils Constantin V fut ponctuĂ© de plusieurs victoires militaires contre les ennemis de l'Empire. Ces changements furent donc possible grĂące Ă une stabilitĂ© retrouvĂ©e du gouvernement impĂ©rial.
LâĂcloga parut peu avant les changements iconoclasmes apportĂ©s par LĂ©on III. La tonalitĂ© cĂ©saropapiste du texte est alors comprĂ©hensible. LâEmpereur prend ce ton hĂ©gĂ©monique afin de souligner sa lĂ©gitimitĂ© divine de rĂ©gner et de guider son peuple vers son salut[3]. Il met de cĂŽtĂ© toute mention dâun pouvoir double dans lâEmpire (ecclĂ©siastique et impĂ©riale), affirmant son rĂŽle d'unique pĂšre de la nation.
Division
L'Ăcloga contient une prĂ©face de l'auteur ainsi que 18 chapitres. Ceux-ci sont assez explicites sur les sujets qu'ils couvrent. Les voici[4] :
Titre I: De la contraction des fiançailles et de leur dissolution
Titre II: Du mariage licite et de celui prohibé, du premier et du second mariage, par écrit et sans écrit et de sa dissolution
Titre III: De la dot par écrit, mais non livrée, et du privilÚge de la dot
Titre IV: Des donations simples câest-Ă -dire celle de lâimmĂ©diat usage et propriĂ©tĂ© de biens, ou de la propriĂ©tĂ© seulement, ou des choses laissĂ©es Ă la mort de quelquâun, et des causespour lesquelles les donations se rĂ©silient
Titre V: Des personnes incapables de tester et des testaments Ă©crits et non Ă©crits
Titre VI: Des successions abintestat et des legs et ea ceux qui sont exclus pour cause d'ingratitude
Titre VII: Des orphelins et de leur tutelle
Titre VIII: Des affranchissements et des rechutes en esclavage
Titre IX: Des ventes et de l'achat par Ă©crit et sans Ă©crit et des arrhes
Titre X: De prĂȘt, contre Ă©crit et verbal et des gages donnĂ©s en Ă©change
Titre XI: Pour toute espÚce de dépÎt
Tire XII: Du bail perpétuel et du bail limité
Titre XIII: Des louanges
Titre XIV: Des témoins dignes de foi et de ceux inadmissibles
Titre XV: Des transactions confirmées ou annulées
Titre XVI: Des biens propres des militaires et des gains castrenses, ainsi que des clercs et des notaires et d 'autres personnes employ.es dans un service public
Titre XVII: Des peines pour crimes
Titre XVIII: Du partage du butin
DĂ©bat historiographique sur la date de parution
Ce document est le sujet dâun dĂ©bat historiographique chez les byzantinistes. En effet, il semblerait que la date de la parution lâĂcloga ne soit pas sĂ»re. En raison du format du calendrier byzantin, plusieurs dates sont possibles. La tradition manuscrite de ce document est constante et sâaccorde Ă placer l'instauration de lâĂcloga durant le mois de mars de la 9e indiction[5]. Mais pour ce qui est de lâannĂ©e, il est difficile de trancher puisque les copies qui nous sont parvenues indiquent diffĂ©rentes dates. Les deux dates qui mĂšnent ce dĂ©bat historiographique sont celles de 726 et 741. Aucun des arguments invoquĂ©s par les spĂ©cialistes jusquâĂ prĂ©sent nâĂ©limine sans appel lâune des deux annĂ©es[6].
Spulber se prononce pour la date de 726, puisque selon lui, elle concorde davantage avec la situation sociopolitique de lâEmpire lors du dĂ©but de rĂšgne de LĂ©on III[7]. Les rĂšgnes de Constantin V et LĂ©on III sont marquĂ©s par le mouvement appelĂ© iconoclasme. Comment expliquer son absence dans les lois sachant l'importance de ce mouvement pour ces deux empereurs[8]? La prĂ©face de lâĂcloga laisse transparaĂźtre davantage le dĂ©but que la fin dâun rĂšgne. La date de 726 expliquerait aussi lâabsence de rĂ©fĂ©rence Ă lâiconoclasme puisque le dĂ©but de lâiconoclasme serait postĂ©rieur. De plus, en 739, LĂ©on III aura dĂ©jĂ Ă©dictĂ© des sanctions lĂ©gales dans le cadre de l'iconoclasme[8].
Grummel, Ludwing et Humphreys proposent la date plus tardive de 741[9] - [10]. Le code serait alors Ă©ditĂ© dans la derniĂšre annĂ©e de rĂšgne de LĂ©on III. Bien que cela ait pu ĂȘtre ardu, effectivement, la sĂ©lection et la rĂ©daction de lâĂcloga auraient dĂ» ĂȘtre faites pendant la pĂ©riode tumultueuse de lâiconoclasme, incluant certains conflits contre les Arabes et la catastrophe naturelle qui frappa lâEmpire en 740. Selon ces spĂ©cialistes, l'absence de loi «iconoclaste» pourrait alors souligner la division entre lâĂtat et lâĂglise. Le texte transmet une image du trĂŽne impĂ©rial comme seul dĂ©tenteur du pouvoir sur lâEmpire et seule institution entre Dieu et les Hommes[9] . Cette date est la plus frĂ©quente dans les documents et concorde avec la 9e indiction, mais c'est surtout le manque de contre-arguments qui la maintient en place.
Originalité
LâĂcloga nâest pas une simple appropriation du Code Justinien. Le code reprend bien sĂ»r des lĂ©gislations passĂ©es, mais câest dans sa structure (classement par thĂšmes et associations) et dans sa nature (concise et complĂšte) quâil se dĂ©marque de ses prĂ©dĂ©cesseurs[11]. Alors que le Code Justinien Ă©tait Ă©crit en latin, lâĂcloga se prĂ©sente comme une Ćuvre «moderne byzantine» en intĂ©grant la langue dâĂtat. LĂ©on III construit son code laissant percevoir ses prioritĂ©s et sa conception du droit. L'Empereur fait mention de vouloir changer les inĂ©galitĂ©s qui frappent sa sociĂ©tĂ©. Par contre, les sanctions prendront en compte le rang social de l'accusĂ©. Donc c'Ă©tait « plutĂŽt dans le sens des discriminations sociales que lâEclogue dĂ©passe la lĂ©gislation de Justinien. Les Isauriens consolidaient ainsi une stratification sociale quâils voulaient conserver »[12].
Conceptualisation de la corruption
Les conquĂȘtes arabes et les divers bouleversements du VIIe siĂšcle en Orient ont profondĂ©ment Ă©branlĂ©s lâEmpire byzantin[13]. La baisse de lâĂ©ducation et des pratiques lĂ©gales qui en rĂ©sultĂšrent appauvrit et dĂ©grada les mĆurs de la sociĂ©tĂ©. De plus, lâinstabilitĂ© Ă©conomique et intellectuelle de cette Ă©poque a fragilisĂ© les Ă©lites traditionnelles romaines. Eux qui Ă©taient la classe la plus intĂ©ressĂ©e par les postes de fonctionnaire juridique[14]. Ă la suite d'une succession d'usurpations, LĂ©on III prit le contrĂŽle de l'Empire en 717.
MalgrĂ© le fait que des lois aient dĂ©jĂ Ă©tĂ© mises en place afin de contrer la corruption, lâĂcloga aura une approche nouvelle sur ce problĂšme. Elle dĂ©finira pour une premiĂšre fois la notion de corruption[15] :
se tenir loin de toutes les passions humaines et avec le jugement sain de donner des sentences de vraie justice et de ne pas mĂ©priser le pauvre, de ne pas laisser impuni le riche infracteur; comme aussi de ne pas admirer la justice et lâĂ©quitĂ© seulement par geste et parole, tandis quâen fait ils prĂ©fĂšrent lâinjustice et la cupiditĂ© parce que câest plus avantageux, mais ayant devant soi deux litigants, lâun plus accapareur, lâautre plus pauvre, quâil les considĂ©rer en situation Ă©gale, et quâil tire de celui qui sâest enrichi tant quâil trouvera le fraude avoir moins[16].
Cet extrait souligne que le bon juge ne doit pas ĂȘtre Ă©goĂŻste ou avare, il se doit de toujours combattre les inĂ©galitĂ©s et de ne pas y chercher dâavantages pour un ami ou pour lui-mĂȘme[17]. LâĂcloga critique Ă plusieurs reprises lâincompĂ©tence et lâincomprĂ©hension des lois byzantines des juges actuelles[18]. Afin de contrecarrĂ© cette corruption le nouveau systĂšme juridique qu'amĂšne l'Ălogue propose de rĂ©munĂ©rer les fonctionnaires de justice[19].
Place des fiançailles, du mariage et de la dot
Les premiers chapitres de ce nouveau code de loi sont sur les fiançailles et le mariage. Par ce positionnement, lâEmpereur fait une emphase sur le sujet et affirme encore sa position suprĂȘme dans lâĂtat[20]. Il accroĂźt les droits des femmes et des enfants au dĂ©triment du pouvoir paternel, et accorde une protection Ă la veuve et Ă lâorphelin. Il consacre et Ă©tend les empĂȘchements au mariage introduit par le Concile in Trullo, en prohibant les unions entre cousins au second degrĂ©, mais aussi entre le filleul ou la filleule avec lâenfant du parrain ou de la marraine[21]. Il encourage les unions et protĂšge le systĂšme de dot.
SystĂšme de punition corporelle
DiffĂ©rence majeure avec le Code Justinien et les novelles prĂ©cĂ©dentes , lâĂgloga incorpore une sĂ©rie de punitions/sentences avec des mutilations indicatives Ă la faute commise. On retrouve au Titre XVII de lâĂcloga une liste de 52 crimes et de sentences Ă appliquer.
Lâintroduction de ce genre de «punition» rĂ©vĂšle ici un effort dâinsinuer la moralitĂ© chrĂ©tienne dans la loi, dâune maniĂšre plutĂŽt sĂ©vĂšre. MalgrĂ© tout, il s'agit d'un adoucissement dans la duretĂ© des chĂątiments. Cet effort de «corriger» le peuple et de le guider sâintroduit dans la mentalitĂ© des efforts iconoclastes de LĂ©on III, afin de redresser sa sociĂ©tĂ©. Tout au long du document, il y a une multitude de rĂ©fĂ©rences (Mathieu 24:35, Jean 7:24, etc.)[22] qui appuient le fond religieux dont l'auteur s'inspire. La structure est fortement influencĂ©e par lâaspect lĂ©gal de lâAncien Testament[22].
MalgrĂ© le changement radical de vision religieuse apportĂ© par LĂ©on III Ă cette Ă©poque, lâĂcloga ne sâinfiltre pas directement dans le domaine ecclĂ©siastique. Lâauteur met en valeur une sĂ©paration entre lâĂtat et lâĂglise[9].
Selon le dĂ©lit, le coupable pourra par exemple se faire couper la main (sâil sâagit dâune rĂ©cidive dâun vol par un pauvre libre), se faire couper la langue (en cas de faux tĂ©moignage), se faire couper la verge (en cas dâacte bestial), se faire couper le nez (en cas dâun viol dâune jeune fille) et finalement se faire aveugler (en cas de vol dâobjet(s) sacrĂ©(s))[23]. De plus, une sanction de se faire raser les cheveux pourra ĂȘtre cumulĂ© Ă la sentence dâexil. Ce genre de pratique juridique avait dĂ©jĂ cours depuis plusieurs siĂšcles, mais la spĂ©cificitĂ© de lâĂcloga est de les codifier. LâallĂ©gement des sentences sâintĂšgre aussi dans la tradition juridique dâune novelle publiĂ©e en 556 signifiant lâinterdiction de couper les deux mains ou les deux pieds dâun coupable[23].
Lâimportance de la mutilation diffĂšre selon la gravitĂ© du crime, mais aussi selon la position sociale du coupable. Alors quâune personne aisĂ©e pourra avoir une sentence monĂ©taire jumelĂ©e Ă la sanction physique. Une personne pauvre ne recevra que la sanction physique, illustrant ainsi pleinement la loi[24]. La «sentence physique» restait techniquement la premiĂšre sentence.
Ce radoucissement des sanctions nâabolit pas la peine de mort pour autant. Celle-ci demeure une sentence pour des crimes sexuels plus graves comme lâinceste ou lâhomosexualitĂ©. Mais son application sera grandement rĂ©duite.
RĂ©ception
Il est certain quâun code de loi dans la langue parlĂ©e a pu faire bĂ©nĂ©ficier les rĂ©gions plus Ă©loignĂ©es de Constantinople oĂč le latin Ă©tait absent. Bien quâelle utilise un vocabulaire accessible, on ne peut pas dĂ©finir le champ lexical de lâĂcloga comme populaire[25], il y a lâinsertion d'un vocabulaire spĂ©cialisĂ©. Celui-ci nâa pas Ă©tĂ© confectionnĂ© dans le but dâabolir les autres registres de loi. Elle reprĂ©sente une maniĂšre plus concise, plus accessible et mieux orientĂ©e du droit byzantin[11].
Ă travers les conflits entourant lâiconoclasme, lâĂcloga reprĂ©sentera un pan de cette Ă©poque Ă effacer. Elle sera durement critiquĂ©e et remplacĂ©e par les Basiliques de la dynastie macĂ©donienne[21] MalgrĂ© tout, celle-ci se rĂ©vĂ©la latente dans la littĂ©rature juridique byzantine[26]. Ces mĂȘmes MacĂ©doniens l'utiliseront « comme source de leur Prochiron et de leur Epanagogue »[27]. LâĂcloga restera une base simple sur laquelle codifier le droit byzantin. On pourra le voir resurgir dans plusieurs siĂšcles, dans les « sources canoniques de l'Ăglise; elle fut utilisĂ©e comme source de droit au Moyen Ăge et au commencement de l'Ă©poque moderne en GrĂšce, en Bulgarie, en Serbie, en Russie, dans les Pays Roumains, ainsi qu'en Italie mĂ©ridionale. »[27]. Les copies et les extraits continueront Ă circuler malgrĂ© les condamnations[6] des iconodules.
Référence
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- (en) Helen Saradi, « The Byzantine Tribunals Problems in the Application of Justice and State Policy (9th-12th c.) », Revue des Ă©tudes byzantines, vol. 53,â , p. 190
- (en) Stephen Gero, Byzantine iconoclasm during reign of Leo III, Louvain, SCO, , p. 55
- Empire Byzantin (trad. C.A Spulber), Ăclogue des Isauriens, Roumanie, MĂŒhldorf, , p. 9-76
- Un volet du dĂ©bat porte sur le calendrier utilisĂ© durant cette pĂ©riode. Des versions commencent lâannĂ©e le 1er septembre tandis que dâautres optent pour le 25 mars.
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- Empire byzantin, L'Ăclogue des Isauriens, Roumanie, MĂŒhldorf, , p.83-84
- Empire byzantin (trad. C.A Spulber), L'Ăclogue des Isauriens, Roumanie, MĂŒhldorf, , p. 84
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- (en) M.T.G Humphreys, Law, power, and imperial ideology in the iconoclast era, c.680-850, Oxford, Oxford university press, , p. 84
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Bibliographie
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- Alexander A. Vasiliev, History of the Byzantine Empire, University of Wisconsin Press, 2006, 846 p.