Théorie de l'autodétermination
La théorie de l'autodétermination (acronyme TAD en français ou SDT anglais) est une macro-théorie de la motivation humaine et de la personnalité, qui concerne les tendances inhérentes au développement et les besoins psychologiques innés des êtres humains. Elle traite de la motivation agissant derrière les choix que les êtres humains font sans aucune influence ou interférence externe. La TAD définit le degré d'auto-motivation et d'auto-détermination d'un comportement[1].
Plusieurs études importantes conduisirent à l'émergence de la TAD, en particulier les recherches sur la motivation intrinsèque[2] à l'origine de la poursuite par un individu d'une activité parce qu'elle lui procure une satisfaction en elle-même, au contraire de la motivation extrinsèque, où l'activité est poursuivie en vue d'atteindre un but externe à celle-ci.
Cette théorie s'appuie, en effet, sur trois besoins psychologiques fondamentaux : « L’autonomie, la compétence et l’appartenance sociale. » (Deci, 1975)[3]
Les trois besoins psychologiques fondamentaux
L’autonomie « désigne la capacité d'un objet, individu ou système à se gouverner soi-même, selon ses propres règles. Dans d'autres cas, elle fait référence aux propriétés d'une entité qui est capable de fonctionner de manière indépendante, sans être contrôlée de l'extérieur ou sans des apports (matériels, énergétiques, etc) en provenance de l'extérieur »
Le processus de réalisation de soi d’un individu nécessitera obligatoirement le sentiment d’autonomie, que l’on doit associer à la compétence.
La psychologie définit la compétence comme « la capacité d’un individu à exercer une fonction ou réaliser une tâche. On parle aussi d’habileté (…) ». La compétence est un besoin qui se réfère à un sentiment d’efficacité sur son environnement et qui fait naître chez les individus la curiosité et le goût à relever des défis (Deci 1975 : White 1959).
Le troisième besoin fondamental venant compléter la théorie de l’autodétermination est le sentiment d’appartenance sociale. Ce dernier permet, non seulement à l’individu de se sentir « lié » à des personnes qui auraient une importance pour lui, mais amènerait, en retour, ces personnes à se sentir, elles aussi, importantes pour autrui.
En parallèle des trois besoins fondamentaux, des éléments extérieurs et internes viennent définir la motivation.
Les modèles de la motivation
Plusieurs études importantes ont conduit à l'émergence de la TAD dans les années 1970 et en particulier les recherches sur l’existence de plusieurs types de motivation. Ces recherches se distinguent par leur système et degrés de régulation des comportements et attitudes vis-à-vis d’une situation.
Deux grands types de motivations viennent se démarquer dans la théorie de la motivation, à savoir: la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque.
Ces deux types de motivation peuvent se rapprocher et vont se différencier par rapport à la position que prend un individu vis-à-vis d’une situation et de sa perception de la tâche. Il s’agit d’un processus d’évaluation qui renvoie à la dimension cognitive et affective du sujet.
La motivation intrinsèque est “en jeu lorsqu’une activité est réalisée pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure”[4]. En effet, l’activité étant sous le contrôle de l’individu et conforme à ses propres valeurs et attentes, elle lui apporte une forme d'autosatisfaction et de plénitude.
A l’opposé, dans la motivation extrinsèque, l'activité est poursuivie en vue d'atteindre un but externe à l’individu. Ce dernier est, en réalité, influencé par des facteurs extérieurs et par des contraintes liées à son environnement propre le conduisant à ajuster son comportement en ayant recours à différentes formes de régulations: la régulation externe, la régulation introjectée, la régulation identifiée et la régulation intégrée.
L’amotivation étant considérée comme l'absence de motivation et présente le niveau le plus faible d’autodétermination.
Les formes de régulation
La régulation externe
Dans la régulation externe, l’environnement social joue un rôle prépondérant et a un fort impact sur l’individu. Le comportement de ce dernier est, en effet, régulé par des facteurs externes qui lui sont imposés. Ils prennent la forme de récompenses, de contraintes ou de menaces. Au sentiment de plaisir et d’autosatisfaction viennent se substituer des sentiments de devoir et d’obligation absolues poussant la personne à être dans l’exécution et l'obéissance plutôt que dans l’interaction.
La régulation introjectée
Dans la régulation introjectée, l’individu intériorise les contraintes externes et agit sous pression. Il est motivé par les sentiments de honte et de culpabilité sans pour autant complètement accepter et endosser les pensées d’autrui. L’individu mobilise cette régulation plutôt comme une stratégie d’évitement des conséquences désagréables qui s’imposent à lui.
La régulation identifiée
Ici, même si l'activité est réalisée à des fins externes, par identification, elle devient valorisante pour l’individu. La valeur personnelle est donc essentielle dans ce type de régulation.
À ce propos, Deci et Ryan (2002)[1] parlent d’identification qui serait «compartimentée (...) ou séparée des autres croyances ou valeurs de l’individu (…)»[5]. C’est d’ailleurs dans ce sens que les deux chercheurs ont développé un quatrième niveau de régulation que l’on nomme « intégrée ».
La régulation intégrée
La régulation intégrée fait référence au sens et aux besoins de réalisations personnelles où la conscience et la valorisation de soi est alors recherchée par l’individu. Les comportements émis par ce dernier se caractérisent par leur cohérence et leur concordance avec ses valeurs et sa personne entière.
Les études et applications
La théorie de l’autodétermination (Self-determination theory) a été proposée par Deci et Ryan durant les années 1980 à la suite de nombreuses études menées par plusieurs chercheurs sur les théories de comportements et de motivation (Decharms 1968[6], Maslow 1943, Vroom 1964, d’Herzberg,1971). Inspiré par ces travaux, dès 1971, Deci conceptualise le principe de la motivation intrinsèque et l’oppose à celle de la motivation extrinsèque. C’est dans son article « The effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation »[7] que l’auteur présente et détaille les résultats de ses expériences menées sur la motivation. Il pose deux hypothèses de recherches : D’abord, il suppose que la récompense matérielle, l’argent par exemple, est à l’origine de la baisse de la motivation intrinsèque. A contrario, il considère que le renforcement verbal augmente cette dernière.
Pour vérifier ces hypothèses, Deci réalise, en 1971, trois expériences consécutives.
Expérience I
La première expérience est menée en laboratoire avec 24 élèves en psychologie qui sont répartis en 2 groupes (un groupe expérimental et un groupe de contrôle). Ces deux groupes ont été observés durant 3 sessions consécutives, lors desquelles il était demandé aux élèves de reproduire différentes configurations spécifiques du cube SOMA, activité dont l'expérimentateur estimait qu'elle devait spontanément susciter la motivation intrinsèque des étudiants, ce qui sera effectivement vérifié par l'interrogation des élèves réalisée post expérience.
Alors que lors des sessions 1 et 3, les conditions étaient identiques entre groupe expérimental et groupe de contrôle, lors de la session 2 les élèves du groupe expérimental se sont vus proposer une rémunération de 1$ pour chaque configuration du cube SOMA réalisée avec succès dans le temps imparti. Au milieu de chaque session, l'expérimentateur quittait la pièce pendant 8 minutes et disait aux élèves qu'ils pouvaient occuper leur temps comme bon leur semblait à ce moment-là. Le comportement des élèves était observé pendant cette période de pause.
Le résultat de cette expérience a montré une augmentation du temps passé à résoudre le cube SOMA durant la pause de la session 2 (rémunérée) et, une fois la rémunération retirée en session 3, une baisse de ce temps en dessous de ce qui avait été constaté lors de la session 1. L'interprétation de Deci est que l'introduction de la récompense matérielle comme outil de motivation extrinsèque a eu pour effet d'impacter négativement la motivation intrinsèque spontanée des étudiants.
Expérience II
Cette expérience est menée sur le terrain dans un contexte où les élèves ne savent pas qu'ils participent à une expérience. 8 étudiants sont recrutés pour rédiger des titres d'articles destinés au journal de l'université. Le protocole est identique à celui utilisé pour l'expérience I : les étudiants sont divisés en deux groupes de 4 (un groupe expérimental et un groupe de contrôle). Ils sont observés sur 3 périodes distinctes et, alors que dans les périodes 1 et 3 les deux groupes sont soumis aux mêmes conditions (aucune rémunération pour le travail réalisé), les élèves du groupe expérimental se voient, lors de la session 2, proposer une rémunération de 50 cents pour chaque titre rédigé. À la fin de cette session 2, on annonce aux élèves que le journal n'a plus le budget nécessaire pour leur payer cette rémunération ce qui justifie le retour aux conditions initiales pour la session 3.
Les résultats de cette expérience viennent confirmer ceux de l'expérience I avec le constat que le recours à une récompense matérielle dans la session 2 impacte négativement la motivation intrinsèque des étudiants, les résultats de la session 3 étant inférieurs ceux de la session 1.
Expérience III
Cette expérience reproduit les conditions de l'expérience I, mais remplace la rémunération financière par des renforcements verbaux (encouragements, feedbacks positifs) relatifs aux taches réalisées (résolution du cube SOMA).
Les résultats de cette expérience confirment les intuitions de Deci en montrant que le renforcement verbal avait contribué à augmenter la motivation intrinsèque des élèves du groupe expérimental lors de la session 3, celle-ci se trouvant cette fois à un niveau supérieur à celui de la session 1.
Deci explique cette différence d'impact entre la récompense matérielle et le renforcement verbal de la manière suivante : L'introduction de l'argent dans une activité pour laquelle il était spontanément motivé incite l'individu à reconsidérer l'intérêt qu'il attribue à la tâche, en le faisant basculer du plaisir de la réalisation à l'envie de gagner de l'argent. L'activité est alors perçue comme controlée par des facteurs extérieurs, son sentiment d'autonomie diminue et la motivation intrinsèque bascule en motivation extrinsèque. Le renforcement verbal, au contraire, n'est pas évalué par l'individu comme un contrôle par des facteurs extérieurs. La motivation intrinsèque demeure et se trouve même renforcée par ces encouragements.
Au travers des expériences sur la TAD, notamment celles de Deci et Ryan, il ressort que les tâches et comportements intrinsèquement motivés apportent beaucoup plus de valeurs ajoutées, de créativité et de réussite dans la réalisation des tâches.
De nos jours, la théorie de l’autodétermination est une théorie majeure pour l'étude de la motivation des individus. Elle est déployée dans différents champs et domaines d’application. Plusieurs recherches l'ont déployée pour l'étude des pratiques managériales en entreprise, ou dans la construction de programmes pédagogiques (définir les programmes scolaires et de formation), dans les disciplines sportives (fonde la théorie de l’objectif de réalisation), ou encore dans le monde politique et juridique. Ces nouvelles applications mettent en lumière l’avenir florissant de la TAD en tant que levier de satisfaction des besoins individuels mais aussi sociétaux.
Notes et références
- (en) Edward L. Deci et Richard M. Ryan, Handbook of Self-Determination Research, University of Rochester Press, 2002 (ISBN 978-1-5804-6156-6)
- (en) Edward L. Deci, « Effects of externally mediated rewards on intrinsic motivation », in Journal of Personality and Social Psychology, vol. 18, avril 1971, pp. 105–115 [lire en ligne] [PDF]
- (en) Deci, E. L, Intrinsic motivation:, New York, Plenum Press,
- Claude Louche, Cindy Bartolotti et Jacqueline Papet, « Motivation intrinsèque et présentation de soi à différentes instances dans une organisation », Bulletin de psychologie, vol. Numéro 484, no 4, , p. 351 (ISSN 0007-4403 et 1968-3766, DOI 10.3917/bupsy.484.0351, lire en ligne, consulté le )
- « Les 101 théories de la motivation », sur www.lesmotivations.net (consulté le )
- (en) deCharms, R., Personal causation, New York, Academic Press,
- (en) Edward L Deci, « The Effects of Externally Mediated Rewards on Intrinsic Motivation », sur www.researchgate.net, (consulté le )