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Zofloya, ou le Maure

Zofloya, ou le Maure (Zofloya; or, The Moor) est le second roman de Charlotte Dacre, publiĂ© en 1806, sous le nom de « Rosa Matilda[1]. Â»

Zofloya, ou le Maure
Histoire du XVe siècle
Image illustrative de l’article Zofloya, ou le Maure
Page de titre du t. 1er de l’édition princeps

Auteur Charlotte Dacre
Pays Angleterre
Genre roman gothique
Version originale
Langue anglais
Titre Zofloya; or, The Moor
Lieu de parution A Romance of the Fifteenth Century
Date de parution 1806
Version française
Traducteur Mme de Viterne
Éditeur Jean-Nicolas Barba
Lieu de parution Paris
Date de parution 1812

Critique et caractéristiques

Ce roman gothique a dû faire, à sa publication, face à de vives critiques : tantôt qualifié de scandaleux et d’immoral, tantôt qualifié de simple imitation du Moine[2].

Même si la comparaison, comme tendrait à la prouver le choix de son pseudonyme[3], avec le Moine est indubitable, Zofloya ne peut en revanche pas être relégué au rang des nombreuses imitations ou parodies médiocres de son modèle.

En trois volumes (quatre pour l’édition française), Rosa Matilda réussit à entremêler les récits de différents protagonistes et à les faire converger vers un seul et même personnage : Victoria[4].

Charlotte Dacre rĂ©unit dans son roman tous les ingrĂ©dients du genre gothique : jalousie, vengeance, dĂ©sir, corruption, perversion, cachot, visions nocturnes, victimes innocentes, meurtre, poison, bandits, etc.

Si Zofloya dĂ©range la critique de 1806, c’est en partie parce que Dacre y prĂ©sente une femme nouvelle, en opposition avec les codes de l’époque. L’auteur y renverse ou inverse – et peut-ĂŞtre mĂŞme dĂ©passe â€“ les règles et les modèles du genre, en mettant pour la toute première fois en scène un personnage fĂ©minin fort et mauvais, qui exprime et assume ses dĂ©sirs sexuels[5].

Remise en cause du rôle de la femme au début du XIXe siècle

Lorsque Lewis a écrit le Moine, il a suscité la réprobation, mais on pouvait concevoir qu’un homme puisse écrire ce genre de chose infernal, mais le crime de Dacre était plus grand parce qu’il était inconcevable qu'une femme puisse même imaginer de telles horreurs et un langage aussi voluptueux[3].

Des femmes au caractère bien trempé apparaissent tout au long du récit. Or, ces personnages féminins semblent renvoyer une image de la femme totalement différente de celle du stéréotype féminin d'usage dans le roman gothique. Dacre confère à ces personnages féminins, et plus spécifiquement à Victoria, Laurina, et Magalina Strozzi, un pouvoir et une capacité d'agir qui ne se rencontre guère dans d'autres romans gothiques. Elle donne à ses personnages la capacité d’user de violence, ce qui, dans ces romans, avait été un attribut essentiellement masculin, pour y assouvir leurs fantasmes et leurs désirs[6].

Dacre se sert de la violence pour aller à l'encontre de l'opposition traditionnelle entre l'homme et la femme, en mettant en lumière ses personnages féminins, qui prennent leur destin en main au lieu de souffrir en silence, comme le font tant d'autres personnages féminins des romans gothiques[7]. Au lieu de les mettre en scène sous les traits de femmes pusillanimes et velléitaires, Dacre dote Victoria, Laurina et Megalina d'un sentiment de puissance exacerbé, imposant leur volonté par tous les moyens à leur disposition pour parvenir à leurs fins, y compris en recourant au meurtre[8].

Ce roman est connu pour ses personnages fĂ©minins qui s’écartent du modèle de vertueuse fĂ©minitĂ© habituel Ă  l'orĂ©e du XIXe siècle. La forte personnalitĂ© de Victoria et de sa mère Laurina transgressent de diverses manières, qui semblaient alors inconvenantes. De ce fait, la critique a considĂ©rĂ© que ce roman s'Ă©cartait du roman gothique classique, pour le caractĂ©riser comme appartenant au courant dit Female Gothic. « Le roman de Dacre constitue une Ĺ“uvre singulière et complexe de Female Gothic, Ă©laborĂ©e de façon stratĂ©gique, qui parle Ă  son Ă©poque en remettant en question divers points de vue bien Ă©tablis sur la nature des femmes et leurs rĂ´les[3]. Â»

Le fait que Dacre se soit dissimulée derrière un pseudonyme lui permet de se distancer de l’accusation d’écrire des textes considérés offensants, sournois et inappropriés pour le XIXe siècle[3].

Défi des rôles sociétaux par les personnages féminins

Les critiques soutiennent que les personnages fĂ©minins de Dacre dĂ©fient les rĂ´les standard Ă  travers :
1. la manipulation des hommes
2. le rejet catégorique de la sensibilité[9]
3. l’exploration du voyeurisme sexuel[9]
4. le contrĂ´le des relations

Manipulation de Berenza par Victoria

« Son plan dĂ©fini, elle y est entrĂ©e petit Ă  petit : ses yeux, qui n'Ă©taient plus animĂ©s d'une belle et sauvage animation, avaient appris Ă  languir ou Ă  fixer le sol avec un air mĂ©ditatif pendant des heures… elle a cessĂ© d’animer la conversation ; elle est devenue silencieuse, silencieuse en apparence et plongĂ©e dans ses pensĂ©es. »

Voyeurisme sexuel de Megalena

« Bien qu'il se soit ainsi inconsciemment reposĂ©, une chance fĂ©minine de se promener près de la tache. Elle avait quittĂ© sa maison pour jouir plus librement de la fraicheur du soir et se promener au bord du lac ; le jeune Leonardo, cependant, retint son attention et elle s'approcha doucement pour le contempler - ses mains Ă©taient jointes sur sa tĂŞte et sur ses joues, oĂą la main de la santĂ© avait plantĂ© son nez brun rougeâtre, les gemmes nacrĂ©es de ses larmes Ă©taient encore pendues - ses cheveux auburn arboraient des boucles autour du front et des tempes, agitĂ©s par la brise qui passait – ses lèvres en vermeil Ă©taient ouvertes et rĂ©vĂ©laient ses dents polies â€“ sa poitrine, qu'il dĂ©couvrit pour laisser entrer l'air rafraĂ®chissant, resta dĂ©voilĂ©e et contrastĂ©e par sa blancheur enneigĂ©e la teinte animĂ©e de son teint. »

Domination de la relation par Megalena

« Avec un regard oĂą figurait la rage la plus noire, la vengeance la plus profonde et le plus amer mĂ©pris, elle continua de les contempler sans faire un pas ; puis, s'approchant rĂ©solument et dĂ©libĂ©rĂ©ment de Leonardo, elle le saisit par le bras. Son pouvoir sur son âme Ă©tait tellement intact, de mĂŞme que la terreur, une terreur perdue qu'il sentait involontairement alors qu'il s'effondrait sous le regard puissant de son Ĺ“il, qu'il n'avait aucun pouvoir pour rĂ©sister Ă  l'action dĂ©cisive de son action. »

Dacre renforce Ă©galement la dynamique de ses personnages fĂ©minins en les comparant, en particulier Lilla et Victoria plus avant dans le roman. DĂ©crivant Victoria avec « dĂ©dain, Ă  cause du fait qu'elle est si opposĂ©e Ă  la belle maĂ®tresse[10] Â» On notera l’opposition avec la description de Lilla comme « belle Â» et « jolie Â», les caractĂ©ristiques stĂ©rĂ©otypĂ©es attribuĂ©s aux protagonistes fĂ©minins dans de nombreux romans gothiques[10] Lilla est blonde comme Victoria est sombre, comme prĂ©pubère, passive, bonne, comme Victoria est l’inverse. Alors que, selon le code idĂ©ologique, Lilla devrait vaincre Victoria, c’est le contraire qui se produit dans le roman[11]. Ainsi, Dacre pousse ces comparaisons complètement opposĂ©es pour poursuivre sa tentative d'inverser totalement la dichotomie hommes-femmes caractĂ©ristique des XVIIIe et XIXe siècles dans la littĂ©rature gothique.

Postérité

Malgré les critiques négatives, Zofloya s’est bien vendu et a été traduit en français en 1812.

Percy Bysshe Shelley l’a lu, aimé et s’en est inspiré[12], et Algernon Swinburne écrit qu’il se rapproche des ouvrages du marquis de Sade[13].

Le roman de Dacre a connu un regain d'intérêt aux États-Unis, ces dernières années. Il a été réédité, en , chez Oxford University Press, et un certain nombre de mémoires et travaux universitaires lui sont consacrés (place de Zofloya au côté des autres grands romans gothiques, figure féminine incarnée par Victoria, rôle de la femme dans la société et dans le roman du début du XIXe siècle, et sexualité féminine). Le roman a été réédité, en français, en 2015[14].

Notes et références

  1. En référence à la Matilde du Moine, le roman gothique de Matthew Gregory Lewis
  2. Nicholson, William . "ART. IX.-Zofloya; or, the Moor: a Romance of the Fifteenth Century, in 3 Vols. by Charlotte Dacre, better known as Rosa Matilda; Author of the Nun of St. Omer's, Hours of Solitude, & c.." General Review of British and Foreign Literature 1.6 (1806): 590-593. Print.
  3. (en) Beatriz González Moreno, « Gothic excess and aesthetic ambiguity in Charlotte Dacre’s Zofloya », Women's Writing, 14e série, no 3,‎ , p. 419-434 (lire en ligne).
  4. Zofloya. Charlotte Dacre. Ed. Adriana Cracium. p. 92.
  5. (en) Sara D. Schotland, « The Slave's Revenge : the terror in Charlotte Dacre's Zofloya », Western Journal of Black Studies, 33e série, no 2,‎ , p. 123-131.
  6. (en) James Dunn, Charlotte Dacre and the Feminization of Violence, University of California Press, , p. 309.
  7. (en) Robert Harris, Elements of the Gothic Novel, Robert Harris Press, .
  8. (en) Charlotte Dacre, Zofloya, or The Moor, New York, Oxford University Press, .
  9. (en) Sue Chaplin, Law, Sensibility, and the Sublime in Eighteenth-Century Women's Fiction, Burlington, Ashgate Publishing Company, .
  10. (en) Charlotte Dacre, Zofloya, New York ; Oxford, .
  11. (en) Diane Hoeveler, FĂ©minisme gothique, St Martin's Press, .
  12. « Zofloya ».
  13. « Charlotte Dacre »
  14. Zofloya, ou le Maure, Otrante, 2015.

Bibliographie

Liens externes

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