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ZĂ©non de Caunos

ZĂ©non de Caunos (en grec ancien Ζήνων / ZĂ©nĂ´n) est un fonctionnaire de l'Égypte lagide vers 240-220 av. J.-C, principalement sous le règne de PtolĂ©mĂ©e III. Une sĂ©rie de 2 000 lettres et documents Ă©crits par ZĂ©non sur papyrus en grec et en dĂ©motique ont Ă©tĂ© dĂ©couverts par des archĂ©ologues dans la vallĂ©e du Nil en 1914-1915. Les Papyrus de ZĂ©non offrent de nombreux renseignements sur l'administration de l'Égypte Ă  l'Ă©poque hellĂ©nistique.

ZĂ©non de Caunos
Description de cette image, également commentée ci-après
Extrait d'un papyrus de Zénon, écrit en grec, traitant de questions fiscales, IIIe siècle av. J.-C., musée national archéologique d'Athènes.
Naissance Vers 285 av. J.-C.
Caunos (Carie)
Pays de résidence Égypte (Royaume lagide)
Profession
Scribe et fonctionnaire royal
Autres activités
RĂ©dacteur des Papyrus de ZĂ©non

Biographie

Les papyrus que Zénon a laissés nous font connaître en détail sa vie et sa carrière. Fils d'Agreophon, Zénon est né vers 285 av. J.-C.[1]. C'est un Grec originaire de Caunos en Carie qui fait alors partie des possessions du royaume lagide. Beaucoup de Cariens sont donc enrôlés dans l'administration et l'armée des Lagides, certains se déplaçant même jusqu'en Égypte. C'est le cas le cas de Zénon qui s'installe à Philadelphie, actuelle Amman en Jordanie. Il devient le secrétaire particulier d'Apollonios, ministre des finances et diocète[2] de Ptolémée II et de Ptolémée III.

Peu de lettres proviennent de sa famille, dans un royaume où chaque lettre se doit d'avoir un objectif concret et utilitaire. Ainsi, les renseignements sur sa famille sont faibles. La plupart des parents de Zénon de Caunos vivent en Carie. De temps à temps ils lui rendent visite, comme son père Agreophon en 253. Nous le savons grâce à ses petits dossiers épistolaires et ses rapports, qui ont toutefois des mois de décalage, en raison de la lenteur des communications[1]. Zénon a deux jeunes frères : Le premier, le cadet, se nomme Epharmostos qui, depuis 257 av. J.-C., séjourne à Alexandrie, où il reçoit une éducation soignée au gymnase. En 248 av. J.-C., il rejoint Zénon à Phidadelphie. Tous deux organisent l'élevage de porcs et de chèvres dans des villages du Fayoum. Mais Epharmostos meurt vers 242, d'après la pétition d'un certain Théon[1]. Le second se nomme Apollonios. Or il est difficile à suivre par son nom banal, commun à 35 personnes dans les archives de Zénon[1].

Zénon est certainement resté célibataire, nous n'avons aucune mention d'une quelconque épouse. Il fréquente de manière assidue le gymnase, principal foyer de vie hellénique, qui fournit une éducation sportive, morale et intellectuelle aux Grecs uniquement. Il est également amateur de chasse[1].

Entre décembre 260 et avril 258 av. J.-C. Zénon séjourne en Cœlé-Syrie durant quatorze mois, se livrant à des activités diverses, transactions et interventions semi-officielles. Depuis l'Égypte, il traverse les villes de la côte (Gaza, Ascalon, Azotos, Jaffa, Tour de Straton), la Judée (Jérusalem, Jéricho), la Transjordanie (Abel, Tyros), la région de Bashân, la Haute Galilée (Beth Anat, Qadesh de Nephtali), puis Ptolemaïs, avant de retourner en Égypte.

Papyrus de ZĂ©non

Description

Plus de 2 000 lettres et documents Ă©crits par ZĂ©non en grec ancien et en Ă©gyptien dĂ©motique sur papyrus ont Ă©tĂ© dĂ©couverts pendant l'hiver 1914-1915. Ils dĂ©crivent son activitĂ© sur une pĂ©riode d'environ vingt ans (de 260 Ă  239). Une grande partie des Papyrus de ZĂ©non est maintenant disponible en ligne, avec identification des parties du discours, grâce au projet Perseus de l'universitĂ© Tufts[3]. Ces archives constituent un document irremplaçable, bien qu'incomplet, sur l'organisation Ă©conomique, fiscale et administrative de l'Égypte lagide et ses possessions diverses ; elles renseignent sur le commerce entre l’Égypte et d'autres rĂ©gions, dont la Syrie, et les relations entretenues avec les peuples situĂ©s aux marges, paysans du Hauran, colons de Transjordanie sous la conduite des Tobiades : elles fournissent entre autres des listes de marchandises, de cadeaux et des factures de portage[4]. Ces documents attestent que ZĂ©non nĂ©gociait avec des NabatĂ©ens et entretient des relations avec des chefs locaux en Ammonitide et en IdumĂ©e. Ils contiennent aussi deux Ă©dits de 260 de rois lagides concernant l'enregistrement du bĂ©tail et des esclaves en Syrie-PhĂ©nicie[5]. Le papyrus no 32, rĂ©pertoriĂ© par Xavier Durand, montre que ZĂ©non a escortĂ© BĂ©rĂ©nice Syra chez son nouvel Ă©poux, Antiochos II[6]. BĂ©rĂ©nice a la particularitĂ© de ne boire que de l'eau d'Égypte, ce qui implique de transporter cette eau.

Le Fayoum, le « pays du lac »

Le Fayoum est une gigantesque dĂ©pression dans le dĂ©sert occidental de l'Égypte, de 1 730 km2. Sous l'initiative des rois d'Égypte du IIe millĂ©naire av. J.-C., ce lac entourĂ© de marĂ©cages a Ă©tĂ© transformĂ© en une riche rĂ©gion agricole, et ce grâce Ă  un amĂ©nagement hydraulique. Ses marĂ©cages furent de nouveau assĂ©chĂ©s au dĂ©but de l'Ă©poque ptolĂ©maĂŻque[1].

Durant près de huit annĂ©es, ZĂ©non est chargĂ© de gĂ©rer la dĂ´rĂ©a d'Apollonios situĂ©e dans le nord-est du Fayoum, près du village de Philadelphie. Fin 259 av. J.-C., Apollonios est en effet dotĂ© d'une dĂ´rĂ©a sur la bordure nord-est du Fayoum de 10 000 aroures (environ 2750 hectares). Un plan d'irrigation est rĂ©alisĂ© par un certain StotoĂ«tis afin de mettre en culture ce gigantesque espace[1]. Cette rĂ©gion voit la fondation de nombreux villages grecs, dont Philadelphie, en rĂ©fĂ©rence Ă  la reine ArsinoĂ© II, sĹ“ur et Ă©pouse de PtolĂ©mĂ©e II. Philadelphie connaĂ®t une croissance dĂ©mographique accrue Ă  l'arrivĂ©e d'Apollonios, accompagnĂ© de paysans, ouvriers et fonctionnaires des villages voisins[1]. De hameau, Philadelphie passe ainsi au rang d'une vĂ©ritable petite ville. Philadelphie occupe une place stratĂ©gique d'un point de vue commercial, Ă©tant le point de dĂ©part de la liaison la plus courte entre le Nord-est du Fayoum et la vallĂ©e du Nil. De mĂŞme, elle entretient des liens très forts avec le nome memphite. Elle est dotĂ©e d'un port, nommĂ© KerkĂ©[1].

Atelier textile de ZĂ©non

Le cheptel d’Apollonios comporte 6 371 moutons milĂ©siens[1]. Ces moutons possĂ©dant une laine fine très apprĂ©ciĂ©e, ils font l’objet de soins particuliers. Le lin et la laine sont vendus en tant que matières premières, mais ils sont Ă©galement utilisĂ©s pour crĂ©er et vendre des produits textiles (vĂŞtements, matelas, tapis). Ce commerce est aux mains de petites entreprises familiales ; dès lors, la concurrence Ă©tait rude.

Zénon possède à Memphis un atelier de tissage[1] employant travailleurs libres et esclaves, ouvrant ainsi des possibilités d’emploi.

Les salaires sont les suivants (sachant qu'un drachme vaut 6 oboles)[1]:

  • Une obole et demi par jour pour un ouvrier spĂ©cialisĂ©
  • Une obole par jour pour un aide non qualifiĂ©
  • Une demi obole par jour pour une femme

Les « amis de la capitale Â» demandent Ă  ZĂ©non, le producteur mĂŞme, de livrer des produits, afin d’obtenir un bon prix.

Ă€ Memphis, des esclaves fĂ©minines sont Ă©galement prĂ©sentes, et ce au mĂ©tier Ă  tisser. Elles Ă©taient nommĂ©es « les filles de Memphis Â»[1].

Statut des esclaves

Les esclaves bĂ©nĂ©ficient d’une grande libertĂ© de mouvement : ils cherchent en effet la laine, et vendent les produits. NĂ©anmoins, cette libertĂ© de mouvement n’empĂŞche pas les fuites, comme le prouvent les nombreux et rĂ©currents avis de signalement reçus par ZĂ©non[1]. Le plus souvent, ils volent de l’argent ou de l’argenterie. Toutefois, cet acte est rarement le fruit d’individus isolĂ©s.

Dans les documents quotidiens, nous avons un problème de terminologie pour distinguer les travailleurs libres des esclaves. Ils sont nommĂ©s « garçon Â», « fille Â», et rarement par des termes juridiques[1]. En vĂ©ritĂ©, la plupart des esclaves sont considĂ©rĂ©s comme des domestiques : ils bĂ©nĂ©ficient d’une grande libertĂ© de mouvement, ont un salaire rĂ©gulier et partagent leurs repas avec leur maĂ®tre.

Archives de ZĂ©non

Dans les archives de Zénon, les papyrologues distinguent le « corpus », contenant les documents selon leur objet, et les « archives », désignées d'après leur origine (lieu, individu, famille, institution). Les papyrus sont regroupés en plusieurs dossiers selon leur date et leur provenance[7] :

  • Le « dossier syrien », qui compte 52 papyrus, dont 22 sont datĂ©s. Le plus ancien document date du et le plus rĂ©cent de juillet 257[7].
  • Le « dossier alexandrin », qui contient 278 papyrus, dont de nombreuses lettres et comptes. Le plus ancien document est un compte de mai 261. Le nom de ZĂ©non n’apparaĂ®t pas avant octobre 261. Ces papyrus rendent compte des deux tournĂ©es d'inspection pendant lesquelles ZĂ©non a accompagnĂ© le diocète[2], alors souffrant. ZĂ©non sĂ©journa Ă  Memphis et Crocodilopolis ; il Ă©tait chargĂ© de superviser les affaires de son maĂ®tre en Moyenne Égypte[7].
  • Le « dossier de Panakestor » (257–256) : ZĂ©non fut envoyĂ© en mission par Apollonios Ă  Philadelphie pour surveiller les travaux d'amĂ©nagement de la dĂ´rĂ©a, Panakestor y arrive le 9 mai 257. Quand ZĂ©non le remplace avant le 10 mai 256, il entre en possession des archives de Panakestor. Le dossier contient 75 papyrus[7].
  • Le « dossier d'Euclès » (247–243). Il s'agit d'un ensemble de 14 papyrus. Ces documents appartenaient Ă  Euclès, successeur probable de ZĂ©non Ă  la tĂŞte de la dĂ´rĂ©a. Ils couvrent les annĂ©es qui vont de 247 Ă  243[7].
  • Le « dossier du notable de Philadelphie » (256–229). Il compte 450 papyrus, qui sont pour la plupart des documents privĂ©s (de la correspondance, des brouillons). Le dossier contient Ă©galement trois comptes, datĂ©s d'environ 249, qui Ă©tablissent la situation financière de ZĂ©non par rapport Ă  celle d'Apollonios[7].

Les documents sont de nature diverse. Les papyrus contiennent de la correspondance, ainsi que des documents à forme épistolaire (la supplique, la déclaration, le mémoire), et de la correspondance administrative. Zénon a conservé 560 lettres reçues par lui personnellement et 114 adressées à des tiers. Les correspondants de Zénon sont des fonctionnaires, des collaborateurs et des subordonnés plutôt que des producteurs, des fournisseurs ou des clients. Le corps de la lettre compte deux parties : la première est un énoncé des faits, la seconde se présente sous forme de requête. Les papyrus regroupe de nombreux documents de comptabilité : les archives se composent de pièces justificatives comme des contrats et autres sources d'obligations, de reçus, de bordereaux, ou de registres journaliers. Les comptes sont également très importants. L'importance matérielle des comptes correspond à leur rôle central. Ils sont moins nombreux que les lettres, mais ils sont longs, et couvrent parfois plusieurs années. Les comptes en espèces et en nature sont tenus séparément et les comptes de grains établissent des balance en valeur-blé. Quelques fragments littéraires ont aussi été retrouvé, ces textes sont peu nombreux, on compte une double épitaphe de jeune chien Tauron, un tétramètre d'Archiloque, une citation des Myrmidons d'Eschyle, les vers 1165–1179 de l'Hippolyte d'Euripide, des exercices scolaires et deux lignes surmontées d'une notation musicale[7].

Commerce

Les archives de ZĂ©non nous renseignent sur le commerce de marchandises qu'il effectue pour son propre compte, sur l'affermage des terres clĂ©rouchiques, sur la manière dont il gère sa propre maison, mais Ă©galement sur ses relations avec ses parents ou amis[8]. Selon ces mĂŞmes archives, le processus de l’achat des biens est le suivant : commande au producteur ; livraison ; emmagasinage ; paiement. Or, les commandes ne sont pas toujours destinĂ©es aux acheteurs. Il peut s'agir de cadeaux. Ainsi, Apollonios envoie souvent au roi en cadeaux ses propres produits, afin d'Ă©viter des dĂ©penses Ă  ce dernier, mais surtout pour se les Ă©pargner personnellement. De mĂŞme, Apollonios nourrit ses esclaves de son propre blĂ©, les habille de vĂŞtements fournis par ses propres ateliers de tissage et paie une partie de leurs gages en nature afin de veiller Ă  son propre profit[8].

Notes et références

  1. W. Clarysse et K. Vandorpe, ZĂ©non, un homme d'affaires grec Ă  l'ombre des pyramides, Presses universitaires de Louvain, .
  2. « Nom, sous les Ptolémées, en Égypte, du ministre du trésor », définition du Littré, qui donne comme prononciation « di-è-sè-t' ».
  3. Lire en ligne.
  4. Maurice Sartre 2003, p. 240-241.
  5. Maurice Sartre 2003, p. 29 et 155.
  6. Maurice Sartre 2003, p. 192.
  7. Claude Orrieux, Zénon de Caunos, parépidèmos, et le destin grec, Paris, Les Belles Lettres, .
  8. Tony REEKMANS, La consommation dans les archives de Zénon, Bruxelles, Fondation Égyptologique Reine Élisabeth,

Bibliographie

  • Willy Clarysse et K. Vandorpe, ZĂ©non, un homme d'affaires grec Ă  l'ombre des pyramides, Presses universitaires de Louvain, 1995 (ISBN 906186674X).
  • Xavier Durand, Des Grecs en Palestine au IIIe siècle av. J.-C. Le Dossier syrien des archives de ZĂ©non de Caunos (251–252), Paris, Librairie Gabalda, 1997 (ISBN 978-2850211010)
  • Campbell Cowan Edgar, Ă©d., Zenon Papyri, 5 vol. , Le Caire, 1925–1940 (Catalogue gĂ©nĂ©ral des antiquitĂ©s Ă©gyptiennes du MusĂ©e du Caire)
  • Claude Orrieux, Les papyrus de ZĂ©non, l'horizon d'un Grec en Égypte au IIIe siècle av. J.-C., Paris, Macula, coll. « Deucalion », 1983 (ISBN 2865890082)
  • Claude Orrieux, ZĂ©non de Caunos, parĂ©pidĂ©mos et le destin grec, Paris, Les Belles Lettres, 1985
  • (en) Pieter Willem Pestman, Willy Clarysse, Monika Korver, A guide to the Zenon archive, Leyde, E. J. Brill, 1981 (ISBN 90 04 06325 0) — Pages choisies
  • (en) Michel Rostovtzeff, A large estate in Egypt in the third century B.C. : a study in economic history, Madison, 1922
  • Maurice Sartre, D'Alexandre Ă  ZĂ©nobie : Histoire du Levant antique, IVe siècle av. J.-C.–IIIe siècle ap. J.-C., Fayard, , 1198 p. (ISBN 978-2-213-60921-8)
  • Tony Reekmans, La consommation dans les archives de ZĂ©non, Bruxelles, Association Ă©gyptologique Reine Élisabeth, 1996
  • (en) Jane Taylor, Petra and the Lost Kingdom of the Nabataeans, I. B.Tauris, 2001, 224 p. — Aperçu, Google Livres
  • (de) Reinhold Scholl (de), Sklaverei in den Zenonpapyri. Eine Untersuchung zu den Sklaventermini, zum Sklavenerwerb und zur Sklavenflucht, Trèves, Verlag Trierer Historische Forschungen, 1983 (ISBN 3-923087-03-9) — Trierer historische Forschungen, 4

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