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Théorie des laryngales

La théorie des laryngales s'est développée au début du XXe siÚcle, à partir d'une hypothÚse initialement proposée par le linguiste suisse Ferdinand de Saussure en 1879[1], expliquant les alternances vocaliques qualitatives et quantitatives à la fin de certains radicaux proto-indo-européens par des « coefficients sonantiques », modulant une « voyelle élémentaire » /e/. Cette hypothÚse a été étendue par le Danois Hermann MÞller[2] (1906) et ensuite le Français Albert Cuny[3] (1912), qui ont proposé de voir dans ces coefficients des consonnes « laryngales ».

Cette thĂ©orie permet d’expliquer de nombreux phĂ©nomĂšnes comme la longueur vocalique, la vocalisation de sonantes et l’accentuation balto-slave[4].

Notation des laryngales

Ferdinand de Saussure notait ᮀ et oÌŹ (petite capitale a et o caron souscrit) les deux « coefficients sonantiques » rĂ©interprĂ©tĂ©s plus tard comme les laryngales *h₂ et *h₃[1]. Jerzy KuryƂowicz utilisa les notations *ə₁, *ə₂, *ə₃. Actuellement, selon le choix des auteurs, la mĂȘme laryngale peut ĂȘtre notĂ©e *Ha, *H₂, *h₂ ou avec un symbole dĂ©signant sa prononciation supposĂ©e.

La théorie

Voici les principaux effets des laryngales sur les langues indo-européennes[5].

Dans les langues anatoliennes elles se conservent souvent, en particulier sous la forme ឫ en hittite. Elles persistent quelquefois en arménien et en albanais à l'initiale des mots en tant que h-. Elles disparaissent dans les autres langues, avec certains effets à leur contact.

Coloration et allongement des voyelles

Selon toutes ces hypothĂšses, les voyelles /e/, /a/ et /o/ pourraient donc ĂȘtre issues d'une combinaison de la voyelle Ă©lĂ©mentaire saussurienne /e/ avec trois phonĂšmes aspirĂ©s idoines (les laryngales), notĂ©s h₁, h₂, h₃, qui auraient modifiĂ© le timbre du /e/ initial, pour donner les trois voyelles e, a et o selon le schĂ©ma dĂ©crit dans le tableau ci-dessous.

initiale + antĂ©vocalique e- = h₁e- a- = h₂e- o- = h₃e-
postvocalique + prĂ©consonnantique ē = eh₁- ā = eh₂- ƍ = eh₃-

Les voyelles de la premiĂšre ligne sont apparemment brĂšves, celles de la deuxiĂšme, longues, mais les hypothĂšses sous-jacentes rĂ©sultent toutes de l'explication donnĂ©e en 1878 par Saussure des alternances vocaliques, explication limitĂ©e Ă  la fin de radical. Or, cette partie reprĂ©sente la jonction entre le radical proprement dit et la dĂ©sinence apparente qui suit. Selon Saussure, cette dĂ©sinence apparente ne pouvait ĂȘtre que la dĂ©sinence rĂ©elle. Mais la structure dĂ©sinentielle rĂ©elle peut toutefois ĂȘtre diffĂ©rente et expliquer l'alternance vocalique constatĂ©e, sans faire intervenir de laryngale.

Par exemple, l'indo-europĂ©en *peh₂-(s)- « protĂ©ger » devient paáž«s en hittite, pā́ti en sanscrit, pāscƍ en latin, etc.

Vocalisation des laryngales entre consonnes

Avant l'acceptation de cette thĂ©orie, les nĂ©ogrammairiens leur attribuaient la valeur *ə entre consonnes, le schwa. En gĂ©nĂ©ral, elles ont produit dans cette position la voyelle i en indo-iranien, Δ (e), α (a), ou o (o) en grec selon l'effet de coloration, enfin a dans les autres langues indo-europĂ©ennes d'Europe. Toutefois, elles peuvent aussi disparaĂźtre, ce qui confirme leur caractĂšre consonantique, ainsi dans le gāthique ptā « pĂšre » de l'indo-europĂ©en *pHtē.

Aspiration de consonnes

Situées aprÚs une occlusive dentale, c'est-à-dire un t, elles donnent th en sanscrit et disparaissant dans d'autres langues.

Prononciation des laryngales

S'il y a un relatif consensus sur le nombre des laryngales en indo-européen, il n'y en a aucun sur la valeur phonétique.

Prononciation de h₁

*h₁ pourrait avoir Ă©tĂ© prononcĂ© soit */ʔ/, soit */h/.

Winfred P. Lehmann propose que ces deux formes ont existé, la premiÚre disparaissant en hittite, la seconde se conservant en hittite.

Prononciation de h₂

L'effet de coloration des voyelles en a permet de supposer que *h₂ se prononçait */ħ/ ou */ʕ/ si l'on compare au mĂȘme effet que produisent ces sons dans les langues sĂ©mitiques. Toutefois, */χ/ peut Ă©galement produire cet effet.

Rasmussen a suggéré une prononciation */x/.

Prononciation de h₃

Les propostitions sont trĂšs variables : */ʕ/, */ʕʷ/, */ÉŁÊ·/, */xÊ·/.

Histoire

AprĂšs sa formulation initiale, il faut attendre 1927 pour que le linguiste polonais Jerzy KuryƂowicz[6] annonce que le hittite, dĂ©chiffrĂ© en 1915 par un linguiste tchĂšque, Bedƙich HroznĂœ, avait gardĂ© áž« comme trace des phonĂšmes h₂ et h₃, bien que h₁ se fut amuĂŻ dans cette langue. Il s'agit lĂ  d'un phĂ©nomĂšne unique, aucune autre langue indo-europĂ©enne n'ayant gardĂ© trace des laryngales, sinon sous le timbre ou la longueur des voyelles rĂ©sultantes ou son contour accentuel.

Cette découverte fut donc considérée comme une preuve a posteriori de la validité de la théorie laryngaliste dans ses principes.

Le systĂšme orthodoxe Ă  trois laryngales reste dominant, mais Ă  partir des annĂ©es 1950 et en appuyant sur l’anatolien, d’autres linguistes ont tentĂ© d’élargir la gamme. F.O. Lindeman propose six laryngales[7]. Une quatriĂšme laryngale a Ă©tĂ© conjecturĂ©e pour le lycien et le lydien q (d’un anatolien commun *xÊ·) par Jens Rasmussen[8] - [9], mais il l’a abandonnĂ©e plus tard[10]. Jaan Puhvel[11] a considĂ©rĂ© qu’il convenait d’attribuer jusqu’à trois « formes » aux laryngales (sourde, sonore, vĂ©laires), crĂ©ant ainsi la bagatelle de neuf sons laryngaux. AndrĂ© Martinet a formulĂ© un systĂšme de 13 laryngales, avec des formes palatales et uvulaires. Toutefois, les interprĂ©tations plus rĂ©centes des rĂ©flexes anatoliens, comme celle d’Eichner[12], ont Ă©liminĂ© tout besoin de recourir Ă  de tels systĂšmes.

Si le formalisme laryngaliste a Ă©tĂ© adoptĂ© aujourd'hui par la majoritĂ© des indo-europĂ©anistes, dont Émile Benveniste[13], Françoise Bader[14], Elmar Seebold, James Mallory et Robert Beekes[15] - [16] entre autres, elle a Ă©galement Ă©tĂ© critiquĂ©e, notamment par Oswald SzemerĂ©nyi[17], pour qui la seule laryngale vraiment attestĂ©e est le simple /h/, le proto-indo-europĂ©en possĂ©dant le mĂȘme systĂšme vocalique Ă  six grades (/a, e, i, o, u/ brefs et long et le schwa /ə/) que l'indo-europĂ©en prĂ©-laryngaliste (nĂ©ogrammairienne). Toutefois, les thĂ©ories Ă  moins de trois laryngales sont incompatibles avec les faits, comme l’a prouvĂ© Beekes[15] Ă  plusieurs reprises[10].

Notes et références

  1. Ferdinand de Saussure, Mémoire sur le systÚme primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, Leipzig, B. G. Treubner, 1879.
  2. Hermann MÞller, Semitisch und Indogermanisch, t. 1 : Konsonanten, Copenhague, H. Hagerup, 1906 ; rééd. Hildesheim, Georg Olms, 1978.
  3. Albert Cuny, « Indo-européen et sémitique », in Revue de phonétique, 1912, n⁰ 2, p. 101-03.
  4. J. Rasmussen, « Determining proto-phonetics by circumstantial evidence: the case of the Indo-European laryngeals », 1983, p. 372 (réimpr. 1999, p. 68).
  5. Jean Haudry, L'indo-européen, Paris, Presses Universitaires de France,
  6. Jerzy KuryƂowicz, « ə indo-europĂ©en et áž« hittite », in Symbolae grammaticae in honorem Ioannis Rozwadowski, t. 1, sous la dir. de W. Taszycki et W. Doroszewski, Cracovie, Gebethner & Wolff, 1927, p. 95–104 ; Id., « Les effets du ə en indoiranien », Prace filologiczne, 1927, vol. 2, p. 201–243.
  7. Fredrik Otto Lindeman, EinfĂŒhrung in die Laryngaltheorie, Berlin, Walter de Gruyter, 1968, p. 100.
  8. J. Rasmussen, « Some Linguistic Universals Applied to Indo-European », dans Haeretica Indogermanica : a selection of Indo-European and Pre-Indo-European studies, sous la dir. de J. Rasmussen, Copenhague, Munksgaard, 1974, p. 5–15.
  9. J. Rasmussen, « Zur Morphophonemik des Urindogermanischen », Collectanea Indoeuropaea, I, sous la dir. de Bojan Čop, Ljubljana, 1978, p. 59–143, surtout 131.
  10. J. Rasmussen, « Determining proto-phonetics by circumstantial evidence: the case of the Indo-European laryngeals », 1983, p. 371, note 2 (réimpr. 1999, p. 67, note 2).
  11. Jaan Puhvel, Hittite Etymological Dictionary, t. 1, Berlin, Mouton Publishers, 1984, p. X.
  12. Heiner Eichner, « Die Etymolgoie von hethitisch mehur », MĂŒnchener Studien zur Sprachwissenschaft, 1973, vol. 31, p. 53–107 ; Id., « Anatolisch und Trilaryngalismus », Bammesberger 1988, p. 123–151.
  13. Émile Benveniste, Origines de la formation des noms en indo-europĂ©en, Paris, Adrien Maisonneuve, 1936.
  14. Françoise Bader, « Noms de parentĂ© anatoliens et formations Ă  laryngale », dans Bammesberger 1988, p. 17–48 ; Id., « Traitements de laryngales en groupe : allongement compensatoire, assimilation, anaptyxe », dans Dor et Kellens 1990.
  15. Robert S. P. Beekes, The Development of the Proto-Indo-European Laryngeals in Greek, Paris et La Haye, Mouton, 1969.
  16. Robert S. P. Beekes, Vergelijkende taalwetenschap : Een inleiding in de vergelijkende Indo-europese taalwetenschap. Utrecht, Het Spectrum, 1990 ; traduit en anglais : Comparative Indo-European Linguistics : An Introduction, traduit du néerlandais par UvA Vertalers et Paul Gabriner, Amsterdam, John Benjamins, 1995.
  17. Oswald SzemerĂ©nyi, EinfĂŒhrung in die vergleichende Sprachwissenschaft, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1970, 311 p.

Bibliographie

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Réflexes dans les langues indo-européennes
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